Notes
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Arabe oriental az-zahr qui désigna jusqu’au xiie siècle un jeu de dés.
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[2]
La lettre volée (The Purloined Letter), nouvelle d’Edgar Allan Poe, parue en 1844, traduite en français par C. Baudelaire. Le Séminaire sur La lettre volée prononcé le 26 avril 1955, fut d’abord publié sous une version réécrite datée de 1956, dans La psychanalyse, n° 2, 1957, p. 15-44.
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Isidore Lucien Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, 6, 3.
1Si la structure dite « les Petites Maisons pour adultes autistes » est le thème sous-jacent de cette contribution, le fil conducteur pourrait en être l’autisme. Comment l’idée vient de s’engager dans une telle expérience de travail avec des adultes autistes ? Quel cheminement, de pensées et de réflexions, quelles rencontres amènent à cet engagement ? L’idée d’un commencement s’est alors imposée assez simplement. Reprenons donc au début...
Le début : des rencontres
2L’évocation de ce que pourrait recouvrir l’expression « mes débuts », en psychiatrie, amène le sentiment d’avoir quelques difficultés à dater chronologiquement cet éventuel commencement et me plonge dans un profond doute critique. S’agit-il de la première fois où je posais le pied dans un pavillon d’hospitalisation ? était-ce juste devant la porte, ou un peu avant, devant la grille de l’hôpital psychiatrique ? Évidemment, comme tout un chacun, durant mes années lycéen-nes, je m’étais intéressé à Sigmund Freud – La science des rêves ainsi que Psychopathologie de la vie quotidienne –, mais aussi à Wilhelm Reich, Écoute petit homme, et tout autant, quoique plus jeune encore, à Bob Morane, Blek le Roc ou bien Tintin. Alors, par lesquelles de ces primes lectures de ma jeunesse passée étais-je le plus inspiré lorsque je me retrouvais à l’oral de sélection de l’école d’infirmiers psychiatriques ? Quel trouble me saisit lorsque le premier médecin chef de service que je rencontrais dans une sorte de colloque singulier me demanda avec une certaine insistance de convenir avec lui que je savais sûrement jouer de la guitare puisque j’avais les cheveux longs ?
3En fait, il y eut plusieurs débuts sous forme de rencontres, et la chronologie est embarrassée d’en rendre compte. Des rencontres. Un lot de rencontres, des bonnes, des mauvaises, des utiles, des inutiles, bref un cheminement plutôt chaotique fait de rencontres surprenantes, dérangeantes. La vie serait, peut-être, par certains aspects, un art de la rencontre. Cet art si particulier de la rencontre qui est, selon le Grand Robert de la langue française, un hasard, un événement fortuit par lequel on se trouve dans telle ou telle situation. Il est intéressant de noter que le terme de fortuit se comprend comme : « Ce qui arrive ou qu’on croit arriver par hasard », c’est-à-dire de manière imprévue. On dit, par exemple, une découverte fortuite, une rencontre fortuite. Il y a une sorte de redoublement, de saturation signifiante dans l’acception du terme « rencontre », comme une sorte d’amalgame de fortuit et de hasard [1].
Des rencontres avec l’institution
4Il y eut donc les rencontres avec l’institution psychiatrique, massives, brutales, du type de celles qui vous laissent plaies et bosses, rancœurs et amertumes, rencontres avec la hiérarchie explicite, les hiérarchies implicites. Il y eut la rencontre avec la folie, celle qui se déploie à l’hôpital psychiatrique. Il y eut les rencontres avec ceux qui savent pour vous, ceux qui ne savent rien, certains épris de la passion de savoir, d’apprendre et de transmettre, et d’autres de ne rien savoir, surtout ne rien savoir, c’est ainsi dire ce qu’il en est de la passion de l’ignorance.
