Notes
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[1]
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_democratie_sanitaire.pdf
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[2]
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/CAB_COM_RAPPORT_COMPLET_Merci_non_usagers.pdf
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[3]
En 2019, les membres du comité de pilotage sont : Samira Bekhti (cabinet Oratorio), François Blot (réanimation, Institut Gustave-Roussy), Marie-Pierre Bougenot (apf France handicap), Agnès Brousse (unaf), Nicolas Brun (unaf), Alice Casagrande (fehap), Catherine Cerisey (patiente enseignante), Marie Citrini (patiente enseignante), Marina Drobi (Comité interministériel du handicap), Jean-Christophe Guillemin (étudiant en soins infirmiers), Matthieu Elgard (formateur), Véronique Ghadi (has), Clotilde Girier (formatrice), Olivia Gross (université Paris 13), Marcel Jaeger (Cnam), Emmanuelle Jouet (laboratoire de recherche de Maison Blanche), Carole Le Floch (élue au conseil régional des personnes accueillies/accompagnées d’Ile-de-France), Isabelle Monnot (ifsi Montceau), Paul Morin (université de Sherbrooke), Michel Naiditch (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), Nadine Sguerzi (Institut de formation fondation Œuvres de la Croix-Saint-Simon), Muriel Varenne (care conseil), Chantal de Singly (ancienne dg ars), Raymond Merle (patient expert).
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[4]
cofor, Marseille.
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[5]
Le texte français de la Déclaration de Vancouver est disponible en ligne sur le site www.associonsnossavoirs.fehap.fr
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[6]
Ressources et références issues de la recherche disponibles sur www.associonsnossavoirs.fehap.fr
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[7]
John Dewey, « Une démocratie créatrice : la tâche qui nous attend », dans Écrits politiques, Paris, Gallimard 2018, p. 431.
1 Le plaidoyer Associons nos savoirs, paru en septembre 2018, n’est pas à proprement parler une démarche scientifique ni une proposition militante, encore moins le projet expérimental d’une institution. Mais ces trois composantes sont effectivement à l’œuvre dans ce texte, qui cherche à promouvoir une idée centrale : celle que les savoirs expérientiels des personnes vulnérables en font des parties prenantes indispensables à la formation des professionnels de la santé et de l’action sociale.
2 Cette idée, encore novatrice mais qui trouve en 2018 sa place dans plusieurs plans ministériels et travaux d’agences ou d’acteurs publics d’envergure nationale, n’était pas en 2015 – au début de notre réflexion – largement admise. Elle ne comptait comme principale antériorité que la mention qui en était faite dans le rapport Compagnon-Ghadi L’an II de la démocratie sanitaire [1] et dans le rapport du Conseil supérieur du travail social « Merci de ne plus nous appeler usagers ». Refonder le rapport aux personnes [2].
3 Intéressé néanmoins par la possibilité d’explorer ce qu’une telle innovation pédagogique pouvait apporter, un petit groupe assez composite débute ses réflexions. Y participent des directeurs et cadres pédagogiques d’organismes de formation initiale et continue, des institutionnels, un formateur indépendant, des membres de fédérations ; laboratoires de recherche, patients enseignants et personnes accompagnées formateurs nous rejoindront ensuite [3].
Débuts tâtonnants
4 L’objet de la réflexion n’est pas immédiatement clair, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, les participants initiaux n’ont pour la plupart qu’une représentation vague de ce que pourrait être la participation des personnes vulnérables, accompagnées ou soignées, ou de leurs aidants, à la formation professionnelle. Ils en ont entendu parler ou ont lu à ce sujet mais n’en ont pas une expérience directe dont ils pourraient tirer des enseignements, une théorisation, ou un plaidoyer. D’autre part, s’ils ont un intérêt pour le sujet et connaissent quelques éléments de littérature, ils n’ont qu’une appréciation limitée des concepts engagés dans une telle idée. Ils croient assez résolument à la participation des usagers dans le système et les institutions de la santé et du social, mais cette conviction n’est adossée à aucun étayage scientifique, en particulier sur la notion centrale légitimant la participation à la formation : celle de « savoirs expérientiels ». Ainsi, le travail ne peut consister ni à tester dans la pratique des hypothèses de recherche ni à théoriser des résultats empiriques déjà familiers.
