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Article de revue

Se construire parent d'un enfant handicapé à partir de la représention du bon parent

Pages 36 à 42

Notes

1Comment devient-on parent d’un enfant handicapé ? Devient-on parent d’un enfant handicapé comme on devient parent d’un enfant dit « normal » ? Est-ce que l’on retrouve un processus identique dans ce « devenir parent », et quels sont les aspects qui divergent ?

2Je vais traiter un aspect de cette parentalité spécifique à partir de la représentation du bon parent. Je proposerai pour cela une définition de ce que l’on attend communément du bon parent. Ensuite, nous verrons l’évolution des affects à l’égard des enfants et comment ces affects s’articulent avec un parent garant devant les autres hommes de la bonne éducation morale et sociale de ses enfants. L’intériorisation de ces représentations augmente la culpabilité des parents qui ont un enfant handicapé, cela sera illustré avec des entretiens de parents.

3Dans la représentation commune, le bon parent procure une bonne éducation à ses enfants. Elle se traduit par sa socialisation, notamment l’inculcation de la politesse et du respect des autres. Il l’oriente ainsi vers une bonne moralité. Par-dessus tout, le bon parent aime son enfant. Cet amour est inconditionnel. Si le bon parent donne beaucoup à son enfant, cela peut aller jusqu’au don de soi. Il place l’intérêt de l’enfant avant son propre intérêt. Il veut en faire un enfant épanoui, heureux de vivre. Il se décline sous la forme du bon père et de la bonne mère et s’étend au bon couple, car nous savons tous que l’entente du couple, un couple uni, donne de bons parents pour leurs enfants. Le bon parent possède son contraire : le mauvais parent. La représentation sociale du bon parent possède une action coercitive. Si un parent ne se montre pas bon parent, il en subit les conséquences : le social contrôle le parent. Un parent qui frappe son enfant ou crie après lui dans la rue s’expose à des regards réprobateurs. Le voisinage peut alerter les services sociaux s’il pense qu’un enfant est maltraité par ses parents. Nous voyons ainsi que le bon parent répond à un ensemble de normes sociales codifiées et à des affects fortement investis.

4Le bon parent est soumis à la contrainte sociale. La responsabilité que nous avons à l’égard de nos enfants nous donne des droits sur eux, mais nous engage envers eux. Ce double aspect de la responsabilité est aujourd’hui intériorisé.

5Le parent acquiert ses qualifications, bon ou mauvais, en fonction de son comportement avec son enfant. Il peut avoir obligation de résultats, mais pas forcément. Un parent qui a un enfant difficile, avec un comportement asocial, attirera les compliments s’il ne baisse pas les bras et met tout en œuvre pour remettre son enfant dans le droit chemin. Le bon parent est ainsi une représentation instable, jamais gagnée, qu’il faut prouver sans arrêt, même tardivement. La justice va chercher dans l’enfance des délinquants les sources de leur asocialité, même s’ils sont adultes depuis longtemps. Avoir eu de mauvais parents est une circonstance atténuante des années plus tard.
Le bon parent a également un effet narcissique sur le parent. Un individu reconnu comme un bon parent est rassuré sur ses capacités, son ego s’en trouve réconforté (« je fais tout pour mes enfants »).

Le bon parent, une représentation récente

6Le bon parent est également responsable de son enfant. Cette représentation récente a progressivement pris corps au cours du xxe siècle.

La famille comme mécanisme régulateur de l’économie et de la paix sociale

7Le xviiie siècle avait fait émerger un nouveau modèle de bonne mère, qui prend soin de ses enfants et les élève elle-même. L’amour maternel était exalté par les romantiques. Le xixe siècle poursuit cette construction de la bonne mère au foyer.

8L’industrialisation naissante du xixe siècle se trouve confrontée à deux difficultés principales : l’irrégularité des ouvriers au travail – ceux-ci ont tendance à passer leur temps dans les tavernes – et leur pauvreté, qui est facteur de révolte. Or, l’industrie a besoin d’ouvriers stables. Une politique familiale se met alors en place, avec le chef de famille représenté par le père, qui apporte son salaire à la maison pour pourvoir aux besoins de sa famille. Cette représentation de la famille devait également stabiliser l’ouvrier dans son travail.

