Couverture de VSE_201

Article de revue

Notes de lecture

Pages 191 à 200

1 – Daniel BRETONES, Professeur à l’ESCEM

DE QUOI LE CAPITALISME EST-IL LE NOM ? LES MÉTAMORPHOSES DU CAPITALISME, Jean-Jacques Pluchart, Editions Maxima, 2016

1Jean-Jacques Pluchart, Docteur d’Etat en économie, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne (Prism et Labex Refi) nous communique par cet ouvrage sa vision de l’évolution du capitalisme.

2A la frontière de la Philosophie, de la Politique, du Social et de l’Economie, le capitalisme reste l’un des concepts à la fois des plus controversés mais aussi des plus résilients des grands débats contemporains.

3De nombreux courants de pensée « antagonistes ont enrichi et parfois pervertis son sens… » tout en renouvelant les paradigmes dominants. Ces évolutions ont souvent accompagné, voire anticipé sur de puissants mouvements socio-économiques, des crises voire des révolutions.

4Ainsi les métamorphoses du capitalisme ont suivi un long chemin passant de « la démocratie libérale » selon Tocqueville, à « la lutte des classes » selon Marx et Engels, à « l’éthique protestante » de Weber au « capital social », selon Bourdieu à « l’innovation entrepreneuriale » selon Schumpeter, à « la technostructure industrielle » de Galbraith et plus récemment à « la croissance inégalitaire » de Atkinson et Piketty.

5Sans que l’on sache si ces transformations résultent logiquement d’une construction intellectuelle de l’homoeconomicus ou d’un « impensé » dont les dimensions et les perspectives demeurent largement inconnues.

6Il semble toutefois que le capitalisme connaisse plutôt une accélération de son histoire qu’une fin triomphante (Fukuyama, 1992).

7« Le vice inhérent au capitalisme, soulignait Churchill, consiste à une répartition inégale des richesses, mais la vertu inhérente au socialisme est une égale répartition de la misère » aussi n’est-il pas étonnant que la recherche d’un nouveau modèle de société en alternative au capitalisme néolibéral anglo-saxon et aux excès du capitalisme financier continue de faire débat en ce début du XXIème siècle.

8Ainsi la littérature économique foisonne d’articles et d’ouvrages qui s’attachent à dénoncer ces excès et à explorer de nouvelles voies de régulation des marchés et de restauration des valeurs sociales. Ces tentatives s’apparentent plus à des opinions qu’à des recherches scientifiques et à des examens de faits et par trop sur des croyances, des mythes largement soutenus par les médias. On peut regretter par contre qu’elles s’appuient insuffisamment sur les sources même du capitalisme.

9Et c’est précisément le grand mérite de ce nouvel ouvrage du Professeur Pluchart, que de retracer exhaustivement l’évolution des idées, des institutions et des grands systèmes qui fondent les différentes formes du capitalisme : agraire, industriel, financier, entrepreneurial, managérial, salarial, coopératif, social, socio-culturels, post-moderne, c’est-à-dire le capitalisme 3.0.

10Cette réflexion économique et sociale que propose l’auteur renouvelle la perception de l’évolution du monde en restituant les fondements des modèles du capitalisme, en révélant les aspects cachés et en proposant un panorama inattendu des réalités derrière le terme générique de capitalisme.

11L’auteur instille des idées lumineuses et porteuses d’avenir qui émanent de cette étude monumentale et très documentée.

ELON MUSK : TESLA, PAYPAL, SPACE X ? L’ENTREPRENEUR QUI VA CHANGER LE MONDE, Ashley Vance, Eyrolles, 2016

12Le lycéen développeur de vidéos qui impressionnaient les techniciens en Afrique du Sud a poursuivi ses études au Canada à la Queen’s University à Kingston dans l’Ontario. Mais c’est à Penn, l’université de Pennsylvanie, qu’il suit les cours de physique et d’économie qui feront de lui un scientifique capable d’articuler avec brio les théories novatrices sur les super condensateurs et les plans d’affaires.

13La vente de sa première start up ZIP2, qui commercialisait des sites Internet dans la Silicon Valley lui permet de se lancer dans l’aventure des paiements en ligne avec X.com qui fusionnera avec son concurrent Confinity pour devenir PayPal et révolutionner le monde des paiements électroniques.

