Vie sociale 2011/2 N° 2

Couverture de VSOC_112

Article de revue

Pour mieux vivre ensemble

Pages 167 à 169

1La crise sociale sans précédent que nous traversons jette une lumière crue sur l’aggravation de la relégation sociale d’une partie croissante de la population, sur le fossé qui se creuse, chaque jour plus infranchissable, entre le monde des inclus et celui des exclus. Ceux qui y sont assignés se trouvent non seulement dans l’incapacité d’accéder aux biens et services de l’espace public mais, plus gravement encore, dans l’incapacité de faire valoir leur droit d’y accéder.

2Ceux qui se battent à leurs côtés, élus locaux, agents des services publics, associations, manquent de soutien et de reconnaissance de leur travail. Les habitants des quartiers se sentent ainsi délaissés, hors du champ de la représentation, invisibles, mis « hors jeu » de la vie publique, de la citoyenneté. Pas étonnant qu’ils ne croient plus à la capacité des politiques de changer leur situation.

3Le développement de la défiance, de la précarité, des inégalités sociales et territoriales au sein des villes et des territoires, conjugué au discrédit grandissant du politique et à un affaiblissement de la démocratie devient un « cocktail détonnant ».

4Pourtant, malgré le cumul des difficultés, ces quartiers possèdent une richesse humaine et une créativité sociale considérables. Leurs habitants y déploient nombre d’actes de solidarité, d’initiatives civiques et économiques, méconnues et laissées en friches par les politiques publiques.

5Nous partageons la conviction que les politiques publiques mises en œuvre dans les villes et territoires font fausse route sur des points essentiels :

  • elles laissent en friche les capacités d’expression, d’initiatives et d’action des habitants ;
  • elles les considèrent comme des problèmes, rarement comme des ressources et se privent de leur créativité et de leur capacité d’action ;
  • elles individualisent les approches, misent sur le mérite individuel et la compétition et se privent de plus en plus du ressort collectif et des apports de la coopération et de la solidarité ;
  • parce qu’elles nient très souvent l’existence d’une pluralité de savoirs propres aux identités collectives et individuelles, aux communautés de vie, aux appartenances culturelles, aux croyances philosophiques et religieuses, elles ne favorisent pas la rencontre, le dialogue et la recherche du bien commun.
Nous devons franchir un pas que la France n’a jamais osé franchir, celui de l’empowerment : ouvrir aux habitants de ces quartiers l’accès à la capacité politique pour qu’ils soient les auteurs de la définition de leurs besoins et les coproducteurs des réponses à y apporter pour le développement social de leur territoire. Ne pas les enfermer dans un statut de consommateurs passifs des politiques publiques mais les reconnaître comme citoyens actifs capables de prendre collectivement en main leur propre développement et celui de leur environnement, de porter eux-mêmes leur parole et de conduire leurs projets. Compter sur leurs engagements, leurs convictions, leurs compétences. Bref appuyer cette reconquête de leur dignité civique, de leur pleine citoyenneté, et leur en donner les moyens.

6Notre époque ne peut plus se satisfaire de mesures visant à acheter à la marge la paix sociale. C’est notre culture politique qu’il faut faire évoluer et transformer.

7Les citoyens ne sont pas seulement des habitants, clients ou bénéficiaires. Ils sont aussi acteurs. De très nombreuses expériences de terrain démontrent que faire place au pouvoir d’agir des citoyens leur permet de se mobiliser et de se former, de transformer la vie et de rendre les politiques publiques et les services publics plus efficaces.

8Lorsque l’action publique associe les citoyens à son élaboration, à sa mise en œuvre et à son évaluation, elle gagne en pertinence, efficacité et durabilité. C’est un multiplicateur d’investissements publics et privés qui génère des dynamiques de développement pour les personnes, les communautés de vie et les territoires. Mais pour cela, il faut y croire et avoir confiance.

9Nous avons tous besoin d’une véritable révolution de nos mentalités. Il est temps pour notre pays de rompre avec des décennies de déconsidération et de crainte des citoyens, des communautés de vie et de la société civile.

10Il est temps de considérer les citoyens pour ce qu’ils sont : des personnes et des groupes doués de réflexion, capables d’inventer, d’être responsables et solidaires, de décider, d’agir ensemble pour faire vivre les valeurs de la République. Il est urgent de soigner notre vieille démocratie.

11L’abstention, les émeutes et révoltes sporadiques, les logiques de ghetto de riches ou de pauvres, le recul des démarches participatives, les replis communautaristes de toutes classes sociales ou toutes origines culturelles, tirent la sonnette d’alarme. La crise économique et écologique et ses conséquences sociales ont achevé de rendre la situation particulièrement inquiétante.

12Les cadres institutionnels sont devenus obsolètes à mesure que s’est développé le potentiel de la société civile. Notre démocratie souffre d’une crise profonde de la délégation du pouvoir : tous les représentants, qu’ils soient politiques, associatifs ou syndicaux, y sont confrontés.

13Si les citoyens ne participent pas ou peu aux affaires publiques, ce n’est pas parce qu’ils s’en désintéressent, mais parce qu’ils n’ont pas, dans les espaces qu’on leur propose, de réel pouvoir sur les questions qui les concernent. On leur dénie la capacité d’agir et de participer à la décision pour le bien commun.

14La démocratie n’est pas seulement un mode de désignation des représentants du peuple, c’est d’abord la manière de vivre ensemble, de décider des affaires communes et de les mettre en œuvre.


Date de mise en ligne : 04/10/2013

https://doi.org/10.3917/vsoc.112.0167

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions