Couverture de VST_087

Article de revue

Aire de Famille

Centre parental

Pages 17 à 25

1 Un hébergement est fourni, qui se fait en deux phases :

  • dans un studio-relais pendant une durée variant de trois à six mois ;
  • dans des appartements en baux glissants, pendant une durée d’un an et demi à deux ans afin de permettre à ces familles de se sédentariser et de s’insérer dans un quartier. L’hébergement est associé à une équipe pluriprofessionnelle visant un travail de fond permettant aux parents de sortir de la précarité et de se préparer à la vie de couple, à l’accueil d’un enfant et de mener en parallèle une réinsertion professionnelle et sociale.

La création

2 Avril 1997 : Création de l’association Aire de Famille et dépôt des statuts.

3 Septembre 2002-mai 2003 : avis favorable du cross. Autorisation du ministère pour la création du centre parental.

4 Septembre 2003 : Accord du Conseil de Paris pour le financement du centre parental.

5 Janvier-février 2004 : signature des conventions avec la sonacotra et les bailleurs sociaux.

6 Février 2004 : signature de la convention tripartite de financement du budget de fonctionnement État/Département.

7 15 mars 2004 : démarrage de l’activité.

La spécificité ?

8 Nous accompagnons les personnes globalement, comme beaucoup d’autres institutions, et nous fondons notre accompagnement sur différents principes.

9 La création d’un vrai partenariat avec les résidents est pour nous essentielle. Pour cela, nous allons développer des « stratégies » de reconnaissance réciproque et de rencontres et nous laisser surprendre tout au long de l’accompagnement.

10 Une fois entrés à Aire de Famille, les résidents sont théoriquement sécurisés sur le plan du logement et de l’habitat. L’entrée dans un processus dynamique peut les faire passer du sentiment de survie à un sentiment de vie. Il n’y a plus cette pression invalidante de savoir de quoi sera fait le lendemain ; l’urgence n’a plus la même prégnance pétrifiante. Aire de Famille et les résidents construisent un espace temps pouvant ouvrir sur une prise de recul, temps nécessaire pour faire le point et pour réorganiser sa vie, la penser, la rêver, la confronter, la construire peu à peu. Un processus dynamique redémarre. Ce processus est ce que nous nommons la vie, avec des projets à construire dans le temps. Les familles attendent que nous ayons confiance en elles.

11 Une autre façon d’exprimer cela serait cette métaphore de l’horizontalité et de la verticalité. L’horizontalité relève plus pour nous, des besoins primaires, les mêmes que ceux du monde animal (manger, dormir, s’accoupler et avoir peur !). La verticalité serait ce qui fonde l’humanité dans cette capacité de compréhension, de conscientisation, d’affectivité, de socialisation. Cette obligation de conscience est le privilège de l’humain.

12 Nous allons, pour un temps, cheminer ensemble avec le résident. Comme nous ne « savons pas pour l’autre », notre rôle sera de l’aider à formuler, à reconnaître parfois ce qui lui tient à cœur. Parfois il ne le sait plus très bien lui-même. II faudra du temps. Certaines de ces jeunes personnes ont traversé de multiples difficultés et ont un parcours de vie lourd.

13 Ces jeunes se sont donc construit de multiples défenses protectrices pour survivre qui les coupent d’eux-mêmes. La survenue d’un bébé peut être un moment privilégié d’ouverture lié aux grands bouleversements psychiques que cela provoque.

14 Nous considérons que le bébé est déjà une personne en devenir dans le giron maternel. Aussi ce bébé sera présent dès le début de l’accompagnement, dans le discours et le quotidien.

15 Nous soutiendrons que tout est réversible et que ce n’est pas parce qu’il y a eu rupture, violence, abandon…, que tout est définitivement perdu. II n’y a pas de malédiction qui nous poursuit et dont nous serions captifs. Nous comptons sur la capacité créatrice nichée en tout un chacun pour rebondir. Un potentiel créatif inattendu peut se révéler, prendre forme et trouver des réponses originales et singulières à une question donnée.

16 La disponibilité émotionnelle de chacun des professionnels dans l’accompagnement des personnes est sollicitée. Cette disponibilité peut s’ouvrir dès qu’un espace de travail suffisamment contenant et respectueux de nos différences, se crée. L’engagement des uns et des autres, s’enracinant sur la confiance mutuelle, peut alors s’épanouir. Chacun des professionnels arrive et travaille avec ce qu’il est.

