Couverture de VSE_195

Article de revue

Pour une évaluation qualitative participante inhibitrice du risque psychosocial

Pages 144 à 163

Notes

  • [1]
    Cette étude clinique et organisationnelle permettant de définir et de quantifier ce qu’on appelle communément le burn out montre que plus de 3,2 millions d’actifs français encourent ce risque (Technologia, 22 01 2014).
  • [2]
    près de 400 suicides par an selon une étude du Conseil Économique et Social de 2007, sans compter tous ceux qui ne sont pas déclarés comme tels (cf. l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale considérant qu’un "accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail" est un accident du travail (AT) et la décision de la CPAM de Gironde, datant du 16 juillet 2012, relative à la reconnaissance du suicide d’un cadre de l’entreprise de transport logistique Gefco, filiale de PSA, qui s’était pendu le 5 mars 2012 dans un local de la société à Bordeaux, et qui a été reconnu comme accident de travail).
  • [3]
    A distinguer de l’adjectif « participatif » qui se dissocie de l’action.
  • [4]
    Maintien d’un état stable de fonctionnement sous l’effet de perturbations.
  • [5]
    Définie comme la prise en compte de quatre types de normes : les normes sociales, qualités, financières et environnementales.
  • [6]
    Qui sont les deux types d’inducteurs de stress systémique : les indicateurs d’ambiance, d’adaptation, de développement et d’animation (inducteurs externes), issus de la nature, de la forme et de la finalité des acteurs eux-mêmes (inducteurs internes), Haim, 2011.
  • [7]
    Op. cit.

Introduction

1A l’ère du tout numérique, l’aspect quantitatif (le nombre) de mesure des atteintes des objectifs a pris largement le dessus sur la dimension humaine, plus qualitative. Mesurer la performance d’un individu se pratique essentiellement à partir du nombre de produits (biens et services) conçus, fabriqués, vendus, et à l’origine du compte de résultat de l’entreprise. L’évaluation quantitative des résultats obtenus et des objectifs à venir pour l’individu ou l’entreprise constitue le cœur du processus. Si l’entretien annuel d’évaluation des salariés est toujours un dispositif facultatif pour les entreprises (étant encore non prévu par le Code du travail), a contrario, quand cet instrument managérial est mis en place, le salarié a l’obligation de s’y soumettre sous peine de licenciement. Par ailleurs, l’augmentation de la rémunération salariale n’étant pas forcément liée aux résultats, ce manquement peut entraîner de fortes frustrations chez le collaborateur. Cette situation, relativement contraignante, force l’individu à subir l’entretien annuel d’évaluation plutôt qu’à bien le préparer. Elle a tendance à le paralyser lors de son activité de travail et à diminuer ses performances. La question de recherche concerne l’étude et l’utilisation de l’entretien annuel afin qu’il ne soit pas générateur de risque inducteur de coûts et de non-performances.

2Cet article a donc pour objectif d’apporter une réflexion et un développement concret sur l’évaluation qualitative des salariés afin de contribuer à la diminution du risque psychosocial et au développement de l’intelligence organisationnelle. La population étudiée dans notre étude se focalise sur les salariés de centres d’appels. Les indicateurs tels que le genre, l’âge, la qualification, l’état de santé, le niveau d’énergie et de concentration ont été les critères d’analyse d’une précédente étude (Haim, 2011). Les indicateurs de ce travail sont à présent prolongés par les principes de bien-être/mal-être, de plaisir/souffrance et de bonheur/malheur et à un niveau supérieur, d’éthique, d’estime et de sagesse. L’étude en cours est prévue sur 5 ans. Elle est réalisée, depuis 2 ans, à partir d’un échantillon de 106 personnes, de tous niveaux hiérarchiques, sur un ensemble de 700 employés.

