Notes
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[1]
D’après Fabienne Rosenwald, les choix ont peu évolué entre 1984 et 2002 dans le second cycle professionnel scolaire puisque « 30 % des filles s’orientent vers le secrétariat-bureautique contre 1 % des garçons, alors que 24 % des garçons choisissent la formation électricité-électronique contre 1 % des filles ». F. Rosenwald, « Filles et garçons dans le système éducatif depuis vingt ans », Données sociales, insee, p. 87-94, 2006.
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[2]
A. Prost, L’enseignement s’est-il démocratisé ?, Paris, puf, 1986, p. 164-165.
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[3]
T. Couppié, D. Epiphane, « Que sont les filles et les garçons devenus ? Orientation scolaire atypique et entrée dans la vie active », cereq, Bref, n° 178, 2001.
1Le genre est cette force sociale qui construit, presque indépendamment des différences physiques, les places des filles et des garçons, des femmes et des hommes dans la société. Selon les contextes économiques, politiques, culturels et éthiques, cette force sociale sépare plus ou moins fortement ces places sexuées, leur attribue des valeurs divergentes, atténue ou accentue l’écart de valeur entre places des hommes et places des femmes, estompe la référence aux différences biologiques ou au contraire les exagère.
2Pour observer un effet de genre, il est souvent très utile de comparer des hommes et des femmes évoluant dans une même institution, confronté-e-s à un même événement, ou à des situations similaires. C’est ce que tente de faire ce travail de recherche ciblé sur des jeunes filles ou jeunes gens atypiques car minoritaires en tant que filles ou garçons dans des formations techniques. On s’interroge sur le sort des filles en formation de mécanique, de menuiserie ou d’électronique…, formations au recrutement habituellement masculin, et sur celui des garçons en formation de coiffure, prêt-à-porter, bioservice…, spécialités qui, elles, sont traditionnellement « féminines ». Que se passe-t-il lorsque les recrutements sont inversés, chose exceptionnelle statistiquement [1] ? Quelles sont les motivations et quel est le quotidien de celles et ceux qui sortent, volontairement ou non, des sentiers battus des habitudes sexuées en matière d’orientation scolaire ? Perçoit-on des résistances, et si oui de quelles sources, de quel ordre et avec quelle justification ? Telles sont les différentes dimensions d’un questionnement commencé en Basse-Normandie en 2004 et prolongé en Haute-Normandie dans le cadre de conventions régionales multipartenariales visant à promouvoir la mixité et l’égalité entre les sexes dans le système éducatif.
Pour le moment, l’enquête est restreinte aux formations de niveaux IV et V : cap, bep, bacs professionnels et technologiques, de précédentes études ayant montré que le baccalauréat constitue un seuil significatif. Elle a cumulé plusieurs sources de données localisées en Normandie et recueillies selon des méthodes variées, classiques en sciences sociales, dans les lycées publics et en cfa (Centres de formation d’apprentis) : au total, c’est un corpus de 549 questionnaires normands auprès de jeunes minoritaires, 572 questionnaires nationaux, 53 entretiens individuels et 4 entretiens de groupe auprès de jeunes minoritaires (élèves ou apprenti-e-s), 89 entretiens individuels d’adultes travaillant dans le cadre des formations techniques des lycées publics et des cfa, 18 entretiens d’employeurs, et des observations en établissements qui forme l’ensemble des données sur lesquelles reposent les résultats suivants.
De rares points communs
3Partant d’une situation commune initiale, l’engagement dans une formation atypique en termes de genre, bien des différences apparaissent entre filles et garçons, uniques en leur genre. Les seuls points communs se résument à trois constats.
4Garçons et filles sont pour la mixité, principe acquis (et d’ailleurs obligation juridique) : 91 % des filles et 86 % des garçons préfèrent des classes mixtes et ne souhaiteraient pas voir apparaître des classes de filles uniquement ou de garçons dans les formations qu’ils ou elles ont choisies.
5Les unes et les autres se sentent intégrés dans leur classe en fin d’année : 83 % des garçons et 89 % des filles concluent à ce résultat lors de l’enquête par questionnaire, qui a eu lieu en avril-mai 2005, c’est-à-dire tard dans l’année scolaire, alors que les éventuels soucis de début ou de milieu d’année sont atténués, voire oubliés.