17 L’équipe pluridisciplinaire offre à chacun la possibilité de se « montrer », quelle que soit sa place, même dans nos travers et dans nos erreurs, pour avancer ensemble et nous autoriser chacun à développer ce que nous avons envie d’être au niveau professionnel… dans la complémentarité. Dans notre secteur, le développement de nos compétences se construit en permanence.

18 Un autre atout majeur est celui de l’humour ; un humour tendre vis-à-vis de soi-même en premier lieu. Formidable levier, l’humour permet de dédramatiser les situations et d’y voir plus clair finalement.

19 Aire de Famille a dû reporter le démarrage du centre parental du 1er février au 15 mars 2004. En effet, juste au moment où nous démarrions notre activité, le 1er février 2004, un incident est venu retarder le projet. Un important dégât des eaux a endommagé l’ensemble des logements des deux premiers étages de la résidence sonacotra, rendant impraticable l’accès à deux des cinq studios qui nous étaient réservés. Finalement, la sonacotra a pu mettre à notre disposition trois des studios prévus sur les cinq escomptés, un mois et demi après la date prévue initialement.

Les familles

20 Fin décembre 2004, nous comptions dix familles (vingt adultes et neuf bébés) dont quatre étaient hébergées dans quatre studios de la sonacotra. La signature de six baux glissants (quatre avec l’opac, deux avec les 3F) a permis de reloger six familles. Le groupe immobilier 3F n’a pas été en mesure de remplir ses engagements avec Aire de Famille, deux appartements ont été attribués au lieu des quatre prévus conventionnellement.

21 En accord avec la sonacotra et son opérateur social, nous avons pu conserver quatre studios au lieu de trois tout au long de l’année, plus une chambre d’hôtel pendant pratiquement trois mois pour un couple et un bébé avant leur installation directement en bail glissant, pour compenser la montée en charge des résidents.

22 D’autre part les naissances ont été plus « rapides » que prévu, les jeunes mères étant presque à terme au moment de leur admission.

23 Ce report et cette attente ont été difficiles à gérer, d’une part pour les familles qui attendaient avec nous la date possible de leur admission, d’autre part pour notre « montée en charge » qui ne s’est réalisée qu’à partir de trois studios et non des cinq escomptés. Les deux premiers studios nous ont été attribués le 19 avril, et le troisième le 27 avril.

24 Le quatrième studio nous a été remis le 1er juin, le cinquième le 2 juillet. Conformément à l’accord passé avec l’opérateur social de la sonacotra, un des deux studios qu’il avait mis à notre disposition en plus de ce qui était conventionnel leur était rendu le 29 juin.

25 Par ailleurs, alors que nous n’avions pas de proposition d’appartement en bail glissant, une famille dans l’errance a pu être accueillie à l’hôtel dans le 19e pendant presque trois mois avec notre accompagnement global. Pour ce faire, une prise en charge administrative et financière nous a été accordée. Nous saluons ici l’engagement et le partenariat étroit avec la cellule ademie qui nous a permis de soutenir cette famille, en lui garantissant une sécurité matérielle effective minimum et un soutien sur le plan de la rencontre et du lien.

Transition vers des appartements en baux glissants

26 En 2004, nous avons signé six baux glissants, quatre avec l’opac, deux avec les 3F. Nous constatons que « propositions de logements » ne veut pas dire accès immédiat à ce logement ; de longs délais (entre deux et trois mois) sont parfois nécessaires avant la signature effective du bail en raison de travaux incontournables de rénovation à réaliser par le bailleur.

27 Ces délais d’attente ont été pesants en cette année de démarrage riche en contraintes et en adaptations ! Ils devraient avoir une moindre incidence lorsque nous aurons atteint notre vitesse de croisière.

28 L’attribution régulière d’appartement est la clé de voûte du projet d’Aire de Famille.

Avancement des naissances par rapport au scénario initial

29 Au départ, les studios-relais devaient accueillir le couple avant la naissance du bébé. Une fois l’enfant né, un appartement en bail glissant devait être mis à leur disposition. Or les situations se sont avérées différentes. Les parents ont « accouché » dès les trois premiers mois de leur entrée en studio-relais. Le passage en baux glissants se heurte à plusieurs problèmes :