3L’analyse empirique montre que « l’effet Hawthorne » de considération/mépris (Mayo, 1933) est en fait une composante fondamentale du management. Il en est de même pour le travail coopératif/contestataire, la confiance/défiance et l’engagement qui sont indispensables pour développer l’intelligence organisationnelle. Les attentes externes (la hiérarchie) et internes (soi-même) conditionnent le niveau du risque psychosocial [Cox, 1993 (modèle interactionnel) ; Lazarus et Folkman, 1984 (modèle transactionnel)]. L’hypothèse de départ sera donc que les attitudes de chaque partie prenante (stakeholder theory) sont révélatrices du niveau mesurable de stress atteint par l’individu en souffrance et de sa non-performance (mesurée in fine). Le plan de l’article positionne, à partir des théories existantes, cette hypothèse (partie 1), présente la méthodologie de travail utilisée (partie 2) qui a conduit aux résultats de l’étude (partie 3), à une discussion de ceux-ci (partie 4) et conclut sur les limites et suites envisagées.

1 – Le cadre théorique de la recherche

4Des auteurs comme Karasek (Karasek & Theorell, 1990), Siegrist (Siegrist, 2008), Netterstrom (Netterstrom et alii, 2008) ont mis en évidence les liens qui existent entre les contraintes de travail et la santé des salariés. Comme le montre une étude publiée par le cabinet Technologia [1], le stress professionnel concerne de plus en plus de personnes, notamment en France. La pression externe liée au chômage croissant, la précarité du travail, la nécessaire obtention de performance (obligation de résultat par la hiérarchie), l’urgence, la surcharge de travail, la compétition, l’individualisation, tout cela entraine une course effrénée au profit et à la réduction des coûts (Thébaud-Mony, 2008). Les conséquences psychologiques, médicales et économiques sont de plus en plus lourdes (Servant, 2013). Ainsi, depuis 2010, l’État a créé un plan national d’urgence pour la prévention du stress professionnel. Il suit désormais les négociations sur la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans les entreprises de plus de 1000 salariés. C’est d’ailleurs à la suite des nombreux suicides liés au travail ces dernières années [2] que des baromètres de l’état du stress ont été mis en place dans les entreprises qui le souhaitent. Ils sont réalisés en général par le CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) et le médecin du travail. La difficulté reste de disposer d’une mesure valide, d’un retour sur investissement des moyens mis en œuvre et, surtout, d’une bonne mesure du coût dysfonctionnel lié au stress. Cela éviterait bien des coûts et performances cachés (Savall, Zardet, 1995) et le développement de risques psychosociaux. Car un collaborateur en souffrance accroît son absentéisme ou peut, aussi, se mettre en retrait (présentéisme avec investissement au travail minimal). Cette dernière situation peut réduire la productivité de 33 % selon Hemp (2004).

5Les mauvaises pratiques de management seraient sources de conflits humains. Le fait même d’établir un rapport hiérarchique fort entre deux individus crée souvent une situation de mal-être. Les mauvaises ententes consomment, voire consument (burn out), l’énergie productive. Comme le souligne Stora (2010), « les excitations d’origine externe (sensorielles, motrices) ou d’origine interne (pulsionnelles…) impliquent tout un jeu d’investissement, de désinvestissement, de contre-investissement et de surinvestissement de l’énergie ». Ce qui a pour conséquence des impacts directs humains (blessures, souffrances) et financiers (surcoûts) pour l’organisation. Une spirale infernale se crée qui démotive le subordonné. L’esprit collectif (Lewin, 1945) et la participation individuelle constituent alors une solution pour redonner de l’énergie et éviter au salarié de perdre sa santé. La concentration mentale nouvellement créée grâce à l’énergie et santé retrouvées permet d’obtenir les résultats escomptés par l’acteur lui-même, d’où "l’évaluation qualitative participante [3]" proposée.

6L’approche théorique et épistémologique choisie, qualifiée de systémique, complexe et globale, responsable et durable socialement et économiquement est de nature multidimensionnelle et intégrative. Elle a été déterminée à partir d’une littérature transdisciplinaire.

