1 Nous sommes dans un monde en transition marqué par une crise d’identité des pays riches et d’espoirs de croissance amoindrie pour les régions émergentes. Dans ce contexte de méfiances, de peurs, d’incertitudes et de complexités, l’Europe et la France doutent. Prisonnières d’échéances permanentes, tant électorales que financières, les actualités médiatiques sont de plus en plus anxiogènes et notre monde se montre de plus en plus divisé alors que l’interdépendance des nations s’accroît ! Echéances quand vous nous tenez ! « Grexit » ou « Grexin », « Brexit » ; « Europexit », des forces centrifuges diverses qui risquent de fragiliser la reprise. Elles mobilisent des énergies qui devraient l’être ailleurs.
2 Aux incertitudes précitées s’ajoute l’impact du phénomène « d’Ubérisation » dans les transports, la banque, la santé… lié aux évolutions numériques et aux changements de comportements induits. Par ailleurs, nous nous interrogeons tous sur : « mais, qui va payer » : la dette souveraine, la transition énergétique, le vieillissement démographique… ? La France est un pays de révolutions et non de réformes, alors le déclin est parfois admis comme moins douloureux que la remise en cause des avantages acquis ou de la rente ! L’économie s’avère de plus en plus difficile à prévoir. « Sortie de crise ou crise de la sortie ? ». C’est « maintenant » qu’il nous faut réagir « autrement » ! Des slogans, des questionnements d’ordre politique, mais, les politiques ont bien du mal à s’en saisir.
3 Efforçons-nous de quitter, quelque peu, cette morosité ambiante. Dans ce numéro 199 (bientôt le 200ème) deux bonnes occasions nous sont données de cultiver un peu d’espoir : une première partie composée des quatre articles proposés par nos lauréats du Prix de Thèse de l’Andese 2014 ; une seconde partie, dans le cadre d’un partage d’expériences dédiées à la promotion de l’innovation. Une innovation trop souvent galvaudée et oubliée en période de forte croissance qui subitement se retrouverait vertueuse et seule capable de nous permettre de retrouver une croissance pérenne ! Une seconde partie qui nous propose, également, de nous interroger sur les vulnérabilités macroéconomiques rencontrées par les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) durant leur période de rattrapage économique et ce, en pleine crise des subprimes. Les feux de l’actualité ne manqueront pas d’établir un parallèle avec toutes les incertitudes et les conséquences de la crise grecque !
4 Concernant la première partie dédiée à nos lauréats de la 24ème édition du Prix de Thèse, quatre articles sont proposés, par ces derniers, dans des domaines de recherche aussi divers que les ressources humaines, la gestion des processus d’innovation collectifs, l’étude des instruments de gestion au sein d’organisations de capital-risque solidaire et la financiarisation des marchés des matières premières.
5 Préalablement à la présentation de ces quatre premiers articles, rappelons que ce Prix de thèse s’inscrit dans l’objectif associatif de l’ANDESE de promouvoir le Doctorat et de valoriser les progrès de la connaissance dans nos disciplines. Cette 24ème édition concernait tous les étudiants ayant soutenu leur thèse entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2013. La trentaine de candidatures reçues proposait des sujets relevant de l’économie bancaire, du marketing, de la financiarisation, de la gouvernance, de la sélection des risques, de l’entreprenariat, des réseaux sociaux, des ressources humaines… La procédure de sélection comporte un premier tri, puis une présélection des dossiers retenus est transmise aux membres du jury. Cette année, six dossiers d’Universités franciliennes sont restés en compétition pour la phase finale : Paris Ouest, Paris Est, Mc Gill/Mines Paris Tech, Paris 2, Paris 13. La pluralité et la qualité de candidatures ont rendu difficile la tâche de sélection du jury composé d’universitaires et de professionnels et placé sous la haute autorité de sa Présidente, Madame Denise Flouzat. Comme chaque année, le prix et les accessits ont été décernés en fonction de l’excellence des thèses, des sujets innovants et de leur intérêt, ainsi que de leur portée pratique.
