Introduction
1 La mobilité interne est, dans les grandes entreprises françaises, un outil de GRH traditionnellement proposé aux collaborateurs. En effet, la mobilité interne est associée, dans la littérature gestionnaire, à de nombreux enjeux, tant pour les individus que pour l’organisation (Abraham, in Cerdin et al., 2004). Pour autant, si la mobilité interne est souvent associée à des finalités vertueuses, elle peut également avoir un côté plus sombre, notamment lorsqu’elle est imposée, ce qui représente 40 % des cas de mobilité interne selon l’étude APEC (2011). Chez France Telecom, la mobilité interne, notamment géographique, a ainsi été utilisée comme l’un des moyens pour « encourager les gens à partir en masse » (Doublet, 2009, Burgi, 2009). C’est ainsi que dans le cadre de la vague des suicides en 2009, la mobilité interne avait été incriminée et que le PDG du groupe avait mis fin au « principe de mobilité » des cadres et ouvert des négociations avec les syndicats portant, entre autres, sur la mobilité. Entre esthétique séduisante et utilisation surprenante, la mobilité interne fait donc débat.
2 Cet article propose de retracer le cheminement d’une recherche doctorale, menée entre 2010 et 2013, et visant à ausculter, au travers de 3 cas d’entreprises principaux, la capacité de la mobilité interne à développer le talent des collaborateurs. La mobilité interne permet-elle de développer le talent des collaborateurs dans les grandes entreprises ? Tel est le fil d’Ariane de la recherche que cet article ambitionne de retracer en quelques pages.
3 A cette fin, cet article examine l’utilisation faite de la mobilité interne au sein de trois grandes entreprises françaises : la Société Générale, Vénus (groupe de cosmétiques dont le nom a été modifié pour des raisons de confidentialité) et EDF. Cette contribution se veut également tournée vers les praticiens, cadres contributeurs, cadres managers, désormais investis du rôle de premiers RH (Peretti, 2006) ou cadres de la filière RH, qu’ils soient en proximité des cadres ou dans une position plus centrale dans l’organisation. La recherche montre en effet qu’en dépit de difficultés, de freins indéniables aux niveaux individuels, structurels et organisationnels, la mobilité interne peut soutenir, lorsque certaines conditions organisationnelles sont présentes, le développement et la diffusion des talents des collaborateurs au sein de l’organisation.
4 Afin de restituer le cheminement de la recherche, l’article présente les finalités vertueuses de la mobilité interne mises en avant par la littérature gestionnaire, puis propose une définition du concept de talent afin de questionner le potentiel de la mobilité interne à développer le talent des salariés. La méthodologie de recherche et les principaux résultats seront ensuite exposés et discutés, tant sur le plan théorique que managérial.
1 – La mobilité interne en question : quelle place pour le développement du talent ?
5 Le terme de mobilité interne permet de décrire la pluralité de mouvements possibles des personnes qui travaillent dans une organisation. S’il existe une controverse sur la direction de ce mouvement, certains auteurs considérant la mobilité interne uniquement comme un transfert latéral de salariés qui n’est pas à confondre avec la promotion (Campion et al., 1994, Sites-Doe, 1996), cette question semble pouvoir être dépassée en appréciant, en suivant la conception de Schein de l’organisation (1971), la nature radiale du mouvement. En effet, de nos jours, dans des organisations aux structures hiérarchiques de plus en plus plates, le degré de centralité du nouveau poste dans l’organisation permet de mieux appréhender la nature de ce mouvement que représente la mobilité interne et qui concerne actuellement chaque année environ 18 % des cadres (enquête APEC, 2011).
6 Sur ces bases, la recherche a cheminé à partir des trois questions principales suivantes : (i) Q1 : quelles sont les finalités vertueuses de la mobilité interne ? (ii) Q2 : qu’est-ce qu’un talent pour l’entreprise ? (iii) Q3 : quel accompagnement organisationnel favorise le développement des talents ?
1.1 – Les finalités vertueuses de la mobilité interne
7 La littérature, tant gestionnaire qu’économique, depuis les travaux séminaux de Doeringer et Piore (1971), s’est principalement penchée sur les enjeux de la mobilité interne, tant pour les individus que pour les organisations.
8 Une première finalité de la mobilité interne est, selon la littérature, de permettre à l’organisation d’adapter ses ressources en fonction de ses besoins. La mobilité interne contribue au recrutement, c’est-à-dire à l’allocation des compétences (en quantité et en qualité) aux besoins actuels et futurs. C’est ainsi que la mobilité interne s’est affirmée comme la clé de voûte des dispositifs de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), rendant possibles les ajustements entre les ressources humaines disponibles et les besoins organisationnels dans la durée (Bournois et al., 2007).
9 Une deuxième finalité de la mobilité interne est de développer le transfert intra-organisationnel de connaissances au sein de l’organisation (Argote et Ingram, 2000 ; Argote et al., 2000 ; Li, 2005 ; Notais, 2009). Elle permet tout particulièrement à l’entreprise de développer du capital humain spécifique, qui est source d’avantage compétitif durable, comme le soulignent les travaux de Hatch et Dyer (2004) dans l’industrie des semi-conducteurs aux Etats-Unis.