7Tout d’abord, la recherche part d’une vision systémique (Bertalanffy, 1968 ; Le Moigne, 1984 ; Reix, 1995, Haim, 1998). Cette construction théorique organise l’architecture, la dynamique et le sens indispensables à toute structure vivante complexe homéostatique [4] (De Rosnay, 2000 ; Simon, 2004 ; Morin, 2005 ; Haim, 2006, 2010).

8Puis, la recherche procède à une analyse psychosociale avec l’approche classique freudienne et son procédé d’investigation des processus psychiques, la méthode de traitement des troubles névrotiques, et la théorie du psychisme (Freud, 2010) ; complétée par l’Ecole humaniste rogérienne (Rogers, 2005) et masloienne (Maslow 2007), qui envisage la personne comme un être à la recherche de la réalisation de soi. La psychologie cognitive, qui considère les faits psychiques comme des dispositifs de traitement de l’information est venue consolider le cadre conceptuel. Ainsi se succèdent notamment : la psychologie sociale lewinienne (1945), qui étudie les mécanismes d’influence, des attitudes et des normes sociales, de l’identité des rôles ou de la formation des représentations sociales ; la psychologie piagétienne (1967) du développement intellectuel, moral et affectif ; et, enfin, du fait de la contrainte de l’atteinte obligatoire de ses objectifs par le salarié sous peine d’être rejeté d’une manière ou d’une autre entrainant un développement du mal-être (Maslach, Jackson, 1996), une perte de confiance en soi (Dejours, 2009 ; Cunji, 2009), voire un « burn out » (Freudenberger, 1984), la psychologie positive (Cottraux, 2010), les thérapies cognitives et comportementales (TCC) du stress au travail (Servant, 2013), et la capacité à survivre (Haim, 2012). Ces approches psychosociologiques ont enrichi tour à tour la compréhension du fonctionnement comportemental de l’être humain.

9Ensuite, la recherche bâtit une construction managériale avec, en premier lieu, la théorie X. Il s’agit d’un management où les dirigeants (gestionnaires élitistes), persuadés que les comportements individuels s’ajustent au système par le minimalisme et la passivité au travail, surchargent, contrôlent, contraignent, menacent et sanctionnent. Ils ignorent toute participation, responsabilité et motivation, enrichissement et épanouissement de chaque individu de l’organisation. Ils bafouent ainsi toute confiance, délégation et autocontrôle, degré de liberté laissé, initiatives personnelles. Des éléments qui procurent pourtant, en donnant du sens (c’est la théorie Y qui s’oppose à la théorie X), une forte implication, application et satisfaction au travail, réalisation de soi et une performance élevée (Mc Gregor, 1970). En second lieu, la recherche s’intéresse à la culture de type Z, qui se base sur le fait que « l’emploi à long terme, la confiance et l’intimité dans les relations humaines […] augmentent la rentabilité et la productivité tout en améliorant l’image que les employés ont d’eux-mêmes. […] notre profession influence nos intérêts et nos passe-temps ainsi que nos maladies… il y aura d’autant plus de chances de voir se réaliser des espoirs d’intégration morale dans la société humaine et de solidarité dans sa propre communauté », (Oushi, 1982). En dernier lieu, la recherche fait appel à la vision de type W : le management « intelligent » (cf. schéma 1) qui est à la fois adaptatif puisque énactique (relationnel), organisé (structuré), heuristique (créatif à tâtonnement), téléologique (projectif) et tient compte de la santé, de l’énergie et de la concentration d’une part ; de la considération, de la coopération et de la confiance d’autre part ; et enfin de l’éthique, de l’estime pour soi et son prochain, et de la sagesse des individus qui le pratiquent (Haim, 1998 - 2013).

