1La mise en mouvement des individus, leur projection dans l’action sociale et collective (quand elle a lieu) se fait le plus souvent à partir d’événements extérieurs qui provoquent chez eux une forte résonnance.
2Ces événement peuvent être heureux, ils ouvrent des perspectives, stimulent, entraînent des modifications des trajectoires personnelles envisagées. Ils peuvent aussi heurter en profondeur, déclencher un front du refus et transformer les conduites et comportements.
Quand tout commence
3L’année 2005 a connu deux temps sociaux qui ont compté. Le premier a vu concrètement, dans de nombreux lieux, des milliers de personnes sortir de leur quotidien, mettre en question leur quant à soi basé sur « le narcissisme des petites différences [1] », pour aller à la rencontre des autres (« la rencontre : c’est la culture », disait Paul Langevin). Ils refusaient le projet Traité constitutionnel européen qu’ils jugeaient inapproprié, en analysaient les dangers, mais voulaient aussi proposer une alternative élaborée par le plus grand nombre, pour construire leur avenir. Un processus démocratique exceptionnel voyait le jour dans lequel nombre d’acteurs, professionnels de l’éducation populaire se retrouvaient comme poissons dans l’eau.
4Le second temps, quelques mois plus tard – les émeutes de jeunes en banlieue parisienne – avait, lui aussi, un effet de type catharsis. « Ce n’est plus possible de poursuivre ainsi le sort fait à notre jeunesse, ça suffit comme ça. Les carences de l’éducation populaire sont insupportables. Il faut réagir, ne pas accepter, agir et penser autrement », était-il avancé.
5Cette double impulsion s’est traduite ici et là, par des créations sociales : multiplication des Universités populaires en France (y compris à Montpellier), créations de groupes de réflexion, collectif de l’Offre civile de réflexion (OCR) sur l’éducation populaire et la transformation sociale à Paris.
6Ce fut en Languedoc-Roussillon la rencontre de quelques citoyens engagés initialement dans les mouvements d’éducation populaire. Ils ont commencé à travailler sur une problématique à la fois de critique de l’existant des grandes associations populaires, trop souvent instrumentalisées, avec le désir d’inscrire l’éducation populaire dans un mouvement politique qui modifie les rapports sociaux de domination et d’exclusion.
7Ainsi est né le Collectif éducation populaire et transformation sociale (CEPTS).
Une construction collective
8Une première réunion a eu lieu en juillet 2006 dans le Gard à Vauvert. Elle rassemblait des acteurs sociaux, professionnels ou non, dans les secteurs de la prévention, de la jeunesse, élus locaux, anciens responsables associatifs. Vivant en milieu urbain ou rural, ils avaient pour objectif de développer une réflexion actualisée et prospective, autour des problématiques de la jeunesse et de la « culture populaire ».
9Ce groupe de réflexion initié à Vauvert (juillet 2006) se retrouve au cours de l’hiver 2006/2007 en petit effectif et travaille à partir de trois axes qui sont pour lui d’une urgence certaine : la question de la gratuité, celle de la jeunesse et celle des territoires. Une éducation populaire repensée et actualisée doit mettre en débat, en recherche et en perspective concrète, ces problèmes essentiels si l’on veut modifier en profondeur l’existant. Ceci se traduit par l’élaboration d’un document qui précise les intentions du groupe, les axes de réflexion et d’action à retenir. Il a pour objectif à la fois de rassembler celles et ceux qui s’y reconnaissent et d’interpeller les pouvoirs publics.
Des rencontres extérieures
10L’envoi de cette plaquette aux candidats à l’élection présidentielle et aux législatives (mai et juin 2007) et l’analyse des retours nous ont permis de repérer l’ambiguïté du terme « éducation populaire », terme polysémique pouvant recouvrir :
- des publics cibles (petite enfance, personnes âgées, parents…) ;
- les associations en référence au travail d’éducation de l’école, avec leurs finalités et leurs pratiques ;
- un chantier qui s’appuie sur la culture et l’information pour construire une société démocratique ;
- des valeurs non identifiées.
11Le mot populaire a, quant à lui, plusieurs acceptions. « Le mot peuple désignant tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés [2]. »
12Si le concept n’indique pas clairement ce qu’éducation populaire veut dire, il semble qu’il y ait pourtant accord pour dire qu’elle doit être faite pour tous et par tous.