6Enfin, garçons et filles atypiques puisent inspiration et soutien dans de solides héritages familiaux : malgré des revendications de libre choix individuel et d’autonomie, ces jeunes sont pour la plupart soutenu-e-s par leurs familles dans leur choix (malgré parfois des mises en garde initiales) et, bien souvent, leur orientation n’est pas étrangère à des valeurs affirmées, à des projets de jeunesse contrariés de leurs parents, voire à une passion familiale partagée.
7Nonobstant ces points communs, les différences s’avèrent être plus nombreuses et massives.
Rythme et modalités d’intégration des filles : lenteur et rudesse
8En matière d’intégration, l’accueil par les pairs et par l’institution ne revêt pas la même tonalité chez les filles et les garçons atypiques. Par certains aspects, la différence de traitement des filles et des garçons minoritaires est même caricaturale. Les filles subissent durablement un sexisme quotidien, soulignant la dureté des confrontations psychologiques et physiques : les obscénités, les humiliations personnelles ou professionnelles, et parfois même les souillures et les coups pleuvent durant plus d’un trimestre. « Ils me disent : “tu n’as pas ta place ici” » ; « Tu es une fille, donc tu ne peux pas avoir raison » ; « Il faut avoir du caractère » ; « Ils ont gravé “salope” sur ma caisse à outils. » « Ils me disent “Ne cause plus ! Va faire les trottoirs !” » Plusieurs songent à abandonner, à se réorienter. Une jeune enseignante de matières techniques explique qu’aux yeux de certains garçons, la présence de ces filles est vécue comme « une provocation ».
9Avec le temps, elles nouent quelques amitiés toutefois, ce qui les touche et leur fait oublier les réactions vives ou violentes des plus irréductibles, et/ou s’imposent avec de bons résultats scolaires, le soutien d’un enseignant. Les timides et les pacifiques peinent, les jeunes filles plus assurées et combatives parviennent à s’imposer, en adoptant souvent une attitude « garçonne », se rapprochant des modes d’expression de leurs confrères. Tout de même, elles continuent de les intriguer.
10À quelques exceptions près, la structure scolaire semble peu sensibilisée aux difficultés que vivent la plupart de ces jeunes filles : les adultes des lycées ne savent pas, du propre aveu des lycéennes, qui évitent de se confier par crainte d’être étiquetées comme « fayottes ». Les jeunes filles se responsabilisent et se taisent. Comme, en outre, elles ne rencontrent pas plus de difficultés scolaires que leurs copains de classe, leur bulletin scolaire ne renvoie pas non plus aux adultes des signaux de détresse.
À l’opposé, les garçons sont choyés : s’ils sont 25 % à désigner des difficultés d’intégration en début d’année, celles-ci sont rapidement résolues, en quelques jours. Ils se disent bien entourés, « chouchoutés », attendus et apprécient la présence de filles, le sérieux qu’elles garantissent durant la formation. Ils soulignent également les égards des enseignants, des cpe. Certains affirment même qu’ils contribuent à améliorer l’ambiance de la classe, d’un secteur professionnel…
Des garçons moins motivés dans des spécialités moins prestigieuses
11Si les filles uniques en leur genre ressentent comme un handicap leur situation d’exception durant leur formation, du moins l’ont-elles choisie en fonction d’un véritable projet professionnel cohérent. Elles aiment l’électronique, la menuiserie, la mécanique, etc., elles veulent devenir mécaniciennes, conductrices de poids lourds, et représenter d’autres métiers encore dont la féminisation même du nom ne va pas de soi. Les discours des garçons « uniques en leur genre » revêtent une tout autre tonalité. La formation suivie est choisie dans 75 % des cas chez les filles, dans 45 % seulement des cas chez les garçons. Les propos de Gaétan, en terminale de bep secrétariat, reflètent bien l’ambiguïté de la situation de beaucoup d’entre eux. Si c’était à refaire, referait-il la même formation ? « Je ne veux pas devenir secrétaire, donc je ne la referais pas, mais pour retrouver les copines de ma classe, oui, je la referais. »
12Ont-ils été relégués plus promptement dans les filières professionnelles, toutes spécialités confondues ? Se sont-ils moins investis dans leur propre choix de formation que leurs consœurs ? On connaît en effet la forte mobilisation scolaire des filles originaires de milieux ouvriers, qui « attachent plus d’importance que les garçons aux qualifications scolaires, attitude justifiée par la division du travail entre les sexes qui réserve aux femmes sans diplômes des emplois déqualifiés, répétitifs et mal rémunérés [2] ». Il faut tenir compte de la diversité des formations professionnelles et technologiques, et considérer que certaines sont plus attractives que d’autres et donc exacerbent un sentiment de concurrence. Les garçons minoritaires souffrent de leur orientation puisqu’ils se retrouvent dans des filières « féminines » globalement moins valorisées (carrières sanitaires et sociales, secrétariat, comptabilité) ; les filles minoritaires souffrent d’autant plus de leur position défavorable dans les rapports sociaux de sexes que la concurrence avec les garçons se trouve exacerbée dans des filières plus valorisées (électronique, mécanique).