Une rencontre avec l’autisme, temps 1
5La rencontre avec cet enfant autiste, lors d’un séjour de quelques jours, de ces séjours qui étaient l’un des poumons de cette vie de travail à l’hôpital psychiatrique. Sortir des murs et aller voir ailleurs comment ça se passe. Un moment de liberté à vivre intensément, puis la tristesse de devoir revenir, ranger, refermer les portes et les fenêtres, réenfermer les patients. Ce jeune garçon qui bien évidemment ne parlait pas, ce jeune garçon, justement, a prononcé quelques mots… une phrase… un chantonnement… J’avais le dos tourné et la curieuse et dérangeante idée que ces mots m’étaient adressés s’est alors imposée. Je ne me rappelle plus les mots exacts, mais le souvenir d’une voix flûtée, quelques notes de musique, un fragment d’irréalité. Puis j’ai tenté d’entendre à nouveau cette voix étonnante mais sans résultat, sauf peut-être un sourire. J’avais le sentiment d’avoir raté quelque chose, un événement important, un message mystérieux, d’en avoir été le seul destinataire mais sans pouvoir y répondre. Comme un message en suspens, auquel on ne peut répondre puisque jamais vraiment advenu. Ce type d’anecdote est assez souvent rapporté par ceux qui choisissent de travailler avec des sujets autistes, c’est même, semble-t-il, une constante. On y retrouve toujours les deux dimensions de la surprise portée à une sorte de paroxysme ainsi que d’irréalité, de doute quant au bon fonctionnement de ses propres sens.
Des mots en souffrance…
6Plus tard, je me suis aperçu qu’il y avait eu comme un moment de matérialisation d’un « message » (à entendre comme enveloppe sonore), d’une « lettre » peut-être. Quelque chose s’était matérialisé puis dématérialisé, comme dans un battement, une sorte d’aller-retour rapide. Décontenancé par la surprise, je restais en quelque sorte fasciné par l’éventuelle signification des quelques paroles entendues. Jacques Lacan dans le Séminaire sur La lettre volée [2]#, s’appuyant d’une lecture d’un conte d’Edgar Allan Poe, substitue le terme de « lettre en souffrance » à celui de « lettre volée » tel qu’il avait été traduit par C. Baudelaire. Il avance ainsi qu’une lettre en souffrance arrive toujours à destination mais que le signifiant reste en souffrance de sens, tel un sens qui reste dérobé. Mon interprétation très personnelle de cette remarque me conduit à avancer que l’expression « lettre en souffrance », qui résonne aussi comme « l’être en souffrance », peut indiquer que, si la lettre et l’être s’effacent tous deux, ce qui reste alors de cette opération est la souffrance. La souffrance éprouvée par le destinataire, souffrance liée au manque d’un sens non advenu. En fait, il m’apparaît maintenant qu’il faille se déprendre de cette « fascination » du sens ou de la signification, ainsi que de la recherche ou de la répétition de « l’expérience » initiale.
La rencontre avec la psychanalyse
7C’est la rencontre avec un service et un chef de service orienté par la psychanalyse, qui défendait une orientation clinique dérangeante et par certains égards frustrante pour les soignants. Il fallait alors faire l’effort d’aller vers lui et ce qu’il tentait d’enseigner, ce qui exigeait de s’arracher au « pool » des autres collègues qui avaient appris ou apprenaient à se tenir à distance. Soit adopter « l’esprit » de l’équipe, soit aller vers cette ouverture à une clinique orientée par la psychanalyse, ou bien tenter la voie « médiane », la pseudo-liberté de l’électron libre.
La rencontre avec l’autisme, temps 2
8Un autre service, une autre institution. Un adolescent autiste en rupture d’institution, dans un état de régression importante, sans avenir, rejeté du lieu d’accueil et de vie dans lequel il se trouvait. Ce jeune adolescent avait atterri, c’est « atterrant », dans un service de psychiatrie. Il fallait donc s’en occuper, ne pas s’en approcher à moins de deux mètres car il balançait systématiquement son plateau repas et tout le reste, puis frappait, avec un regard noir de haine féroce. Il était en quelque sorte devenu sauvage. Son histoire récente nous fut rapportée, à savoir son passage dans une institution et sa « prise en charge » par un soignant, seul, qui l’avait investi de manière massive. Suite à quoi ce jeune patient avait fait d’importants progrès jusqu’au jour où le départ de ce soignant avait entraîné l’écroulement massif et quasi instantané de ce jeune autiste.