5 Les débuts sont donc tâtonnants, chacun s’attachant à exposer ce qu’il croit utile d’investiguer sur le sujet, pourquoi et comment. Dans la liberté totale dont nous disposons – circonscrite seulement par notre absence de moyens –, nous envisageons plusieurs manières de procéder et nous tournons assez naturellement vers des experts déjà reconnus sur le sujet pour qu’ils nous éclairent.
6 Emmanuelle Jouet, chercheur au laboratoire de Maison Blanche et auteure d’une revue de littérature sur le sujet, nous alerte d’abord sur les vocabulaires en vigueur et leur signification et présupposés scientifiques. Nous entendons ensuite Luigi Flora nous exposer le modèle du patient partenaire de Montréal et la rencontre provoque un véritable électrochoc au contact des possibilités insoupçonnées déjà éprouvées avec succès dans une faculté de médecine. Céline Letailleur, chercheur et usagère de la santé mentale, nous détaille une remarquable expérience à la fois militante, scientifique et pédagogique [4]. Puis nous nous intéressons au modèle du croisement des savoirs, que nous expliquent successivement deux volontaires d’atd Quart Monde et le formateur Laurent Sochard intervenant régulièrement avec cette approche.
7 Une spécificité est utile à préciser : le caractère transversal de nos réflexions au champ de la santé et à celui du travail social. Cette spécificité sera une contrainte durable, dans le pilotage et l’animation des débats, d’incessantes incompréhensions et de nécessaires réconciliations entre des personnes d’une authentique ouverture d’esprit mais d’une appartenance professionnelle très ancrée dans des mondes à l’écart l’un de l’autre.
Installer les dimensions expérimentales et scientifiques
8 Au terme de la première année de réflexion, plus confiants sur le fait que notre intérêt est fondé et que la démarche doit se poursuivre, nous donnons à nos travaux une inflexion à la fois modeste et décisive pour la suite, en décidant d’organiser un colloque pour partager nos idées et donner à voir les expériences découvertes. Inflexion modeste, car l’organisation d’un tel événement ne requiert aucune prise de décision politique majeure et semble une simple continuité logique de nos échanges. Inflexion décisive pourtant, car nous décidons que pour être crédibles dans la diffusion de nos convictions, nous devons les avoir nous-mêmes testées. Autrement dit, notre colloque doit donner à entendre ce que nos actions de formation, co-construites et co-animées par des personnes accompagnées ou patients et par des formateurs, auront produit comme effet de réel. Nous ajoutons à cette exigence une seconde qui en procède : le fait que ces effets, s’ils existent, ne soient pas constatés par nous seuls, mais évalués par un chercheur indépendant mobilisé pour cela.
9 C’est donc à ce stade que la dimension expérimentale et la dimension scientifique font véritablement leur entrée dans notre démarche, ce qui ne va pas sans poser des difficultés considérables.