Avenir et perspectives professionnelles
13Lorsque l’on demande aux jeunes gens et jeunes filles minoritaires de se projeter dans leur avenir scolaire et professionnel, là encore, les réponses divergent entre filles et garçons : venus par défaut dans une formation parfois éloignée de leur premier choix, les garçons atypiques restent toutefois confiants dans leur avenir professionnel : les médias, leur entourage familial ou scolaire leur laissent entendre qu’à diplôme égal, un homme sera mieux employé qu’une femme, ce qui confère à ces jeunes garçons une certaine tranquillité d’esprit.
14À l’inverse, les filles sont venues par choix dans ces formations mais sont anxieuses pour leur avenir. La seule expérience de recherche d’un lieu de stage leur montre combien leur place, en tant que femme, sur une portion du marché du travail jusque-là masculine, n’est pas acquise à l’avance. Trouver un maître de stage acceptant la présence d’une femme dans son équipe relève du parcours de combattante. Les réponses à la question « pensez-vous que le fait d’être un garçon/une fille sera un avantage dans votre métier ? » présentent une dispersion très sexuée : les garçons se sentent rares et précieux, les filles ne se font pas d’illusion sur leur accueil futur.
15Les récentes recherches de Thomas Couppié et Dominique Epiphane sur l’insertion et les carrières professionnelles d’hommes et de femmes ayant inversé les habitudes de genre en matière de formation donnent raison à ces jeunes. Ces deux auteurs observent « des différences d’insertion entre filles et garçons à tous les niveaux de la formation, et presque toujours au bénéfice des garçons. Même si ces écarts s’atténuent au fur et à mesure que s’élève le niveau de diplôme ». Dans le cas présent, les jeunes filles et jeunes gens concernés préparent des diplômes au mieux de niveau bac et connaissent donc les disparités les plus fortes. « Le bilan de l’insertion professionnelle des jeunes filles qui se sont aventurées dans les filières atypiques – car fortement « masculines » comme la mécanique, l’électricité, le btp, mais aussi l’informatique, les mathématiques ou la physique – apparaît ambigu. Encourageant par rapport à celui de leurs consœurs issues d’autres spécialités, il reste décevant par rapport aux garçons sortant des mêmes spécialités [3]. »
Trois portraits contrastés : Anne-Marie, Sandrine et Martin
16Afin de rendre compte de façon plus charnelle de ces réalités, voici trois portraits de lycéen(ne)s caennais(es) ayant pour points communs de débuter une formation technique ou professionnelle atypique et d’avoir des parents de milieu social modeste (ouvriers ou employés). Ces trois jeunes sont interrogé(e)s cinq mois après leur arrivée dans leur lycée et n’ont qu’un(e) seul(e) collègue de même sexe dans leur classe : leur situation d’exception est donc marquée mais pas extrême.
17Anne-Marie est en seconde d’un bac technologique, option mécanique, et passionnée de course automobile. Il n’est pas excessif de dire d’elle qu’elle est une battante qui met en valeur ses qualités d’organisatrice : à peine cinq mois après son arrivée dans ce lycée très masculin (il compte une trentaine de filles sur huit cent cinquante élèves), elle est déjà déléguée de classe, déléguée d’internat, et au cœur de plusieurs projets du lycée. À ce titre, elle se décrit au moment de l’enquête comme quelqu’un de bien intégré. Sûre d’elle, motivée, enthousiaste, cette frêle et petite jeune fille de 16 ans débordante d’énergie décrit pourtant ses difficultés avec les garçons de sa classe durant tout le premier trimestre. « C’était test sur test », « des sifflements, des réflexions déplacées […] Je sais que dans un atelier, leur spécialité, c’est de klaxonner pour pouvoir prévenir tout le monde dès qu’il y a une fille qui arrive ». Anne-Marie s’insurge contre « les pressions » qu’elle subit en atelier, lorsqu’elle s’exprime en cours ou qu’on exige d’elle ou de sa seule collègue féminine le prêt de leurs documents personnels. « C’est du style “passez-moi vos cours !” Ça, ça leur rend service. » Les rejets, les remarques sont d’ordre sexiste : « Moi, j’ai eu des fois : “Tais-toi, tu as trop de culture ! Une femme, c’est fait pour rester à la maison, faire le ménage et s’occuper des enfants !” On nous le dit fréquemment. » Mais ces contrariétés sont surtout le fait de quelques irréductibles et n’entament pas la motivation très grande d’Anne-Marie, qui a même dû lutter pour imposer son choix de formation aux enseignants et à l’administration scolaire de son établissement précédent qui, compte tenu de ses bons résultats, voulaient l’envoyer vers la filière générale. Elle n’est pas déçue par le contenu de sa formation, en lien avec son projet professionnel : devenir mécanicienne de voitures de compétition.