9Nous avions été particulièrement sensibles à cette histoire d’abandon. Il s’en est suivi que deux d’entre nous s’associèrent dans cette tâche de réhumanisation mais aussi que les autres nous laissèrent faire et ne s’en occupèrent pas.
10Nous avons donc fait « tout ce qu’il ne fallait pas faire » ou presque, dans une sorte de joyeuse excitation. Par exemple, lui faire porter son plateau pour le ramener à la cuisine, l’emmener en voiture en le calant entre nous pour aller rendre visite à sa mère, lui redonner des couverts pour manger, prendre quelques coups en considérant qu’il exerçait alors une tentative de maîtrise sur son environnement immédiat. Nous prenions plaisir à surprendre les autres collègues de ses « progrès », c’est-à-dire des situations dans lesquelles nous nous engagions. Quelle fierté de ce jour où j’avais décidé de lui demander de rapporter son plateau repas à la cuisine, et alors qu’il me suivait dans le couloir, mettant ses pas dans les miens, agrippé à son plateau, nous passâmes tous deux devant l’office où les collègues attablés affichèrent des regards ébahis, non sans arrière-pensées d’une catastrophe à venir mais qui ne vint pas. Le temps suspendu, la durée de ce passage, une expérience inoubliable. Avaient-ils bien vu ce qu’ils avaient vu ? Moi, en tout cas j’étais bien sûr alors d’avoir saisi cet instant comme une revanche, une sorte d’accusé de réception du message qu’un jour, bien des années plus tôt, j’avais manqué. Peu à peu, un environnement s’est reconstruit pour lui et un projet de sortie vers une structure plus appropriée a pu se mettre en place et aboutir.
D’autres rencontres
11Il y a des rencontres qui se situent ailleurs que dans le moment même où elles semblent s’effectuer et que l’on peut isoler comme le temps d’une « présence effective », qui prend consistance et s’affirme ; par exemple au moment d’une rupture, d’une séparation, d’un départ. Quelque chose commence au moment où ça s’arrête et il se produit alors un effet de sens, une interprétation à rebours, comme le point qui vient clore la phrase et par lequel un effet de signification et de compréhension se fait jour.
12Encore une rencontre. Au loin sur la crête d’une colline qui borde un lac, le soleil est au couchant, la silhouette d’un jeune garçon se détache. Il marche, un sac d’écolier sur les épaules, un peu voûté me semble-t-il. Où va-t-il ? J’imagine alors qu’il est triste et désespéré. Dans cette scène fugace, il y a comme une sorte d’appel. Je continue ma route puis j’apprendrai quelques jours plus tard la découverte du corps d’un jeune garçon noyé dans ce même lac.
13Une autre encore : un garçon, du même âge sans doute, dans une cour, derrière une grille, entouré par d’autres enfants, bousculé, malmené, comme perdu au milieu de la cour, le regard perdu au-delà de la grille ; son père s’éloigne, il a tourné le dos, il marche un peu voûté, il a lâché l’enfant du regard et le regard de ce dernier est comme suspendu dans le vide…
Quelques institutions plus tard
14Il serait possible de raconter tout ça comme une sorte de suite tranquille, dans l’enchaînement presque parfait du cours d’une histoire qui ne cherche qu’à se déployer dans sa trop probable chronologie. Les expériences se suivent et dessinent progressivement un plan, comme s’il devenait possible de mesurer l’étendue du trajet effectué, d’appréhender le travail accompli, et ce serait alors le temps de repartir vers d’autres horizons. Eh bien, non ! Il y a du chaos et la difficulté est la confrontation d’avec ce chaos d’où émergent ici et là quelques points de relative réussite dans un océan d’échecs en tout genre, c’est-à-dire de réussites potentielles mais à venir, avenir… Ainsi en est-il du « chaos » d’où naît Gaïa et il y faudra plusieurs générations de dieux, tous conçus dans les plus sombres prohibitions et autres infamies, trahisons et bannissements, pour qu’à leur terme arrive un semblant d’organisation. De Kronos qui émasculera son père avec l’outil tranchant fourni par sa propre mère et forgé en son sein, ce qui remettra le père définitivement à sa place et permettra à la nombreuse descendance d’Ouranos et de Gaïa de voir alors le jour, jusqu’à Zeus qui ouvre la voie à des prémices de démocratie, opérant ainsi la partition du monde des dieux et du monde des humains.