Schéma 1

Le Management intelligent

Schéma 1

Le Management intelligent

P. HAIM 2013 ©

10Et enfin, la recherche utilise une approche socio-économique : compte tenu du fait de l’interaction des structures et des comportements développés, cette approche contribue à améliorer la performance socio-économique d’ensemble en réduisant les dysfonctionnements observés et les coûts et performances cachés inhérents. Ceci étant réalisable grâce à l’enrichissement du travail humain et à la mise en place d’un processus innovant d’intervention, d’outils et de politiques de management socio-économique, de méthode d’intervention dans le cadre théorique de la tétranormalisation [5]. Cette approche définit, enfin, par ses principes fondateurs (d’interaction cognitive, d’intersubjectivité contradictoire, de contingence générique) le constructivisme générique qui est le cadre épistémologique de la recherche/intervention menée (Savall et Zardet, 2008 ; Haim, 2009, 2013).

11Après avoir décrit dans cette première partie le cadre théorique qui fonde cette étude, la seconde partie montrera comment ont été effectués les travaux de recherche.

2 – La méthodologie de recherche

12Il a été montré que l’observation terrain du niveau de stress entraine des interférences avec le milieu observé (Le Moigne, 1991) et un biais inhérent à l’observateur, selon le principe d’intersubjectivité contradictoire (Savall, Zardet, 2004). La difficulté d’approche réside alors (Lassagne et alii, 2012) dans la détermination du périmètre des études menées, qui est variable selon la population étudiée et l’angle d’analyse choisi (individu, entreprise, assureur social, société), ainsi que dans la méthode d’évaluation révélée ou déclarée (Hanley et alii, 2007). Il est avéré que la méthode d’évaluation contingente déclarative est elle-même source de biais cognitifs (Diamond et Hausman, 1994). Or, il est réellement possible de mesurer le stress professionnel à des fins préventives ou curatives (Quick et Nelson, 1998). Ces situations de mal-être peuvent d’ailleurs être mesurées par des indicateurs de stress professionnel (Hurell et McLaney, 1988 ; Cooper, Sloan, William, 1988 ; Osipow, Doty et Spokane, 1985) de manière particulièrement utile si le contexte et le contenu du travail sont adaptés (Légeron, 2009) et que les salariés sont réellement pris en compte (Moyson, 2001), en « interaction interhumaine » (Ecole de Palo Alto : Watzlawick et al., 1981 ; Bateson, 1984 ; Maslach et al., 1996) et holistique (Haim, 1998 ; Servan-Schreiber, 2005). Ainsi, le couplage d’entretiens semi-directifs basés sur des interactions cognitives et de questionnaires précis (McQuaid et alii, 1992), qui demandent un certain investissement, produit des résultats pertinents. De plus, le principe de contingence générique (Savall, Zardet, 2004) confronté à l’« avis d’expert » permet de généraliser les résultats obtenus. Le traitement informatique simple des données quantitatives collectées, complété par celui des entretiens semidirectifs permet dans ce cas d’interpréter les résultats à des fins de préconisations pour l’entreprise cible. Pour toutes ces raisons, le questionnaire utilisé doit posséder des qualités psychométriques élevées. Il doit être suffisamment sensible, fidèle, valide et normé. Il permet ainsi de favoriser l’intérêt opérationnel en limitant les biais de sélection des populations étudiées et du contexte (Steiler, 2010).

13Les indicateurs cliniques comme la tension, le rythme cardiaque, le taux de triglycérides, et celui de cortisol… (Cannon, 1935 ; Selye, 1936) utilisés par les instances médicales sont confidentiels et ne concernent que le salarié et son médecin. Par ailleurs, l’entreprise dispose de mesures internes qui caractérisent l’organisation [(turnover, absentéisme, accidents du travail, nonqualité des produits, rapports de médecine du travail/CHSCT, audit social, évolution structurelle et dynamique de l’entreprise (Savall et Zardet, 1995)]. Ces indicateurs ne peuvent qu’enrichir favorablement un dispositif entretiens/questionnaire mis en place.

