1La France.
2Habiter un si beau pays.
3Dommage que nous en soyons là pour l’instant.
4Nous, cinquième puissance économique mondiale, comptant des personnes à la rue, dans des caravanes, en hôtel, en…
5Tant de personnes pas chez elles. Pas au sec, pas à l’abri, pas en sécurité… sociale.
6Pourtant le logement privé et public existe (et existera).
7Pour ce qui est du privé, il suffit pour s’en convaincre de regarder les offres. C’est le printemps dans les vitrines.
8Bailleurs d’un côté, locataires potentiels de l’autre.
9Au milieu, un problème.
10Un fleuve souvent infranchissable : celui des garanties.
11Les bailleurs en effet ont besoin de garanties pour louer et les publics fragilisés socialement en manquent.
12Aussi des ponts solides ont été construits qui permettent de relier les deux rives de ce fleuve.
13J’ai travaillé sept années durant sur ces ponts en qualité d’assistant de service social au cœur du Fond solidarité logement.
14L’ensemble de ce dispositif est pensé pour apporter des réponses à ce problème de socle permettant la relation contractuelle bailleur-locataire.
15Ainsi, du point de vue financier est levé, si besoin, l’obstacle de la caution (prise en charge) ; du risque d’impayé de loyer (garantie de 6 mois) ; de dettes éventuelles (mobilisation du fond).
16Ainsi, du point de vue de l’aide, un accompagnement social assuré par un travailleur social diplômé est mis en place dans la durée.
17Cette mesure permet d’accompagner la personne, le ménage, dans l’accès ou le maintien dans le logement, d’établir et rétablir le lien de confiance locataire-bailleur.
18Le travail social a été convoqué au cœur de ce problème des garanties.
19Via le plan départemental d’aide aux plus démunis, les demandeurs de logement en difficultés sociales, soutenus par une assistante de service social, voient leurs demandes de logement prises en compte de façon prioritaire.
20L’accompagnement social logement, accès ou maintien, sera mis en place par des services sociaux spécialisés sur ces questions (municipalités, associations).
21Pour les publics très fragilisés, un dispositif particulier a été pensé. Il s’appelle le bail glissant. Il consiste pour le bailleur à louer directement son logement à une association spécialisée. C’est elle qui paiera le loyer. C’est elle qui fera respecter les droits et les devoirs du locataire. Elle sous-loue le logement au ménage en difficulté qui lui est présenté via la commission locale du fond.
22Le sous-locataire habitera son logement et s’engagera dans un accompagnement social spécifique, construit sur mesure pour consolider la situation jusqu’à l’autonomie sociale. Rien de moins.
23L’opération peut durer de six mois à plus de deux ans.
24Le travailleur social présente à ses confrères tous les six mois, en commission locale du fond, un bilan précis du travail réalisé. Il affine les objectifs si nécessaire.
25Mon expérience m’a enseigné que ce dispositif fonctionne.
26Les familles habitent leur précieux logement et reprennent en main leur situation en veillant rigoureusement à leur gestion budgétaire, ce qui leur permet de régler leur loyer.
27Quelques très rares échecs existent.
28Les résultats sont là. Je ne peux vous décrire ici tout ce qui se passe lors de ces accompagnements sociaux pointus s’inscrivant dans la durée. Je n’ai pas peur d’utiliser le mot « œuvre » pour les nommer.
29Chaque accompagnement social est une œuvre dont le travailleur social et l’institution sont les artistes.
30Nous travaillons seuls, mais aussi en équipe.
31Seuls, car en effet le travailleur social est le maître d’œuvre. C’est le plus souvent dans cette solitude qu’il pense et réalise ses positionnements créateurs de dynamiques porteuses. Il les affine en équipe si besoin.
32En équipe et seul, il travaille à partir des principes de réalité, de responsabilité, mais aussi de valorisation et de revalorisation des personnes qu’il a la chance de rencontrer et le devoir d’accompagner.
33Au final, les baux glissent et les sous-locataires deviennent locataires.
34L’évaluation de ce jeune dispositif (de dix ans maintenant) est simple. Il suffit de considérer les bilans écrits présentés en commission tout au long des accompagnements et de vérifier auprès des bailleurs (après glissement du bail) leur relation avec ces locataires.
35Ce travail d’évaluation a déjà été réalisé et en effet les résultats sont là. Mais qui le sait ?
36Mon expérience m’a montré de l’intérieur l’efficacité de ce travail social.
37À partir du logement, dans le cadre d’une relation de confiance construite avec le ménage, l’ouverture des droits, la mobilisation des secours coup de pouce, aidé du temps qui prend le temps pour l’écoute, le respect, la compréhension, le soutien, la considération, la re-construction de projets, la prise en compte des désirs, des fragilités, de la vie… combien de personnes avons-nous ainsi réussi à aider ?
38Des centaines ?
39Non.
40Des milliers en vérité.
41Pensez le bien-être pour ces personnes, ces parents, ces enfants. Pensez le bien-être pour le vivre ensemble dans la ville, dans le département, dans le pays.
42Fierté. Intime. Fierté de travailleur social.
43Mais ne pourrions-nous pas la partager tous ensemble ?
44Car après tout, c’est vous qui m’avez envoyé…
45Paix sociale ?
46Sans doute.
47C’est une des dimensions de mon travail que j’assume pleinement.
48Un service pour la société tout entière.
49Et combien cela coûte-t-il ?
50Je reste à ma place d’assistant de service social et vous propose de vous renseigner directement auprès du conseil général qui finance.
51Je peux vous dire cependant que les salaires nets de ces professionnels de l’aide, ces plongeurs de fond diplômés (travaillant loin, très loin des zappeurs bo-bo et bling bling de tous bords), coûtent 1 200 euros par mois (après trois ans d’études, si ce n’est plus), voire 1 600 euros environ après dix ans d’ancienneté.
52Pourquoi tant de détails pénibles ?
53Simplement pour construire la chute, vous dire que la contribution du travailleur social pour aider sérieusement nos semblables existe à tous niveaux.
54Nous avons fait des choix pour habiter le travail social.
55À d’autres de continuer à faire les choix complémentaires permettant d’habiter ensemble fièrement notre pays !
56Innover, innover…
57Lorsque l’innovation a fait ses preuves ne convient-il pas de la faire muter par le développement ?
58J’espère avoir réussi à attirer votre attention, non pas sur le fleuve mais sur ses ponts.
59J’espère avoir réussi également à attirer votre attention sur ces professionnels qui sont les visages de ces ponts, pour ceux et celles qui ont besoin de nos regards pour leur indiquer qu’en effet, il fait bon vivre ensemble par ici.
60Il fait bon vivre par ici parce que l’humain existe bien en France.