1L’économie chinoise a connu une croissance foudroyante au cours des trente dernières années. A la suite de la crise, le taux de croissance est tombé de 10 % en moyenne à 7,5 % en 2013 et devrait se stabiliser aux environs de 7 %. Selon la Banque Mondiale, le taux de croissance pourrait même baisser durablement aux environs de 5 %. Que le taux de croissance se stabilise à 5 ou à 7 %, il s’agit cependant d’une performance exceptionnelle, mais précaire. La Chine, par exemple, a un excédent commercial considérable vis-à-vis des marchés développés : Etats Unis et Union européenne. Elle est lourdement déficitaire vis-à-vis des pays voisins du Sud asiatique où sont délocalisées les entreprises chinoises, y compris les économies développées comme le Japon, l’Australie et la Corée du Sud, et vis-à-vis des pays producteurs de matières premières d’Afrique et d’Amérique latine.
2La crise a servi de détonateur en accélérant le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie. La Chine domine les marchés de matières premières dont elle peut à volonté manipuler les cours. Il se pourrait cependant que la baisse du taux de croissance chinois ne soit pas seulement due à la crise, mais qu’elle traduise une tendance plus profonde liée à des phénomènes durables. Certes la balance commerciale chinoise est toujours positive, mais l’excédent de la balance courante a diminué de moitié. La part du commerce extérieur dans le PIB est également tombée de moitié (de plus de 10 % à 5 %). Ce ne sont plus les exportations qui tirent la croissance chinoise, mais les investissements publics.
3L’inflexion de l’économie chinoise est le résultat, d’une part d’une politique volontariste visant au changement de modèle économique, et d’autre part d’une modification spontanée des modes de consommation des Chinois eux-mêmes avec notamment la croissance d’une nouvelle classe moyenne.
4Jusqu’à présent la croissance du secteur manufacturier était financée par un prélèvement sur le secteur agricole - conformément à la doctrine marxiste de « l’accumulation primitive du capital ». Depuis le début de la politique des réformes, les investissements ont été financés par une épargne anormalement abondante (plus de 50 % en 2013) qu’on observe dans aucun autre pays. Dans la composition du PIB, le taux d’épargne est régulièrement supérieur au taux d’investissement (ce qui explique mécaniquement l’excédent chronique de la balance commerciale). En outre, le taux de croissance de l’investissement a toujours été supérieur à celui de la croissance du PIB, tandis que le taux de croissance de la consommation a toujours été inférieur. Mais les investissements sont des investissements publics financés au détriment de la consommation dont le rendement diminue (investissements inutiles ou de prestige). Ce qui se traduit par une accumulation des réserves de change qui sont potentiellement inflationnistes en dépit des coûteuses opérations de stérilisation de la banque centrale. Il est temps que la consommation intérieure prenne le relais de l’investissement public et que les investissements des entreprises privées et des sociétés de croissance prennent le relais des investissements publics des collectivités locales et des sociétés d’Etat.
5Conscient de l’impasse dans laquelle se trouve l’économie chinoise, le Parti cherche depuis plusieurs années à modifier le modèle de croissance chinois. Mais ce changement d’orientation doit se faire sans toucher aux institutions qui constituent le fondement de son pouvoir. Tirant les enseignements de la crise, un nouveau modèle plus « sino-centré », moins dépendant des marchés développés, devrait mettre l’accent sur la demande intérieure et particulièrement sur la consommation des ménages. Mais pour des raisons plus politiques et sociales qu’économiques, toutes les mesures prises en ce sens n’ont pas donné jusqu’à présent de résultats marquants.
6Sur le plan de la consommation intérieure, l’économie chinoise peut s’appuyer sur l’émergence d’une classe moyenne urbaine de 2 à 300 millions d’habitants, et les besoins de 7 à 800 millions de ruraux privés des biens et services les plus élémentaires (éducation, santé, communication). Si la croissance chinoise s’en tient aux besoins exprimés par les classes moyennes de plus en plus occidentalisées, l’économie chinoise court le risque de s’enfermer dans la « trappe des revenus moyens / middle income trap ». Le danger est alors de renforcer l’évolution vers un modèle de « société duale » telle qu’elle existe dans de nombreux pays d’Amérique du Sud et qui menace également les économies du continent africain qui sont pourtant en plein essor. La croissance des inégalités est un signe inquiétant. En passant de 0.30 en 1978 à 0.47 en 2012, le taux « Gini » a franchi le seuil critique de 0.40 considéré comme le niveau de déclenchement des troubles sociaux.
7L’une des principales sinon la principale raison tient au mauvais fonctionnement de l’intermédiation bancaire et financière.
8Il en résulte une mauvaise allocation des ressources et une hausse du coût d’intermédiation qui se traduit par exemple par des taux d’intérêt trop élevés (plus élevés que le taux de rendement prévisionnel des investissements) et une baisse constante du taux de rendement des nouveaux investissements. Les entreprises renoncent aux investissements prévus, car le coût du crédit est trop élevé, tandis que d’autres, plus rentables, n’ont pas accès au crédit bancaire ou aux marchés financiers.