15Au fil des rencontres, il est alors possible de repérer ou de construire une sorte d’histoire logique : celle de la voie improbable dans laquelle on s’engage, la voie tragique du garçon sur la colline. L’entre-deux : quelle voix écouter, quelle voie suivre ? Cette voie-ci ou cette voix-là ? Lâché du regard, le regard suspendu dans le vide, le garçon restait sans voix, sans aucune voie de secours, du moins le croyait-il alors. Un autre cheminement se dégage, une voie à l’extérieur, dessinant les contours de ce que l’on pense être ce qui nous enferme. Un autre chemin, une rencontre avec l’altérité, l’altérité de la folie, inaccessible…
Le projet « les Petites Maisons »
16Ce projet, en cours, de maisons pour adultes autistes a ceci de remarquable qu’il propose de participer à une expérience d’association. Participer et associer, c’est avec ces idées que je me suis engagé dans ce travail. C’est aussi avec l’idée que l’existence d’un ailleurs est le garant d’un fonctionnement interne possible, et donc qu’il est fondamental de contribuer à la réalisation et au fonctionnement d’un « ailleurs » pour qu’un « ici » soit possible. Sans extérieur possible, vivant, agissant, pas d’intérieur qui vaille. Sans un air extérieur, pas de respiration possible.
17Ma participation a commencé assez institutionnellement, dans un service de psychiatrie adulte qui cherchait des structures d’accueil pour quelques patients dont l’histoire personnelle et le long parcours institutionnel faisaient apparaître le diagnostic d’autisme. Lors d’une réunion, une proposition de travail pour une patiente du service amène assez naturellement quelques volontaires à participer. Ainsi débuta la série des réunions du vendredi matin.
18Depuis ces débuts, on peut repérer trois phases. La première durant laquelle un cadre du service, une assistante sociale et plusieurs infirmiers participaient aux réunions. Dans une deuxième période, deux à trois infirmiers du service venaient assez régulièrement aux réunions et assuraient des activités, dans un cadre cattp, avec les résidants des Petites Maisons. Le cadre de fonctionnement, c’est-à-dire l’association « secteur psychiatrique » et Petites Maisons, était défini comme une participation croisée des deux institutions. Chaque secteur psychiatrique assurant sa part de soins spécifiques mais aussi d’activités thérapeutiques. Le départ des deux derniers infirmiers pour diverses raisons entamera une troisième phase qui verra se rétrécir la participation du service. D’une part, une « prestation de services » autour des soins, suivi médical et psychiatrique, ordonnances et hospitalisations si nécessaires, mais aussi et surtout une participation toujours active aux réunions du vendredi.
Le passage du patient au résidant
19Le passage d’un « patient » vers les Petites Maisons n’est pas une affaire simple. En effet, il existe une réelle difficulté voire, plus rarement, une quasi-impossibilité de « lâcher » un patient qui va passer ainsi du signifiant « patient » lorsqu’il est à l’hôpital au signifiant « résidant » lorsqu’il se trouve dans les Petites Maisons.
20Prenons par exemple Janine, hospitalisée depuis de nombreuses années en psychiatrie. Sur cette longue période, elle évolue peu ; mais l’hôpital, lui, se transforme, de l’asile à l’eps, et restreint peu à peu la place possible pour elle. Janine est là comme un dépôt familier, mais la transformation de l’institution provoque une mise en lumière de ce qu’elle représente comme dépôt. Certains soignants se démènent alors avec détermination pour aménager et modifier cette place singulière. Par exemple, ils lui trouvent des habits qu’ils aménagent à sa convenance et qu’ils adaptent aux manifestations qu’elle présente. Puis, peu à peu, un avenir possible semble émerger.
