Vie sociale 2009/2 N° 2

Couverture de VSOC_092

Article de revue

De la nature d'un atelier d'écriture en milieu professionnel

Pages 53 à 58

Notes

  • [*]
    Écrivain et éducateur spécialisé, il intervient depuis 40 ans pour des ateliers d’écriture (primaire, collège, université) et pour des ateliers d’écriture en situation professionnelle (secteur social et médico-social).
  • [1]
    Groupe français d’éducation nouvelle.
  • [2]
    Un livre relate cette expérience : Élisabeth BING.… Et je nageai jusqu’à la page. Paris, Ed.des femmes, 1976, réédité pour la quatrième fois en 2002.
  • [3]
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    Acronyme d’« ouvroir de littérature potentielle ».

1Il est remarquable, aujourd’hui, que – en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique du Nord, etc. – se créent des ateliers d’écriture dans le cadre de médiathèques, de festivals, de manifestations diverses ; et ce, pour des enfants, des amateurs plus ou moins avancés dans l’écriture ou encore, pour les habitants d’un quartier, d’une commune, etc. Nous pourrions dire que pas un événement ne semble aller de soi sans son atelier d’écriture. Je dois aussi mentionner des ateliers d’écriture pour des personnes en maison d’arrêt, en difficultés psychiatriques, ou bien en difficultés sociales. Cette vague qui a pris de l’ampleur mérite que l’on s’y arrête.

Bref historique des ateliers d’écriture

2En France, c’est Anne Roche qui, la première, en 1968, eut l’idée de constituer des ateliers d’écriture sur un modèle proche des pratiques de writing dans les universités américaines. C’est d’ailleurs, avec l’idée qu’un étudiant en lettre avait « sûrement une base cachée sous la table donc pourquoi ne pas lui permettre de la mettre sur la table... », mais cela reste dans un cursus universitaire avec l’ouverture d’un module d’enseignement basé sur la création poétique. Avec cette façon d’envisager l’atelier, nous restons dans une vision du lettré universitaire qui tente de replacer la création, le rapport à l’écriture de l’intime « honteux » au domaine explicite et de le travailler scientifiquement. Cet acte de création d’atelier reste un acte important car il va transformer beaucoup de choses. L’institution, au nom du « Nous-Je » récupère l’écriture singulière. Les ateliers d’écritures sont certainement nés dans cette contradiction : partir de ce qui nous marque (l’écriture de l’école) pour arriver à l’écriture singulière. Nous voyons la difficulté.

3En 1969, Jacqueline Saint-Jean, membre des toutes premières équipes du GFEN [1], met en place des ateliers parce quelle écrit elle-même, ce qui l’amènera, avec Michel Ducom, Pierre Colin et Michel Cosem, à poser la question du pouvoir écrire pour chacun et, par conséquence passer du rapport « Nous-Je » au « Moi-Je écris ». Apparaît alors très vite dans la plupart des ateliers que, si l’on ne se confronte pas à l’écriture, aux rapports qu’il peut y avoir avec l’imaginaire, le symbolique, les grandes traversées de l’imaginaire, on ne peut pas vraiment aider les autres à écrire.

4C’est aussi en 1969 qu’Élisabeth Bing crée un atelier d’écriture dans une école pour enfants « caractériels » de la Drôme [2]. Elle cherchait « à rendre aux enfants le plaisir d’écrire, qui parfois avait été brisé d’un trait d’encre rouge dans une marge, un "mal dit" comme un mal pensé aboutissant le plus souvent à un mal être[3] ». Elle théorisera la démarche des ateliers d’écriture notamment lors du colloque de Cerisy de 1983. Il s’agit d’une démarche créatrice, « littéraire, artistique, qui met en jeu le désir, désir de l’œuvre et du texte, bien loin de tout système, de toute école, fût-elle littéraire, de toute théorie du texte, en cela chacun peut trouver dans l’éventail des possibles sa propre voie, sa propre pente, sa propre voix[4]. »

5Viennent ensuite les ateliers de l’OULIPO [5] avec ses exercices sur la forme.

6Nous pouvons noter que ces différents ateliers d’écriture ne se connaissent pas. Chacun est dans l’élaboration. La mise en place des ateliers – qu’elle soit pédagogique au GFEN, donc analysée, détaillée et visant à la reproduction de l’acte, qu’elle soit chez Élisabeth Bing « l’écriture et le sujet », quelle soit « il faut travailler la forme jusqu’à plus soif » à l’OULIPO – bouscule le milieu littéraire. L’OULIPO se définit d’emblée comme une école littéraire. Élisabeth Bing, à travers le livre qu’elle publie, raconte une expérience d’écriture, donc une traversée d’écrivain ; elle entre dans le domaine littéraire. Le GFEN, lui, est dans le domaine pédagogique. La revue Tel Quel s’émeut de ce qui se passe. La revue ne supporte pas l’OULIPO, elle considère les membres de l’OULIPO comme des bricoleurs. Les articles sont extrêmement durs sur les ateliers d’écriture. Les anathèmes pleuvent contre ces formes d’écriture : « bricolage », « fabrique d’imbécillité ».