1 – L’hypertrophie du secteur bancaire
9L’intermédiation du secteur bancaire consiste à assurer dans les meilleures conditions et au meilleur coût la collection de l’épargne (les dépôts) et de diriger l’épargne publique vers les investissements (les crédits) offrant les meilleures perspectives de rendement. Or les banques détournent l’épargne publique vers des emplois discutables sinon franchement inutiles. Les crédits sont utilisés pour des investissements de moins en moins rentables, par exemple des infrastructures de prestige financées par les collectivités locales, mais inutiles au stade actuel de développement. Ces investissements publics sont financés par des crédits qui ont donc peu de chances d’être remboursés. Dans le meilleur des cas, les crédits seront indéfiniment renouvelés jusqu’à ce qu’ils soient retirés des bilans bancaires sous forme de provisions (autant de pertes imputées sur les profits), ou qu’ils soient transférés dans des sociétés de « défaisance » qui permettront ainsi de les faire disparaître des bilans bancaires.
10Les besoins de financement de l’économie sont couverts à 80 % par les crédits bancaires (contre 50 % dans les pays développés), dont les deux-tiers par les 4 banques d’Etat : ICBC (Industrial and Commercial Bank of China), BOC (Bank of China), CCB (China Construction Bank) et ABC (Agricultural Bank of China), auxquelles il faut ajouter la BOCOM (Bank of Communications). Cette concentration des risques est potentiellement dangereuse. Il est d’ailleurs significatif que l’on continue d’appeler « banques d’Etat » des institutions de crédit qui sont théoriquement « privatisées », cotées en Bourse et dont le capital est détenu par des actionnaires « privés ».
11Ces banques « d’Etat » ainsi que plusieurs autres furent « privatisées » dans les années 2003-2005 lors de l’arrivée au pouvoir de l’équipe Hu Jintao / Wen Jiabao suivant une méthode assez particulière : les banques publiques lourdement chargées de crédits non remboursables consentis aux sociétés d’Etat à l’époque de l’économie planifiée, furent d’abord transformées en sociétés anonymes. Les crédits « pourris » hérités de la période Mao furent retirés des bilans bancaires et transférés vers des « sociétés de défaisance ». Les banques furent recapitalisées par l’intermédiaire d’une holding d’Etat, Huyjin, une filiale de la banque centrale
12(reprise depuis par le fonds souverain China Investment Corp. ou CIC). Le capital des banques ainsi « purgées » fut alors ouvert à des investisseurs étrangers au moyen d’augmentations de capital « réservées » à des prix très compétitifs. Les augmentations de capital furent donc souscrites par de grandes banques occidentales (Citibank, Bank of America, HSBC, RBS…) trop heureuses de pouvoir ainsi pénétrer (mais à quel prix) le marché chinois, avant même qu’elles ne soient mises sur le marché. Enfin, les banques purgées et recapitalisées furent introduites en bourse (Shanghai et Hong Kong).
13La « privatisation aux caractéristiques chinoises » ne signifie en aucune façon un transfert de la propriété et une cession du contrôle aux nouveaux actionnaires, mais seulement un changement dans les méthodes de gouvernance. Les dirigeants sont toujours nommés par le Parti. Les décisions stratégiques sont prises par le Parti. Ces établissements qui comptent parmi les premières banques du monde en termes d’actifs et de profits, sont gérés directement par le Politburo ou le Conseil d’Etat. En contrepartie, les dirigeants doivent désormais rendre compte, assurer la rentabilité des établissements et relayer la politique du pouvoir.
14Une circulaire du Parti (2013) a même précisé que les sociétés publiques devaient verser 5 % du capital à l’actionnaire. Ceci signifie sans doute que jusqu’alors elles pouvaient s’en dispenser.
15Le transfert des créances douteuses des bilans des banques vers des sociétés de défaisance aux noms poétiques (Cinda, Great Wall, Orient) fut financé par des émissions obligataires émises par lesdites sociétés de défaisance et souscrites… par les banques mêmes qui avaient cédé les créances. Cette opération dont la Chine n’a pas le privilège, s’apparente à un tour de bonneteau comptable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les sociétés de défaisance ont depuis obtenu une licence bancaire qui leur permet de se transformer en société de gestion d’actifs, certaines même en banques commerciales. Les nouvelles « banques » peuvent ainsi revendre les portefeuilles d’actifs douteux « par appartement » à des investisseurs institutionnels. C’est ainsi qu’en 2013 la Citibank a racheté pour 3 milliards de dollars un portefeuille de créances mis aux enchères par Cinda.
16Les 4 banques d’Etat sont d’énormes « mammouths » comprenant chacune plus de cent mille employés répartis dans 35 000 agences dispersées sur tout le territoire, et contrôlant des centaines de filiales spécialisées (assurance, crédit à la consommation, investment banks, sociétés de courtage, sociétés de gestion d’actif, sociétés de gestion de portefeuille, cartes de crédit, etc.).