9On a ainsi commencé à s’intéresser et à protéger l’enfant car on avait besoin de lui. L’Académie des sciences morales et politiques confie en 1848 à Adolphe Blanqui une étude sur la situation des classes ouvrières pour rétablir « l’ordre moral profondément troublé par les conséquences du mouvement révolutionnaire [1] ». Blanqui constate notamment que là où les logements sont insalubres, là où les enfants sont abandonnés à eux-mêmes, se crée une promiscuité des individus qui entraîne une contagion à la révolte. Il indique ainsi : « Tant que la société ne commencera pas cette réforme par la base, c’est-à-dire par une vigilance infatigable sur l’éducation de l’enfance, nos villes manufacturières seront des foyers continuels de désordre, d’immoralité et de sédition. » La prise en charge des enfants et des pauvres, qui jusqu’ici relevait de l’action charitable, est renvoyée vers la famille et la sphère privée. Pour cela, il faut moraliser la famille, la constituer comme instance de régulation de la vie sociale et lui donner les moyens matériels, financiers et légaux afin qu’elle puisse faire face à ses nouvelles obligations.

10Un gouvernement par la famille, selon la formule du sociologue Jacques Donzelot, se met alors en place. Cela se traduit notamment par l’article 375 du Code civil qui octroie au père de famille le pouvoir sur ses enfants, pouvoir qu’il détient en lien avec l’État puisqu’il peut décider de leur emprisonnement. Ainsi, le père à qui son enfant offre de « vifs sujets de mécontentement […] peut le faire emprisonner pendant une durée d’un mois s’il a moins de 16 ans et de six mois s’il est plus âgé ».
Mais le contrôle se fait de l’intérieur, par la famille elle-même, et pour cela il fallait modifier les relations des parents à leurs enfants, modifier les représentations et les formes d’attachement.

Les affects à l’égard des enfants

11Il semble qu’avant le xixe siècle, la vie de l’enfant avait peu d’importance. Si un enfant décédait, un autre venait ensuite. Au Moyen Âge, les enfants des villes étaient placés dès leur plus jeune âge chez des nourrices à la campagne. Ils quittaient les villes, entassés en convois dans des charrettes tirées par des chevaux. Un écrit de l’époque préconisait des mesures de précaution pour le transport de ces enfants, car quelques-uns tombaient de ces charrettes dès le départ de Paris, en raison des rues pavées chaotiques, et étaient écrasés par les chevaux qui suivaient. Le placement des enfants chez des nourrices à la campagne touchait toutes les catégories sociales. Les domestiques dans les familles bourgeoises des villes ne pouvaient pas à la fois s’occuper de leurs enfants et travailler. Ensuite, les parents pouvaient rester quelques années sans rendre visite à leurs enfants. Ils apprenaient leur éventuel décès par courrier.

12Pour Élisabeth Badinter, « ce n’est pas parce que les enfants mouraient comme des mouches que les mères s’intéressaient peu à eux. Mais c’est en grande partie parce qu’elles ne s’intéressaient pas à eux qu’ils mouraient en si grand nombre [2] ». Lorsque l’on a commencé à s’intéresser aux enfants, il a été déconseillé aux parents que leurs jeunes enfants dorment dans le même lit qu’eux car beaucoup mouraient étouffés par leurs parents.

13Quelques citations de contemporains de cette période nous permettent de comprendre comment ces affects étaient vécus. Ainsi Montaigne écrivait : « J’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regrets, mais sans fâcherie. » En Anjou, au xviiie siècle, on note qu’aucun des deux parents ne se déplace lors de l’inhumation de l’enfant décédé [3]. Du coup, l’affliction est exceptionnelle, et on l’explique par les qualités de l’enfant décédé. Madame de Sévigné rapporte les propos d’une de ses amies, qui s’évanouit à l’annonce de la mort de sa fille : « Elle est très affligée et dit qu’elle n’en aura pas de si jolie. » Diderot évoque la « folle » douleur d’une de ses amies qui a perdu l’une de ses filles, et justifie cette douleur par les qualités exceptionnelles de l’enfant : « Je permets de s’affliger à ceux qui perdent des enfants comme celui-là », écrit-il. L’enfant porteur d’un handicap n’était pas mieux considéré qu’un autre, c’était plutôt le contraire.

De la responsabilité à la culpabilité

14Le bon parent responsable de son enfant trouve son origine dans ce double fondement : affectif et d’obligation. D’une part, des affects relient les parents à leurs enfants, d’autre part, le parent devient le responsable de ce qui arrive à l’enfant. Ces affects ne permettent pas l’ambivalence, ils ne peuvent être que positifs envers l’enfant, ils ne peuvent parler que d’amour. Ce sont des affects qui ne laissent pas de place aux pulsions agressives.