14C’est le rachat de PayPal par eBay qui procure à Elon Musk les bases financières de ses entreprises futures. Space X deviendra le fabricant de fusées le plus innovant avec la possibilité de récupérer le lanceur après usage ce qui en diminue le coût et oblige Arianespace à modifier la conception de ses lanceurs. Tesla lance des voitures totalement électriques au design original et fabrique des batteries électriques que Solar City, une entreprise partenaire, revend à ses clients. Solar City fournit les panneaux solaires des stations de recharge où les conducteurs de Tesla peuvent s’approvisionner gratuitement. Les nouveaux propriétaires du Model X de Tesla font souvent comme Elon Musk, ils équipent leur maison de panneaux solaires. Parallèlement Tesla et Space X échangent des connaissances sur les matériaux, les techniques de fabrication et le fonctionnement d’usines construites à partir de zéro.

15Ces trois entreprises constituent la théorie du champ unifié de Musk. Ce dernier, propriétaire de Tesla et de Space X est en train de proposer à ses actionnaires l’acquisition de SolarCity pour 2,6 milliards de dollars.

16La maîtrise de ces sociétés contribue à réaliser la vision de Musk qui a 44 ans rêve toujours de changer le monde et de lancer la colonisation de la planète Mars.

17Cet ouvrage décrit le génie tumultueux d’Elon Musk qui est l’heure actuelle un des titans de la Silicon Valley. Il examine ce qui va percuter les modèles industriels actuels et l’originalité des produits proposés par cette nouvelle économie en termes de voitures, de trains et de fusées avec une forte composante d’énergie décarbonnée.

PLATEFORMES : SITES COLLABORATIFS, MARKETPLACES, RÉSEAUX SOCIAUX… COMMENT ILS INFLUENCENT NOS CHOIX ?, Christophe Bénavent, FYP Editions, 2016

18L’auteur est professeur à l’Université Paris-Ouest. Il dirige l’Ecole doctorale « Economie, organisations, société » créée par l’Université Paris-Ouest et l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.

19Il décrit avec brio comment les nouvelles plateformes collaboratives, places de marché, réseaux sociaux font émerger de nouveaux modèles d’organisation. Il analyse la trajectoire de ces plateformes qui sont devenues les nouveaux géants de l’économie et transforment nos sociétés. Christophe Bénavent nous montre comment elles tirent avantage de l’économie de l’information pour réaliser leurs objectifs et disposer de la capacité d’influencer les comportements individuels. Il souligne que dans l’effort raisonné des plateformes pour orienter les conduites des internautes il y a ce qui ne résulte pas d’une intentionnalité précise, et qui échapperait à leurs concepteurs.

20Il s’agit des de la part résiduelle, mais probablement substantielle, des effets sociaux produits par les algorithmes des plateformes. Selon le sociologue Dominique Cardon « la machine inventée par Google est devenue si complexe et si sensible aux tests statistiques qui ne cessent de la reparamétrer, si auto-apprenante que ses comportements ne peuvent plus désormais être compris et interprétés, pas même par ses géniteurs ».

21La loi de l’attachement préférentiel imprime sa marque dans les réseaux. Les nœuds les plus connectés ont plus de chance d’être associés à un nouvel élément que ceux qui ne sont reliés qu’à un nombre restreint. La distribution du capital relationnel devient très inégalitaire. Promouvoir les individus préférés renforce leur audience et leur classement qui est ainsi auto-entretenu.

22L’auteur va plus loin et nous montre que ces plateformes sont des organisations politiques à part entières qui pénètrent une grande partie de la vie publique au-delà des habitudes de consommation.

RELEVER LA FRANCE : ÉTAT D’URGENCE ?, Christian Saint Etienne, Odile Jacob, 2016

23L’auteur est professeur et titulaire de la chaire d’économie Jean Baptiste Say au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Il est également le Président de l’Institut France Stratégie, qui communique et produit des travaux sur l’Iconomie, et l’auteur de nombreux ouvrages et essais d’économie politique.

24Selon ce dernier la France peut redevenir une grande puissance politique, scientifique, économique et militaire pour faire face aux défis qui assaillent les pays européens et reprendre une place de leader dans les transformations en cours.

25Pour cela il propose un cadre de réflexion politique et philosophique et un diagnostic du monde actuel. A partir de ces éléments il propose un cadre stratégique acceptable.