7Pour terminer le quatuor, il me faut parler de l’Aleph-Écriture qui a vu le jour en 1985, à l’initiative de trois enseignants de lettres modernes et classiques qui ne se retrouvaient pas dans le métier qu’on leur demandait d’exercer. Ces ateliers veulent renouer les fils qu’ils estiment séparés dans les autres ateliers : la nécessité personnelle et l’innovation formelle, c’est-à-dire l’émotion et la technique.

8À travers cette visite de l’histoire des ateliers d’écriture, nous pouvons comprendre les cheminements d’élaboration de ces ateliers, l’impact sur le milieu littéraire. Une journaliste de Libération, parlant de Bing, du GFEN, d’Aleph, dira que les « voyous » sont en train de prendre place sur le terrain culturel au détriment de la place prise par les anciens. De ces ateliers émergeront des revues littéraires, des écrivains et un métier, celui d’animateur d’atelier d’écriture.

Ateliers d’écriture et modules d’ateliers professionnels

9Nous l’avons dit, toute manifestation a la tendance d’inclure un atelier d’écriture, à cela s’ajoute tous les modules d’atelier créés pour des milieux professionnels variés. De cette foison d’ateliers, nous devons quand même dissocier les ateliers d’écriture des modules créés pour un milieu professionnel. Dans le cadre des ateliers d’écriture, les participants sont volontaires, ils sont dans une démarche plus ou moins conscientisée. Pour les modules d’atelier proposés à la demande d’une institution, d’une entreprise, etc., nous retrouvons des participants qui ont été envoyés par une hiérarchie (que cela soit sous forme d’incitation, ou de décision unilatérale). C’est une différence importante dans l’abord de l’écriture. Celui qui est dans une démarche valorise son désir d’aller plus loin dans son écriture personnelle. Celui qui est là par décision d’un autre, arrive avec son histoire d’échec et de réussite dans les activités d’expression écrite, sa croyance en des capacités moindres, des difficultés qui lui ont été renvoyées dans le cadre du travail.

10Dans un cas, les participants sont prêts à prendre tout exercice proposé, avec l’espoir d’augmenter leur capacité d’exprimer leur pensée à l’écrit ; dans l’autre, les participants sont dans l’attente de ce qui va se passer, une certaine anxiété par rapport à ce qui va leur être demandé. Une autre possibilité du deuxième cas : les participants sont demandeurs d’une aide à réaliser des écrits, ils sont dans une attente technique, non personnelle. Or, que l’on soit là par décision personnelle ou non, ce qui va être mis en mouvement est un enjeu personnel : trouver sa liberté dans le cadre de contraintes prédéfinies par soi ou par quelqu’un d’autre.

11Une autre différence est à considérer : dans le premier cas nous sommes dans une démarche qui prend le temps de la durée ; dans le deuxième cas, il s’agira de quelques jours, de quelques heures sur un nombre de jours déterminés et restreints.

12Quels doivent être ces modules d’écriture proposés dans un cadre institutionnel ? Nous sommes ici dans un champ pédagogique, donc tout ce qui sera proposé est reproductible. Pour commencer, il faut proposer quelque chose de ludique, avec des contraintes prédéterminées, sans jugement de valeur de l’écrit, mais plutôt une réflexion sur la démarche de chacun dans la production de l’écrit, pour rassurer, pour montrer que des potentialités sont là, existent en chacun. Il est important d’analyser le jeu des contraintes (celles qui ont fonctionnées, celles qui sont restées muettes), essayer de déterminer le comment détourner une contrainte, toujours dans l’analyse du vécu de l’écrit. La matière fondamentale des analyses est la production d’écrits. Il s’agit, en fait, de sortir des représentations mythiques que chacun véhicule dans son esprit (« certains sont doués pour cela, moi pas » ; « je ne sais pas comment on fait tel texte, je n’ai pas la technique pour écrire » ; « je suis pauvre en vocabulaire, j’étais mauvais à l’école », etc.), ce qui l’empêche de penser l’acte d’écrire comme étant réellement sien. Prendre la production des écrits dans l’atelier comme matière porteuse d’enseignement, c’est mettre en avant qu’écrire est un acte important, qu’il est le fruit d’un travail d’écriture qui a précédé, qu’il y a une part non conscientisée du savoir qui est pertinente au cours de l’acte.

13Quand cette première partie fonctionne, les participants s’animent, posent des questions, sentent l’écriture les agiter. Alors, toutes les autres questions – telles le destinataire, ce que l’on peut dire et ne pas dire selon l’écrit, le fonctionnement d’un écrit long, l’importance de la pertinence des termes choisis pour exprimer une pensée, la différence entre dire et raconter, la mise en abyme d’un texte, etc. – tout cela sera acquis par les participants car ils seront dans le désir de savoir, de comprendre, de visualiser la finalité d’un écrit.


Date de mise en ligne : 05/10/2013

https://doi.org/10.3917/vsoc.092.0053

Notes

  • [*]
    Écrivain et éducateur spécialisé, il intervient depuis 40 ans pour des ateliers d’écriture (primaire, collège, université) et pour des ateliers d’écriture en situation professionnelle (secteur social et médico-social).
  • [1]
    Groupe français d’éducation nouvelle.
  • [2]
    Un livre relate cette expérience : Élisabeth BING.… Et je nageai jusqu’à la page. Paris, Ed.des femmes, 1976, réédité pour la quatrième fois en 2002.
  • [3]
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    Acronyme d’« ouvroir de littérature potentielle ».

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