17Outre son propre réseau (égal au total des trois autres banques d’Etat), l’Agricultural Bank of China supervise le réseau de coopératives de crédit créées dans les années 80, au tout début de la politique de réformes. Les collectivités locales avaient créé les coopératives de crédit pour assurer les financements de proximité. Après la disparition par mort naturelle des communes populaires désertées par les paysans dès lors que la propriété des terres avait été transférée à l’Etat, les collectivités locales prirent l’initiative de créer des industries locales (les TVEs : Township and Village Enterprises) pour assurer les besoins locaux. Comme elles étaient gérées dans des conditions très artisanales, les coopératives furent elles aussi « privatisées », certaines ont été cédées à leurs dirigeants ; d’autres ont été regroupées puis fusionnées avec les banques des villes voisines ; d’autres transformées en banques commerciales « privées » ; enfin, certaines furent vendues à des banques étrangères qui les transformèrent en banques commerciales classiques.
18Aux quatre banques directement contrôlées par l’Etat-Parti et en situation de monopole, il faut ajouter un certain nombre d’établissements de crédit qui pour diverses raisons sont encore entre les mains de l’Etat-Parti.
19La BOCOM, une banque d’Etat « privatisée » dont le principal actionnaire est la banque anglaise HSBC (Hong Kong & Shanghai Bank), est spécialisée dans le financement des infrastructures (comme le barrage des Trois Gorges) et sert de bras armé à l’Etat et aux collectivités locales. La HSBC n’a évidemment rien à dire dans sa direction. Le plus vraisemblable est qu’un jour prochain, la HSBC, après avoir rendu quelques « services » à l’Etat, échangera sa participation contre une participation plus active dans une grande banque commerciale. Par « service » il faut entendre quelques investissements purement politiques. A l’initiative de l’Etat, HSBC a par exemple lancé en 2012 un réseau de « banquiers aux pieds nus », des équipes mobiles de « banquiers » censés répondre aux besoins des régions isolées ou inaccessibles.
20Les « banques politiques » contrôlées à 100 % par l’Etat furent à l’origine le réceptacle des crédits « pourris » (NPL pour non performing loans) des banques d’Etat, les crédits sur les entreprises d’Etat tellement endettées qu’il a fallu soit les recapitaliser, soit les fusionner, soit les faire purement et simplement disparaître. Les « banques de développement » comme la China Development Bank, la China Export-Import Bank, également contrôlées à 100 % par l’Etat, accompagnent les entreprises sur les marchés étrangers. C’est ainsi que la CDB a consenti un prêt de 10 milliards de dollars au Brésil (Petrobras) en échange d’un contrat d’approvisionnement à long terme de minerai de fer (Vale).
21Enfin de nombreuses banques « privatisées » (Minsheng, Everbright, Merchant Bank, Pudong Development Bank), certaines cotés en Bourse, ont le plus souvent pour actionnaires des collectivités locales (les villes où elles sont établies) ou des agences de l’Etat (CIC, SAFE, SASAC, NSSF) aux côtés de sociétés d’Etat.
22Quant aux banques étrangères dont on parle beaucoup, elles ne représentent que 2 % du marché, que ce soit en termes de dépôts ou en termes d’actifs. Dès l’origine les pouvoirs publics avaient limité la participation des banques étrangères à 20 % du capital, pas assez pour jouer un rôle effectif dans la gestion, surtout dans le contexte chinois. Suivant les termes du traité d’adhésion de la Chine à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) en 2001, il était prévu que la Chine ouvrirait son marché intérieur aux banques étrangères dans les mêmes conditions que les banques chinoises dans un délai de 5 ans. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Chine a procédé à l’ouverture du marché intérieur avec une sage lenteur. Depuis 2007, quelques dizaines de banques étrangères ont été autorisées à ouvrir une agence dont la compétence ne dépasse pas les limites d’une agglomération. La mieux dotée, HSBC (Hong Kong & Shanghai Bank), une banque anglaise établie en Chine depuis près de deux siècles, dispose d’un réseau d’une centaine d’agences, soit la taille d’une petite banque régionale.
23Une fois leur mission remplie, les banques étrangères ont été remerciées. Le Crédit Agricole a dû céder sa participation dans le CLHK (Crédit Lyonnais HK) à la CITIC, la première banque d’affaire chinoise. J.P. Morgan a dû céder sa participation de 49 % dans CCIB, la deuxième banque d’affaires chinoise, à son partenaire chinois, la CCB. Les grandes banques d’Etat n’hésitent pas à conclure des accords de partenariat ou créer des filiales spécialisées avec des banques étrangères concurrentes de leurs actionnaires étrangers. Ainsi la Pudong Development Bank, dont le premier actionnaire est la Citibank, a créé une filiale commune spécialisée dans l’assurance avec la BNP et AXA.