10 La dimension expérimentale porte en elle des difficultés classiques chez des porteurs de projets innovants de dimension modeste. Les quatre porteurs de ces innovations pédagogiques – tous des organismes de formation continue – ont des fragilités qui leur sont propres. Tout d’abord, sur les quatre organismes, l’un cessera toute activité avant l’expérimentation, un second juste après. Ensuite, les innovations pédagogiques supposent de mettre en place de nouveaux processus et pratiques de travail – en particulier le recrutement d’un « patient formateur ». Pour cette étape, les critères et repères proposés dans la littérature de référence s’avéreront de peu de poids face à la contrainte de réalité : devoir disposer d’une ressource volontaire, expérimentée en matière de pédagogie et dont le lien aux associations de patients est suffisamment étroit pour avoir pu étayer l’expérience personnelle de la maladie chronique par une mise en perspective plus large sur les droits des usagers et le système de santé. En outre, une difficulté supplémentaire consiste dans le fait que l’action de formation une fois créée, elle doit trouver son public. Cela est loin d’être une évidence, ce dont nous ne nous étonnons pas puisque précisément nous avons à cœur d’amorcer un changement de pratiques que les institutions ne réclament pas encore. Enfin, l’expérimentation exige aussi de trouver le financement pour l’évaluation, ce qui s’avère complexe. Deux sources seront finalement identifiées. La première est l’opca (organisme paritaire collecteur agréé) de branche des organismes de formation continue concernés, unifaf, qui dégage une enveloppe au titre de l’innovation pédagogique, non sans mal car la réticence des syndicats salariés sur le sujet est intense, et l’unité du collège employeurs difficile à construire à ce propos. La seconde et véritable solution viendra d’un mécénat de source mutualiste, notre argumentaire ayant su trouver un écho dans leurs préoccupations. Au terme des six mois prévus, après d’innombrables complications, des craintes infondées et des reports de calendrier réels, les expérimentations pédagogiques portées par les membres du copil (comité de pilotage) seront effectivement réalisées et seront présentées comme prévu lors de notre événement de décembre 2017.
11 La dimension scientifique, confiée à Olivia Gross du laboratoire Éducation et pratiques de santé de l’université Paris 13, s’avère non moins complexe. D’abord parce que les trois actions évaluées n’ont pas le même format, le même public ni les mêmes modalités pédagogiques. Un pragmatisme bienveillant est donc de rigueur pour mener la démarche d’évaluation à bien. Ensuite parce que notre collectif, pour créatif qu’il soit, n’est pas en mesure de formuler une question de recherche à proprement parler, et laisse donc le soin aux événements d’être porteurs d’enseignements suffisamment parlants en eux-mêmes, ce qui n’est pas le meilleur gage de fécondité scientifique. Enfin parce que, jusqu’au bout, la transversalité santé-social sera difficile à faire valoir là où l’univers conceptuel de référence est exclusivement sanitaire. Pour toutes ces raisons, si elle atteste de l’engagement authentique des parties prenantes, la démarche scientifique a été moins fructueuse dans ses résultats que dans la discipline qu’elle a imposée. Cette discipline n’était pas le fruit du hasard, mais de l’insistance de ceux qui, militants des droits des malades à l’hôpital dès la première heure, ont constaté combien l’absence d’évaluation avait nui à la propagation de la participation des usagers. Instruits par cette expérience plusieurs fois réaffirmée au sein du comité de pilotage en particulier par Nicolas Brun, cofondateur du ciss (Collectif interassociatif sur la santé), nous avons construit notre travail en recherche constante de liens avec des chercheurs. Et c’est à cette occasion, lors d’une communication dans un colloque européen, que nous avons croisé une autre source d’inspiration canadienne : les travaux d’Angela Towle à l’université de Colombie britannique et la Déclaration de Vancouver de 2015. Simultanément, nous découvrions ceux de Paul Morin à l’université de Sherbrooke, grâce à une mise en relation de Marcel Jaeger du Cnam.
12 Conscients de la portée scientifique modeste de nos propres résultats, nous décidons de faire rayonner ces travaux étrangers en écho à toutes les expérimentations françaises déjà mises en œuvre – les nôtres bien sûr mais aussi bien d’autres, issues du champ de la santé mentale, de la maladie chronique et du handicap. Le rayonnement des recherches canadiennes prendra deux formes. D’une part, le lien étroit aux expériences pédagogiques conduites dans le cadre de l’école de travail social de l’université de Sherbrooke et des échanges nombreux et féconds avec leurs instigateurs. D’autre part, la traduction en français de la Déclaration de Vancouver en vue d’en faire partager la richesse à un public non anglophone [5].
