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Article de revue

Le cheval support d'une psychothérapie à médiation corporelle

Pages 44 à 45

1 Clément avait à l’époque une douzaine d’années. Orphelin de mère, IMC, amblyope, communiquant très peu, il avait de grosses difficultés à effectuer des exercices très précis. Pensant l’aider à appréhender la situation de façon globale, je lui proposai, s’il en était d’accord, d’évoluer selon ses propres désirs. Après cette séance où il se débrouilla fort bien dans l’espace, il transmit à son père le plaisir qu’il y avait pris.

2 À mon grand étonnement, les transformations de son comportement furent alors rapides. En quelques mois, il devint plus éveillé, communiquant beaucoup plus facilement. Sur les dessins qu’il effectuait après les séances, le bonhomme « fil de fer » qui montait son cheval eut un corps qui se remplit peu à peu pendant que cheval et cavalier émergeaient d’un cercle dans lequel il les avait enfermés au départ. La psychiatre qui le voyait régulièrement notait à cette époque que son handicap physique devenait de moins en moins marqué.

3 Encouragé par ce résultat, je décidai de pratiquer ce mode d’intervention avec d’autres enfants et adultes, aussi paradoxale que puisse paraître cette attitude de ma part. Sur quatre années, les résultats du même type commencèrent à s’accumuler sans qu’ils puissent s’expliquer. Néanmoins, des points de repère apparurent de façon très nette et chez des personnalités suffisamment diverses pour permettre de supposer qu’ils relevaient de phénomènes généraux.

Un changement à l’intérieur du cadre

4 Sans intervention technique de ma part et après une mise en confiance il y avait d’abord, dans les cas favorables, une première phase de six à huit séances que l’on pourrait nommer d’apprentissage de la situation. Les points de repère que j’en avais, et ça n’était pas un hasard compte tenu de ma formation initiale de kinésithérapeute, étaient posturaux. Il y avait soit une raideur généralisée, soit un affaissement en bloc qui posait parfois des problèmes de maintien que j’essayais de résoudre sans faire appel à des aides extérieures. Au début, j’arrêtai dans ces cas assez rapidement les séances jusqu’au jour où je décidai de continuer le plus longtemps possible.

5 Ce changement à l’intérieur du cadre me permit de voir apparaître très nettement une deuxième phase de décontraction passive générale. Celle-ci se retrouvant aussi bien chez des enfants ou des adultes psychotiques du CHS de Rennes que chez des enfants suivis par un COEMP avec lequel j’ai travaillé pendant plusieurs années.

6 Le plus étonnant fut l’instauration d’une troisième phase. Celle-ci, dans son mode le plus net, se signalait d’abord par une mobilité accrue au niveau du bassin, un redressement de l’axe corporel et, très souvent dans la même séance, de lui-même, le sujet commençait à conduire sa monture dans l’espace du manège ou à partir au trot sans aucun problème d’équilibre. De même, si jusque-là en descendant de son cheval ou de son poney il était sorti du manège sans se soucier de le ramener, il prenait alors de lui-même les rênes pour le rentrer à l’écurie.

7 Grâce aux enfants du COEMP dont je rencontrais les parents régulièrement, il fut aussi possible de faire un parallèle entre les modifications observées pendant les séances et des modifications du comportement ailleurs, se traduisant par une meilleure communication au niveau familial, social et un démarrage ou un redémarrage de l’intérêt pour le scolaire.

8 Par l’intermédiaire d’une éducatrice qui accompagnait un groupe de jeunes enfants d’une école maternelle, je reçus des témoignages d’enfants sur ces trois modalités d’utilisation du cadre. De la première, ils disaient : « Je suis dans le manège et tout est mélangé. » Pour la deuxième, c’était : « Je suis dans le cheval et fais-moi galop » et lorsqu’ils le dessinaient, ils se représentaient à l’intérieur d’un cheval ayant ma tête. Quant à la troisième, ils disaient : « Je suis sur le cheval et j’agis. »

9 Pendant des années, j’ai continué à travailler sur ces bases, aussi bien avec des autistes qu’avec des enfants et des adultes psychotiques et des enfants en difficulté. Le cadre était en place, ses modalités d’utilisation semblaient bien définies, et les conséquences qui en découlaient devenaient repérables dans l’économie psychique du sujet. En revanche, je n’arrivais pas à trouver les bases théoriques qui puissent rendre compte de ce qui se passait et, partant de là, de mieux utiliser les différents éléments du cadre. Jusqu’au jour où j’ai eu la chance que le Dr Peran, psychanalyste, accepte de me prendre en contrôle.

10 À partir de l’expérience que j’avais et des cas cliniques que je lui apportais à chaque séance, nous avons essayé d’élaborer quel était le travail psychique permis par le cadre. Les résultats obtenus, leurs répercussions sur la vie quotidienne et dans le comportement des sujets avec lesquels je travaillais laissaient en effet à penser que c’était bien dans cette direction qu’il fallait envisager notre recherche.