18Sa belle assurance, elle la tire de deux sources. Tout d’abord, elle sait qu’elle peut compter sur le soutien ferme et décisif de la direction de son établissement qui met en œuvre des actions afin de promouvoir la mixité au sein de son lycée et d’améliorer l’accueil des jeunes filles tentant l’expérience de nouveaux métiers. Ensuite, elle puise dans son entourage familial un soutien, un réseau et des connaissances que bien des jeunes garçons de sa classe n’ont sans doute pas en égale proportion. Son père lui a construit un atelier chez elle, afin qu’elle puisse s’exercer le week-end. Une bonne partie de sa famille est passionnée de course automobile : un oncle possède une voiture de course, dans laquelle elle est montée, pour la première fois, à l’âge de 2 ans ; elle accompagne ses cousins, son oncle et son père depuis plusieurs années déjà sur des pistes de courses automobiles le week-end et sa mère y prend part en gérant les questions logistiques. Forte de ces expériences prestigieuses, elle dispose de quelques atouts et d’un sentiment de distinction lui permettant de s’imposer auprès de ses pairs au lycée.
19Sandrine est en seconde de bac sti électronique dans le même lycée qu’Anne-Marie mais vit une expérience plus solitaire. Originaire elle aussi d’un milieu familial modeste, mais sans contact avec son père depuis environ quatre ans, elle tient un discours plus amer, malgré le plaisir qu’elle éprouve à suivre une formation technique qu’elle avait choisie de son plein gré. Elle souffre de l’irrespect chronique dont elle est l’objet : insultes, remarques désobligeantes « sur mon physique » (elle est grande et un peu forte), ou parce qu’elle a refusé leurs avances. « C’est gamin, immature. » Elle se sent contrainte, testée, observée, y compris sur sa tenue vestimentaire. S’habiller en jupe ? « Surtout pas ! On dirait : ah ! la salope ! » Elle aurait aimé trouver davantage de soutien auprès des enseignants, en particulier de la part des femmes. Or, « certains n’ont pas aidé ». Une enseignante remplaçante s’est exclamée d’un air réprobateur en rentrant dans la classe : « Ah bon ? Il y a des filles dans ce lycée maintenant ! » Sandrine estime que sa professeur de sciences physiques « est sévère avec les filles ».
20En définitive, elle se réfugie dans la salle réservée aux quelques filles du lycée et dans une amitié exclusive avec l’autre fille de sa classe. Elle vit une exclusivité féminine dans un lycée de garçons, contente de sa situation d’externe qui lui permet de passer peu de temps au sein du lycée. Elle souligne quand même les démarches amicales de certains garçons de sa classe et le sérieux de sa formation.
21Elle se sent soutenue par sa famille : sa mère, ses frères et sœurs plus jeunes, « ils sont fiers de moi ». Son projet professionnel est clair, en accord avec sa formation : devenir technicienne ou ingénieure électro-technique dans le secteur de l’électroménager. Sa mère, monteuse-câbleuse chez Moulinex et très bricoleuse à ses heures de loisir, est à la source de sa vocation : « Tout vient d’elle. » Toutefois, Sandrine ajuste son projet aux débouchés probables qui l’attendent et évite de choisir la carrosserie, plus difficile d’accès pour les filles.