24La crise aidant, les banques occidentales qui avaient participé à l’opération de « privatisation » ont revendu leurs parts quand elles se sont rendu compte que leurs coûteux investissements ne leur rapportaient rien en termes de synergies ou de pénétration du marché chinois. Depuis la plupart des banques étrangères se sont tournées vers de petites banques régionales financièrement plus accessibles et disposant d’un réseau et d’une base de clientèle, telle la BNP dans la Nanjing Bank (Banque de Nankin) ou la Citibank dans la Pudong Development Bank (Shanghai).
25Pour « verrouiller » le système, c’est l’Etat (et non le marché) qui fixe les taux d’intérêt, aussi bien les taux versés aux déposants que les taux payés par les entreprises. Ainsi, les banques sont assurées d’une marge garantie. Le marché monétaire, le marché interbancaire où les banques échangent leurs excédents de trésorerie, ne joue qu’un rôle très limité. Obligées de fournir une « garantie » de leur maison-mère, ce qui juridiquement est un non-sens, les banques étrangères sont de fait exclues du marché monétaire. C’est la banque centrale qui fixe les conditions du marché par ses interventions sur le marché, le taux de refinancement des banques et le montant des réserves obligatoires, ces dépôts que les banques sont obligées de conserver à la banque centrale. En fait les réserves « libres », c’est-à-dire les réserves constituées au-delà des réserves obligatoires sont considérables, si bien que la politique monétaire de la banque centrale a peu d’effet sur les conditions de marché et qu’elle préfère recourir aux bonnes vieilles méthodes administratives.
26Malgré la campagne de « privatisation », il est difficile de parler de banques « privées ». Certes les actionnaires sont parfois « privés » mais la gestion est toujours publique. Ali Baba, une société « privée » créée par le très médiatique Jack Ma (écarté de la direction en 2013) développant un site de e-commerce, envisage d’utiliser la masse d’informations collectées de ses 500 millions de clients pour créer une banque « privée ». Mais il s’agit d’un secteur (internet) hautement sensible et surveillé de très près par les autorités. On se rappelle comment Google a été écarté du marché chinois pour n’avoir pas voulu communiquer certaines informations sur des comptes de dissidents. Mais comme il ne faut jamais acculer un partenaire dont on peut avoir un jour besoin, Google a été autorisé à émettre à partir de Hong Kong où ils ne sont pas soumis aux mêmes réglementations.
27Les banques d’Etat ne prêtent qu’aux sociétés d’Etat et aux collectivités locales. A l’abri du « parapluie » de l’Etat, les banques se sont dispensées d’une véritable politique de sélection et de gestion des risques, une politique qui est cependant au cœur du métier de banquier. Un directeur de banque pourra difficilement résister aux pressions des autorités même si le crédit est destiné à une entreprise en faillite ou à un projet d’investissement qui ne sera jamais rentabilisé. Les risques sont tous considérés comme des risques « souverains » (risques sur l’Etat) puisqu’il est entendu qu’en cas de difficulté l’Etat interviendra pour sauver les sociétés de la faillite et les banques de la banqueroute.
28Ces méthodes d’attribution des crédits ouvrent la voie à toutes les formes de corruption. Les nombreuses condamnations pour détournement de fonds publics n’ont pas épargné les plus hauts dirigeants des banques et des collectivités locales (le Président de la Bank of China, le Ministre des Chemins de Fer, le secrétaire du Parti de Shanghai, et bien d’autres encore).
29Les banques ne prêtent pas aux entreprises qui en ont véritablement besoin comme les entreprises privées, les PME jugées (non sans quelques raisons) incapables de fournir des documents comptables fiables, les entreprises individuelles, les sociétés high-tech, les start-up, les sociétés de croissance, en un mot toutes les entreprises qui sont le véritable moteur de l’économie. Le crédit à la consommation (logement, auto, électroménager) qui répond en principe aux objectifs de la nouvelle politique, est encore peu développé et peu utilisé. L’abstention des banques refusant de fournir des crédits aux entreprises de croissance paralyse l’innovation.
30Le plan de relance de 2008 (avec une piqûre de rappel en 2011), décidé et mis en œuvre quelques semaines après la faillite de Lehman Brothers, comprenait 400 milliards de yuans de subventions de l’Etat attribuées aux collectivités locales et aux sociétés d’Etat, auxquels s’ajoutaient 1 800 milliards de yuans de crédits bancaires supplémentaires qui ont doublé d’une année sur l’autre. Le Parti a dû envoyer des missions d’audit dans les provinces pour vérifier l’utilisation des fonds publics. De nombreux projets d’investissement furent ainsi annulés.
