Notes
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Paulette Bensadon, éducatrice spécialisée, est auteur d’un ouvrage et d’articles sur l’écriture professionnelle. Ses recherches en cours s’attachent aux questions du processus de transmission des pratiques professionnelles. Elle exerce actuellement en tant que chargée de mission au ministère du Travail, de la Solidarité, de la Famille et de la Ville.
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Sigmund FREUD, in L’inquiétante étrangeté, traduit de l’allemand par Bertrand Féron, Paris, Gallimard, 1985, p. 317-328.
1Pour commencer, j’ai bien envie de raconter quelques histoires. Pour la circonstance, ce seront des histoires glanées par-ci par-là, empruntées pour la plupart au répertoire de la culture juive, dont leur humour tant réputé montre une autodérision sur eux-mêmes et sur le monde.
« Un juif capable d’empêcher un autre juif de raconter une blague est un héros ».
« Comment les juifs ont appris l’art de l’interprétation. Deux juifs se rencontrent sur le quai d’une gare :
– Où vas-tu ?
– Je vais à Cracovie.
– Tu me dis que tu vas à Cracovie, pour que je crois que tu vas à Lodz, alors que je sais que tu vas à Cracovie. Alors, pourquoi mens-tu ? »
« Un psychiatre est un médecin juif qui hait la vue du sang ! ».
« Un couple de vieux juifs âgés de quatre-vingt-dix ans, va trouver le rabbin pour obtenir le divorce. Le rabbin leur demande depuis combien de temps ils se sont rendus compte qu’ils ne s’accordent pas. "Soixante-cinq ans", répondent-ils. "Alors pourquoi, s’étonne le rabbin, avoir mis si longtemps à venir ?" "Nous avons attendu que les enfants soient morts", expliquent-ils. ».
« Il faut faire une dissertation sur les éléphants et chacun réagit selon son génie propre :
Le Français – La vie amoureuse des éléphants.
L’Américain – Les éléphants et la richesse des nations
L’Allemand – La philosophie des éléphants
Le juif – Les éléphants et la question juive. »
« Deux plaideurs devant le rabbi défendent leur point de vue.
Après que le premier ait parlé, le rabbi lui dit :
– "Tu as raison".
Après que le second se soit exprimé, le rabbi lui dit :
– "Tu as raison".
Un des élèves du rabbi s’exclame :
– "Rabbi, il n’est pas possible que les deux aient raison".
Alors le Rabbi de lui répondre après un moment de réflexion :
– "C’est vrai, toi aussi tu as raison".
À l’origine, les humeurs
9Le mot « humour » dans sa définition viendrait de l’anglais humor, lui-même emprunté au français humeur. Et c’est l’humeur, du latin humor (liquide), qui désignait initialement les fluides corporels (sang, bile, morve, sueur…) dont on pensait qu’ils influaient sur le comportement.
10Nous voilà donc otage de nos liquidités ; pourtant depuis l’antiquité c’est bien une fonction cathartique qui est attribuée à l’humour restant une forme d’esprit railleuse, s’attachant à souligner le caractère comique, ridicule absurde ou insolite de certains aspects de la réalité.
Au théâtre, une mise en jeu
11Je soulignerai mon propos par cette citation d’Eugène Ionesco dans Notes et contre-notes, publié en 1962 :
« L’humour est l’unique possibilité que nous ayons de nous détacher (…) de notre condition humaine comico-tragique, du malaise de l’existence ».
13Au-delà du ridicule des situations les plus banales, le théâtre de l’absurde représente, de façon palpable et quasi organique, la solitude de l’homme et l’insignifiance de son existence. Plus encore que l’absurde, c’est l’insolite de ces théâtralités qui offrent son caractère d’effroi, de fascination et d’émerveillement à l’étrangeté du monde.
14Commencer par le théâtre, c’est tâcher de mettre en scène les dimensions tragi-comiques de l’homme, ce sujet divisé en quête de perpétuelles vérités.
15L’homme toujours infatigable plaideur que toute sa vie durant il reviendra sur L’insoutenable inexistence et légèreté de son être ; Milan Kundera nous ayant offert à ce propos un magistral éclat : « est-ce que tu m’aimes ? Pour qui je compte véritablement ? Quelle place j’occupe dans tout çà ? Vas-tu me laisser choir en m’abandonnant à l’âge de mon archaïcité…. »
16Au théâtre encore, Samuel Beckett ne souffre pas de la condition politique et sociale mais bien de notre condition existentielle, de la situation métaphysique de l’homme. Toute l’œuvre de Beckett est agonie, gémissement, image d’impuissance de l’homme ; c’est aussi notre propre refus d’assumer la création de notre état ; c’est ce qui en partie explique son pessimisme. Ne croyant ni en Dieu ni en l’Homme, c’est en esclave d’une condition humaine énigmatique et sans aucun sens que sa recherche et sa quête deviennent prodigieusement lucides et acides. Riant d’une situation mystérieuse, c’est bien notre paralysie face à l’horreur et l’effroi qu’il est nécessaire de prendre en compte.
17Et l’humour viendrait comme une catharsis sauver du désastre les restes de notre insensée et fragile existence. Trois fois rien, en somme, dans l’immensité du naufrage et de la démesure universelle.
Sur l’autre scène
18En 1905, Freud consacre les toutes dernières pages du Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, le mettant dans la catégorie des « processus de défense », dont la forme la moins efficace est le « refoulement raté, mécanisme efficient de la naissance des psychonévroses ».
19L’humour en revanche peut être conçu comme la plus haute de ces réalisations de défense, puisqu’il n’a à aucun moment recours à l’inconscient ; en effet le mot d’humour est formulé au niveau préconscient.
20Mais c’est plus tard, en 1927, que Freud revient sur la question dans son article intitulé : « L’humour » [1] ; son discours allant toujours dans le sens d’une valorisation, il nous dit :
« … L’humour a une dignité que n’a pas le mot d’esprit, parce qu’il est un mécanisme de défense contre la souffrance ; l’aptitude humoristique est un don précieux et rare ».
« … Il serait temps, nous dit encore Freud, de nous familiariser avec certaines caractéristiques de l’humour. L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, analogue en cela à l’esprit et au comique, mais encore quelque chose de sublime et d’élevé, traits qui ne se retrouvent pas dans deux ordres d’acquisition du plaisir par une activité intellectuelle ».
23L’humour serait peut-être donc cette façon digne et majestueuse de tordre le cou une bonne fois pour toutes à notre finitude et notre mort.
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Paulette Bensadon, éducatrice spécialisée, est auteur d’un ouvrage et d’articles sur l’écriture professionnelle. Ses recherches en cours s’attachent aux questions du processus de transmission des pratiques professionnelles. Elle exerce actuellement en tant que chargée de mission au ministère du Travail, de la Solidarité, de la Famille et de la Ville.
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[1]
Sigmund FREUD, in L’inquiétante étrangeté, traduit de l’allemand par Bertrand Féron, Paris, Gallimard, 1985, p. 317-328.