Note
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Mise en forme d’une communication faite au séminaire « Travail social et développement communautaire » tenu à Paris, au cedias, le 5 décembre 2008.
1Nous sommes éducateurs de prévention spécialisée au sein de l’association sarthoise de la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence. On nous définit souvent comme des éducateurs de rue, ou des éducateurs dans la rue, un raccourci qui finalement nous convient assez bien. Schématiquement, notre mission est d’intervenir dans un territoire, dans un environnement, dans un milieu de vie, de nous inscrire dans le paysage social, de nous intéresser aux phénomènes d’inadaptations sociales, et d’avoir suffisamment de proximité pour autoriser la relation, l’accompagnement et favoriser l’inscription sociale.
2Nous intervenons au Mans dans un quartier classé zone urbaine sensible, peuplé d’un peu moins de 2 000 habitants. Ce quartier fait partie de ces groupes d’habitations modernes construits dans les années 1950 qui avaient privilégié une architecture fermée, ici quatre barres et au centre une plaine.
Situation de départ et constats
3Débutée en 2002, notre intervention au sein d’un espace qui fonctionne quasiment en autarcie est souvent considérée et vécue au départ comme « intrusive » ; nous sommes étrangers au territoire.
4Notre travail d’imprégnation du quartier suppose d’abord une présence sociale, beaucoup de travail de rue pour se pénétrer de l’ambiance du quartier et s’approcher des réalités qui le traversent. Ce travail d’observation nous a permis de dégager quelques constats :
- la forte occupation « sauvage » des espaces publics par des groupes de jeunes qui s’adonnaient à une pratique du « foot cité » ;
- peu jouaient en club dit de droit commun, pour des raisons géographiques, matérielles ou de comportements ;
- ils rencontraient pour certains d’entre eux des difficultés d’adaptation sociale (exclusion scolaire, passage à l’acte déviant, incapacité d’accès à un premier emploi).
5Ils intègrent des valeurs, des codes, une réalité sociale propre et commune au quartier, une relation à la loi singulière qui autorise une vie sociale très riche au sein du quartier, significative au niveau de la solidarité, mais souvent mal comprise, mal interprétée et en décalage avec les comportements et attitudes attendus en dehors de la cité, par la société.
6D’ailleurs, ce sentiment d’appartenance semblait paralyser les perspectives d’évolution individuelle, lesquelles n’étaient possibles que via un éloignement du groupe, un éloignement social très vite ressenti comme une trahison de ses origines.
Projet et intentions éducatives
7Fort de ces constats, il nous est apparu opportun de nous saisir du support que semblait représenter le football, de nous appuyer sur le désir manifesté par un de ces groupes de jeunes de créer une équipe de football. Ils souhaitaient prouver leur potentiel, leur valeur sportive, ce qu’ils étaient capables de faire ensemble.
8Il s’agissait pour nous d’une occasion formidable pour pénétrer le cercle de référence de ces jeunes, pour en repousser les contours, bousculer leurs représentations sociales.
9Nous avons clairement fait le pari d’une éducation par le groupe, la valeur de leur performance sportive ne pouvant être accréditée et reconnue que si leurs attitudes et comportements se rapprochaient et se conformaient aux règles et lois du jeu.
10Les jeunes ont eu à réinterroger leur mode de fonctionnement, se heurtant en sortant du contexte du quartier à des schèmes de pensées et d’actions différents, à modifier et à déplacer des repères sociaux pour satisfaire leur ambition et volonté de valoriser l’image de leur quartier via leur résultat sportif.
11C’est bien parce que le monde n’est pas étranger à soi-même qu’on peut l’investir, l’animer et le représenter en passant par des stades de socialisation, régulation, intégration et apprentissage d’une citoyenneté.
12Notre travail dans ce contexte a été de permettre, de faciliter et d’autoriser ces différentes étapes ; de s’instaurer comme des « passeurs », d’être à proximité et suffisamment rassurants pour autoriser un glissement des comportements et attitudes, une variation vers de nouvelles normes, des capacités d’adaptation et de savoir-faire transférables à d’autres domaines, favorisant l’insertion sociale que le groupe valide et que chacun d’entre eux s’approprie.
Organisation et moyens opératoires de l’action
13Au plan sportif
14Nous avons proposé un cadre éducatif et sportif avec des règles appropriées à la pratique du football : entraînements réguliers que nous assurions dans un premier temps avec l’aide d’un animateur diplômé, puis plus tard par des jeunes du quartier intéressés par ces aspects et soucieux de se former.
15Nous avons proposé et favorisé des formations d’initiateurs fédéraux bénévoles pour les jeunes acteurs de ce projet, participant alors à la création de compétences chez ces leaders positifs, particulièrement sensibles à l’aspect socio-sportif de cette action.
16Le club bénéficie depuis deux ans de l’appui de deux salariés en contrat d’accompagnement à l’emploi que nous soutenons dans la gestion du club au quotidien.
17Apprentissage et développement d’une culture associative
18Ce quartier se caractérise par une absence complète de culture associative. Nous avons aidé à la mise en œuvre d’un bureau et d’un conseil d’administration qui soient en capacité d’assurer et d’assumer les orientations sportives du club. Nous avons également contribué à l’organisation d’une assemblée générale et de temps de réunions, autant de temps d’échange nécessaires à l’apprentissage d’une forme de démocratie, ainsi qu’aidant à clarifier les fonctions et responsabilités associatives.