22Martin, en seconde de bep « carrières sanitaires et sociales », n’a pas vraiment choisi son orientation puisqu’il aurait préféré suivre une formation en sms (sciences médico-sociales), en accord avec un projet professionnel ancien et précis : devenir infirmier. Mais il n’a pas été pris dans l’autre lycée où il postulait en sms, les demandes étant nombreuses (150 pour 32 places disponibles seulement, explique-t-il). Sur les conseils de son professeur principal, il s’est inscrit dans ce bep avec l’espoir de rebondir en bac sms puis en école d’infirmiers. Son projet est largement motivé par la fratrie dont il est membre : ses deux grandes sœurs exercent déjà dans le milieu paramédical et lui ont transmis régulièrement des informations sur ce secteur d’activité et les formations qui y débouchent. En outre, ses parents soutiennent son projet, valorisant davantage le secteur sanitaire et social que la mécanique ou l’électronique. Peu mobile, préférant suivre une formation dans la ville où il réside, Martin se dit « très famille ».
23Si tout se passe comme il le souhaite, sa situation d’unique en son genre risque d’être durable, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Malgré ce détour par un bep qui lui « fait perdre un an », Martin vit très positivement sa formation : le contenu l’intéresse, et il évolue fort à son aise au sein de sa classe formée de vingt-quatre élèves, où l’ambiance est bonne, sans clan, et où il s’est forgé de solides amitiés avec Bastien, l’autre garçon, et de nombreuses copines qu’il rejoint à chaque récréation, et avec qui il travaille. « Les filles, elles sont vraiment sympas dans la classe. Au collège, elles se la jouaient, mais là non. » Il ne cherche pas à se lier avec d’autres garçons de son lycée (qui comporte des classes très masculines), n’envie pas ses copains partis dans des spécialités et des lycées « masculins ». « Je préfère être avec des filles et bien rigoler et avoir un projet. Eux n’en ont pas. » S’il n’apprécie pas toujours les demandes stéréotypées de la part de certains enseignants (« être galant », et donc visible et meneur), il se sent en définitive « chouchouté ». Enfin et surtout, enseignants et médias l’assurent d’un avenir professionnel plus radieux que celui de ses consœurs : « L’autre jour à la télé, j’ai vu qu’on manquait d’infirmiers et en plus, une de mes profs m’a dit qu’entre une fille et un garçon, on prendra le garçon.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Physiquement, psychologiquement… Enfin, je ne sais pas, mais cette prof m’a dit qu’à notes égales, on prendra plutôt un garçon… »
Conclusion
24Partant d’une situation commune, être minoritaire en termes de genre durant leur formation, au bout du chemin, des différences surtout apparaissent : en termes de motivation, de qualité d’accueil et d’intégration, de perspectives d’insertion professionnelle, tout ou presque sépare filles et garçons uniques en leur genre.
25Aujourd’hui, de nouvelles vagues d’actions sont menées au niveau régional et national afin de promouvoir la mixité à l’école, d’élargir l’éventail des formations et métiers ouverts aux femmes sans cantonner ces dernières aux métiers de services et d’employées de bureau, orientations massives bien connues désormais. Les autorités compétentes veulent saisir l’occasion de la désaffection des garçons dans les filières techniques et scientifiques constatée à tous les niveaux, doctorats scientifiques ou atelier, pour inciter les filles à s’orienter vers les sciences et la technique, et promouvoir la mixité au travail. Mais il apparaît que les innovations ne sont pas accueillies pareillement et ont un coût plus élevé pour les filles que pour les garçons. Dès lors, l’efficacité du rôle des institutions et des adultes accueillant et encadrant ces jeunes éclate au grand jour. Toutes et tous ne souhaitent pas intervenir, pour différentes raisons. Mais qu’un adulte intervienne en instaurant un tour de rôle pour le balayage de l’atelier en fin de cours technique, ou en expliquant les notions de tolérance et d’altérité au détour d’un cours d’instruction civique ou de français, et il se fait alors discrètement médiateur et accompagnateur de ces jeunes novateurs, en un mot : éducateur…
Notes
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[1]
D’après Fabienne Rosenwald, les choix ont peu évolué entre 1984 et 2002 dans le second cycle professionnel scolaire puisque « 30 % des filles s’orientent vers le secrétariat-bureautique contre 1 % des garçons, alors que 24 % des garçons choisissent la formation électricité-électronique contre 1 % des filles ». F. Rosenwald, « Filles et garçons dans le système éducatif depuis vingt ans », Données sociales, insee, p. 87-94, 2006.
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[2]
A. Prost, L’enseignement s’est-il démocratisé ?, Paris, puf, 1986, p. 164-165.
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[3]
T. Couppié, D. Epiphane, « Que sont les filles et les garçons devenus ? Orientation scolaire atypique et entrée dans la vie active », cereq, Bref, n° 178, 2001.