  • le retard de livraison des appartements. Bien entendu, les appartements n’arrivent pas aussi vite. Parfois un délai de deux à trois mois pour travaux est nécessaire avant l’attribution effective ;
  • les parents ont besoin de mûrir leur projet. En effet, nous constatons qu’un temps plus long de réflexion et d’élaboration est nécessaire aux parents avant que nous puissions effectivement nous engager dans l’installation dans un appartement. De plus, la confiance réciproque ne se décrète pas. Nous sommes véritablement testés par certains résidents pour vérifier la mise en cohérence de nos propos et de nos actes. Temps pour se questionner afin de repérer si la confiance peut s’engager, si l’on peut vraiment compter sur le partenaire professionnel. II faut du temps pour se rencontrer vraiment. Parfois, des résidents ne se sentent pas encore tout à fait prêts pour passer en bail glissant, intérieurement et financièrement. Cette transition est très chargée de sens pour eux. Le bail glissant les confronte plus encore à leurs responsabilités et marque une étape importante. II y a la solennité de la rencontre avec le bailleur, l’entrée dans un logement vide qu’il faut apprendre à habiter petit à petit, meubler, souscrire à l’abonnement d’un compteur edf à son nom. En un mot, s’installer « chez soi » pour la première fois.
La naissance de l’enfant dès le début de l’installation en studio-relais a une incidence sur le nombre d’enfants admis et donc sur le nombre global d’admissions. Nous constatons aussi que nous avons accueilli plusieurs couples au septième mois de grossesse. Le bébé va donc vivre avec ses parents quelques mois dans le studio de type T1 bis. Une famille y vit depuis neuf mois déjà. Ils ne se sentent pas encore tout à fait prêts et solides pour aller en bail glissant.

Les accompagnements

30 La deuxième mission d’Aire de Famille consiste à mettre en place un accompagnement adapté aux besoins des familles.

L’accompagnement à la gestion administrative

31 L’accompagnement administratif concerne l’ouverture des droits sociaux, l’accomplissement des formalités administratives.

32 Constats et besoins : L’ensemble des résidents a demandé un accompagnement à ce niveau. Souvent, il a fallu rassembler les morceaux de leur vie administrative, notamment pour les jeunes hommes auxquels il a fallu ouvrir des droits. Parfois aucune déclaration de revenus n’avait été faite, ou les jeunes parents étaient encore inscrits sur celle de leurs parents.

33 Actions réalisées : Bien des papiers sont perdus lorsque l’on est dans l’errance. II a fallu, par exemple, accompagner un jeune homme dans la reconstitution de son parcours professionnel, demander aux ex-employeurs des duplicata de ses certificats de travail… L’ouverture des droits individuels et du couple avec les changements d’adresse sont les premières actions mises en place (caf, rmi, cmu, assedic…).

L’accompagnement à la parentalité

34 Cette dimension concerne l’exercice des fonctions paternelle et maternelle, les interrogations diverses sur la grossesse, l’accouchement, les étapes du développement de l’enfant…, mais aussi la responsabilité des parents quant à la protection de leur bébé conformément à l’exercice de l’autorité parentale et la filiation.

35 La reconnaissance du père dans le couple est fondamentale. Chacun des parents se sent directement concerné, d’autant plus quand nous parlons de l’autorité parentale et de la protection de l’enfant. Un grand besoin de réassurance est nécessaire de part et d’autre.

36 La préparation à la naissance, associant les deux parents, est très riche d’interactions. Nous mesurons combien ces jeunes parents sont peu informés. Ils sont peu en contact avec leur propre corporalité. La représentation qu’ils se font de l’accouchement est celle d’un champ de bataille sanguinolent. Cette image provoque beaucoup d’angoisse et de sidération. Cette sidération met la mère dans une situation d’insécurité et de vulnérabilité psychologique pour elle-même et pour son bébé.

37 Nous avons donc développé rapidement différents partenariats avec des médecins, des maternités, des puéricultrices pmi et des haptothérapeutes susceptibles d’accompagner le couple en pré et postnatal, dans la préparation à l’accouchement notamment. Ces partenariats riches permettent aux parents de se rassurer, de se représenter différemment ce qu’ils sont en train de vivre.

38 Un homme et une femme font un enfant, mais c’est l’enfant qui fait les parents.

39 Dès lors la notion de centre parental ne se conçoit et ne s’articule qu’autour de l’enfant et de sa protection.

40 L’objectif du centre parental ne se limite pas à aider un homme et une femme en difficultés ou à leur donner un toit, mais plus spécifiquement de contribuer à aménager un environnement (physique et psychologique) stable et sécurisant pour l’enfant en gestation ou déjà né. C’est en plaçant l’enfant au centre du dispositif que l’esprit du centre parental prend son nouveau sens. L’aide aux personnes en difficultés devient l’aide aux bébés en « difficultés de parents », notons en passant que ce sont eux les plus vulnérables.