19Relation aux institutions
20Nous avons dépensé beaucoup d’énergie pour convaincre plusieurs types d’institutions :
- institutions sportives : grande défiance à l’égard du club, stigmatisation ;
- notre employeur, porteur institutionnel de l’action : il nous a fallu justifier le bien-fondé de nos interventions et le convaincre des retombées positives de l’action pour les jeunes du quartier. Cela parce que cette action inscrite dans le long terme interroge la volonté de non-institutionnalisation des pratiques qui est un des axes d’intervention de la prévention spécialisée ;
- les partenaires sociaux locaux : il existe et demeure une certaine logique de concurrence entre les institutions d’un même territoire. Nous n’avons pas su ou pas pu intéresser les partenaires éventuels.
Des effets observables
21Le club a un impact important et grandissant dans le quartier. De projet à caractère confidentiel, il est devenu fédérateur, avec des personnes qui se sont découvert des ambitions et des potentialités au fur et à mesure de l’avancée du projet.
22La vie du quartier et celle du club sont indissociables ; le club est le pouls du quartier et quand le club va bien, le quartier va mieux. Il a participé à une forme de restauration du lien social ; les habitants peuvent désormais affirmer une identité au bénéfice d’une image du quartier valorisée et valorisante.
23Le sentiment d’appartenance de chacun de ses membres renforce son utilité sociale et, de ce fait, atténue les tensions et revendications excessives. Le club tend à favoriser une certaine stabilité sociale.
24Plusieurs exemples peuvent venir étayer cela :
- plus de 400 spectateurs à l’occasion d’un match de Coupe de France, avec toutes les générations présentes ;
- un quartier plus apaisé, moins de passages à l’acte déviants (commerçants, jeunes, institutions), avec notamment un rôle majeur tenu par les garçons du club au moment des émeutes de 2005. Ils étaient dans la rue car ils ne souhaitaient pas que des incidents dans le quartier aient des répercussions sur l’image du club ;
- une inscription sociale et professionnelle facilitée ; les jeunes trouvent un équilibre dans le club, un statut social qui les réassure et les autorise à imaginer une dynamique d’insertion sociale. Tous les jeunes inscrits au départ dans le projet sont désormais en situation d’inscription sociale et professionnelle ;
- un rapport à la loi qui évolue : il y avait une méfiance, une défiance à l’égard des institutions et de la justice considérées de fait comme discriminantes, donc une culture qui imposait une façon de régler les différends uniquement selon une méthode « cité ». Il était alors inimaginable de porter plainte, avec en même temps une culture de la victimisation et la conviction d’être des coupables potentiels.
25La situation actuelle est en revanche critique pour plusieurs raisons : des compétences sont requises pour assurer le développement du club, alors qu’il existe un déficit de partenaires institutionnels susceptibles de prendre le relais.
Questions et échanges avec les participants
26Quelle place éventuelle ont les filles au sein de cette action ?
27Le club dispose également d’une équipe féminine. Nous pouvons toutefois nous demander si ces filles ont réellement choisi ce sport, ou si elles l’ont choisi par défaut faute d’autres offres. Il s’agissait du seul choix possible.
28Quelles sont les références méthodologiques et théoriques de cette action ?
29Il est difficile de les décrire. La façon dont l’action a évolué a conduit à ce que le processus de l’action nous échappe, les habitants s’en emparant. Cette initiative interroge donc fortement la question de la transmission.
30S’il est clair que les professionnels de la prévention spécialisée n’ont pas vocation à s’investir de façon pérenne dans les actions, comment passer le relais, à qui transmettre ?
31Nous ne parvenons effectivement pas à passer le relais. Nous redoutons que l’action s’arrête, les institutions de droit commun qui pourraient s’investir n’ayant pas la légitimité que nous avons acquise pour avoir accompagné cette démarche depuis l’origine.
32Comment s’est fait le passage entre le groupe de jeunes et l’association sportive ?
33Cela s’est fait de façon très progressive et non pas sans difficultés. Pour aller vite, plus la dimension sportive se développait, plus des personnes se manifestaient pour accompagner la démarche sans pour autant avoir les compétences requises à la bonne marche d’une association. À court terme, des conflits sont apparus entre les intentions de développement du club pour les plus jeunes et une volonté d’inertie des plus anciens.
34Quelle est la volonté de la ville de s’investir dans ce projet ?
35Au démarrage de l’action, la ville s’est impliquée, notamment en mettant à disposition un animateur sportif et une aide au fonctionnement. En outre, il est difficile pour nous de solliciter les instances de décision. Nous entretenons des contacts avec les acteurs de terrain et notre direction avec les politiques et les tarificateurs. Soit nous parvenons à impliquer les élus locaux afin que ce club garde sa vocation sociale, soit sans soutien ou appui plus affirmé il n’aura d’autre choix que d’abandonner son ambition sociale pour se focaliser sur le seul aspect sportif.
36Cette action présente-t-elle une particularité ethnique ?
37Nous ne nous sommes jamais posé la question dans ces termes. Nous sommes partis de la culture des jeunes, de leurs singularités. Cela n’a pas été sans difficultés comme l’atteste le fait que nous avons souvent été l’objet de critiques, accusés de favoriser le communautarisme. Il est intéressant de regarder aujourd’hui la façon dont le projet a évolué. Celui-ci accueille ainsi actuellement des jeunes d’autres quartiers ou de cultures différentes, ce qui était inimaginable au départ.
Note
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Mise en forme d’une communication faite au séminaire « Travail social et développement communautaire » tenu à Paris, au cedias, le 5 décembre 2008.