15Or, l’individu peut éprouver des pulsions d’amour, mais également de violentes pulsions agressives lorsqu’un autre individu se met en travers de sa route ou vient contrer ses désirs, y compris contre des membres de sa famille. La socialisation de nos pulsions vient fort heureusement y mettre un frein et ces pulsions arrivent à notre conscience sous une forme nettement atténuée.
Tous les parents ressentent ce qui émerge de ces pulsions agressives envers leur enfant, sous forme d’énervement ou de colère retenue. Par exemple, lorsqu’un enfant a déjà fait passer plusieurs nuits blanches de suite à ses parents et qu’une suivante se prépare, ou lorsqu’il refuse de manger et que chaque repas dure des heures, ou parce que les vacances tant attendues depuis une année tombent à l’eau parce que l’enfant est malade… Ce n’est pas simple pour un parent d’accepter en lui ces pulsions agressives envers son enfant, de simplement les reconnaître. C’est encore beaucoup plus difficile lorsque cet enfant est porteur d’un handicap. Le surmoi vient s’opposer à ce que ces pulsions contraires à la morale s’expriment, ou tout simplement se fassent connaître. Elles se transforment alors en sentiment de culpabilité, qui bloque en interne ces pulsions contraires à la morale et aux règles sociales, et qui vient alimenter ce sentiment d’être la cause du handicap de l’enfant. La construction psychique de cet affect, pour une large part inconsciente, demanderait un développement beaucoup plus long, les liens entre la responsabilisation morale des parents et l’intériorisation d’une culpabilité sont simplement pointés ici.

Se construire bon parent, entre responsabilité et culpabilité

16Nous allons voir comment des pères et des mères qui ont un enfant handicapé ont intériorisé cette représentation du bon parent responsable de son enfant.

Le bon parent est responsable de son désir d’enfant

17Michel, père d’un garçon de 17 ans, infirme moteur cérébral suite à des convulsions, a décidé, après quinze ans de vie commune avec sa femme, d’avoir un enfant. Voilà comment il évoque le handicap de son fils : « C’est tombé sur nous, par manque de bol… c’est comme ça, pour une fois qu’on en voulait un. »

18Thierry, père d’une fille de 12 ans atteinte de trisomie 21, dit la même chose : « on l’a désirée, ben on prend ce qu’on nous donne quoi, voilà… c’est le destin… le destin nous a donné Émilie. » Le destin pourrait là s’écrire Destin, puisque que c’est lui qui « a donné » Émilie, à Thierry qui se dit agnostique.

19Pour Jean-Pierre, « c’est nous qui l’avons voulu… on est responsables… mais on ne l’a pas voulu comme ça ».

20Les méthodes de contraception font que les parents ont un enfant lorsqu’ils le souhaitent. Les adultes sont ainsi responsables de leur désir d’enfant. Auparavant, l’enfant était, selon les circonstances, le fruit d’un heureux hasard, l’envoyé de Dieu ou un accident. Le parent n’était pas responsable de son arrivée. Aujourd’hui, le désir entre dans le champ de la responsabilité individuelle.

Des parents errent à la recherche d’une faute

21Jean-Pierre est à la recherche d’une faute qui engagerait sa responsabilité et signifierait sa culpabilité, mais en vain. « Moi, je me sens absolument pas coupable… je dis, je répète, ma femme prend soin tout le temps d’elle, elle a jamais fumé, jamais bu, jamais rien pris au cours de la grossesse… On dit merde, qu’est-ce qu’on a fait à qui que ce soit, pourquoi nous… S’il est là comme ça… si sa vie elle va être pourrie… c’est parce que on l’a mis au monde, sans en être responsable hein, mais on se dit merde, pauvre gamin. » Il est à la recherche d’une faute, comme si le handicap ne pouvait toujours être que la signification d’une faute personnelle, comme s’il s’agissait de la culpabilité, de fait, du responsable.

22Nous voyons comment responsabilité et culpabilité sont proches. En l’absence de faute qui lui retire toute culpabilité, il ne reste qu’un sentiment diffus de culpabilité, diffus car son origine provient d’une représentation sociale qui vient également en résonance avec la culpabilité incestueuse et religieuse.