41 L’admission à Aire de Famille était originellement liée à l’attribution et l’entrée dans le studio. Des contingences matérielles (délais supplémentaires liés à des retards dans les travaux de réfection des studios, sinistres imprévisibles tels que dégâts des eaux…) nous ont amenés à dissocier l’admission et l’occupation effective des logements : les grossesses n’évoluent pas au rythme des travaux ! L’admission ayant été prononcée (avec la perspective de l’occupation d’un logement dans un délai raisonnable), le travail d’accompagnement commence.

L’accompagnement haptonomique périnatal

42 « L’haptonomie apporte une contribution affective, ouvre un espace d’intimité entre le père, la mère et le bébé.

43 Le rôle du père dans l’accouchement est souvent bien mince : entre deux cigarettes, il est un figurant, souffrant de ne pouvoir aider la mère de son enfant. Dans une salle d’accouchement qui lui est franchement hostile, il ne sait que faire des « inspirez, bloquez, poussez, ne faites plus rien, voilà votre bébé ». L’haptonomie conduit le couple, pendant toute la grossesse, à construire une relation dans laquelle le père apportera une sécurisation affective à la mère et au bébé. Au moment de l’accouchement, le père est là pour augmenter les ressources de sa compagne. Par un contact psychotactile, il accompagne la maman qui sait qu’elle ne sera pas seule mais soutenue.

44 Accompagner, ce n’est pas « faire » ou « dire » ce qu’il faut faire, c’est « être avec ». La femme se sent en sécurité, suffisamment pour que la douleur, l’angoisse, la peur n’entraînent pas chez elle un réflexe de défense. Cet accompagnement, cette tendresse va aussi construire la sécurité de base du bébé.

45 Pour réussir cet évènement qu’est la naissance, pour lequel les parents ont beaucoup travaillé en haptonomie, l’équipe médicale a elle aussi un rôle à jouer. La déshumanisation qu’entraîne la technique peut en effet empêcher qu’un accouchement devienne un « bel » accouchement. Une femme qui venait d’accoucher m’a dit l’autre jour : « C’était calme, intime, on a été rassurés. » « Pour moi, un “bel” accouchement, c’est lorsqu’il y a un respect, une harmonie, une synchronicité entre l’équipe et les parents. » (Albert Goldberg, gynécologue obstétricien, haptothérapeute)

46 Commencer un travail d’haptonomie permet aux parents de se percevoir autrement qu’au travers des grilles de lecture et des étiquettes sociales. II s’agit avant tout de se recentrer sur son corps, sur ses perceptions, sentir les mouvements du bébé, son rythme, pour créer un « être ensemble » entre la mère, le bébé et le père.

47 Actuellement, nous n’avons pas la place pour installer une table d’haptonomie à Aire de Famille. Nous avons mis en place des partenariats avec des haptothérapeutes en ville, pas trop éloignés du lieu d’habitation des parents.

48 Quatre couples ont souhaité bénéficier d’un accompagnement haptonomique périnatal. Si les familles le demandaient, nous pouvions les accompagner aux premières séances afin de dépasser les inhibitions.

L’accompagnement au logement

49 Cette dimension recouvre les questions d’installation, d’aménagement, d’entretien, les relations avec le gardien et les habitants de l’immeuble…

50 Constats et besoins : Si les studios sont équipés, en dehors de la vaisselle et du petit matériel, il n’en est pas de même pour les appartements.

51 Généralement, les résidents n’ont aucun mobilier ni électroménager en dehors du lit du bébé. Parfois, pendant leur séjour dans le studio, ils ont pu investir dans l’achat d’un canapé et/ou de petits meubles d’appoint. Exceptionnellement, la famille élargie peut les aider en leur donnant quelques bricoles.

52 Pour s’équiper au minimum lors de leur installation dans l’appartement, nous leur proposons de solliciter un prêt de la caf pour l’électroménager (cuisinière et réfrigérateur). Nous avons passé un accord avec la caf du 19e pour que nous fassions l’avance des fonds nécessaires et, avec l’accord signé de la famille, pour que nous soyons directement remboursés. Cette organisation est absolument parfaite. Nous tenons à remercier ici la caf pour ce partenariat efficace et chaleureux dont les parents et leur bébé sont les premiers bénéficiaires.