10 Par ailleurs, alors que près d’un salarié sur trois (selon une étude réalisée par le cabinet Mercer auprès de 2000 personnes) pense à quitter son entreprise, la mobilité interne est un outil puissant de fidélisation des salariés lorsqu’elle se traduit par des possibilités de parcours diversifiés et attractifs (Bournois et al. 2007). De ce fait, elle renforce également l’intégration des salariés au sein de leur entreprise et engendre une implication accrue (Campion et al., 1994, Abraham in Guerrero et al., 2004), en réduisant une certaine lassitude au travail (Ference et al., 1977, Feldman et Weitz, 1988, Roger et Tremblay, 1995, Abraham, 2001, Abraham in Guerrero et al., 2004, Tremblay et Roger, 2004). En particulier, en fin de carrière, la mobilité intra-organisationnelle est un moyen de contrer le plafonnement de carrière subjectif (Tremblay et Roger, 2004).
11 Enfin, la mobilité interne permet de cimenter la culture d’une organisation grâce aux échanges de collaborateurs entre activités (Fiol, 1991), « de réconcilier au sein d’une culture de groupe la multiplicité des cultures de ses différentes activités » (Bournois et al., 2007, p. 249), notamment lorsque les groupes ont des métiers différents ou qu’ils sont issus de fusions d’entreprises.
12 Les différentes finalités vertueuses développées par la littérature sont cependant générales et s’attachent peu à comprendre que les représentations de la mobilité interne émanent d’individus spécifiques et de contextes organisationnels particuliers. Par ailleurs, si la littérature traite principalement de la mobilité interne en termes de minimisation des coûts dans une approche économique, en termes de finalités dans une approche gestionnaire ou en termes plus critiques dans une approche sociologique, elle n’étudie pas la mobilité interne en termes du développement de talent. Pour autant, si selon Miralles (2007), le terme de talent est « vieux comme l’humanité », quelle signification revêt-il lorsqu’il entre sur la scène de la GRH ?
1.2 – Le talent sur la scène de la GRH
13 Depuis l’introduction du terme de talent sur la scène gestionnaire en 2001 avec l’ouvrage d’Axelrod et Al. : « War for Talent », de nombreux articles universitaires ont été écrits afin de conceptualiser la métaphore originelle. Le terme de talent s’articule, dans la littérature, autour de deux axes : un effort de définition du talent et sa déclinaison pratique au sein des entreprises.
1.2.1 – Les conceptions du talent en gestion
14 Selon Dejoux et Thévenet (2010), la gestion des talents résulte d’un processus d’évolution de la GRH qui est passé successivement du modèle de l’aptitude à celui de la qualification, puis de la compétence. L’apparition du management des talents dénote un mouvement d’individualisation de la GRH, qui, en imitant le marketing, pousse toujours plus loin la segmentation de la population des salariés.
15 Mais, surtout, la conception du talent adoptée par la littérature cristallise des présupposés différents (Cadin, 2009) et reflète deux visions de la performance (individuelle/collective) et deux conceptions de la coordination (administrative/marchande). Ainsi, pour certains auteurs, les talents sont assimilés aux Hauts Potentiels, dans une vision individuelle de la performance, alors que pour d’autres, ils sont synonymes de compétences, voire de ressources humaines. Toutefois, la littérature gestionnaire définit généralement le talent de manière élitiste comme une forme d’excellence qui permet un potentiel d’évolution élevé dans une activité donnée par comparaison aux autres. Ainsi selon Dejoux et Thévenet (2010), le talent est « une combinaison rare de compétences rares », ou encore pour Miralles (2007) l’expression d’une idiosyncrasie qu’il résume par la formule suivante : Talent = excellence + différence. Les récents travaux d’Ulrich et Smallwood (2012) définissent quant à eux le talent comme une combinaison entre compétence, engagement et contribution, comprise comme une forte participation de l’individu aux objectifs de l’organisation : Talent = compétence × engagement × contribution.
1.2.2 – Proposition d’une définition du talent pour notre recherche
16 Pour autant, ces définitions du talent sous-estiment les facteurs externes qui sont nécessaires à la reconnaissance et au développement du talent. Ainsi Hegel, qui s’est particulièrement interrogé, dans son « Esthétique » (1835), sur l’activité artistique et sur le génie de l’artiste, souligne que si le talent est rendu possible par « une disposition spécifique », il est en relation avec le monde. Le talent n’existe pas de manière intrinsèque, mais surgit d’une interaction entre le sujet et autrui qui le reconnait. Le monde artistique a ainsi donné de nombreux exemples de talents non reconnus du temps de leur vivant mais qui, une fois reconnus, sont devenus des références dans leurs domaines quelques décennies après leur mort, comme celui bien connu de Vincent Van Gogh.