De la Déclaration de Vancouver de 2015 à la Déclaration de Paris en 2018
13 C’est lors de cette séquence qu’une nouvelle suite logique s’impose. La Déclaration de Vancouver, en effet, conserve en dépit d’une approche transversale un vocabulaire largement sanitaire. Dès le titre, il est question de « la voix des patients dans la formation des professionnels » et de ne réduire le sujet ni à un enjeu pour les études médicales, ni à une question pour les instituts de formation en travail social. Cette résistance au texte du fait de ce vocabulaire se confirme lorsqu’il est soumis aux personnes qui, au sein du Haut Conseil du travail social, représentent les personnes accompagnées dans les débats sur le sujet. Il apparaît donc manifeste, pour eux comme pour nous, que si la déclaration de Vancouver est une étape précieuse, ce texte issu de la recherche canadienne ne peut nous suffire. L’étape suivante : la Déclaration de Paris, s’impose naturellement. Et loin de se situer à l’écart du monde académique canadien, elle en recevra un écho très favorable, puisque la Déclaration de Paris, traduite en anglais, sera diffusée dès sa parution dans les réseaux de l’université de Colombie britannique et sera soutenue simultanément par le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public de l’université de Montréal, par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de -l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et par l’école de travail social de l’université de Sherbrooke.
14 À ce stade de nos travaux, début 2018, notre timidité initiale s’efface quelque peu. Nous sommes rejoints au sein du comité de pilotage par plusieurs chercheurs et notre ancrage dans l’actualité des politiques publiques est conforté par la participation d’une personne du Comité interministériel du handicap au titre des travaux sur la « Réponse accompagnée pour tous », Marina Drobi. Les autres membres poursuivent quant à eux leur engagement, et cette solidité collective s’avèrera décisive pour le succès de la démarche, de même que le caractère profondément pluriel de sa composition.
15 Construire un texte de plaidoyer transversal à la santé et au travail social, valable pour les facultés de médecine comme les ifsi (instituts de formation en soins infirmiers), les irts (instituts régionaux de travail social) ou la formation continue, ancré dans l’expérience des personnes elles-mêmes, telle est l’ambition qui nous anime.
16 Inexpérimentés sur une telle démarche, nous nous tournons vers Angela Towle, qui nous indique la voie suivie pour la Déclaration de Vancouver, qui suppose de soumettre une première version du texte aux participants deux mois avant la conférence de consensus, puis une seconde version retravaillée à partir des commentaires reçus lors de la conférence elle-même. Le comité de pilotage s’attache donc à rédiger un premier texte, très largement inspiré des riches débats du colloque. Une assemblée soigneusement composée est également invitée à la conférence, associant usagers, personnes accompagnées et leurs représentants, institutionnels, opérateurs, financeurs et régulateurs de la formation, étudiants et chercheurs, formateurs, acteurs publics, professionnels en exercice et représentants des fédérations employeurs et des syndicats salariés. Les univers de la protection de l’enfance et de la précarité sont représentés aux côtés de ceux du handicap, de la médecine et des soins infirmiers. Des personnes souffrant de handicap psychique ou de troubles du spectre autistique côtoient d’anciens enfants placés, des militants associatifs débattent avec des institutionnels qui conçoivent ou financent la formation professionnelle. C’est de ce pluralisme à la fois soigneusement réfléchi et fruit du hasard de certaines rencontres et disponibilités que naît la richesse de l’élaboration collective.
