Couverture de VSOC_161

Article de revue

Le Plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale

Pages 17 à 23

1Arrivé à la tête du premier gouvernement du président Hollande, le nouveau Premier ministre Jean Marc Ayrault a lancé l’idée d’une conférence sociale annuelle avec les partenaires sociaux. Alors syndicaliste, avec les associations du réseau Alerte j’ai proposé que les thèmes de cette conférence sociale englobent le sujet de la pauvreté et des travailleurs pauvres et que les associations qui agissent auprès de ces personnes y soient conviées. Cette proposition, pourtant logique au regard de l’intitulé social de la conférence, ayant reçu l’appui de peu de syndicats, de salariés comme patronaux, le Premier ministre s’engagea alors pour une conférence spécifique sur le sujet de la pauvreté et de l’inclusion sociale. Je fais ce rappel « historique » en introduction pour souligner la segmentation des politiques dans le domaine social et le repli des acteurs sociaux incapables de penser au-delà de l’intérêt de leurs seuls mandants, fussent-ils quand même travailleurs mais pauvres ! Tout au long du travail que j’ai produit sur ce sujet depuis deux ans, je n’ai cessé de me confronter à cette segmentation des interventions, acteurs sociaux, institutions publiques, associations diverses, professionnels, etc. Provoquant souvent des difficultés indépassables pour les personnes bénéficiaires de ces politiques.

2La conférence promise s’est tenue en décembre 2012 à la suite d’un travail de préparation collectif à partir des travaux de sept groupes regroupant toutes les parties prenantes du sujet, y compris les personnes bénéficiaires, qui ont produit sept rapports thématiques. Ces rapports, tous signés des animateurs des groupes, eux-mêmes personnalités reconnues sur leur sujet, ont servi de bases pour les ateliers de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui ont regroupé les acteurs des politiques sociales au sens large cette fois-ci, associations, partenaires sociaux, collectivités locales… Et c’est à partir de cette démarche très participative qu’est né le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.

3Je ne peux dans cet article décrire dans le détail le contenu de ce plan qui comportait au départ une soixantaine de mesures réparties dans les sept thèmes des rapports initiaux (accès aux droits, emploi, hébergement-logement, santé, enfance-famille, inclusion bancaire, gouvernance) et qui s’enrichit chaque année de nouvelles actions, et j’essaierai modestement d’en souligner quelques points forts – mais aussi faibles – et quelques leçons que je tire de ces trois premières années de mise en œuvre.

4Tout d’abord, les quatre points du plan que je considère comme forts ou originaux pour ce type de politique publique.

5Le premier est le choix de ne pas faire une loi spécifique mais vraiment un plan d’action complet, systémique, croisant des politiques trop souvent déployées sans lien ni coordination entre les acteurs qui eux aussi ne se rencontrent pas souvent. Les deux précédents plans sur ces sujets, sous les gouvernements Jospin et Raffarin, avaient fait l’objet de lois, très centrées sur le social et mettant en place des politiques venant d’en haut – le législateur –, imposées à l’échelon local pour leur mise en place. Cette fois, le choix fut fait de mettre sur pied des actions le plus souvent à visées territoriales (mise à part l’évolution des minima sociaux) envisageant tous les aspects de la vie des personnes concernées et permettant d’agir globalement pour résoudre leurs problèmes multiples, quel que soit leur « statut » (âge, sexe, handicap…). Cela n’a pas empêché le législateur de reprendre nombre de sujets dans divers projets de lois thématiques ou budgétaires (lois bancaires, logement, emploi, santé…).