17 C’est ainsi que, dans le cadre de cette recherche, le talent sera défini comme une alchimie entre : (i) des capacités acquises grâce à un travail d’apprentissage, (ii) une motivation et (iii) un environnement avec lequel le talent interagit.
1.3 – L’articulation d’une exploration théorique autour d’« intuitions » de recherche
18 Outillée de cette définition non élitiste du talent, la problématique peut être affinée au travers de trois hypothèses ou plutôt « intuitions » de recherche (Anadon et Guillemette, 2006) qui vont structurer l’exploration théorique.
Formulation de 3 « intuitions » de recherche et de leur cadre théorique
Formulation de 3 « intuitions » de recherche et de leur cadre théorique
1.3.1 – La capacité de la mobilité interne à développer l’apprentissage
19 La première « intuition » de recherche porte sur le potentiel de la mobilité à développer l’apprentissage. La théorie de l’apprentissage de Bateson (1977) a été mobilisée pour l’éclairer. Cet angle théorique permet en effet de questionner finement les différents types d’apprentissage que peut générer la mobilité interne pour le salarié selon les 4 niveaux d’apprentissage mis en évidence par Bateson : (i) réponse spécifique à un stimulus donné, (ii) correction des erreurs de choix, (iii) transfert de l’apprentissage à d’autres contextes et changements des modes d’apprentissage, (iv) transformation de la personne.
1.3.2 – La capacité de la mobilité interne à nourrir la motivation
20 La deuxième « intuition » de recherche cherche à cerner l’impact de la mobilité interne sur la motivation des collaborateurs, entendue comme « les forces qui agissent sur une personne ou à l’intérieur d’elle pour la pousser à se conduire d’une manière spécifique, orientée vers un objectif » (Louart et Livian, in Brabet, 1993, p. 51.) A cette fin, dans un contexte organisationnel nouveau, marqué en particulier par l’aplanissement des structures, la réduction des niveaux hiérarchiques et la crise économique, la théorie des motivations intrinsèques de Thomas (Thomas, 2009, Thomas et Velthouse, 1990, Thomas et Jansen, 1996) permet d’appréhender de façon particulièrement pertinente les nouvelles représentations et attentes des salariés vis-à-vis de leur carrière et de la mobilité interne.
21 Thomas (Thomas, 2009, Thomas et Jansen, 1996) propose à cet effet une grille conceptuelle de la motivation intrinsèque permettant d’éclairer le potentiel motivationnel de la mobilité interne selon 4 axes : (i) Sens, (ii) Choix, (iii) Compétence et (iv) Progrès. Les motivations de Choix et de Sens nourrissent le sentiment de liberté des individus, en leur permettant de choisir les tâches et/ou projets qui font sens à leurs yeux et de comprendre leur contribution à l’organisation. Les motivations de Compétence et de Progrès permettent quant à elles de donner aux individus un sentiment de reconnaissance au travers de leurs compétences, ainsi qu’un sentiment de progression vers le but qu’ils souhaitent atteindre. Dans des contextes organisationnels invitant les salariés à développer une pro activité de carrière accrue (Gatignon-Turnau et al., 2015), tenir compte des motivations intrinsèques de chacun serait désormais déterminant pour la mobilité
1.3.3 – Le rôle organisationnel pour soutenir le développement du talent
22 La troisième « intuition » de recherche vise à appréhender le rôle que peut jouer l’organisation pour mieux exprimer le talent de tous les collaborateurs au travers de la mobilité interne. En effet, bien que ce dernier soit fondamental, il est pourtant souvent sous-estimé par les collaborateurs, qui s’en rendent souvent compte après leur départ de l’entreprise. C’est ainsi qu’une fois changés de structure, certains individus, considérés comme talents par l’entreprise, voient leur performance décroître rapidement. « Ces étoiles brillantes deviennent bien vite… des étoiles filantes qui pâlissent rapidement après leur arrivée remarquée » (Thévenet, 2008, p. 67).
23 Afin que le talent soit source de compétitivité pour l’entreprise, il est nécessaire, selon Lawler (2008), que l’entreprise adopte une nouvelle forme d’organisation centrée sur le Capital Humain afin de déployer les talents. Lawler (2008), distingue, à cet égard, 2 grands types d’organisations : (i) les organisations « centrées structure » dont font partie les organisations bureaucratiques et les opérateurs lowcost, et (ii) les organisations « centrées talent », auxquelles appartiennent les organisations à forte implication et les compétiteurs globaux. La mobilité interne, en permettant de fidéliser les collaborateurs et de les maintenir engagés sur le long terme, pourrait-elle contribuer à construire une organisation à forte implication au sens de Lawler ?