31A la suite des plans de reprise qui ont augmenté massivement les crédits bancaires, il aurait été naturel que le taux de créances douteuses bondisse. Pourtant, les grandes banques chinoises ont publié des taux de provisionnement pour créances douteuses qui restent à l’intérieur des normes internationales. Il faut du temps pour que les créances non remboursables apparaissent dans les bilans. Il faut que les crédits non remboursés soient arrivés à échéance. Tant que le client paie les intérêts, la banque n’est pas obligée de provisionner la créance, même si l’on sait qu’elle ne sera jamais remboursée. Si la banque renouvelle automatiquement le crédit à l’échéance, le client n’est pas considéré comme défaillant. S’il le faut, la banque prêtera au client le crédit nécessaire pour payer les intérêts et éviter ainsi la faillite qui l’obligerait à provisionner les créances. Le nouveau crédit s’ajoutera aux autres crédits et ainsi de suite.
32Après plusieurs années de ce traitement de faveur sur instruction des autorités, il faudra bien constater les pertes.
33L’augmentation massive des crédits a naturellement fait bondir les bilans bancaires. Le bilan de la banque centrale chargé d’alimenter le marché et de racheter les créances bancaires a doublé. Augmentation des actifs, augmentation des créances douteuses, augmentation des provisions… le cercle vicieux est en place. L’heure de vérité approche. A la demande de la banque centrale, les banques doivent maintenant procéder à des reconstitutions de leurs fonds propres pour porter les ratios au niveau des normes internationales (Bâle I, II et III). Profitant de conditions de marché plus favorables, les introductions boursières (IPO pour International Public Offering) ont repris et certaines banques en ont profité comme la CCB. Si l’assainissement des bilans bancaires suit la même procédure que précédemment, on aura simplement déplacé le problème de l’endettement des banques sans le résoudre.
34La concentration des risques sur les banques d’Etat a créé une situation très dangereuse. Le taux de défaillance des sociétés d’Etat est très supérieur à celui des sociétés privées. Le taux de défaillance dans le secteur informel est même inférieur à celui que l’on constate dans les banques d’Etat. L’abstention des banques d’Etat a permis le développement d’un secteur de crédit informel dont on estime qu’il représente le tiers du total des encours (sans doute de l’ordre de 2 000 milliards de dollars).
35Sous la rubrique « crédit informel », on trouve en fait deux types d’institutions très différentes.
36D’un côté des « trusts » qui rachètent les créances aux banques ou qui montent des crédits en faveur des sociétés à qui les banques, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ont refusé de faire crédit. Puis elles revendent les titres dans le public (qui ignore ainsi à qui il prête en réalité)… par l’intermédiaire des réseaux bancaires. Les souscripteurs bénéficient ainsi de taux d’intérêt bien supérieurs à celui des comptes d’épargne bancaires ou des Bons du Trésor. Les périodes de restriction du crédit (le credit crunch de 2013) sont particulièrement favorables au développement des « trusts ». Par ailleurs, les entreprises n’hésitent pas à court-circuiter le système bancaire en se prêtant directement leurs excédents de trésorerie (interdit par la loi) sous forme par exemple de délais de paiement (parfaitement légaux).
37L’autre secteur de crédit informel regroupe les héritiers des anciens usuriers qui assuraient les fonctions de crédit dans les régions reculées. Les usuriers, souvent des paysans enrichis, remplissaient cependant une fonction essentielle, mais à quel prix. Les agriculteurs étaient prêts à payer des taux usuraires pour « faire la soudure », payer les semences avant qu’ils aient pu encaisser le produit de la vente des récoltes. Suivant des pratiques très anciennes, des associations se constituent, en dehors de toute réglementation, pour aider un parent, un ami, un voisin qui cherche un financement afin d’ouvrir un commerce, de lancer un projet innovant, parfois même pour acheter un diplôme ou un poste dans l’administration (cela s’est vu). Dans une version chinoise du Révizor de Gogol, un escroc qui s’était fait passer pour un membre de la Commission d’Organisation du Parti, s’était fait verser $ 75 000 par un petit fonctionnaire de province contre la promesse de lui procurer un poste dans l’administration centrale. Cependant, compte tenu de l’absence des banques sur ce segment de clientèle, le crédit informel tient une place tout à fait déterminante pour le financement des entreprises qui n’ont pas accès au crédit bancaire.
2 – L’inefficience des marches financiers
38Depuis la création des marchés de Shanghai (1990) et de Shenzen (1991) auxquels s’est ajouté Hong Kong après son retour à la mère patrie (1997), la Chine dispose de marchés financiers en croissance rapide. On compte déjà plus de 2500 sociétés cotées. Avec 3 000 milliards de dollars de capitalisation, la Chine se place en 3e position derrière le New York Stock Exchange (qui a racheté Euronext) et le London Stock Exchange. Tous les compartiments sont couverts : actions, obligations, produits dérivés, matières premières, etc.
39Dans la perspective de la « privatisation » des sociétés d’Etat et des banques d’Etat, il fallait évidemment créer de toutes pièces un marché sur lequel les titres pourraient être cotés. Ce qui signifiait d’un côté des sociétés susceptibles d’être mises en bourse, et de l’autre, des investisseurs susceptibles d’acheter des titres.