23Maria est mère de Fatou, une enfant de 10 ans porteuse d’un handicap physique et mental, et de deux autres enfants qui n’ont pas de handicap. Maria est de confession musulmane. « Qu’est-ce que j’ai fait quand j’étais enceinte d’elle… Je ne sais pas si c’est de la culpabilité mais je me pose toujours des questions, qu’est-ce que j’ai pas fait pendant ma grossesse ou fait pendant ma grossesse, et qu’est-ce que j’ai fait pour les autres ou pas, enfin… la confusion, toujours. » Maria cherche une faute introuvable. Pour elle, sa responsabilité est engagée. Elle compare ses différentes grossesses à la recherche d’une faute à l’origine du handicap de sa fille. Elle ressent ce sentiment de culpabilité, mais une culpabilité qui ne s’origine pas dans une faute, ce qui cause la confusion comme elle le dit.

24Il faut ainsi différencier culpabilité du handicap et responsabilité de l’enfant. Cette différence est difficile à faire à cause de cette double facette de la responsabilité qui fait du parent celui qui répond de ses actions. L’individu, confronté à son désir, à cette toute-puissance de son désir qui lui laisse penser qu’il peut avoir ce qu’il souhaite, se trouve face à cette conséquence de son désir lorsque la réalité le contrarie. L’absence de faute est angoissante, car équivalente d’une absence de signification. La culpabilité n’a pas de faute à laquelle se référer ; la formule « responsable mais pas coupable » ne fonctionne pas avec les affects. Le sentiment de culpabilité intervient à ce moment-là. Il est sentiment car nous sommes dans le domaine moral, alors que la culpabilité réelle, prouvée, interviendrait dans le domaine juridique. Il est sentiment car il n’y a pas de faute réelle commise par le responsable nommé en tant que parent.

25Sylvie ne peut, elle, évacuer ses sentiments de culpabilité. On peut en parler au pluriel car elle se sent coupable d’avoir transmis une maladie héréditaire à son fils, et coupable d’être une mauvaise mère surprotectrice. Elle est mère d’un garçon de 17 ans, atteint de la maladie de l’X fragile. Sylvie nous parle d’une autre forme de la culpabilité, celle que lui renvoient les médecins et les psychothérapeutes, et qui vient en résonance avec ce qu’elle pense elle-même.

26Elle évoque ce médecin, « c’était une pédiatre… elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : “Écoutez madame, c’est de votre faute, c’est vous qui lui avez transmis puisque c’est vous la porteuse du gène malade, votre fils est atteint du syndrome de l’X fragile, de toute façon vous n’en ferez jamais rien” ». Elle va cependant essayer d’en faire quelqu’un, de cet enfant. Elle essaye d’être une bonne mère, mais les membres de l’équipe médicale qui suivent son enfant lui font des reproches : de « m’approprier mon fils, quand j’ai parlé de choses que Renaud faisait, effectivement je disais pas il fait, c’était on fait, c’est vrai que je faisais beaucoup de choses avec lui, alors c’était on fait, et ça c’était toujours, en fait c’était je m’appropriais mon fils, je l’empêchais de s’épanouir ». Cette représentation intériorisée de la bonne mère qui prend soin de son enfant se transforme en paradoxe. Paradoxe qui crée également de la culpabilité car la bonne mère devient celle qui en fait trop : « Je me suis beaucoup demandé… c’est peut-être de ta faute, tu l’as trop chouchouté, tu l’as trop materné, il a toujours été dans tes jambes et tout… » Ce n’est que lorsqu’elle commence à se dire qu’elle n’est pas responsable de ce handicap qu’elle peut se dire « ben non ce n’est pas de ta faute, tu n’es porteuse que d’un gène, c’était pas toi, tu l’as pas fait volontairement, j’arrive à comprendre que ça ne venait pas de moi, c’était pas de ma faute ».
Ce n’est que lorsqu’elle se sent moins coupable du handicap de son enfant qu’elle peut être moins la bonne mère à tout prix, celle qui en rajoutait. Nous voyons que l’intériorisation de la représentation de la bonne mère responsable de son enfant peut provoquer la mère omniprésente.