2 – Un design méthodologique qualitatif
24 La recherche repose sur une méthodologie qualitative, qui s’inscrit dans la tradition interprétativiste. Une telle méthodologie répond en effet à l’objectif de la recherche de s’intéresser aux individus, à leurs points de vue, leurs motivations, leurs modes de pensée et d’action, tout en saisissant le rôle du contexte organisationnel. Afin de mieux accéder au sens des questions de recherche, une démarche de type « théorie enracinée » a été choisie (Glaser et Strauss, 1967). L’analyse par les « catégories conceptualisantes » (Paillé et Mucchielli, 2008), a permis d’être à la fois en émergence par rapport à notre corpus de données, tout en l’auscultant à l’aide des différents cadres théoriques mobilisés et présentés en première partie.
25 Après une phase exploratoire constituée d’entretiens semi-directifs auprès de coachs et de cadres de la SNCF, trois études de cas principales ont été menées au sein de trois entreprises aux secteurs d’activité et cultures différentes : la Société Générale, Vénus (groupe de cosmétiques, leader sur le marché de la beauté) et EDF. Nous revendiquons à cet égard l’interprétation de ces cas, en « tension entre scientificité et créativité » (Garreau et Bandeira de Mello, 2010).
26 Au total, 37 entretiens semi-directifs ont été menés entre 2011 et 2013, auprès de 3 types de cadres : (i) des personnes ayant le statut de cadre selon la définition de l’INSEE mais sans responsabilité d’encadrement, dit autrement qui ne gèrent pas d’équipes ; (ii) des cadres ayant une fonction d’encadrement, appelés « cadres managers » (managers de proximité, N+1 ou N+2) ; (iii) des cadres appartenant à la filière RH (gestionnaires de carrière, conseillers carrière, « talent manager », DRH…). Les entretiens, d’une durée moyenne de 1h20, ont été complétés par une étude documentaire ainsi qu’un dispositif d’observation participante dans le cas du groupe Société Générale, le chercheur ayant travaillé dans ce groupe pendant 13 ans.
Caractéristiques de l’échantillon
Caractéristiques de l’échantillon
27 Les données ont ensuite été analysées à l’aide du logiciel d’aide à l’analyse de données qualitatives QDA Miner. Ce logiciel a permis, lors du travail de codage (générant 87 catégories conceptualisantes et 506 nœuds), de désigner, de façon substantive, les phénomènes apparaissant dans le corpus analysé. Enfin, la recherche s’appuie sur une analyse centrée variable, puis sur une analyse inter cas qui permet de discuter les résultats obtenus.
28 Afin de renforcer la validité de la recherche, une triangulation des données (Denzin, 1978, Flick, 2009) a été menée à plusieurs niveaux (Flick, 2009) : (i) par une perspective multi acteurs, comme le recommande Bournois (Bournois et al., in Brabet, 1993), (ii) par l’observation et l’analyse de documents (internes et externes) qui ont complété la technique principale de recueil des données, (iii) par le temps, puisque la cueillette de nos données s’est échelonnée entre 2011 et 2013, avec début 2013 l’analyse d’un dernier cas, le cas de la RATP, à visée confirmatoire. Cette triangulation met en évidence une convergence de nos données et donne une vision enrichie, « en compréhension » du phénomène étudié (Jick, 1979).
3 – Principaux résultats de la recherche
29 Les résultats de la recherche sont de deux ordres : (i) une proposition de typologie stylisée des représentations qu’ont les cadres de la mobilité interne en fonction en fonction des contextes organisationnels dans lesquels elle s’insère et des objectifs qui lui sont assignés ; (ii) la difficulté de la mobilité interne à développer apprentissage et motivations, en raison de nombreux freins qui la rendent dysfonctionnelle.
3.1 – La mobilité interne aux quatre visages : proposition d’une typologie stylisée des représentations de la mobilité interne
30 Quatre représentations de la mobilité interne, forgeant sa signification, ont émergé du matériau empirique ; chacune d’elles est illustrée par une métaphore, ainsi que par des verbatim afin de permettre au lecteur de mieux « ressentir » le terrain.
La mobilité interne militaire
31 Cette forme de mobilité interne, qui s’impose aux collaborateurs, se déploie principalement dans des organisations de type « bureaucratie hiérarchique » (au sens de Lawler, 2008). Dans ce type d’environnement, la mobilité interne est ?organisée par l’entreprise dans une logique dirigiste.
« Dans le réseau, c’est du pourvoi de poste. C’est un peu contraint et forcé, parce qu’il faut bien que je trouve le Responsable commercial au fin fond du Massif central… Donc c’est un peu imposé, sinon je ne le trouverai pas. »
La mobilité interne hypocrite
33 Dans d’autres contextes, comme dans les directions fonctionnelles et le pôle banque d’investissement de la banque, la mobilité interne est organisée plus souplement et laissée à l’initiative des cadres. Elle apparaît comme un héritage de son passé d’entreprise publique, valorisant la mobilité dans une logique promotionnelle (Cossalter et al., 2007) : mais pour autant, elle est influencée par les pratiques des banques anglo-saxonnes qui valorisent la spécialisation des métiers, tout particulièrement dans la banque d’investissement et de financement. De ce fait, dans ce contexte, où la banque est engagée dans une transition d’un modèle de « bureaucratie hiérarchique » vers un modèle de « compétiteur global », la mobilité interne se révèle ambiguë.