14C’est ainsi que, sur la demande d’une Société Internationale de Centres d’appels et à partir d’une série d’entretiens qualitatifs conduits auprès du personnel, sur plusieurs sites français et complétée par un questionnaire quantitatif, les données de l’étude conduite ont pu être recueillies. Les critères de pertinence sélectionnés ont été dans un premier temps : le genre, l’âge, l’ancienneté, le niveau de diplôme et le statut. L’échantillon était constitué d’hommes et de femmes, âgés en moyenne entre 25 et 45 ans, d’une ancienneté dans l’entreprise de 3 ans en moyenne. Un questionnaire comportant 65 items mis dans un ordre aléatoire a été élaboré et soumis, conformément aux protocoles définis supra. Les questions ont ainsi été prédéterminées par le terrain et les connaissances scientifiques issues de la revue de littérature de recherche. Elles ont été évaluées suivant une échelle de Likert à 10 points à partir de 260 histogrammes.

15Les entretiens Semi-Directifs Centrés quant à eux ont été regroupés en 3 familles thématiques et 21 points abordés. Ils répondent aux principes épistémologiques incontournables de contingence générique, d’interactivité cognitive et d’intersubjectivité contradictoire (Savall, Zardet, 2004). L’enquête a été menée au cours de l’année 2011/2012. Les réponses ont été retranscrites intégralement et interprétées selon le protocole de Miles et Hubermans (2003).

16Le souhait de construire un modèle économique innovant pour un secteur d’activité encore mal défini et l’aspect « marketing » que cela engendrerait a motivé la direction générale de ce groupe dans ce sens. Les 106 personnes interrogées (10 % environ des effectifs totaux) exercent des fonctions dans des activités variées et à des niveaux de qualification différents (salariés volontaires, téléconseillers confirmés ou experts, superviseurs et directeurs). Cela forme un échantillon correspondant au seuil de saturation. Les salariés ont été interviewés chacun durant 50 mn en moyenne et pendant leur temps de travail.

17La confiance et la considération instaurées par les différentes parties prenantes (hiérarchie, personnel, intervenant/chercheur) laissaient entendre que chacune d’entre elles pouvait contribuer à la construction de voies d’améliorations possibles. L’accompagnement par l’intervenant/chercheur a facilité « la mise en cohérence de la stratégie des acteurs, telle qu’ils l’ont définie par négociation entre eux, c’est-à-dire au moyen d’un jeu de conflit-coopération évolutif et itératif, créateur de valeur sociale et de valeur économique » (Krief, 2005 ; Savall, Zardet, 1995).

18L’analyse dysfonctionnelle utilisée (Savall, Zardet, 1995) a contrario de l’approche classique par les points forts qui masquent en général les points faibles a permis de stimuler les comportements humains par des prises de conscience multiples. Cette démarche a engendré des réactions d’acceptation et de rejet lors de la présentation orale des résultats de l’investigation (l’effet-miroir). Ces réactions ont été mobilisées dans la phase suivante de recherche de solutions d’amélioration au sein d’un deuxième document (l’avis d’expert). Ces deux documents ont été consignés dans un rapport écrit final remis aux dirigeants et mis à disposition des personnes intéressées, compte tenu de la vocation-même des travaux de recherche. En utilisant les documents financiers de l’entreprise, il est possible de compléter le processus Qualitatif/Quantitatif/Financier engagé de la méthode SOF (Social, Organisationnel et Financier) inhérent à l’approche socio-économique (Savall, Zardet, 1995). Il ne restera plus qu’à déterminer l’impact financier des inducteurs de stress systémique sur les coûts et performances cachés de l’entreprise cible pour mesurer complètement le risque psychosocial et apporter des préconisations pertinentes. Ces travaux à vision financière seront l’objet de nouvelles publications.