13Durant l’année 2008, à l’occasion des élections municipales à Montpellier et Nîmes, nous sommes entrés en contact avec les différentes listes pour les interroger sur la place qu’ils envisageaient de donner dans l’action aux trois chantiers que nous avions retenus : une pratique repensée de la gratuité, une autre politique de la jeunesse et une éradication des ségrégations territoriales. Durant ces rencontres échanges à Montpellier et Nîmes, nous avons pu vérifier que nos préoccupations, notre volonté de transformer le réel intéressaient nos interlocuteurs politiques et associatifs pour qui nous apparaissions comme pouvant jouer le rôle d’un groupe d’étude et d’appui dans les trois directions que nous avions privilégiées.
14Les contacts pris au cours de l’année 2007/2008 nous engagent à aller plus avant dans nos réflexions et nos propositions, ainsi que l’expérience de rencontres avec des jeunes lors de la campagne des élections municipales.
15Autour de la problématique de l’engagement, une table ronde a réuni au CREPS de Montpellier une quarantaine de jeunes dont nombre d’entre eux étaient candidats aux élections municipales. Quelques idées-forces sont apparues :
- la nécessité de placer les projets destinés à la jeunesse hors du champ du lucratif ;
- la nécessité d’interroger les dispositifs publics qui prennent modèle sur les pratiques marchandes (appels d’offres par exemple, abandon des gratuités, etc.) ;
- la nécessité que la vie démocratique, la production collective de connaissances et l’élaboration de l’action publique prennent en considération l’existence concrète de la jeunesse et des besoins qu’elle exprime.
Où en sommes-nous ?
16Le groupe « jeunesse » a rencontré des élus, des responsables associatifs et des jeunes, avec un objectif, au second trimestre 2009 : organiser une rencontre-débat sur les politiques publiques en direction de la jeunesse dans l’agglomération de Montpellier.
17Le groupe « gratuité » analyse les expériences de gratuité totale ou partielle existant dans la région dans les secteurs de la culture, du transport, de l’éducation, de l’eau. Il a invité Jean-Louis Sagot-Duvauroux – animateur d’une compagnie théâtrale et philosophe – qui fait de la gratuité un instrument privilégié de faisabilité d’une authentique transformation des rapports sociaux, à venir animer une rencontre publique au CREPS de Montpellier, en mars 2009.
18Le groupe « territoires » s’interroge sur les moyens d’intensifier la lutte contre le processus de disqualification sociale et spatiale des zones sensibles de notre région. Cette question du rééquilibrage des quartiers urbains, du désenclavement du territoire, où se concentrent les inégalités, les humiliations et les souffrances est essentielle.
19Notre Collectif s’est investi dans le cadre de la saison 2008/2009 de l’Université populaire ayant pour thématique globale la question de la démocratie et des rapports de domination. Il a animé sur les thèmes de l’égalité et des jeunesses deux ateliers en janvier et mars 2009.
20Nous éprouvons, par ailleurs, la nécessité d’élargir notre collectif et d’engager des échanges pouvant déboucher sur des initiatives communes ou simplement des compléments de réflexion fructueux (l’altérité est indispensable).
21Des contacts sont en cours avec des élus de la ville de Montpellier sur les thématiques de la jeunesse, de la démocratie participative ; avec « l’Université des Citoyens » qui travaille dans des quartiers sensibles du département; avec le MPEP (Mouvement politique d’éducation populaire) qui s’investit très particulièrement sur la dimension européenne de l’action.
Des références confirmées par la pratique
22Notre collectif CEPTS pense qu’à la marchandisation de la culture de l’éducation et de la santé, il faut répondre par un projet d’émancipation culturelle et éducative ouverte à tous, une pratique repensée de la gratuité, une autre politique de la jeunesse et une éradication des ségrégations territoriales.
23L’éducation populaire doit concourir à la transformation de la société en contribuant à construire des alternatives économiques, sociales et politiques dans lesquelles les individus sont co-auteurs de leur devenir, dans la gestion et l’orientation des services.
24Les valeurs fondamentales de notre collectif sont : l’émancipation, le collectif, la solidarité, la justice et nous pensons – comme le rappellent nos statuts – que notre association a pour mission « de susciter des pratiques de transformation sociale qui visent à lutter contre les inégalités et qui rompent avec le préjugé selon lequel la culture serait l’apanage de certains. »
25L’éducation populaire trouve son énergie dans l’articulation entre l’intelligence individuelle et collective, l’aptitude à développer des compagnonnages actifs et un engagement permanent pour établir des ponts entre les trois champs que sont l’éducatif, le social, le politique. Le « séparatisme » de ces trois champs, trop souvent constaté, dommageable pour l’action, doit être combattu. Il faut lui substituer la recherche et la mise en place de synergies utiles qui pour autant n’ignorent pas la spécificité de chacun. « Distinguer sans disjoindre », aurait dit Edgar Morin.
26C’est – nous semble-t-il – le chemin à suivre, si l’on vise la modification durable et réelle des rapports sociaux et sociétaux.