« Dans la banque de détail, il y a une philosophie de mobilité, qui à mon avis est initialement un souci de prudence. C’est-à-dire qu’il ne faut pas laisser les gens trop longtemps à la caisse, sinon ils connaissent les habitudes de tout le monde. Donc, en fait, on fait tourner les gens. Cela, ça marque très profondément la philosophie de la banque de détail ».
C’est très, très différent de la banque d’investissement où, au contraire, on a une taylorisation des tâches, des spécialistes. C’est une espèce de taylorisation de luxe. Et les traders ne sont absolument pas des gens mobiles. Ils sont mobiles entre les banques, mais pas à l’intérieur de la banque. Il y a deux pôles extrêmes. D’où l’ambiguïté à la Société Générale. ».
35 Cette ambiguïté se trouve renforcée par le découplage entre l’idéologie externe véhiculée par la fonction RH et le discours interne, ce qui peut ainsi conduire à un certain « mal de mer » comme le relate ce manager :
« On te dit par exemple : il faut promouvoir la mobilité fonctionnelle, il faut que les gens fassent des choses très différentes, et quand tu proposes quelqu’un pour une fonction qu’il n’a jamais occupée, on te dit : nous, on veut des spécialistes. Cela me donne le mal de mer. On te fixe un cap, et dans la réalité, le bateau, il va de l’autre côté. ».
37 Enfin, le découplage peut également se produire selon les catégories de cadres, avec des mobilités internes dirigées et travaillées par la filière RH (locale et centrale) pour les cadres identifiés comme « Talents », c’est-à-dire destinés à assumer la relève managériale de la banque, alors que pour les autres catégories de cadres, la responsabilité de la gestion de leur parcours professionnel interne leur sera dévolue.
« Les RH ne pourront de toute façon pas tout faire. L’objectif, sur les RH, c’est peut-être de prendre plus en main la partie « Talents ». Les jeunes qui sont des potentiels, les talents, oui. Et là, la RH et les managers doivent avoir un rôle vraiment actif pour développer ces talents. Après, sur le reste, sur la masse, il faut que les gens se prennent en main. (…) La RH est là pour mettre en place une politique de processus, qui donne les règles au minimum pour que cela respecte l’intérêt de l’entreprise. Et puis après, chacun s’autogère dans ce cadre-là. »
39 Ces découplages dont la mobilité interne fait l’objet, que ce soit par environnement, métier ou catégorie de cadres, révèlent une forme d’hypocrisie de la mobilité interne au sens de Brunsson (Brunsson, 1993 ; Brunsson et Geoffroy, 2012). Comme le précise Brunsson, l’hypocrisie n’est pas un jugement de valeur sur le comportement des organisations, mais désigne l’écart entre le dire et le faire, le mettre en discours et le mettre en œuvre.
La mobilité interne brownienne
40 Dans d’autres organisations, comme à EDF, la mobilité est bien prônée en interne, mais sa gestion sous un mode nomade (à l’exception toutefois des cadres Hauts Potentiels pour lesquels la mobilité interne relève davantage d’une logique militaire) a pour effet de conférer un rôle prépondérant au hasard et à l’environnement, concepts qui sont au cœur de la théorie du mouvement brownien (Janand, 2013). Le choix de poste résulterait désormais davantage d’opportunités, de concours de circonstances, d’aléas, que d’une trajectoire de carrière construite par l’organisation.
« Si on est un tant soit peu honnête, on se rend compte que tout peut arriver dans une carrière. Et qu’on ne pouvait pas présager… Certains le font, et certains d’ailleurs mettent toute leur vie à vouloir se diriger vers quelque chose qu’ils ont voulu. Mais dans la pratique, la part de l’aléa est absolument immense. Cela dépend des gens que vous avez rencontrés, cela dépend des situations que vous avez rencontrées, cela dépend des situations, des gens que vous allez rencontrer. La combinatoire est absolument infinie. ».
42 Mais la métaphore brownienne reflète également l’expression d’un manque de perspectives et de repères des salariés d’EDF. De nombreux témoignages mettent en effet en avant le manque de visibilité, de sens de la carrière, absence ressentie de façon d’autant plus aiguë que les carrières étaient auparavant davantage gérées par l’organisation.
« Je trouve que ce n’est absolument pas anticipé, ce n’est absolument pas organisé, sauf peut-être les hauts potentiels (…) C’est le royaume de la débrouille. Il n’y a pas de parcours fléché. ».
44 Finalement, la métaphore du mouvement brownien pourrait ainsi permettre de saisir une réalité subjective de la carrière dans ce groupe en transition d’une « bureaucratie hiérarchique » vers une « organisation à forte implication » (Lawler, 2008). A l’instar des grains de pollen en suspension de Brown s’agitant de manière erratique, les salariés se sentiraient ballottés au cours de leur carrière, au gré des restructurations, et surtout en étant dépourvus de perspective, dans un environnement plus « lâche » qui ne leur propose plus de parcours professionnels comme dans le passé.