La crainte d’être un mauvais parent

27Suzanne a deux enfants dont l’un est porteur d’un handicap. Le psychologue lui fait remarquer qu’elle est trop accaparatrice avec son enfant handicapé et qu’elle délaisse son second enfant : « Un jour, le psychologue m’a dit, mais peut-être que vous vous occupez trop de sa sœur, alors là si c’était pas faire culpabiliser, mais là c’était vis-à-vis de son frère et là du coup j’ai culpabilisé visà-vis des deux… c’est vrai qu’on… on se souciait peut-être pas assez effectivement de son frère et là j’ai encore à nouveau culpabilisé en disant bon qu’est-ce que je fais, est-ce que je fais trop pour l’un, pas assez pour l’autre et là on sait plus. »

Rééduquer et aimer son enfant

28Pour Thierry, la question essentielle, quelques semaines après la naissance de sa fille, est « comment on allait faire évoluer l’enfant, une fois qu’on a l’enfant ». Imprégné de sa capacité à être un bon père, il met en place des rééducations par la kiné et l’affection qu’il porte à sa fille, sur les conseils de membres de sa famille également professionnels de la rééducation. « Le regard, ne jamais fuir le regard… un regard d’amour quoi, bien focaliser là-dessus, jamais qu’elle relâche le regard et lui témoigner le maximum, bon c’est ce qu’on a fait, et après, il nous a donné des conseils pour la kiné, pour différentes choses. »

29L’amour devient une rééducation au même titre que les séances de kinésithérapie. Les parents deviennent les rééducateurs de leur enfant. Le bon parent va parfaire son enfant, le terminer par les soins et l’amour.

Vivre aussi pour soi

30Suzanne participe à des groupes de parents animés par un psychologue dans l’ime où est inscrite sa fille. Elle prend progressivement conscience qu’être une bonne mère, c’est aussi lui permettre de vivre des expériences en dehors d’elle. Elle décide de laisser partir sa fille en vacances avec un organisme spécialisé, non sans difficultés, étant donné qu’elle se sentait coupable de ne pas s’occuper d’elle : « Au début, oui, je culpabilisais, je disais non, on ne va pas la remettre encore dans ce centre de vacances et tout et maintenant non, et là je suis en train de m’organiser une petite semaine de vacances toute seule… Je vais aller voir mes sœurs, faire la fête parce que ben, on a besoin, il n’y a pas de raison, parce qu’on a des enfants et en particulier un enfant à problème, qu’on arrête de vivre, d’avoir une vie sociale quoi. »

31Un processus de désengagement psychique et des significations sociales se met ici en œuvre. Le sujet prend ses droits, il met du jeu entre cette signification imaginaire du bon parent « à tout prix » et ses propres désirs. Il se détache de son enfant parce que l’allègement de sa culpabilité le lui permet. C’est lorsqu’il quitte cette place de parent responsable en permanence qu’il peut également quitter une position de toutepuissance.
Contraint à être bon parent, le pendant psychique est la toute-puissance. Le sujet est conforté dans son désir sur l’autre par cette signification imaginaire et son surmoi. La signification imaginaire du bon parent confirme le sujet dans son désir d’emprise et de maîtrise. Si l’étau de la signification se desserre, le manque devient possible. Ce désir de vivre des moments pour soi, comme nous en parlent Suzanne et Sylvie, c’est reconnaître ce manque de vie pour soi, c’est donc avoir des envies, des aspirations, c’est désirer ce qui manque. Cette ouverture au manque laisse également la place au manque pour l’enfant.

Conclusion

32Être un bon parent, quel que soit l’enfant, c’est donc être soumis à la marche d’une histoire faite par d’autres. L’emprise d’une représentation sociale du bon parent responsable de son enfant, si elle peut contribuer à lui assurer l’attention et les soins dont il a besoin, peut également concourir à l’enfermer dans une relation duelle lorsque cette représentation est investie pleinement. Une représentation sociale peut alimenter une orientation psychique et inversement. Certains parents, pris dans des contextes singuliers avec un enfant porteur d’un handicap, nous montrent comment ils essaient de réinventer le bon parent pour eux, de se dégager de la tyrannie d’une représentation du bon parent – ce qui peut également profiter à leur enfant.

Bibliographie

Bibliographie

  • Ariès, P. 1973. L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Le Seuil.
  • Aulagnier, P. 1986. « Condamner à investir », dans Un interprète en quête de sens, Paris, Payot et Rivages, édition 2001, p. 325-358.
  • Badinter, É. 1980. L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel, Paris, Flammarion.
  • Castoriadis, C. 1975. L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil.
  • Donzelot, J. 1977. La police des familles, Paris, Minuit, réédition 2005.
  • Giust-Desprairies, F. 1989. L’enfant rêvé, Paris, Armand Colin.
  • Théry, I. 1993. Le démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, édition 2001.

Date de mise en ligne : 27/05/2011.

https://doi.org/10.3917/vst.110.0036

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