6La deuxième originalité était son mode d’évaluation. La préparation du plan étant assez participative, il était nécessaire de donner des gages de bonne mise en œuvre de celui-ci, en particulier pour le monde associatif qui souhaitait en faire le suivi à partir de données les plus objectives possibles. C’est ainsi que le Premier ministre a confié à l’Inspection générale des affaires sociales (igas), en ma personne, le soin de réaliser une évaluation annuelle à partir des observations que je pouvais faire sur la mise en œuvre concrète du plan mais aussi à partir d’indicateurs d’impact que j’ai mis en place avec la dress (service des études statistiques du ministère des Affaires sociales). Deux rapports ont ainsi été remis au Premier ministre (janvier 2014 et 2015, consultables sur le site de l’igas) et rendus publics après discussion avec les différents acteurs (produisant eux-mêmes leur rapport comme le réseau Alerte) et le Comité national de lutte contre l’exclusion (cnle). Il s’agissait d’une autre façon de poursuivre la démarche participative. Ces rapports ont permis, au-delà du débat nécessaire sur la mise en œuvre du plan, de le compléter sur certains points : par exemple à travers des mesures supplémentaires en direction des enfants pauvres ou de leur famille, mais aussi d’accélérer la mise en œuvre de certaines mesures comme la garantie jeune ou de s’interroger sur l’accompagnement des personnes devant la complexité de notre système social, avec la notion de parcours et de professionnel référent.

7Dans le cadre de cette démarche ouverte et collective, le gouvernement a souhaité impliquer à tous les niveaux de concertation de la mise en œuvre des représentants des personnes en situation de pauvreté ou accueillies dans des lieux d’hébergement. Ce principe de bon sens n’est pas forcément simple dans les faits et ne constitue pas une évidence dans un pays plus adepte de démocratie représentative que de formes plus directes de démocratie ! Mais qui représente les personnes pauvres ? Les syndicats ? Nous avons vu que ce n’est que trop rarement leur préoccupation. Les associations ? Aider, s’occuper de, soutenir, ne donne pas pouvoir de parler à la place de ! Il fallait donc trouver des moyens de permettre ce type de représentation. Tout d’abord, l’expérience du septième collège (représentants des personnes en situation de pauvreté) du cnle a été prolongée puis pérennisée. Ensuite, dans chaque région, des élections ont lieu pour désigner les représentants des personnes accueillies dans les Comités consultatifs des personnes accueillies (ccpa) en région et à l’échelon national. Cette démarche, plutôt bien respectée lors de la mise en place du plan, de son évaluation mais aussi des États généraux du travail social (egts), est prometteuse mais nécessite d’être approfondie, respectée et élargie aux différents lieux de concertation nationaux comme locaux, et parfois dans les institutions, ce qui n’est pas encore une culture totalement partagée dans le milieu de l’action sociale.

8Enfin, le gouvernement ne pouvait mettre en place une telle politique sans s’interroger sur la gouvernance de celle-ci. Derrière ce mot de gouvernance se cachent bien sûr le rôle et les missions des différents niveaux de l’organisation de l’action publique (État et collectivités locales) qui ont fait l’objet d’un rapport spécifique lors de la préparation de la conférence, mais aussi l’évolution des professions du social dont la formation et les conditions d’exercice ont été peu interrogées ces dernières décennies. Le lien avec le plan n’était pas évident au départ ni même compris par tout le monde. Pourtant, au-delà du fait que cet exercice n’avait pas eu lieu depuis longtemps, il me semble qu’il est difficile d’imaginer l’évolution des politiques publiques sans s’interroger dans le même temps sur celle des professions : formation, coordination, exercice, rémunération… Faute de l’avoir fait plus tôt, nous avons assisté à la parution, dans le champ du social, de nouvelles certifications quand ce n’était pas de nouveaux métiers inventés, soit par inadaptation des certifications existantes aux nouvelles situations sociales, soit par méfiance voire hostilité des décideurs locaux à l’égard des professionnels traditionnels. Cette situation devenant dangereuse pour l’avenir de certaines professions, mais encore – plus grave et inquiétant – pour les personnes concernées par le travail de ces professionnels, il était urgent d’initier cette confrontation entre tous les acteurs du secteur social : élus, employeurs, professionnels, mais également « usagers ».

