1 Comment les pratiques culturelles peuvent-elles servir la construction de l’identité dans le cadre d’un accueil d’un jeune au centre d’accueil familial spécialisé (cafs) ?
2 La question de l’acculturation des enfants placés en famille d’accueil interroge toujours le sens du projet de vie du jeune concerné. Les modèles proposés à l’enfant en souffrance n’offrent pas la garantie qu’ils vont être suivis par ce dernier. Le mécanisme identificatoire est un mécanisme inconscient qui reste complexe.
3 Cette réflexion concerne des enfants orientés par la commission départementale de l’éducation spéciale (cdes) dans une famille d’accueil spécialisée. Ce sont des jeunes qui conservent des liens étroits avec leurs parents en vue de reprendre la vie commune.
Le choc des cultures
4 Dès que l’on confie un enfant, un adolescent à une autre famille, on le confronte d’emblée à une autre culture. Ce « choc des cultures » (concept défini par Marcel Mauss) est inévitable. Cette confrontation entre l’enfant accueilli et la famille accueillante oblige à repréciser les règles de vie. La famille d’accueil bouge, modifie son organisation, son rythme de vie. Les places sont redistribuées. Les rôles et les fonctions de chacun sont reprécisés.
5 Le jeune arrive dans un autre univers avec sa culture, ses valeurs et ses normes. Il va peu à peu les comparer, les mettre en avant, surtout à l’adolescence où il va les confronter pour « voir si ça tient ».
L’infiltration des cultures
6 La construction de l’identité du jeune dans le cadre du cafs se matérialise par une infiltration des cultures. Une voie nouvelle s’ouvre à lui : un ailleurs différent de son environnement familial originel.
7 C’est en confrontant ses valeurs, ses normes avec celles proposées par sa famille d’accueil que le jeune pourra peu à peu prendre en compte la culture de l’autre. C’est par un processus d’imprégnation de la culture de l’autre que, petit à petit, le jeune pourra atteindre le point identificatoire. Cela se fera d’autant mieux que les parents du jeune seront respectés, renarcissisés. Ce respect passe par un retour dans son univers familial originel dont l’intensité, la fréquence et la forme seront étudiées par l’équipe d’accompagnants du cafs.
8 C’est grâce au mélange des bains culturels que le jeune s’imprégnera, mélangera ces cultures et construira pas à pas, sa propre identité culturelle.
La famille d’accueil : un supplément de parent
9 Une famille d’accueil est un supplément de parents. Elle va fonctionner avec le jeune comme supplément (un plus). Elle aura pour double fonction d’accueillir un jeune et de « montrer l’exemple » à la famille du jeune, celle qui ne juge pas.
10 La famille d’accueil ne peut ni ne doit remplacer les parents acculés dans l’éducation de leur progéniture.
11 En effet, le jeune est le projet de ces parents-là et non de la famille d’accueil. Tout le problème du placement familial réside dans l’articulation du projet parental et du projet d’accueil.
12 Nous savons que l’enfant est le lieu de projection des parents. C’est un mécanisme inconscient qui vise à projeter le meilleur, comme le pire ! La tentation serait de penser que la famille d’accueil remplirait un rôle de réparatrice d’un dommage causé par les parents à leur enfant.
Le modèle ne suffit pas !
13 En plaçant un jeune en famille d’accueil, on s’imagine qu’il va pouvoir puiser ce qu’il y a de « meilleur » et le ramener dans sa famille. C’est une vision simple qui motive les travailleurs sociaux pour envisager un placement familial. La réalité est bien plus complexe !
14 Il ne faut pas croire que le jeune va forcément utiliser les modèles identificatoires qu’on lui propose. Nous savons que le processus d’identification est un processus inconscient qui touche l’ensemble de la personnalité. Le lien affectif, l’attachement à l’autre, et dans ce cas à la famille d’accueil, sans avoir à renoncer à ses parents, seront des atouts qui joueront un rôle dans la construction de sa propre identité. Dans le meilleur des cas, le jeune sera plus intelligent, plus armé quand il aura admis, compris que la confrontation des cultures est une richesse.
15 La construction de sa propre identité s’élabore dans le cadre du cafs, dans un entre-deux culturel, où les accompagnants veilleront à ne pas inscrire le jeune dans un « double lien » impossible et destructeur. Tout comme il n’y a pas la « bonne » et la « mauvaise » famille, il n’y a pas la « bonne » et la « mauvaise »culture. Le jeune n’a pas à choisir. Il a à trier à son rythme, en fonction de ce qu’il est capable d’affronter, de confronter, de dire ou de ne pas dire à ses familles. Il peut être calme, attentif, curieux, propre… dans sa famille d’accueil, et redevenir sale, bruyant, instable… dans sa propre famille. Ce n’est que grâce à une expérimentation répétée, permise et non jugeante, qu’il trouvera peu à peu sa place, sa position et construira son identité.