La mobilité interne darwinienne
45 Ce type de mobilité interne prévaut dans le groupe Vénus, autrefois petite entreprise familiale devenue en 100 ans leader mondial dans le domaine des cosmétiques. Ce groupe, qui s’appuie sur un esprit entrepreneurial et une culture de la concurrence très prononcés, incarne le modèle du « compétiteur global » selon Lawler (2008).
46 Mais la concurrence, au départ externe, vis-à-vis des concurrents et des acteurs de l’univers stratégique de l’entreprise, s’applique à l’ensemble des processus de l’entreprise, y compris en interne et contribue à forger la signification de la mobilité interne au sein de Vénus. Dans ce groupe, où tous les dirigeants du groupe sont issus d’un parcours interne, le rythme d’enchaînement des postes est ainsi perçu comme un signal du groupe sur la performance et le potentiel du collaborateur. La mobilité interne est une récompense, et s’apparente à une forme de sélection naturelle, dans une logique in or out, comme le relate ce manager :
« J’avais une fille, qui était excellente d’un point de vue professionnel, et qui pleurait dans mon bureau, en me disant : cela fait un an et demi que je suis dans le même poste, le T-shirt est trop petit, tu comprends, j’étouffe. Ce que la personne me disait par-là, c’est qu’elle voulait le poste suivant. (…) Quelqu’un à qui on n’offrirait rien pendant trois ans, il sait qu’il va devoir chercher ailleurs. Il le sait. Ce n’est même pas la peine de lui dire. ».
48 De ce fait, la mobilité interne se révèle aussi un système de sélection permanent, dans une logique darwinienne, au sein duquel il faut se maintenir ou partir. De ce fait, « tenir le rythme du marathon de la carrière », exige des salariés un investissement psychique important.
49 Ces 4 métaphores associées à la mobilité interne correspondent plus à des « idéaux types » au sens de Weber, qu’à des réalités empiriquement observables. Par ailleurs, ces représentations, qui se déploient chacune dans des contextes d’organisations spécifiques, peuvent aussi se combiner au cours de la carrière des salariés et en fonction des environnements ou du segment RH auquel il appartient. Les quatre significations de la mobilité interne mises en fonction des contextes organisationnels permettent ainsi de proposer la typologie suivante :
Typologie stylisée des représentations de la mobilité interne en fonction des formes organisationnelles : la mobilité interne aux quatre visages
Typologie stylisée des représentations de la mobilité interne en fonction des formes organisationnelles : la mobilité interne aux quatre visages
3.2 – Les résultats de l’approche orientée variable : l’esthétique séduisante de la mobilité interne pour développer le talent
50 L’approche orientée variable montre que le développement de l’apprentissage et de la motivation identifié dans notre revue de littérature comme étant les principaux enjeux supposés de la mobilité interne, se heurte dans la réalité à un certain nombre de freins, de difficultés indéniables qui rendent l’objet mobilité interne séduisant, mais complexe à mettre en œuvre.
3.2.1 – Le développement de l’apprentissage
51 L’analyse des fréquences de la variable « apprentissage » montre que la mobilité interne permet, outre le développement de réflexes professionnels, particulièrement utiles dans des situations de crise ou d’urgence, l’acquisition de nouvelles compétences et l’adoption de nouveaux schémas mentaux. C’est tout particulièrement le cas lors de mobilités internationales qui, par le phénomène de « recadrage » (Watzlawick, 1978), vont permettre aux individus de voir les faits autrement et d’adopter une perspective plus réflexive, comme le relate ce manager ayant vécu une expérience d’expatriation.
« Les gens qui ont eu la mobilité internationale, c’est incroyablement enrichissant. En fait, on ne comprend vraiment sa culture que quand on a été plongé dans une culture différente. (…) C’est difficile d’être conscient du cadre. Donc le fait de sortir du cadre, vous revoyez votre cadre différemment ».
53 La mobilité interne peut permettre de changer de représentation de soi, notamment lors de certains tournants cruciaux, comme l’accès à un poste de management.
« C’est la surprise d’une mobilité qui fait grandir à titre personnel ».
3.2.2 – Des salariés à la recherche de Sens, de Choix, de Compétence et de Progrès lors de la mobilité interne
55 La recherche montre que les salariés sont à la recherche, lors de leurs mobilités internes, de Sens, Choix, Compétence et Progrès. Parmi ces quatre motivations, qui sont plus ou moins stimulées selon les contextes organisationnels, la motivation intrinsèque de Progrès apparaît comme une motivation qui guide de nombreux choix de mobilité interne (Janand et Voynnet-Fourboul, 2010). Le Progrès est très souvent perçu comme une mobilité verticale, une promotion, conduisant à des fonctions d’encadrement d’équipes. A défaut de carrière verticale, l’ajout d’autres dimensions dans le poste (dimension commerciale, RH …) ou la confrontation avec de nouveaux contextes (gestion d’une situation de crise, relations avec les syndicats…), peut néanmoins renforcer le sentiment de Progrès.