17 Celle-ci est organisée en deux temps. Une matinée ouverte par Raoul Dubois, représentant des personnes accompagnées à Lille, et François Blot, médecin chef de service de réanimation à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif, donne ensuite la parole à la recherche internationale pour permettre aux participants d’élargir leur réflexion. Angela Towle présente ainsi l’expérience de son université, puis Peter Beresford, britannique, évoque le champ de la santé mentale et du travail social en Angleterre (voir articles infra). Au sortir de ces prises de parole, le travail en ateliers consiste pour les participants à indiquer par des pastilles de couleurs leur approbation ou désapprobation du texte proposé, et dans les cas de désapprobation marquée, à ajouter une contre-proposition. Les débats sont intenses, parfois houleux, mais féconds. Enfin, la journée est clôturée par une mise en perspective de ces échanges et de leurs enjeux au regard des politiques publiques et de la recherche, ce qui donne l’occasion de retrouver l’expertise d’Emmanuelle Jouet avec qui les travaux avaient été initiés dès l’origine.
18 Il faudra ensuite deux journées de travail collectif et de nombreux échanges individuels pour finaliser le texte, notamment avec l’appui de contributeurs extérieurs au monde de la santé et du social dont le regard distancié sera précieux pour la lisibilité et l’accessibilité du texte final. Associons nos savoirs est alors soumis aux participants du séminaire de consensus pour qu’ils soient signataires, puis progressivement à d’autres parties prenantes susceptibles de s’engager, au gré des réseaux et amitiés de chaque membre du comité de pilotage.
Les horizons du déploiement et la résonance démocratique
19 Le premier soutien militant est apporté par le collectif du Pacte civique, dont l’appui sera précieux au moment où le doute sur la viabilité de la démarche et son succès est encore fort, et où tout appui est profondément rassérénant et utile. Suivent ensuite pour les grands réseaux unaforis, atd Quart Monde, le Centre d’excellence du partenariat avec le public et les patients de l’université de Montréal, le cefiec, réseau national des instituts de formation en soins infirmiers, la cnape, fédération de la protection de l’enfant, l’uniopss, l’association Santé mentale France. La signature d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, après l’appui de la Haute Autorité de santé, nous permet de légitimer notre démarche dans des politiques publiques fortes. Puis viendront les signatures de la cnsa, de l’ap-hp par la voix de son directeur général Martin Hirsch et de l’anap. Et aux côtés de cet appui institutionnel s’exprimera celui des personnes accompagnées et des patients, des associations comme Renaloo ou l’unafam, Trisomie 21 France ou l’Association française de lutte anti-rhumatismale, France Asso Santé et bien d’autres.
20 Les perspectives de la démarche se situent aujourd’hui à trois niveaux. Au plan politique, le plaidoyer doit, fort de sa méthodologie d’élaboration originale et citoyenne et de ses signataires, poursuivre son travail de conviction dans les champs de la recherche et de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de l’Éducation nationale. Au plan pratique, le plaidoyer doit s’incarner dans des outillages complémentaires de ceux qu’ont déjà produits et diffusés des opérateurs comme unaforis pour le travail social, et rechercher la subsidiarité avec toutes les expérimentations pédagogiques qui ont fait leurs preuves, au premier plan desquelles se situent la démarche du patient partenaire de Montréal, les expériences de Vancouver et de Sherbrooke, et la pédagogie issue du « croisement des savoirs » d’atd Quart-Monde. Au plan culturel, enfin, le plaidoyer doit contribuer à installer dans la conscience collective que les savoirs expérientiels sont une ressource d’une valeur inestimable pour la formation. Cela est vrai pour le monde de la santé et du social, la recherche l’a montré [6] et l’enthousiasme des étudiants ou des apprenants le confirme. Mais nous sommes également convaincus que les acteurs du service public de l’emploi auraient aussi tout à gagner à être formés par des personnes ayant connu le chômage de longue durée. Et que les enfants des écoles pourraient mieux comprendre le sens du mot « citoyen » et de l’engagement civique s’il leur était transmis par ceux-là mêmes dont la valeur sociale et la vie ont pu être altérées par la maladie, le handicap, la précarité, et la relégation sociale que ces épreuves risquent toujours de produire.