21Cette transformation de l’institution hospitalière peut amener des fonctionnements fortement contradictoires. Le départ de Janine, comme représentante de ce qu’était l’hôpital psychiatrique d’antan, se formalise comme : « elle n’a plus sa place ici », à l’hôpital psychiatrique, où on lui avait trouvé cependant une certaine place. Ce départ signe en retour le passage de l’asile vers l’hôpital dit « moderne ». Cette transformation s’accompagne de la disparition de manières de fonctionner propres à cette période révolue. Or, le retour de Janine viendrait prouver que l’hôpital psychiatrique ne bouge pas, jamais, et tendrait à nier, a contrario, son évolution actuelle. Il résulte de cette tension une certaine ambivalence quant au fonctionnement des personnels et plus précisément à l’égard de Janine.
22À son arrivée et dans son passage, Janine, de par son histoire singulière, se retrouve pour une part « l’enjeu insu » d’une opposition entre les différents membres de l’équipe, qui se partagent entre ceux qui portent un projet pour elle et ceux qui pensent que c’est impossible ; et également d’une seconde opposition entre l’eps et les Petites Maisons : c’est-à-dire entre ceux qui soutiennent que cela ne tiendra pas, que finalement son lieu de dépôt est là, à l’hôpital psychiatrique, et ceux qui veulent un « ailleurs » pour Janine.
23Les équipes des Petites Maisons ont même évoqué l’idée d’une sorte de « pari » ou de « challenge », montrant ainsi l’enjeu dans lequel Janine se trouvait prise et cette volonté de « bien faire », d’autant plus forte qu’elle se construisait en réaction à une résistance agie et ressentie.
24Le passage de Janine aux Petites Maisons a été l’occasion d’une transformation que l’on peut qualifier de spectaculaire. Il y eut de réels et importants progrès durant de longs mois pour cette résidante, mais la suite de son histoire, qui se continue, n’a pas permis de prouver une évolution idéale. Il faut donc aujourd’hui se déprendre d’un certain idéal de départ et reconstruire un autre commencement, c’est ce à quoi l’équipe s’est attelée.
L’expérience collective, construite, partagée
25Dans les Petites Maisons, chaque participant apporte sa propre mise, jamais perdue, ni jugée ni soupesée à l’aune des autres mises. Cette mise initiale ne peut que rapporter sans qu’il y ait de comptabilité possible, car il n’y a pas de comptabilité du désir. Ce que cette expérience rapporte peut alors se partager en autant de parts que chacun le souhaite sans que ce partage épuise le rapport.
26Dans cette mise à l’épreuve de la réalité quotidienne, il faut bien l’association et la participation de plusieurs pour tenter de structurer quelque espace qui permette d’exister et de poursuivre. Il y faut aussi une pratique à plusieurs, qu’il faut inventer et réinventer. Il s’agit d’un travail d’artisan que celui de construire un outillage spécifique, au cas par cas, au plus près du cas, de le forger par la parole, celle qui circule. Ces outils sont élaborés en commun, et leurs plans sont élaborés avec les outils de la psychanalyse et les ajustements travaillés dans une réflexion à plusieurs. Ces outils, on peut s’en débarrasser lorsqu’ils ne sont plus utiles, en refondre la matière, en retravailler les contours, les angles, en garder les plans en tête et apprendre de ces multiples remaniements. Lorsqu’il n’y a pas d’outil qui convienne, on peut aller jusqu’à élaborer l’outil qui manque ; l’outil qui manque serait celui qui sert à tracer les contours du manque et en tant que tel, il est fort utile.
27Je retiendrai comme fil conducteur l’expérience qui se continue actuellement, celle des Petites Maisons, jamais tout à fait la même mais pourtant solidement orientée. L’expérience au sens étymologique de « connaissance acquise par la pratique », et plus précisément comme expérience vécue, c’est-à-dire le fait d’acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde. L’expérience est donc liée à une rencontre, des rencontres, et ce lien est la possibilité de la surprise, peut-être alors au sens d’une « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie [3] ».
Notes
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Arabe oriental az-zahr qui désigna jusqu’au xiie siècle un jeu de dés.
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La lettre volée (The Purloined Letter), nouvelle d’Edgar Allan Poe, parue en 1844, traduite en français par C. Baudelaire. Le Séminaire sur La lettre volée prononcé le 26 avril 1955, fut d’abord publié sous une version réécrite datée de 1956, dans La psychanalyse, n° 2, 1957, p. 15-44.
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Isidore Lucien Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, 6, 3.