1 Un ami vient de visiter, pour des raisons professionnelles, la maison d’arrêt de la ville. Surprise, angoisse et dégoût. Il découvre la misère, la crasse, également répartie dans la vie des détenus et des surveillants, mais ceux-là sortent le soir. Il découvre le surpeuplement : 550 occupants pour 290 places officielles. La cellule de 12 mètres carrés sera pour 4 occupants au lieu de 2. Dans celle de 14 m2 – une « grande » lui dit-on –, on y entassera 5 personnes. Le cinquième détenu dormira par terre sur un matelas déroulé chaque nuit à même le sol, lavabo et WC pour calage, promiscuité normale. La douche – faute d’eau chaude suffisante –, sera possible au mieux deux fois par semaine. L’été aussi ? L’été aussi.
2 L’interlocuteur, bien informé, objecte que c’est une simple maison d’arrêt, donc pour ceux qui sont en attente de jugement ? Ça ne dure pas, en principe ! L’attente peut facilement durer plus de 12 mois, vu la bousculade au tribunal, et les condamnés, à de « courtes » peines, peuvent y passer cinq ans. Les privilégiés auront droit à un peu de travail, permettant de cantiner et d’acheter le minimum du quotidien : savon, rasoir, dentifrice… C’est curieux, l’indispensable n’est donc pas gratuit ? Très peu pourront étudier et avoir une réhabilitation scolaire. La majorité dépendront de leur famille. Ceux qui en ont.
3 L’ami découvre que ceux qui sont là viennent en majorité des classes pauvres ou fragiles comme les immigrés. S’il avait lu les statistiques, il saurait que les prisonniers sont plus jeunes que la population française, qu’ils ont eu plus tôt – trop tôt ? – un début de vie familiale, qu’ils ont parlé une langue étrangère avec leur parent (cinq fois plus souvent). Il ne verra pas un tueur de femmes en série, mutique et reclus dans le mystère de ses passages à l’acte. Celui-là reçoit un chèque mensuel de sa mère. Il y a surtout les sexuels – violeurs ou pédophiles –, et les toxicos – consommateurs et dealers –, de plus en plus nombreux. Il apprend qu’on vient voir les hommes et que les gitans ont une solidarité familiale infaillible. Facile à vérifier devant la porte les jours de parloir. Il apprend par contre qu’on ne vient plus voir les femmes détenues. Honte ou mépris, on ne sait.
4 L’ami se demande comment ils tiennent ? Ils ne tiennent pas : oisiveté, rancœur, angoisse, tensions interindividuelles, violence ordinaire de l’institution.
5 On donne des médicaments. Beaucoup de médicaments.
6 L’ami ne sait pas car il n’a pas lu les rapports les plus officiels, mais il devine.
7 Un bon tiers de ceux qui sont là ne dépareraient pas les locaux de l’hôpital psychiatrique. Sont-ils soignés pour autant ? Il y a un SMPR, service de psychiatrie enclavé dans le pénitentiaire, à côté. Suffit-il à la tâche [1] ?
8 L’ami ne peut plus se poser de question car il a la nausée de cette misère et de cette déshumanisation, organisée au cœur de nos principes républicains de justice et de notre confort de pays développé. Il ne pense même pas à celles de Bogota ou de Manille que l’on visite à la télévision, pour se dire qu’ailleurs c’est pire. Il ne pense pas non plus aux incantations électorales qui vont nous promettre des tolérances zéros – sauf pour celui qui l’énonce et pour les nantis –, ou qui vont nous demander moins d’État et plus de services publics… Il n’a pas lu Michel Foucault ni Claude Veil [2]. Il se console en se disant que cette prison-là, vétuste et vieille de deux siècles, doit être démolie. Au fait, jadis, c’était peut-être une prison modèle ? En attendant, dans la rue environnante, la ville bruisse de vie, d’objets et d’échanges.
9 Bientôt le visiteur va oublier à nouveau. Essayer de n’y plus penser. Comme nous tous.
10 La porte s’est refermée sur nos indignations.