26L’ouvrage s’appuie sur trois principes directeurs : il y a une hiérarchie de valeurs et de vérité dans les fruits de l’action des hommes et donc « tout ne se vaut pas » ; une société libre et forte est fondée sur les « droits d’être » et combat les « droits à avoir » ; le travail est émancipateur et la refondation de la France ne peut se faire que sur le travail, l’effort et la recherche permanente de l’excellence.

27La perception du travail émancipateur est altéré en France par deux évolutions : la première dans les années 1960 les mouvements luttant contre l’aliénation offrent une vision négative du travail comme frein à l’épanouissement personnel ; dans les années 1990 la confusion mentale des élites dirigeantes françaises leur fait confondre la sortie de la deuxième révolution industrielle avec l’entrée dans un monde post-industriel et post travail dans lequel le partage du travail est une étape transitoire avant sa disparition.

28La réalité c’est que nous sommes entrés avec les années 1990 dans une troisième révolution industrielle hypercapitaliste et hyperentrepreneuriale dans laquelle le travail des chercheurs, des ingénieurs et des opérateurs de production est plus que jamais au cœur des transformations du monde économique et social. Le travail change de nature mais ne disparaît pas. C’est l’entreprise mobilisant toutes les énergies de ses acteurs qui est au cœur des mutations industrielles de la nouvelle économie entrepreneuriale.

29Dans le cadre de la double mutation (Iconomie entrepreneuriale et métropolisation de la croissance) les principales faiblesses françaises à combler sont le poids écrasant de la fiscalité du capital et un effort de travail insuffisant. Il convient de mettre en place un changement complet d’environnement fiscal et social, de politique économique, d’orientations militaires et de système institutionnel pour que la France puisse rebondir.

30Ce changement porte sur : la réindustrialisation du pays par l’Iconomie entrepreneuriale ; la réorganisation du territoire autour de trois réseaux métropolitains ; la réécriture du contrat social correspondant à nos traditions politiques et aux enjeux des mutations en cours.

31L’auteur nous livre des réflexions à découvrir alors que la société française est soumise à des mutations très fortes de son environnement.

INTRODUCTION AU MANAGEMENT : NOTIONS, APPLICATIONS, DÉFINITIONS CLES, Anne Goujon Belghit, Editions Ellipse, 2016

32L’auteure est maître de Conférences à l’IAE de l’Université de Bordeaux et spécialiste en gestion des ressources humaines. Anne Goujon Belghit est responsable pédagogique de la formation au sein du Master Conseil et Management des Organisations à but non lucratif. De plus elle est titulaire adjointe de la chaire du capital humain et de la performance globale.

33Les chapitres de l’ouvrage abordent les thèmes différents mais interdépendants du management depuis les concepts généraux pour aborder des thèmes plus complexes. L’objectif, dans un monde où les cadences folles peuvent altérer le jugement, est de prendre de la hauteur pour analyser les situations et faire des choix éclairés.

34L’ouvrage engage le lecteur à réfléchir et à mettre en perspective les idées mobilisées afin d’avancer progressivement et avec prudence dans la construction de sa connaissance du management. Le dernier chapitre qui succède au chapitre consacré à la stratégie puis à celui consacré à la gestion des ressources humaines porte sur le capital humain.

35Ce dernier concept est appréhendé comme un concept multi-niveaux du point de vue individuel, de celui d’un groupe, et organisationnel.

36Ces définitions sont interprétées du point de vue de la gouvernance des organisations. Un cube sémiotique original de représentation des concepts de la confiance et du capital humain est proposé. Il permet de mieux accompagner au sein des entreprises la gestion du capital humain et les stratégies de développement associées.

37Cette approche sémiotique permet en effet de : générer un avantage compétitif ; favoriser l’innovation ; apporter un regard critique sur la performance financière. Un ouvrage que l’on ne peut que recommander pour former les futurs managers.

2 – Par Jean Jacques PLUCHART, Professeur émérite Université Paris I Sorbonne

CAS ET ILLUSTRATIONS DE THÉORIE DES ORGANISATIONS,Héloïse Cloet (coord.), Edition MA Eska, avril 2016

38L’ouvrage réunit des enseignants-chercheurs, des consultants et des praticiens : Jacques Rojot, Véronique Chanut, Héloïse Cloet, Alice Le Flanchec, Charles-Henri d’Arcimoles, Jean-Jacques Pluchart, Mathilde Gollety, Carole Drucker-Godard, Dominique Baruel-Bencherqui, Astrid Mullenbach-Servayre, Emilie Hennequin, Guillaume Chanson, Amaïa Errecart, Yasmina Jaïdi, Pierre Santarelli, Gabriel Morin, Philippe Legouge, Gisela Cisternas, Florence Palaquer-Jacheet, Olga Nikolaeva, Isabelle Mauviel, Ange Ane, Jessica Nedelec, Delphine Bourland et Julien Couderc.