6 Le Prix a été attribué à Anne Janand pour sa thèse, en Sciences de gestion, intitulée : « Développer les talents par la mobilité interne dans les grandes entreprises françaises : cheminement d’une recherche doctorale ». Cette thèse était dirigée par les Professeurs Catherine Voynnet-Fourboul et Frank Bournois de l’Université Panthéon-Assas. La problématique traitée concerne la capacité des entreprises à développer les talents de leurs collaborateurs au moyen de la mobilité interne. Cette recherche porte sur l’étude de la mobilité auprès de cadres travaillant dans cinq grandes entreprises françaises. Les conclusions présentées font apparaître la mobilité interne comme un outil de GRH séduisant, mais complexe quant à sa mise en œuvre dans les organisations. Elle comporte en effet une forte dimension psychique, symbolique et culturelle qui témoigne de la relation d’emploi entre le salarié et l’entreprise. En dépit des limites liées à la taille de l’échantillon, à l’étude d’entreprises appartenant au même pays et à des modes d’organisations peu différents, la thèse débouche sur des préconisations managériales affectant différentes phases de présence dans l’entreprise (du début à la fin de carrière) et ce avec des moments de bilan, d’orientation et de formation.
7 Trois accessits ex aequo ont été attribués aux travaux de (par ordre alphabétique) : A Elsa Berthet, pour sa thèse en Sciences de Gestion intitulée : « Agroécosystèmes innovants : des stocks à préserver aux fonds à concevoir ». Cette thèse a été dirigée par les professeurs Blanche Segrestin et Egizio Valceschini et soutenue dans le cadre de Mines Paris Tech. Deux enjeux majeurs sont au cœur de cette recherche : comment gérer des agro écosystèmes innovants et la coordination d’acteurs aux intérêts divergents. Cette thèse explore une voie nouvelle, celle de la conception des agro-systèmes. Elle propose de relire la crise de l’agriculture comme une crise de la conception. En effet, on sait concevoir des machines et des techniques, voire des plantes et des races animales, mais concevoir un système qui met en jeu aussi bien des dynamiques écologiques et agronomiques que sociales demeure un véritable défi. L’approche retenue cumule l’étude des services éco systémiques et l’analyse des biens communs au moyen d’un modèle « fonds-flux ». Cette démarche permet de reconnaître la dimension ouverte, partiellement inconnue des fonds écologiques et de repérer les plus créateurs de valeurs.
8 A Pascale Château Terrisse, pour sa thèse en Sciences de Gestion intitulée : « Le rôle des outils de gestion dans les organisations de l’économie sociale et solidaire ». Thèse préparée sous la direction de la Professeure Muriel Jougleux de l’Université Paris-Est. Dans un contexte de crises des valeurs, de recherche de légitimité et de difficultés financières, la recherche de croissance pousse à abandonner la multiplicité des approches et des outils de management pour se focaliser sur la seule logique de rentabilité. Cette thèse aborde l’étude des instruments de gestion au sein de deux organisations de capital-risque solidaire et relève qu’ils sont porteurs de logiques institutionnelles multiples susceptibles de préconiser des régulations contradictoires. Cette recherche revisite l’usage des outils de gestion dans le cadre d’organisations de l’économie sociale et solidaire.
9 A Marc Joëts, pour sa thèse en Sciences économiques intitulée : « Vers une financiarisation des marchés des matières premières ? ». Thèse dirigée par la Professeure Valérie Mignon de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Cette recherche s’attache à traiter une question d’actualité liée à la volatilité et à l’incertitude qui affectent le prix des produits énergétiques. Cette thèse s’efforce de présenter les principales causes de ces fluctuations aux conséquences économiques considérables dans un contexte mondial fragilisé. Le processus de financiarisation et de dérégulation des marchés des énergies pose les questions de l’existence d’un monopole et de l’attribution d’un prix plus juste pour le consommateur final. Il génère, également, les questions liées aux bases d’une modification profonde de la structure des marchés et du processus de formation des prix dans une période où les établissements financiers se montrent perplexes face à ces évolutions. La thèse aborde le concept de spéculation et s’interroge sur son aspect dommageable pour la collectivité.