21 Ainsi, notre démarche empirique, expérimentale et convaincue, se veut-elle à la fois respectueuse des ressources méconnues des personnes et engagée à nourrir les ressources, toujours à entretenir, de la démocratie. Nous sommes en effet persuadés qu’à travers l’innovation pédagogique, c’est bien davantage que l’amélioration du système de santé et l’efficacité des accompagnements sociaux que nous pouvons viser. Associons nos savoirs indique dans son préambule viser à un progrès démocratique à part entière, dans le sens de plus de fraternité et plus de solidarité. En effet, notre action nous a conduits à constater les multiples bénéfices que la participation à la formation des personnes accompagnées et soignées, ainsi que de leurs aidants, pouvait présenter pour la cité au sens large. Occasion d’une circulation des savoirs et des expériences, cette pédagogie restaure non seulement les patients et personnes accompagnées dans une pleine position de partie prenante, avec l’estime de soi qui accompagne cette position plus active, mais elle suppose et conforte également celle des professionnels et des étudiants. Autrement dit, la nouvelle position confiée aux patients et personnes accompagnées au nom de leur expérience s’accompagne de la légitimation des expériences de tous : leur savoir expérientiel n’est pas en concurrence, mais en complémentarité des savoirs des professionnels et des étudiants. Dès lors, notre finalité est bien non seulement l’amélioration d’un système et le rééquilibrage des postures au sein de ce système, mais beaucoup plus fondamentalement, la promotion d’une certaine manière de vivre et coopérer en démocratie, par l’enrichissement mutuel de toutes les expériences singulières des citoyens qui peuvent et devraient être tour à tour contributeurs et récepteurs des sagesses issues de l’expérience d’autrui, ainsi que des communautés auxquelles ils appartiennent. En ce sens, nous nous sentons pleinement en résonance avec la conception de la spécificité démocratique, et du travail auquel elle appelle ses parties prenantes, que défendait John Dewey : « La tâche de la démocratie reste celle de la création d’une expérience plus libre et plus humaine partagée par tous et à laquelle chacun contribue [7]. »
22 Associons nos savoirs
23 Pour l’intégration des patients et personnes accompagnées
24 dans la formation initiale et continue des professionnels
25 de la santé et du social
26 Préambule
Les pratiques professionnelles de l’action sociale et de la santé doivent mieux répondre aux attentes de la société du xxie siècle : participation, reconnaissance, prise en compte des personnes. Pour cela, un levier est essentiel : l’expertise des personnes concernées par les soins et les accompagnements sociaux doit être intégrée à la formation initiale et continue.
Issu d’un travail collectif international de plusieurs années, « Associons nos savoirs » mobilise à la fois les secteurs de la santé et de l’accompagnement social. Il fait suite à la Déclaration de Vancouver de 2015, qui posait les bases d’une participation citoyenne à la formation professionnelle, mais avec une orientation surtout sanitaire.
« Associons nos savoirs » adopte une approche volontairement transversale, au-delà des métiers et des repères règlementaires habituels. C’est à un progrès démocratique à part entière qu’il espère contribuer, dans le sens de plus de fraternité et de plus de solidarité.
Nous, parties prenantes des soins et des accompagnements au titre de l’action sociale et de la santé, constatons :
Que la participation des personnes concernées à la formation initiale et continue améliore la qualité et l’efficacité des soins et des accompagnements.
Que ceci a été montré par des travaux de recherche internationaux. Cette participation, en donnant aux professionnels accès aux savoirs et aux réalités vécues par les personnes, développe leur capacité d’attention à autrui, favorise les processus de décision partagée concernant les soins et les accompagnements, tout en contribuant au pouvoir d’agir et à la dignité des personnes.
Que les pays où cette participation se développe bénéficient de politiques publiques clairement affichées, avec des moyens effectifs de mise en œuvre.
Qu’en dépit d’un cadre législatif et réglementaire destiné à favoriser, en France, la participation des personnes aux dispositifs de soins et d’accompagnement social, un réel décalage demeure entre intentions et discours officiels d’une part, pratiques réelles d’autre part. En outre, ces dispositions concernent trop peu les processus de formation initiale et continue, pour lesquels une révolution culturelle reste à faire.