19Enfin, le choix d’une méthodologie qualitative à partir de l’étude du cas présenté, procède d’une démarche abductive et d’une posture compréhensive pour faire apparaître les relations causales et finalitaires entre les 3 niveaux de paramètres émergents : la santé, l’énergie et la concentration d’une part ; la considération, la coopération et la confiance d’autre part ; et pour finir, l’éthique, l’estime de soi et de son prochain, la sagesse, et le degré d’engagement.

20Après analyse, un modèle d’aide à la prise de décision, reposant sur des hypothèses explicatives formées à partir des théories W, X, Y et Z, a pu être construit. La base d’invariants et de liens formels identifiés permettra alors, dans une dernière étape, d’expérimenter les préconisations proposées afin de valider ou non la formation de connaissances scientifiques nouvelles, pertinentes et de formulation diffusable (Savall, Zardet, 2004).

3 – Les résultats des travaux actuels

21Lors du traitement des données, un premier niveau d’analyse a permis de regrouper les données en unités analytiques. La deuxième phase d’analyse a consisté à faire émerger 9 grandes catégories interactives et hiérarchiquement ordonnées. Cette organisation systémique permet de procéder à des analyses inter-cas : l’énergie, la santé et la concentration d’un individu en relation avec la hiérarchie normative et l’environnement tétranormalisé (cf. supra) d’une part ; la considération, la coopération, la confiance, ensuite ; et le bien-être, le plaisir et le bonheur pour finir (cf. schéma 2). La troisième phase a consisté à analyser et intégrer les relations des inducteurs internes et externes identifiés avec la performance socio-économique (théorie socio-économique), les 4 différentes théories du management énoncées supra (X, Y, Z et W) et les phénomènes comportementaux d’apprentissage personnel et de désapprentissage organisationnel inhérents à toute structure (approche psychosociologique).

Schéma 2

Relation Entreprise/Individu/Environnement et Risque Psychosocial

Schéma 2

Relation Entreprise/Individu/Environnement et Risque Psychosocial

P. HAIM 2013©

22Après analyse s’appuyant sur une approche par le discernement et interprétative des données récoltées, l’état mental des individus et la vision de l’environnement étant décisifs (approche psychosociologique), les catégories émergentes ont été positionnées sur un plan en fonction de leur poids respectifs relatifs aux inducteurs de pessimisme (-) et d’optimisme (+). L’ordre d’importance décroissant des parties prenantes HRM (hiérarchie (I)), CRM (client (II)), SRM (social (III)), est représenté sur le schéma 2 d’ensemble (cf. infra), selon leur influence sur le salarié en position centrale. Cette influence est mise en évidence pour chaque catégorie à l’origine de la perception de la réalité, représentée dans une dimension perpendiculaire aux deux précédentes (état et vision), avec une plus ou moins grande ampleur. Les catégories émergentes, après une quatrième phase d’analyse, toujours par un logiciel de traitement de données, sont positionnées sur un plan en fonction de leur poids respectifs relatifs aux inducteurs stresseurs (+) et désinhibiteurs (-). On obtient ainsi dans une 3e dimension, orthogonale aux deux précédentes, une plus ou moins grande ampleur du stress généré. Une relation entre les stresseurs, les désinhibiteurs [6] et le stress est donc établie.

23Diminuer les stresseurs et augmenter les désinhibiteurs dans chacune des catégories contribue à diminuer le stress global au travail. Quinze grandes catégories interactives ont ainsi pu émerger :

  1. états optimiste/pessimiste (1. et 1’.) ;
  2. visions pessimiste/optimiste (2. et 2’.) ;
  3. inducteurs interne/externe (3. et 3’.) ;
  4. intelligence actionnelle/réactionnelle (4. et 4’.) ;
  5. apprentissage personnel/organisationnel (5.) ;
  6. désapprentissage organisationnel/personnel (6.) ;
  7. bien-être/mal-être (7. et 7’.) ;
  8. plaisir/souffrance (8. et 8’.) ;
  9. bonheur /malheur (9. et 9’.) ;
  10. considération/mépris (10. et 10’.) ;
  11. coopération/contestation (11. et 11’.) ;
  12. confiance /défiance (12. et 12’.) ;
  13. santé (13.) ;
  14. énergie (14.) ;
  15. concentration (15.) ;