56 La mobilité interne permet également de nourrir la motivation intrinsèque de Sens, en donnant aux collaborateurs mobiles la possibilité d’élargir leur vision des problématiques et de mieux comprendre leur contribution à l’organisation. C’est aussi l’occasion pour certains de se rapprocher d’un manager qui donne du sens, un « manager inspirationnel » (Cadre filière RH).
57 Par essence, la mobilité interne est un espace de Choix dans l’entreprise, sous réserve, bien sûr, qu’elle ne soit pas imposée. De nombreux témoignages mettent en évidence la recherche d’indépendance, d’autonomie plus grande dans le nouveau poste.
58 Enfin, la mobilité interne est également l’occasion pour les salariés de mettre en œuvre, dans le nouveau poste, leurs savoirs, leurs compétences, issus de leur formation et de leur expérience précédente. Pour autant, c’est surtout l’aspiration à la reconnaissance des compétences qui est attendue dans le nouveau poste et qui peut ainsi se matérialiser par de nouvelles conditions financières ou par un changement de statut ou de classification, comme cela peut être le cas dans les entreprises publiques.
3.2.3 – De nombreuses difficultés à la mobilité interne
59 Toutefois, la recherche met en avant de nombreuses difficultés à la mobilité interne, de nombreux freins qui, soit limitent la mobilité interne en tant que processus, soit limitent sa capacité à développer l’apprentissage et la motivation des collaborateurs. La « catégorie conceptualisante » (Paillé et Mucchielli, 2008) des freins et risques à la mobilité interne représente ainsi, en termes de fréquence dans le discours des répondants, la catégorie la plus importante de la recherche.
60 Ces freins, qui font écho à ceux classiquement identifiés par la littérature managériale (Abraham, in Guerrero et al., 2004), se situent principalement à 3 niveaux : (i) au niveau individuel (peur de sortir de la zone de confort, difficulté de la prise de fonction…), (ii) au niveau organisationnel (logiques propriétaires des managers, poids des silos et des frontières) et (iii) au niveau macro-économique (frein de la spécialisation et d’une logique d’exploitation plus que d’exploration au sens de March, 1991).
4 – Enseignements et discussion
61 En dépit des freins et difficultés inhérentes à sa mise en œuvre et qui peuvent limiter son potentiel en termes de développement des talents, la mobilité interne permet, dans les trois cas d’entreprises étudiés, de développer l’« agilité apprenante », c’est-à-dire la capacité et le désir des salariés à évoluer de manière rapide et flexible dans des environnements différents et évolutifs. Cette notion d’ « agilité apprenante » semble être au cœur de la notion de talent pour les entreprises, et tendrait à confirmer la signification du talent proposée dans l’exploration théorique comme alchimie entre capacité d’apprentissage, motivation et interaction avec l’environnement. Pour autant, les différentes représentations mises en exergue par la recherche contribuent à développer de façon différenciée le talent des collaborateurs.
4.1 – Impact des significations de la mobilité interne sur le développement du talent des collaborateurs
62 La mobilité interne militaire ne permet pas de développer le talent des collaborateurs sur le long terme, car elle tient peu compte des aspirations individuelles. Il en est de même pour la mobilité interne de forme brownienne qui peut générer une perte de Sens dans la carrière pour les collaborateurs et conduire à des phénomènes de démotivation, soulignés d’ailleurs par d’autres travaux menés à EDF qui constatent lassitude chez les anciens et démotivation chez les jeunes (Le Roux, 2006). La mobilité interne hypocrite génère des dysfonctionnements, voire une crise de la mobilité, et ne développe pas le talent des collaborateurs de façon optimale.
63 Seule la mobilité interne de forme darwinienne développe le talent des individus de façon durable. Soutenue par une culture organisationnelle qui prône la mobilité tout en reconnaissant le droit à l’erreur, cette forme de mobilité permet de soutenir l’apprentissage et de nourrir la motivation intrinsèque de Progrès de ses collaborateurs. Toutefois, c’est au prix d’un investissement psychique important qui peut transformer la carrière en un véritable marathon. Tels sont ainsi les deux visages de ce Janus qu’est la mobilité interne : développement des talents, certes, mais aussi développement des egos et d’une mise en tension permanente, coût à payer de l’excellence (De Gaulejac, 2009).
4.2 – La signification de la mobilité interne, reflet de la teneur de la relation d’emploi ?
64 Les différentes significations de la mobilité interne questionnent la teneur de la relation d’emploi et la place dévolue à l’individu dans la philosophie managériale de l’entreprise. De ce fait, la mobilité interne ne se réduit pas à un ensemble de règles, de procédures mais serait investie d’un rôle symbolique portant sur la nature du lien entre l’entreprise et ses collaborateurs qui la densifie et la complexifie. Les différentes significations proposées par la typologie reflèteraient ainsi des dynamiques d’appropriation de la mobilité interne, différentes selon les contextes organisationnels, et pourraient permettre d’apprécier la teneur de la relation d’emploi. C’est donc la teneur de cette relation d’emploi qui ferait que la mobilité interne est appropriée par les acteurs sur un mode darwinien, militaire, hypocrite ou brownien.