53 Pour ce qui concerne le mobilier, nous n’encourageons pas les crédits à la consommation qui peuvent entraîner les parents dans le tourbillon des dépenses impulsives et du surendettement. Aussi, nous consentons à leur prêter une somme d’argent, remboursable selon un échéancier étudié avec eux. La comptable a une place privilégiée pour étudier ces questions-là avec les résidents.

54 Nous travaillons avec l’association Neptune à Montreuil qui est d’une grande aide pour l’équipement mobilier.

La mise en place de prêts

55 L’admission à Aire de Famille se concrétise par l’entrée dans un studio-relais de la sonacotra et la question de l’argent est immédiate : pour entrer il faut payer !

56 La caution varie de 496 € à 520 € ; sur les neuf couples entrés en 2004, sept ont pu payer leur caution parce que l’un des deux ou les deux avaient des revenus d’activité, les deux autres n’étaient pas en capacité de le faire, le dixième couple a été admis à l’hôtel ; nous en parlerons plus tard.

57 Aire de Famille a donc choisi de s’engager en réglant la caution. Ce choix est le résultat de discussions de l’équipe : Aire de Famille n’est pas locataire de la sonacotra, ce sont les résidents qui signent le bail et c’est à eux de régler la caution, il n’est donc pas question de se substituer à eux mais de les accompagner lors de ce passage obligé. L’équipe a donc opté pour la formule du prêt en faisant le pari du remboursement dans le temps.

58 Le temps, précieux allié de la respiration : la sagesse nous enseigne qu’il y a « un temps pour chaque chose, chaque chose en son temps ». Pour les plus en difficulté, un temps pour se poser et se sécuriser, un temps pour prendre confiance en soi, un temps pour réfléchir à son avenir professionnel, un temps pour gagner de l’argent, un temps pour apprendre à équilibrer son budget, un temps pour rembourser ses dettes.

59 L’accord d’un prêt est donc une chose sérieuse car Aire de famille demande un engagement écrit sur les modalités et les échéances de remboursement, engagement signé par les deux parties scellant ainsi un pacte de confiance réciproque.

L’accompagnement au projet de couple

60 Cette dimension recouvre les réflexions sur le projet individuel et sur la manière de vivre avec deux projets.

61 Si chacun envisage de vivre ensemble et de fonder une famille, nous constatons que la majorité des couples n’ont jamais partagé le quotidien ou pendant de très courtes périodes. Non seulement ils vont devoir devenir parents avec tout ce que cela recouvre, mais ils vont devoir apprendre aussi à vivre ensemble. Bien entendu, le quotidien vécu est bien différent du quotidien rêvé et la découverte des petites manies de l’autre sera plus ou moins source d’étonnement si ce n’est pas de crises et de conflits.

62 Nous sommes des « médiateurs », permettant et accueillant les verbalisations. Nous avons tenté d’accompagner les personnes dans la prise en compte des différents « personnages sociaux » qui composent chacun (père, mère, homme, femme, salarié(e)…), en les aidant par exemple à ne pas confondre leur place de parents avec celle de conjoints.

Des accompagnements « surprises »

63 Où la justice les rattrape… Un résident a été convoqué au tribunal pour justifier de petits délits répétitifs. Nous l’accompagnons, bien entendu, mais sans jamais le priver de cette expérience et de prise de conscience de ses actes.

64 La régularisation des papiers : un résident est devenu « sans papier ». Au-delà du stress de se sentir clandestin, il faut s’armer de patience et de ténacité pour retrouver sa légitimité.

65 … Et un enfant né d’une première liaison, dont personne ne s’était occupé. Les temps ont changé, le géniteur voudrait assumer son rôle de père. L’aide à la parentalité rétroagit sur le passé.

Un autre regard…

66 « À partir de ce jour, l’important est de regarder vers l’avenir : la naissance de votre bébé, et ce que nous pourrons faire ensemble pour concrétiser vos projets. »

67 C’est sur cette base, qui n’ignore pas le passé de délinquance, de drogue et d’alcoolisme, de suivi psychiatrique, de tentatives de suicide, d’anorexie, d’errance et d’incarcération, de « galère » et de « squat », que s’engage notre entretien (le troisième) afin de leur signifier leur admission à Aire de Famille.