9Mais ce plan comporte aussi selon moi quelques points faibles, au-delà du fait qu’un plan de ce type ne peut à lui seul résoudre le problème de la pauvreté de près d’une personne sur cinq dans un pays comme le nôtre, l’évolution de la pauvreté étant directement liée à la situation économique nationale et même internationale. Le flou sur les moyens budgétaires mobilisés pour sa mise en œuvre non seulement rend parfois difficiles le suivi du plan et son évaluation, mais crée également de la suspicion et du doute sur la volonté réelle des politiques de le mettre en œuvre. Au bout du compte, près de trois milliards d’euros seront certainement mobilisés pour cette politique, ce qui n’est pas négligeable, surtout dans une période de restriction des moyens financiers. Ne pas faire la clarté sur le coût des politiques publiques (et pour la pauvreté, ce plan n’est qu’une partie minime des dépenses publiques financées par l’État comme par les collectivités locales, municipales et départementales) crée malheureusement des frustrations dans une partie de la population qui a un sentiment d’abandon. En outre, cela fausse le débat démocratique dans une période ou la tentation de la manipulation par les extrêmes est forte !

10Deuxième sujet de faiblesse – symptomatique d’un mal français de longue date –, celui de la coordination des acteurs ministériels, institutionnels (l’État et les différents niveaux de collectivités), professionnels quand ce n’est pas associatifs. Le niveau ministériel d’une part ; quand un plan de ce type concerne l’action de plus de dix ministères, qui n’en font parfois pas leur priorité, les arbitrages sont lents et la visibilité des actions se perd là aussi. Ensuite, comme j’ai pu m’en rendre compte lors des trente rencontres en région que j’ai animées la première année, la mise en place de ce type de plan au niveau territorial relève parfois de l’exploit si l’on veut respecter les prérogatives de chaque niveau de compétence (État, départements, communes…). Je crains que la nouvelle organisation territoriale prévue par la loi notre ne règle pas le problème. Pourtant, lors des rencontres déjà citées, les acteurs de terrain (professionnels, associatifs mais aussi souvent politiques) ont exprimé vivement le souhait d’une clarification des responsabilités des uns et des autres, allant dans le sens d’une identification plus forte de la structure « cheffe de file » de l’action sociale, comme le préconisaient Michel Dinet et Michel Thierry dans leur rapport à la conférence sur ce sujet au bénéfice des départements. Si l’on ajoute à cette confusion les rôles parfois mal définis des différents professionnels et la « concurrence amicale » que se livre de temps en temps le monde associatif, on comprend aussi pourquoi les personnes bénéficiaires de ces politiques rencontrent des difficultés dans l’accès à leurs droits. Il n’y a donc pas que les dispositifs sociaux qui sont complexes d’accès !

11Il est difficile, en conclusion de cet article, de dresser un bilan exhaustif et définitif de ce plan. Non seulement parce qu’il n’est pas encore arrivé à son terme, mais aussi parce que les indicateurs d’impact que nous avons mis en place pour mesurer les effets concrets pour la population des différentes actions n’ont pas encore été publiés. Ils le seront en grande partie dans le troisième rapport annuel de l’igas sur le plan. Mais je peux dire que le gouvernement a globalement respecté ses engagements, avec cependant un retard certain dans la construction des logements sociaux et très sociaux. Un autre bémol concerne la situation économique : l’augmentation du chômage, particulièrement celui de longue durée, la précarisation de certains emplois ne sont pas de bon augure pour la situation des personnes pauvres.

12Beaucoup de travail reste à faire, notamment en matière de simplification de certains droits sociaux, comme le faisait justement remarquer dernièrement la Cour des comptes à propos du nombre trop élevé de minima sociaux, ce qui complique à la fois l’accès à ces droits et l’action des travailleurs sociaux. Le dossier unique promis dans le plan est impossible à mettre en place compte tenu de la difficulté de l’opération, d’où son remplacement par un simulateur de droits. Ce sont une nouvelle fois les bénéficiaires qui font les frais de cette incapacité à simplifier, et les taux de recours à certaines prestations frisent parfois le ridicule ! Le « juste droit », une des valeurs inscrites dans ce plan, doit être un droit accessible. Souhaitons que les personnes en situation de bénéficier de ces mesures, à qui l’on doit donner de nouvelles possibilités de s’exprimer sur ces politiques, seront suffisamment écoutées pour leur faciliter la tâche, même si elles nous bousculent nous aussi, professionnels, parfois drapés dans nos certitudes.


Mots-clés éditeurs : pauvreté, évaluation, plan, personnes accompagnées

Date de mise en ligne : 24/03/2016

https://doi.org/10.3917/vsoc.161.0017

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