40Un certain nombre de sociétés et de banques furent choisies avec soin et préparées comme des chevaux de course afin de répondre aux critères requis : plusieurs exercices bénéficiaires (réels ou fictifs), publication des taux de provisionnement, statut juridique, composition des conseils d’administration, stratégie de l’entreprise, organigramme de l’entreprise. On se serait cru à Wall Street. Les agences publiques de supervision se montrèrent scrupuleuses voire tatillonnes et décidèrent de tout : cours d’introduction, montant du flottant (volume des titres mis sur le marché), date d’introduction, choix des banques conseils (une Chinoise, une étrangère), choix du syndicataire (underwriters). Les entreprises chinoises étaient enfin soumises à ce que l’on appelle la « discipline des marchés ».
41De l’autre côté, il fallait des investisseurs capables de souscrire les titres offerts et notamment des investisseurs institutionnels prêts à investir dans les sociétés chinoises introduites en bourse. Il fallait aussi des banques d’investissement pour procéder aux introductions en bourse dans les meilleures conditions, garantir le suivi des cours, assurer le rôle des « teneurs de marché » en offrant des contreparties aux investisseurs pour corriger les fluctuations irraisonnées, interdire les arbitrages de hasard toujours suspects, et stabiliser les cours. Il fallait enfin des investisseurs institutionnels prêts à investir dans les sociétés chinoises introduites en bourse et prêts à intervenir sur le marché à la demande des autorités en cas de course / run sur un titre.
42La privatisation des banques prit plus de temps que les sociétés. Il faut croire que c’était une entreprise politiquement et économiquement beaucoup plus délicate. Les banques sont un enjeu de pouvoir, un pivot dans le fonctionnement de l’économie, un instrument essentiel dans la mise en œuvre de la politique de réformes.
43En Chine tout commence (et parfois tout finit) par une réglementation. Les autorités ont donc multiplié les organismes d’Etat chargés du contrôle des marchés : la banque centrale (PBOC), les agences de supervision, CBRC (China Banking Regulatory Commission), CIRC (China Insurance Supervisory Commission), CSRC (China Securities Supervisory Commission), les agences d’Etat chargées de gérer les participations d’Etat (SASAC, Huyjin pour les banques, CIC, le fonds souverain, NDRC ou National Development and Reform Commission, l’organisme tout puissant qui a pris la succession du Plan), et bien d’autres administrations. Les organismes de supervision habitués aux disciplines du Plan exercent un contrôle a priori et a posteriori méticuleux. La CSRC, l’autorité de supervision des marchés financiers, fixe les moindres détails des opérations de bourse, les sociétés autorisées à être cotées, la date d’introduction en bourse, le cours d’introduction, le volume des titres placés en bourse, les banques conseils, la composition des syndicats de souscription, etc.
44La plupart des émissions se font simultanément à Shanghai pour les épargnants chinois et à Hong Kong pour les investisseurs étrangers. Pour assurer le succès des introductions en bourse et garantir une plus-value rapide aux souscripteurs, les autorités avaient délibérément placé les cours d’introduction très bas, c’est-à-dire au bas de la fourchette retenue par les banques conseils qui sont chargées de sonder le marché pour arrêter le juste prix, ni trop bas, ni trop haut. Ainsi les premiers souscripteurs, notamment les investisseurs institutionnels à qui sont garantis à l’avance une certaine part de l’émission (autant de moins pour les souscripteurs privés). La méthode a provoqué des émeutes dans les files d’attente de particuliers qui se sont aperçus en arrivant au guichet après des heures d’attente que tous les titres disponibles avaient déjà été vendus. Les dirigeants avaient déjà servi leurs amis, les hommes en place, les membres de leurs réseaux. La méthode autoritaire suivie permet toutes les formes de corruption. L’heureux acquéreur de titres qui prennent 100 ou 200 % de hausse dès le premier jour de cotation peut les revendre aussitôt avec une grosse plus-value. Avant de recommencer à la prochaine émission s’il possède les bonnes relations.
45Indépendamment des manipulations de marché dont on vient de montrer quelques exemples, les marchés chinois en pleine expansion souffrent de faiblesses chroniques.
46D’abord, les investisseurs institutionnels (les sociétés d’investissement, les compagnies d’assurance), seuls capables d’assurer la stabilité des cours, sont encore peu nombreux et peu expérimentés. Les services d’analyse et de traitement sont notoirement insuffisants. Les particuliers ont traditionnellement un comportement « court-termiste » et spéculatif renforcé par les conditions de fonctionnement des marchés. L’évolution des cours est sans rapport avec les fondamentaux. En 2013, le taux de croissance était de 7,5 % alors que la bourse a plongé de 80 %. La durée de détention des titres est de 3 mois en Chine (contre 18 mois aux Etats-Unis). Etant donné que toutes les sociétés cotées sont considérées – à tort ou à raison – comme des risques publics, il n’est pas nécessaire de prendre en compte le risque propre à l’entreprise cotée.