Que l’une des raisons de cette situation est notre difficulté à ce que des initiatives dont la valeur ajoutée a été démontrée soient valorisées, reconnues, généralisées.
Conscients que des résistances persistent, mais convaincus qu’elles peuvent et doivent être surmontées, nous souhaitons :
1) Affirmer notre conviction que l’accompagnement social et le soin ne peuvent se construire sans tenir compte du vécu et du retour d’expérience des personnes qui en bénéficient. À ce titre, la participation de ces personnes est indissociable du travail social comme du soin,
2) Permettre aux professionnels de l’accompagnement et du soin, grâce à cette participation, de renforcer et de renouveler le sens de leur métier et de leur engagement,
3) Promouvoir la place des patients et des personnes accompagnées dans la formation, en s’appuyant sur leurs capacités et ressources propres, et sur celles des communautés auxquelles ils appartiennent (familles et proches, associations, mouvements, quartiers, territoires…),
4) Reconnaître la légitimité de leur contribution à toutes les étapes du processus de formation : construction des référentiels de compétences des professionnels, élaboration des référentiels de formation, conception des programmes, animation et évaluation des actions pédagogiques,
5) Faire partager la conviction que leur contribution aux dispositifs de formation permet l’émergence d’une relation renouvelée, plus équilibrée et donc plus féconde pour les personnes et les professionnels comme pour les communautés,
6) Affirmer que leur implication est bénéfique pour l’amélioration des postures et des pratiques professionnelles,
7) Soutenir le développement de la participation des personnes accompagnées et des patients à la formation parce qu’elle est aussi une opportunité pour eux d’acquérir de nouvelles compétences, de trouver une légitime reconnaissance et en conséquence, de développer un pouvoir d’agir plus important, à la fois pour eux-mêmes et pour leur environnement.
Un accompagnement de toutes les parties prenantes sera nécessaire pour réussir cette mutation culturelle exigeante pour les personnes, les organisations et la Cité.
Notes
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[1]
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_democratie_sanitaire.pdf
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[2]
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/CAB_COM_RAPPORT_COMPLET_Merci_non_usagers.pdf
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[3]
En 2019, les membres du comité de pilotage sont : Samira Bekhti (cabinet Oratorio), François Blot (réanimation, Institut Gustave-Roussy), Marie-Pierre Bougenot (apf France handicap), Agnès Brousse (unaf), Nicolas Brun (unaf), Alice Casagrande (fehap), Catherine Cerisey (patiente enseignante), Marie Citrini (patiente enseignante), Marina Drobi (Comité interministériel du handicap), Jean-Christophe Guillemin (étudiant en soins infirmiers), Matthieu Elgard (formateur), Véronique Ghadi (has), Clotilde Girier (formatrice), Olivia Gross (université Paris 13), Marcel Jaeger (Cnam), Emmanuelle Jouet (laboratoire de recherche de Maison Blanche), Carole Le Floch (élue au conseil régional des personnes accueillies/accompagnées d’Ile-de-France), Isabelle Monnot (ifsi Montceau), Paul Morin (université de Sherbrooke), Michel Naiditch (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), Nadine Sguerzi (Institut de formation fondation Œuvres de la Croix-Saint-Simon), Muriel Varenne (care conseil), Chantal de Singly (ancienne dg ars), Raymond Merle (patient expert).
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[4]
cofor, Marseille.
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[5]
Le texte français de la Déclaration de Vancouver est disponible en ligne sur le site www.associonsnossavoirs.fehap.fr
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[6]
Ressources et références issues de la recherche disponibles sur www.associonsnossavoirs.fehap.fr
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[7]
John Dewey, « Une démocratie créatrice : la tâche qui nous attend », dans Écrits politiques, Paris, Gallimard 2018, p. 431.