65 Au total, la mobilité interne est donc un outil complexe. Elle contribue principalement à renforcer des éléments psychiques, symboliques et culturels, ayant trait à la relation d’emploi entre le salarié et l’entreprise. Finalement, ce serait cette teneur de relation d’emploi qui ferait de la mobilité interne, soit un véritable outil capable de développer les talents, comme chez Vénus, soit un mythe permettant de régler l’attachement organisationnel. C’est bien la relation d’emploi avec sa philosophie managériale qui est le substrat au développement des talents et qui façonne la signification de la mobilité interne. Ce travail s’achève donc sur l’hypothèse selon laquelle la mobilité interne reflèterait in fine la teneur du lien entre le salarié et l’organisation.
Conclusion
66 Cette recherche présente un certain nombre de limites qui constituent autant de voies de recherche future ; la recherche gagnerait à être étendue à d’autres échantillons, d’autres organisations, d’autres pays, ou encore en adoptant d’autres méthodologies. Notamment, dans d’autres contextes, d’autres significations de la mobilité interne peuvent exister.
67 En dépit de ces limites, notre contribution se veut tournée vers la pratique. Les préconisations managériales sur lesquelles débouche la recherche se situent lors de 3 phases : (i) lors de la phase de conception, (ii) lors de la phase d’instrumentalisation et (iii) lors de la phase de communication. Dans la phase de conception de la politique de mobilité interne, l’enjeu est d’ancrer la mobilité interne dans le contrat psychologique initial des collaborateurs (Rousseau, 2004) et ce dès le recrutement. Par la suite, structurer les emplois avec davantage de niveaux en développant des structures pyramides à base élargie pourrait permettre de donner plus de vision aux collaborateurs.
68 Dans la phase d’instrumentation de la mobilité interne, il semble important, afin de lever les freins individuels, de proposer aux salariés des moments de bilan, d’entretiens avec de vrais professionnels de l’orientation qui ne soient pas démunis face au travail de maïeutique composant les bilans et entretiens de carrière. Un meilleur accompagnement humain semble nécessaire afin de prendre en compte les motivations intrinsèques des salariés et d’accompagner leur cheminement. Un des rôles de la RH serait également d’aider les collaborateurs à mieux travailler la cohérence et le sens de leurs parcours de carrière, a fortiori dans des environnements de type brownien, pour que ce mouvement ne devienne pas agitation. Par ailleurs, pour que la mobilité interne développe pleinement la capacité d’apprentissage, il est nécessaire qu’elle s’inscrive dans une philosophie managériale qui reconnaisse le droit à l’erreur. Conférer un droit de retour dans le poste ou, du moins, ne pas stigmatiser les postes difficiles comme des échecs, permettrait d’encourager la prise de risque individuelle. La prise de risque pourrait être atténuée par la formation, notamment lorsque les collaborateurs évoluent vers de nouveaux métiers. A ce titre, la mise en place d’un budget formation « dédié mobilité » pourrait inciter davantage les salariés au changement et les managers à prendre le risque d’accueillir des profils plus variés dans leurs équipes.
69 Enfin, dans la phase de communication, il semble nécessaire d’asseoir la proximité de la fonction RH, ce qui semble d’autant plus nécessaire que les jeunes générations acceptent de moins en moins le fonctionnement hiérarchique de l’entreprise. Un enjeu serait également de renforcer les outils pour mettre en mouvement les collaborateurs au-delà des outils classiques (bourses aux emplois et entretiens annuels) : forums mobilité, semaines de l’évolution professionnelle, avec des conférences, des ateliers, mais aussi des témoignages de salariés. Il s’agit de lever les tabous, de parler des « motivations inavouables » à la mobilité.
70 Toutefois, cette communication devra mettre en avant une vision et des pratiques réelles et ne pas se limiter à une communication « institutionnelle » qui alimenterait un découplage pernicieux entre les pratiques décrites et le vécu des salariés. C’est dans cette optique que la fonction RH doit envoyer des signaux clairs et que chaque mobilité interne doit être accompagnée d’un package salarial, même symbolique, en tant que signal positif d’encouragement de la part de l’organisation.
71 Pour conclure, si de nombreuses recherches se penchent sur différents outils de gestion des talents (Dejoux et Thévenet, 2010), la mobilité interne apparaît comme un outil traditionnel de management auquel un nouveau souffle pourrait être donné. Car c’est bien en s’appuyant sur les « talents » présents chez leurs salariés et en travaillant sur la relation d’emploi que les entreprises seront capables d’innover et de sortir par le haut de la crise actuelle, la plus profonde que l’Europe occidentale ait connue depuis 1945.
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Mots-clés éditeurs : relation d’emploi, talent, carrière, mobilité interne, recherche qualitative
Mise en ligne 13/08/2015
https://doi.org/10.3917/vse.199.0013