39L’ouvrage vient combler le manque d’illustrations et d’études de cas sur le fonctionnement des organisations. Les contributions offrent des grilles de lecture utiles. Elles empruntent les modèles et les concepts postmodernes des études culturelles illustrées par les travaux de Foucault, Baudrillard, Derrida, Maffesoli, Lipovetsky… Certains chapitres mettent l’accent sur l’individu, d’autres sur la structure de l’organisation ou sur son environnement. Les auteurs font appel à divers supports : des cas réels d’entreprises, d’administrations, d’associations sportives…, mais également, des tranches de vie personnelles ou professionnelles… Ce foisonnement vise à offrir aux lecteurs un accès à la théorie des organisations, réputée difficile. La coordinatrice du livre est enseignant-chercheure à l’Université Paris I.

LA SAGESSE DE L’ARGENT, Pascal Bruckner, Grasset, avril 2016

40Dans son dernier essai, Pascal Bruckner livre une réflexion originale, à la fois philosophique et morale, sur le tabou français de l’argent. Il en dresse la généalogie, citant Platon – « l’argent corrompt les âmes » -, Aristote – « l’argent est nécessaire » -, les Pères de l’Eglise, qui condamnent l’argent contrairement aux théologiens du judaïsme, de l’Islam et du protestantisme. Sous l’ancien régime, la noblesse méprise l’argent produit par le travail. Au Siècle des Lumières, l’argent oppose Voltaire à Rousseau. Les grands auteurs du XIXe siècle, comme Balzac et Zola, en décrivent les excès. L’auteur constate que la plupart des Présidents de la Ve république ont affiché une certaine défiance vis-à-vis de l’argent. Les économistes français comme Piketty, dénoncent les inégalités entre les revenus et les patrimoines. L’opinion française dans sa majorité renie ses élites, fustige la réussite professionnelle et dénonce le capitalisme financier. Selon l’auteur, l’argent est à la fois un libérateur et un despote. Seule une « révolution morale » lui redonnera sa vraie place.

ECONOMIE DU BIEN COMMUN, Jean Tirole, PUF, avril 2016

41L’auteur constate que le champ de la décision publique ne cesse de se restreindre. Les appareils judiciaires et les autorités de régulation sont indépendants du pouvoir politique. Les gouvernements se montent largement impuissants à résorber le chômage, à traiter les crises financières, à protéger l’environnement, à intégrer le marché européen, à accueillir les migrants… « Le traitement du monde comme une marchandise » suscite de plus en plus d’interrogations de la part des opinions publiques sur les voies de recherche de « biens communs ». Ces derniers recouvrent la planète, l’eau, l’air, la biodiversité, le patrimoine, la connaissance… La notion de biens communs est toutefois subjective, car elle dépend des désirs de chacun, plutôt orientés vers le travail ou les loisirs, la consommation ou la solidarité, la laïcité ou la religion… Afin d’écarter « ce voile d’ignorance », Jean Tirole invite chacun à appliquer une méthode initiée au XVIIIe siècle par Thomas Hobbes et John Locke, et perpétuée par Rousseau, Kant, Rawls, Harsanyi…, consistant à imaginer l’organisation concrète de la société dans laquelle on souhaiterait vivre, ainsi que la position que l’on souhaiterait y occuper. L’auteur montre que les citoyens – quel que soit leurs statuts sociaux et leurs métiers – sont soumis à un nombre croissant d’incitations émises par des institutions de l’économie de marché. Ces incitations doivent être au service de la préservation des biens communs par l’encadrement de ses usages privatifs. La science économique n’a pas pour objet de définir les biens communs, mais plutôt de montrer les enjeux attachés à leur préservation et de construire les outils permettant de mieux les gérer. Elle est donc au service de la gouvernance des biens communs, intermédiaires entre le « Tout Etat » et le « Tout marché ».