À l’adolescence, période qui se situe dans un entre-deux très inconfortable, période où l’on n’est plus, où l’on n’est pas
16 On n’est plus un enfant, on n’est pas encore un homme ou une femme. Pour se construire et se rassurer, l’adolescent confronte les modèles, les valeurs de son enfance, adopte des positions à l’emporte-pièce ; il hésite sur tout, rejette ou gobe, refuse l’autorité et la recherche. Son ambivalence est à son comble. Lorsqu’il est placé, il va tour à tour critiquer la famille d’accueil, sa famille, la société… Et c’est là qu’il faut tenir bon, rappeler les valeurs, les normes, les habitudes de vie, réaffirmer sa culture.
17 L’adolescent se pose en s’opposant. Pour qu’il puisse se poser, il faut une base solide, qui résiste aux tempêtes. Et c’est une période très délicate, très décourageante pour les services de placement familial. Les familles d’accueil sont titillées harcelées, acculées, violentées… par ces jeunes qui les « poussent à bout ». Et c’est à ce moment précis qu’il faudra reposer les règles de vie, exiger des horaires de rentrée et de sortie, quitte à ce qu’ils soient transgressés ; la permissivité, la tolérance ne doivent pas s’apparenter à de la démission.
Peut-on parler de déculturation lors d’un placement familial ?
18 Un juge, un service social, une équipe de travailleurs sociaux, la cdes, et plus rarement des parents, décident de placer, de confier l’enfant à d’autres « parents » choisis, sélectionnés, agréés. Inévitablement on crée chez l’enfant un traumatisme. D’une façon générale, les critères prépondérants qui déterminent la distanciation d’un enfant de son milieu familial vont de la maladresse éducative, en passant par les carences éducatives, l’absence de repères interpersonnels des deux parents, la difficulté pour un enfant de s’individuer dans sa famille, jusqu’aux violences intrafamiliales. Cela est évalué en fonction des normes, usages, codes qui sont propres à tous les membres d’une même culture.
19 L’intention recherchée dans le placement d’un jeune consiste à vouloir « décontaminer » l’enfant qui a évolué dans une « mauvaise culture ». On va lui demander d’intégrer de nouvelles valeurs, normes, usages, codes. Et, avec la durée du placement, on espère que la « culture de son milieu originel » va s’estomper au profit de la « bonne culture proposée ». Cette tentation naïve de déculturation est tout aussi nocive.
20 L’enfant confié à une famille d’accueil va t-il changer ? Un enfant est retiré de sa famille parce qu’elle est pour lui « de mauvaise qualité » (à un moment donné).
21 La construction de l’identité du jeune confronté au choc des cultures dans le cadre d’un placement familial s’élabore dans la quotidienneté. Chaque situation vécue, chaque acte posé, chaque action menée s’impriment. Cela participe à la construction de son identité. L’imitation, les modèles proposés (non imposés), les liens affectifs serviront au développement psycho-affectif de ce jeune. La vie quotidienne, l’organisation de la vie en famille d’accueil définissent les normes, les usages, les codes, les habitudes de vie, les rituels, la morale (dans notre société judéo-chrétienne), qui vont participer à la construction identitaire du jeune. Les rites et les rythmes de la vie de tous les jours – lever, repas, toilette, coucher, bonjour, espaces repérés, serviette de table, affaires à soi, lieux non autorisés, réponses aux questions, exigences, travail scolaire, loisirs… – doivent permettre au jeune de grandir, d’exister avec les autres, d’assimiler, de s’imprégner de la culture des membres de la société dans laquelle il s’inscrit.
La loi du retour
22 Le placement familial spécialisé doit permettre à l’enfant placé de se soigner, de se cultiver, de se reconstruire, de façon à ce que le lien entre l’enfant et ses parents se retricote, se renforce. En aucun cas il ne doit s’affaiblir. D’où l’importance de l’évaluation de ce lien !
23 Le rôle des intervenants vise à conjuguer, avec les deux familles et l’enfant placé, une médiation permettant un soutien propice au développement du jeune et à l’amélioration des rapports et liens qu’il reconstruit avec ses parents. Accompagner les familles qui accueillent un enfant permet de les aider à être toujours conscientes de la complexité du jeu relationnel. Ce rôle de tiers médiateur est déterminant.
24 Il ne faut jamais perdre de vue la loi du retour.
25 L’enfant placé doit pouvoir retourner dans son univers familial originel et utiliser ses connaissances, ses apprentissages, sans être vécu comme un renégat. Le retour sera d’autant mieux réussi lorsque le jeune aura pu digérer des éléments de la culture de la famille d’accueil. Il doit pouvoir les réintroduire dans sa propre famille et retrouver une place acceptable par tous ses pairs.
Bibliographie
Bibliographie
- Berger, M. 1992. Les séparations à but thérapeutique, Toulouse, Privat.
- Cirillo, S. 1988. Familles en crise et placement familial. Guide pour les intervenants, Paris, esf, 127 p.
- Cyrulnik, B. 1989. Sous le signe du lien, Paris, Hachette.
- David, M. 1999. Le placement familial de la pratique à la théorie, Paris, esf.
- Gamdessus, B. 1998. La fratrie méconnue, liens du sang, liens du cœur, Paris, esf, 189 p.
- Gruyer, F. ; Fadier-Nisse, M. ; Sabourin, P. 1997. La violence impensable (inceste et maltraitance), Paris, Nathan, 263 p.
- Les recherches du grape. 1996. Poursuivre les parents des enfants placés, Toulouse, érès.