47L’étroitesse et le manque de profondeur des marchés freinent la constitution de sociétés de « capital-investissement ». Ces fonds d’investissement spécialisés qui prennent des participations dans les jeunes pousses les plus prometteuses avec l’espoir de réaliser des profits considérables sur une réussite qui compensera les pertes essuyées sur les autres participations qui n’ont pas débouchées. Les sociétés de capital-investissement sont donc indispensables au développement de l’innovation. Une société de « capital-investissement » ne peut fonctionner que si elle est assurée d’une « porte de sortie » : ou elle revend la société à un groupe industriel intéressé par le nouveau produit développé, ou elle revend les actions en introduisant la société en bourse sur le marché Chinext de Shenzen, l’équivalent chinois du Nasdaq. L’absence d’un marché bien organisé et bien approvisionné pour les sociétés de croissance est donc un frein à l’innovation.
48Le marché obligataire est essentiellement composé d’obligations d’Etat, mais la dette publique est relativement faible (37 % du PIB) car le budget de l’Etat central est par définition excédentaire (sauf en période de crise) puisque les dépenses sont arrêtées avant les recettes (au lieu de faire l’inverse comme dans les pays démocratiques où les dépenses sont ajustées sur les capacités de paiement des citoyens contribuables). Les émissions d’obligations d’entreprise (grandes entreprises) progressent vite mais les montants cotés sont encore faibles comparés aux marchés des économies développées. Seuls les grands groupes ont accès au marché obligataire. Etant donné que toutes les sociétés émettrices sont considérées comme des sociétés d’Etat ou des risques d’Etat, il n’y a pas de modulation des taux d’intérêt suivant les risques et les échéances, donc peu de possibilités d’arbitrage et de profit.
49Du fait du comportement spéculatif des épargnants chinois, il n’y a pas d’épargne longue capable de répondre aux besoins des investisseurs à long terme (programmes d’infrastructures, compagnies d’assurance, projets d’investissement à long terme comme les centrales nucléaires). Encore faudrait-il concevoir et commercialiser des produits d’épargne à long terme comme les assurances-vie. Les marchés de contrats de dérivés (futures, options) sont également pénalisés : les cours de référence (le gisement) ne reflètent pas la valeur du titre. On remarquera à cette occasion que les dirigeants de sociétés cotées ne parlent plus de « bénéfices » ou de « profits » mais de « création de valeur ». Comme les cours des titres sous-jacents sont considérés par les investisseurs comme des risques publics ou quasi publics équivalents, les contrats de futures et d’options connaissent peu de fluctuations et sont donc peu utilisés. Seuls les contrats de future de taux d’intérêt et de taux de change disposent de véritables marchés. En effet les taux d’intérêt et les taux de change peuvent fluctuer à l’intérieur de marges fixées par la banque centrale. La banque centrale responsable de la mise en œuvre de la politique monétaire et de la politique de change (les décisions sont prises par le Conseil d’Etat) veille à l’approvisionnement du marché et à la stabilité des cours. C’est pourquoi la courbe des taux des différents instruments du marché monétaire est « plate », ce qui limite les fluctuations et par là même les possibilités d’arbitrage.
50Le fonctionnement des marchés financiers et le mécanisme de formation des prix sont perturbés par l’ingérence de l’Etat à tous les niveaux, provoquant des dysfonctionnements qui conduisent à la formation de bulles.
3 – La formation de bulles financières
51Parmi les différents scénarios catastrophes que les observateurs occidentaux se plaisent à étaler, la croissance de l’endettement public et privé due au dérèglement des systèmes bancaire et financier est l’un des plus vraisemblables. En cas de faillite en chaîne des sociétés d’Etat et des collectivités locales incapables de faire face à leurs engagements, c’est évidemment au point de concentration des risques, c’est-à-dire dans le secteur bancaire et sur les marchés financiers, que se produira la déflagration.
52On aura remarqué qu’il y a toujours un biais psychologique en faveur des « pessimistes », une asymétrie dans les prévisions. Certains économistes de l’école « behavioriste » en ont fait une théorie. Quand les prévisions se révèlent fondées parce qu’elles ont été publiées au bon moment, l’auteur est assuré d’une réputation planétaire qui peut le conduire au prix Nobel. Si les faits tournent dans l’autre sens, personne ne se souviendra que lesdits économistes avaient prévu l’inverse. A la veille la crise de 1930, Irvin Fisher avait annoncé une poursuite de la croissance. Ce qui ne l’a pas empêché de fournir une des analyses les plus pénétrantes qui a inspiré tous les monétaristes.
53Les secteurs les plus exposés sont le secteur immobilier et les collectivités locales dont les risques sont directement ou indirectement logés dans les bilans des banques.