L’ÉCONOMIE ENTRE PERFORMATIVITE, IDÉOLOGIE ET POUVOIR SYMBOLIQUE, Amboise B., Salle G., Sobel R., Ed. L’harmattan, 2016

42L’ouvrage collectif (rédigé par des sociologues du CNRS) soulève la question de l’influence des sciences économiques sur la réalité contemporaine. Les auteurs soulignent l’importance prise aujourd’hui par les notions d’énoncé performatif (Austin, Searle, Callon) – défini comme un « discours qui modifie l’état du monde » -, de prophétie auto-réalisatrice (Keynes, Merton) – qui recouvre une « prédiction modifiant des comportements » -, de convention (Favereau) – ou « sens de l’intérêt commun », de norme – ou guide de prise décision » - d’idéologie (Sobel) – ou représentation idéalisée de la réalité par un groupe social dominant… Le discours économique est perçu à la fois comme une convention scientifique et comme un acte social. Il propose une grille de lecture des phénomènes économiques afin de les modifier. Il est « explicitement descriptif et implicitement performatif ». Il ne « performe » la réalité socio-économique que si les conventions adoptées et les dispositifs (modèles, statistiques…) appliqués, émanent d’économistes légitimes et sont adaptés aux publics visés et aux circonstances affrontées. Les auteurs appliquent ces concepts à plusieurs exemples : une analyse critique du livre de Polanyi sur « la grande transformation » de l’Occident ; l’influence de la formule de Black-Scholes de valorisation des instruments financiers (1973) sur les comportements des traders ; les effets des discours économiques relatifs à la crise des subprimes de 2007-2008 sur la régulation des marchés financiers…

43Une lecture à la fois exigeante et éclairante sur la nouvelle science économique.

CES GRANDES ENTREPRISES AU CŒUR DES TRANSFORMATIONS DU MONDE, Bruno Lafont, ed. Taillandier, 2016

44L’auteur (ancien président des ciments Lafarge) constate que les français aiment à la fois les PME prestataires de services de proximité et les groupes industriels mondialisés, les ex « champions nationaux » comme Total, Michelin et PSA. Il rappelle que depuis trente- cinq ans les présidents successifs de la République française ont maintenu une certaine distance avec ces « world companies », qui sont pourtant les principaux contributeurs au rééquilibrage de la balance commerciale et du budget de l’Etat, ainsi qu’au rayonnement de la France à l’étranger. Il décrit les réorientations stratégiques, les changements organisationnels et les mutations culturelles opérés par ces groupes afin de s’adapter aux bouleversements technologiques et économiques de l’environnement international. Dans le cadre d’entretiens avec Philippe Hardouin, il livre son expérience de « grand patron » du cimentier Lafarge. Il estime que les qualités requises pour exercer cette fonction, sont principalement la capacité à appréhender à la fois la croissance, les problèmes sociaux et la gestion des risques. Il évoque quelques échecs stratégiques, notamment ceux d’Alcatel, d’Areva et de Péchiney. Il soutient que les grandes entreprises exercent dans l’ensemble leurs Responsabilités sociales et environnementales, notamment dans les pays en développement, estimant que « le plus souvent, quand les risques sont identifiés, ils sont déjà sous contrôle ».

AUX ACTES DIRIGEANTS ! Robin Rivaton, Les belles Lettres, mars 2016

45Le livre de Robin Rivaton (conseiller de la présidente de la région Ile de France) se présente comme un « discours de la méthode » destiné aux hommes politiques français, afin qu’ils s’inspirent des méthodes de management appliqués par les firmes de haute technologie. Il montre que les finalités de l’action publique diffèrent des objectifs des entreprises privées, mais que leurs modes de gestion peuvent être identiques. Il déplore la fragmentation de la société française, l’absence de projet global pour la nation et l’illisibilité de la plupart des actions de l’Etat. Il regrette la période de « l’après 1968 », marquée par le projet de « nouvelle société » proposé par Jacques Chaban-Delmas, alors 1er ministre. Il conseille la substitution de l’utopie d’une « France solidaire », par la réalité d’une « France du mérite », qui est certes plus inégalitaire, mais qui assure le plein emploi, récompense l’effort et reconnait la prise de risque. Selon lui, la gouvernance publique peut s’organiser en quatre étapes : diagnostic, vision, stratégie, plan d’action. Il n’ignore pas que la culture française engendre, à chaque étape, des débats idéologiques et des oppositions parfois injustifiées. Il prodigue des conseils parfois provocateurs à l’usage des gouvernants, comme de réduire en priorité les transferts sociaux et les traitements des fonctionnaires, car « ces réformes n’affecteront pas la croissance économique ».

46Des messages stimulants en forme de programme électoral plus que de nouveau contrat social.