68 Diane et Christian sont actuellement hébergés à l’hôtel par Le Secours Catholique. Leur éducateur, monsieur C., s’est personnellement impliqué avec beaucoup de conviction et de ténacité auprès de nous, convaincu que nous pourrions faire quelque chose pour eux. Les services sociaux sont déjà à l’œuvre pour Christian, d’autres le sont également pour Diane, sans compter tout l’accompagnement à la maternité de l’hôpital B. où le « staff » tout entier est sur le pied de guerre pour cette grossesse à risque. Assistante sociale, psychologue, infirmières, médecins… Tout pour nous rassurer !

69 Notre première réaction était, bien entendu, de refuser une telle responsabilité, mais monsieur C. persistait et soutenait sa demande en évoquant l’évolution de Diane et de Christian ces derniers mois, leur désir authentique de construire une famille, bien que de temps à autre ils se disputent bruyamment.

70 Diane est une petite bonne femme de 18 ans, au regard franc, parlant sans difficulté de son désir d’enfant et de tourner une page.

71 Christian, 29 ans, de taille moyenne, osseux, au visage émacié, se tient au second plan, un peu perdu. C’est Diane qui prend les choses en main.

72 L’impression générale est plutôt bonne contrairement à ce que laisse présager le dossier. Après de longues discussions en équipe nous décidons de nous fier à notre intuition et à notre engagement dans cet accompagnement. Les services déjà impliqués continueront leur travail en attendant qu’un studio du centre parental se libère.

73 Pendant ce temps, un accompagnement de support s’engage. L’accompagnement est physique. Ils passent au local prendre un café et une viennoiserie, puis l’éducatrice les accompagne à tel ou tel rendez-vous. Cet étayage (physique et psychologique) se fait à leur demande. Diane n’est pas seule lors d’une consultation prénatale. L’attente se passe beaucoup mieux quand on peut dialoguer avec une personne de confiance. Le « staff » de l’hôpital nous fait part de ses craintes : comment assumera-t-elle son rôle de mère ? Faut-il faire un signalement ?

74 Ici, rien de cela n’apparaît. Un jour Diane nous dit : « Vous voulez voir la photo de mon enfant ? » Nous sommes évidemment surpris d’une telle déclaration. Diane ouvre son portefeuille et, comme le ferait tout « bon » parent, nous montre… une petite échographie de son bébé dans son ventre. C’est un garçon, et il porte le prénom de l’amour. Nous nous disons que l’attachement (la préoccupation maternelle primaire de Winnicott) se met en place. Quelque temps après, lors d’une visite à domicile, Diane montre à l’éducatrice le trousseau du bébé. Elle est de plus en plus capable de se projeter dans l’avenir et d’imaginer son enfant.

75 Le temps passe. Diane et Christian ont emménagé dans un studio-relais tout à la joie d’être enfin chez eux. L’accompagnement d’Aire de Famille a permis à Christian d’accepter un ces, de s’y tenir, et de nous dire fièrement : « J’ai enfin l’impression de faire partie de la société. » Christian se nourrit mieux, il a pris un ou deux kilos. II est épanoui et confiant. La rencontre avec Aire de Famille leur a permis un arrimage social.

76 Le jour de la naissance est arrivé. Travail long. Christian est auprès de Diane. Les éducatrices se relaient pour rendre visite à la mère une fois par jour. La mère de Diane n’a pas appelé sa fille à cette occasion.

77 Pour sa sortie (un samedi), l’éducatrice lui demande si elle souhaite sa présence pour son retour à la maison. Diane la remercie mais préfère l’intimité de sa famille pour ce week-end. Un rendez-vous est pris pour le lundi.

78 Quelques semaines plus tard, Diane téléphone très anxieuse à l’éducatrice. Une puéricultrice du secteur va passer pour une vad (visite à domicile). Elle a très peur qu’on lui retire son enfant (!) Elle souhaiterait sa présence. C’est une puéricultrice qui était venue la retirer à sa mère quand elle était petite. L’éducatrice prend contact avec la puéricultrice qui comprend très bien la situation. Elle est tout à fait favorable à cette présence rassurante. Par cette médiation, Diane est plus en sécurité et peut investir la puéricultrice d’une fonction d’aide.

79 Le bébé a les yeux collés. Diane pressent une conjonctivite. Christian minimise, il pense à une impureté dans l’œil. Diane emmène son bébé à la consultation : c’est bien une conjonctivite. La préoccupation maternelle est tout à fait en place. La transmission maternelle qui lui a fait défaut, a pu tout de même s’effectuer par l’accompagnement des éducatrices.

80 Un autre regard… et l’avenir peut s’écrire différemment.


Date de mise en ligne : 01/03/2006.

https://doi.org/10.3917/vst.087.0017

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