54De nombreuses sociétés de promotion immobilières se sont constituées, certaines sont même cotées en bourse, parfois même sur la bourse de New York. La petite fille de Mao, Kong Dongmei, et son mari, Chen Dongsheng, sont à la tête d’une fortune évaluée à 1 milliard de dollars et constituée pour l’essentiel d’investissements dans le secteur immobilier. Anormalement endettées, les sociétés immobilières peuvent en effet compter sur deux facteurs de croissance : l’urbanisation rapide financée par l’Etat et les collectivités locales, et des conditions d’exploitation particulièrement favorables. Les collectivités locales pratiquent la surenchère pour attirer les investisseurs : cessions de terrains agricoles transformés en terrains à construire, baux à (très) long terme, équipements gratuits, sociétés mixtes avec les filiales dédiées des collectivités locales. Le secteur de l’immobilier est dit-on l’un des plus touchés par la corruption. Chaque année on estime que la corruption coûte 4 à 5 % du PIB, autant fonds publics détournés, transférés à l’étranger (Hong Kong) ou dépensés en consommation de luxe qui auraient été mieux consacrés aux besoins d’éducation ou de santé.
55Les Collectivités locales n’ont pas le droit d’emprunter sans l’autorisation du Parti. Les secrétaires des provinces ou des grandes villes sont des personnages trop importants dans la hiérarchie du Parti (équivalents à un ministre) pour leur refuser une autorisation. Mais les échelons inférieurs sont plus vulnérables aux luttes de pouvoir. Les collectivités locales, notamment les grandes villes (une ville est vite « grande » en Chine), ont créé des filiales spécialisées, des « faux nez » appelées « plateformes de financement » dont le seul objet est d’emprunter pour le compte de la collectivité locale sans que celle-ci apparaisse.
56Ainsi l’Etat central ignore le volume total des encours. Plusieurs enquêtes ont été menées par les spécialistes du Parti. Les évaluations varient de 1 à 10 mille milliards de dollars. Soumises aux membres du Parti qui sont jugés sur leurs résultats (taux de croissance, taux de croissance des investissements, taux de création d’emplois), les dirigeants locaux font pression sur les banques qui prêtent sans considération du risque puisqu’elles bénéficient de la garantie implicite de l’Etat central.
57En février 2014, une banque (ICBC) a refusé de renouveler les lignes de crédit d’une société minière (Shanxi Zhenfu Energy Group). Pour éviter la faillite de son débiteur et conserver une chance de récupérer les fonds prêtés, la banque a cédé sa créance à un « trust » (China Credit Trust) qui a revendu à son tour les créances à un « trust » ad hoc créé pour l’occasion (Credit Equals Gold N°1 Product) dont les actions ont été placées dans le public par l’intermédiaire d’ICBC auprès de sa clientèle. Ce qui n’a pas empêché la société minière Zhenfu de faire faillite. Les clients lésés se sont retournés contre ICBC qui a refusé de les indemniser.
58Certains économistes chinois en ont fait une théorie : il y aurait un « biais » spécifique au système chinois qui incline le pouvoir au gonflement des investissements publics inutiles. La faction qui l’emporte grâce à une alliance de circonstance, doit aussitôt « élue » récompenser les clans et les groupes de pression qui l’ont soutenue. Tous les pays – démocratiques ou non - sont soumis au même « biais ». Le problème n’est pas tant l’attribution du crédit ou des subventions, que l’absence de « forces de rappel » : sans procédure démocratique, il n’y a pas de système d’alerte et de sanction pour ramener l’endettement dans les limites des capacités de paiement des contribuables.
59De toutes les hypothèses avancées, la plus logique serait une crise d’endettement frappant le système bancaire. Cette hypothèse semble peu vraisemblable si l’on considère la Dette du gouvernement central qui a certes augmenté à la suite des différents plans de relance, mais qui reste très faible en regard des autres pays. Les réserves considérables de change peuvent être mobilisées en cas de besoin. Mais on ne connait pas le volume d’endettement des collectivités locales et des sociétés d’Etat qui, du fait de l’engagement implicite de l’Etat, s’ajoute à la Dette publique. Si les montants sont effectivement de l’ordre des estimations mentionnées par des organismes internationaux aussi sérieux que le FMI, la Banque mondiale ou l’OCDE, il y a toutes les raisons de s’inquiéter. L’Etat agissant comme « prêteur de dernier recours » supprime ce que l’on appelle « l’aléa moral » (moral hazard), la force de rappel qui tôt ou tard oblige les responsables à faire machine arrière s’ils se sont trompés. Si les banques et les entreprises sont assurées d’être renflouées par l’Etat en cas de problème, les dirigeants peuvent prendre tous les risques. S’ils échouent, ils seront désavoués et mutés ailleurs où ils continueront leur carrière. S’ils réussissent, ils peuvent espérer une carrière nationale dans les instances supérieures du Parti. Ils peuvent persister dans l’erreur aussi longtemps qu’ils ne sont pas sanctionnés. Il semble que la surenchère emporte tout : banques, sociétés d’Etat, sociétés de promotion immobilière, collectivités locales, dans une course poursuite qui fait penser aux jeux vidéo développés pour les enfants. La conduite de la politique économique chinoise s’apparente au pilotage d’une voiture de course où la moindre erreur se traduit par une sortie de route. Mais comme dit le sage, le pire n’est jamais sûr.