RECHERCHE SUR LE CONCEPT DE GOUVERNEMENT, Carmelo Rositano, L’Harmattan, 2016

47L’auteur (administrateur juridique) présente sa recherche doctorale sur le concept juridique de gouvernement. Il constate que cette notion est polysémique et qu’elle a été mieux définie en sciences économiques et politiques qu’en droit public. Il revisite les fondements idéologiques et juridiques des notions « d’Etat-gouvernement », « d’Etat souverain », « d’Etat-providence » …, définies notamment par Hobbes (Leviathan), Locke (traité de gouvernement civil), Rousseau (du contrat social) et Bodin (les six livres de la République). Selon eux, l’Etat-gouvernement est chargé de la « mise en œuvre de la souveraineté » sur un territoire national. L’auteur montre que sous l’influence de « l’économie-monde » (Braudel) ou du « système-monde » (Wallerstein), la validité juridique du concept d’Etat-gouvernement est de plus en plus contestée au profit des notions de « gouvernance » (Coase) - empruntée à la gestion d’entreprise – et de « gouvernalité » (Foucault) – ou gouvernance de soi et des autres. Ces notions ont contribué à « désétatiser » l’idée même de gouvernement.

48La complexité des sociétés contemporaines a affaibli leur « gouvernabilité ». La fonction de « gouverner » s’exerce désormais par des instruments de pouvoir de plus en plus flexibles : hard law (directives, lois…), mais aussi soft law (normes, codes éthiques…). Le droit économique et les droits (ou états) d’exception revêtent de plus en plus d’importance. La notion d’Etat-gouvernement varie selon les cultures : la société civile est plutôt régie par l’Etat en Europe continentale, plutôt par un « droit souple » (Common law) dans les pays anglo-saxons. Il montre que la construction du droit européen répond à ces deux approches du droit. Il conclut que les gouvernements assurent désormais les fonctions politiques et exécutives de l’Etat, dans le cadre d’un « pluralisme ordonné ». Par l’étendue des connaissances déployées et des raisonnements développés dans son livre, l’auteur montre enfin que les notions de souveraineté, de pouvoir, de contrat social, de subsidiarité… sont souvent ignorées bien qu’elles soient largement débattues au sein des sociétés contemporaines.

NE T’AIDE PAS ET L’ETAT T’AIDERA, Eric Verhaeghe, Eds. Du Rocher, janvier 2016

49Le sauvetage de la Sécurité Sociale ne constitue pas seulement un des grands problèmes économiques de la France. Il n’engendre pas que des débats politiques ou une remise en question de « l’exception française ». Il est devenu un des grands « impensés » qui hante l’imaginaire national depuis plus de 60 ans. A l’instar de l’affaire Dreyfus, il divise les français et recueillel’incompréhension du reste du monde. Il suscite une polémique sans issue sur les vices et les vertus des systèmes de répartition et de capitalisation des dépenses sociales (assurances maladie, chômage et retraite). Il est engagé dans un processus de bureaucratisation dominé par les appareils syndicaux. Il symbolise le déclin français.

50L’auteur s’efforce de dépasser le débat sans issue sur le déficit de la Sécurité Sociale. Les leaders politiques en attribuent la paternité aux résistants de la seconde guerre mondiale. L’auteur rappelle que le système français de sécurité sociale n’a pas été créé en 1945 mais en 1941 sous le régime de Vichy. Il s’interroge sur le projet de société et sur l’idée de démocratie qui le sous- tendent. Les discours politiquement corrects associent généralement le système aux idées de solidarité nationale et de progrès social. L’auteur montre que les systèmes de protection sociale de la plupart des autres pays occidentaux ne sont pas moins solidaires que le modèle français, devenu un « anti-modèle ». L’auteur observe que la solidarité se limite en fait à un vaste transfert social et fiscal des classes moyennes vers les milieux défavorisés. Ce « mécanisme de désincitation » est destiné à assurer la paix sociale. Il repose sur une alliance implicite entre les dirigeants politiques, la haute administration et les « exclus », ainsi maintenus dans l’assistanat afin de rendre supportable un ordre inégalitaire. L’auteur propose un ensemble de réformes basées sur l’instauration d’un revenu minimum universel.

51L’auteur, Éric Verhaeghe (ancien élève de l’ENA) a été administrateur de la sécurité sociale. Il a créé Tripalio, une start-up sur la vie syndicale.

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