11 Vues sous cet angle, les trois modalités d’utilisation du cadre pouvaient se reformuler de la façon suivante :

  • une phase active se traduisant par de l’agitation, des contractions, une motricité perturbée, un essai de maîtrise de la situation ;
  • une phase passive ;
  • une autre phase active très différente de la première car permettant d’utiliser le cheval dans l’espace du cadre et s’accompagnant des modifications déjà signalées.

Du sensoriel au transitionnel

12 Il y a là un double retournement pulsionnel que l’histoire de Gaétan va nous permettre d’explorer de façon plus fine. Gaétan est un jeune garçon psychotique d’une douzaine d’années avec lequel j’aurai tout de suite un bon contact. Son utilisation du cadre va évoluer au fil des séances. Il va d’abord demander à promener le poney dans le manège en marchant à pied à côté de lui. Puis, à monter dessus en me faisant tenir la monture. Enfin, à monter dessus en le menant lui-même à l’intérieur du manège. Ce qui a caractérisé cette troisième phase, c’est l’apparition d’un besoin de savoir et de demandes d’explications sur tout ce qui se passait.

13 Ce qui va suivre pourrait s’intituler « Du sensoriel au transitionnel » ou « L’objet du plaisir n’est pas celui qu’on pense ». On peut poser comme hypothèse qu’il a d’abord fallu que Gaétan investisse la relation avec moi. Pour le médiat utilisé, le poney, c’était déjà fait grâce entre autres à son accompagnatrice. Ensuite qu’il se persuade de la fiabilité du cadre : régularité des séances, attitude et contenance psychique de ma part. En bref, que je devienne pour lui « une bonne Mère Thérapeute Cheval » au sens de Winnicot, c’est-à-dire celle qui n’est pas systématiquement détruite entre chaque séance et avec laquelle il est possible d’établir une relation positive.

14 L’établissement de ce lien va permettre de laisser se réveiller et d’utiliser des traces mnésiques d’expériences antérieures très anciennes où les aspects sensoriels et kinesthésiques sont fondamentaux et qui datent des premières expériences de lien avec l’objet primordial des premiers mois.

15 Par le jeu des projections à l’extérieur de ce qui peut être vécu comme mauvais ou dangereux dans cette situation et par l’introjection de ce qui l’est comme bon, par le biais du principe du plaisir, ces traces vont pouvoir se réorganiser, se lier entre elles en subissant de moins en moins les déliaisons provoquées par les inévitables frustrations engendrées, par exemple, par les arrêts des séances. Cette activité de liaison s’accompagne de limites plus précises entre le monde intérieur du sujet et son monde extérieur. Ces limites vont permettre la constitution d’un « Objet interne de satisfaction » en contenant le débordement des forces pulsionnelles.

16 Dans un deuxième retournement à l’intérieur du cadre, Gaétan va alors pouvoir commencer à s’identifier à moi. Cette troisième modalité, « Je suis sur le cheval et j’agis », est une forme de jeu fondamental de maîtrise de l’absence de l’objet analogue au jeu de la bobine décrit par Freud. Nous sommes dans un cadre global où l’espace corporel du thérapeute contient sujet et médiat, et où l’utilisation de ce dernier est ramenée à la relation établie entre le sujet et le thérapeute.

17 En prenant les rênes, en mettant le cheval en marche par une poussée du bassin reproduisant le mouvement perçu avec plaisir dans le corps pendant la deuxième modalité, l’enfant ou l’adulte reproduit activement ce qu’il avait subi passivement. Cette possibilité de jouer et de s’identifier est préparée par la mise en place d’autoérotismes vrais, qui permettent au sujet, en s’étayant sur son propre corps, sur ses zones érogènes ainsi limitées, bordées, de récupérer le plaisir éprouvé dans la relation avec le thérapeute et ainsi d’utiliser son corps pour agir, maîtriser, rejouer cette relation avec ses absences et ses retours. En s’identifiant à moi dans un deuxième retournement pulsionnel, il joue à symboliser la perte de l’objet.

18 On voit donc là comment l’espace du manège peut être transformé en un espace de jeu thérapeutique où tout ce qui se passe s’étaye sur le lien relationnel avec le thérapeute. Un bon exemple nous en est donné par cet enfant auquel on demandait sur quel cheval il était monté et qui répondit : « Je suis monté sur un cheval qui s’appelait Yves. »

19 Ainsi Winnicott écrit dans Jeu et Réalité :

« La psychothérapie s’effectue là où deux aires de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. Si le thérapeute ne peut pas jouer, alors il n’est pas fait pour ce travail. Si le patient ne peut pas jouer, il faut faire quelque chose pour lui permettre d’avoir la capacité de jouer. Alors la psychothérapie peut commencer. »

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