10 La seconde partie de ce numéro 199 propose deux articles sur des éléments incontournables de réussite de l’innovation en entreprise : la définition des contours d’une politique d’innovation par l’utilisation de l’analyse automatique des brevets et un partage d’expériences à travers le rôle stratégique et social des financeurs des PME-ETI au Québec. Sans innovation, l’entreprise ne peut créer de valeur ni se développer. Actuellement, si les systèmes de développement de l’innovation programmée, ou innovation incrémentale, restent nécessaires, il devient également indispensable de mettre en valeur les idées visionnaires – innovation visionnaire ou de rupture – qui germent dans l’entreprise. La complexité de l’environnement technico-socio-économique augmente les risques d’échec des innovations. Par ailleurs, les questions auxquelles l’analyse du développement doit trouver des réponses concernent ; la pauvreté et les conflits dans un contexte économique incertain. Les conséquences des avancées technologiques, la globalisation des transitions sociotechniques (énergétique, écologique, démographique) et l’uniformisation de l’économie mondiale sont également à intégrer. La transformation des connaissances en biens et services utiles est un facteur clé du développement économique.
11 Les deux articles proposés dans cette seconde partie apportent un éclairage relevant de cette incontournable dynamique :
12 Sous la signature des Professeurs Henri Dou, Bernard Haudeville et Dominique Wolff, ces derniers traitent des potentialités, trop souvent méconnues, offertes par l’analyse automatique des brevets (APA pour Automatic Patent Analysis). L’article intitulé, « L’analyse de l’information brevet comme catalyseur de l’innovation et du développement des entreprises », présente les opportunités offertes par cette approche dans la définition des contours de la politique d’innovation d’une PME ainsi qu’une étude de cas qui soulève l’intérêt d’une approche méthodologique afin de mieux connaître son environnement concurrentiel et de tester des idées nouvelles.
13 La Professeure Andrée de Serres, un post doctorant Maazou Elhadji Issa et un doctorant Alexandre Pourchet propose un article intitulé : « Entre compétition et coopétition : le rôle stratégique et social des investisseurs dans la coconstruction de l’écosystème des PME-ETI au Québec ». Outre les risques et l’incertitude liés au bon déroulement de la convention de crédit, les auteurs présentent une typologie d’un écosystème du financement de la PME-ETI dans un cadre institutionnel d’une province canadienne marquée par son histoire et sa culture. Au-delà de la compétition commerciale, ils introduisent, dans leur étude exploratoire, la notion de coopétition conjuguant des interventions financières et des conseils apportés simultanément par des acteurs publics et privés qui privilégient, ainsi, une communication réductrice des risques. Le mode de fonctionnement original de cet écosystème particulier permet un effet de levier conséquent tant dans le financement des innovations que pour des entreprises qui n’auraient pas été éligibles dans une approche traditionnelle. Ce système de financement original mériterait une meilleure diffusion dans le monde.
14 Thibault Cuénoud, dans un article intitulé : “The weaknesses of economic development based on foreign capital : the specific case of the CEEC during the subprime crisis”, nous propose, en anglais, un article qui s’efforce d’analyser les niveaux de vulnérabilité différenciés des pays du PECO (acronyme désignant les pays d’Europe Centrale et Orientale) pendant et après une crise. L’auteur explique que ces pays ont choisi de restructurer leur économie par une stratégie d’augmentation de leurs exportations avec l’espoir de bénéficier d’effets positifs. Mais la principale condition pour la mise en place de cette stratégie est la libéralisation de leur compte de capital ainsi que la stabilisation de leur taux de change afin d’attirer les capitaux étrangers. Le taux de réussite de cette phase déterminante a connu des succès divers. Elle impose des réformes structurelles d’importance où le courage politique des dirigeants s’avère une condition incontournable. La crise grecque et l’absence d’une unité et d’un véritable gouvernement européen nous ramènent inexorablement aux incertitudes de notre bouillonnante actualité ! Cette analyse de ces événements récents rencontrés par les PECO, souligne l’importance des outils macroéconomiques et des fondamentaux macroéconomiques dans un contexte de mondialisation. Leur capacité à contrôler, dans le court terme, une politique budgétaire appropriée, permet le retour rapide des capitaux étrangers dans la période post-crise et de restaurer la confiance par des actes. Ce qui renvoie à l’actualité !
15 Les Notes de lecture des Professeurs Daniel Bretonès et Jean-Jacques Pluchart enrichissent ce numéro 199.