24Une relation systémique formée des quatre éléments génériques, les capacités, les visions, les états et la réalité est alors établie, reflétant quatre types de prise de conscience. Cette « tétraconscientisation » positive est la clé de voute du modèle. Elle est la base de la participation des collaborateurs. La diminution des pressions physiques et mentales qui entraînent mécaniquement un risque psychosocial tel que la dépression, les addictions ou les troubles physiques et mentaux (Haim, 2010) doit être engagée. L’augmentation de la participation active positive des salariés (cf. schéma 3), leur discernement et les capacités interprétatives dans chacune des quinze catégories énoncées doivent suivre. Ce double processus contribue à augmenter la perception qualitative de la réalité du travail et favorise sa transformation participante. Ce résultat correspond à l’objectif recherché.

Schéma 3

Schéma de fonctionnement dual de transformation de la pensée intentionnelle en action intentionnelle positive

Schéma 3

Schéma de fonctionnement dual de transformation de la pensée intentionnelle en action intentionnelle positive

P. HAIM 2010©

25Les inducteurs du stress dont la définition est donnée ci-après, ont été tirés de l’observation du fonctionnement des entreprises et organisations par le biais d’une approche inductive. Les composantes issues de la revue de littérature et énoncées dans la section 1 (systémique, psychosociale, managériale et socioéconomique) ont été assemblées pour compléter et former le système des 3 équations A, B et C ci-après relatives au modèle proposé :

  1. Niveau de Stress = sexe + âge + santé + troubles de santé + énergie + concentration + sens perçu du travail + qualification + degré de responsabilité + degré de liberté + démotivation + taille de l’entreprise + moyens mis à disposition + organisation du travail tendue + dégradation du climat social + dégradation de l’image de l’entreprise + dégradation de l’environnement socio-économique + comportement du client + absentéisme + turn over + accidents du travail + dégradation de la productivité et de la qualité des produits + charge de travail + quantité de temps de travail + montant de rémunération + non-production + noncréation de potentiel + risques + formation + mode de management + reconnaissance + accompagnement + écoute ;
  2. Niveau d’Éthique (bien-être/mal-être), Estime de soi et du prochain (plaisir/souffrance), Sagesse (bonheur/malheur) = considération + coopération + confiance ;
  3. Niveau de Performance socio-économique = Développement des structures organisationnelles + Développement des comportements humains (B) - Diminution des dysfonctionnements (A) - Diminution des coûts cachés induits par les dysfonctionnements.

26Dans ce modèle développé sur la base de la liaison entre A, B et C, l’évaluation du stress se fait en prenant en compte le travail réellement effectué et mesuré selon le coût-valeur des activités mesurées. La contribution horaire à la marge sur coût variable (Savall et Zardet, 2008) est utilisée pour procéder au calcul. Il s’agit donc de mesurer l’écart entre le travail effectué et celui supposé être fait. Il s’agit d’un travail adapté aux personnes, i.e. en tenant compte de leur état psychique et physique du moment. Il interdit tout « sur-engagement », mais fait participer activement le salarié. Car l’être humain n’attend qu’une chose, c’est que l’on s’occupe de lui. Cela a été démontré par les travaux de Mayo en 1933 sur « l’effet Hawthorne », et, antérieurement, de Freud en 1898 sur « la satisfaction de l’ego »). On peut constater dans les résultats obtenus que les indicateurs génériques de considération, de coopération et de confiance d’une part (équation B), et ceux d’ambiance, d’adaptation, de développement et d’animation (inducteurs externes), issus de la nature, de la forme et de la finalité des acteurs eux-mêmes (inducteurs internes) d’autre part (équation A), et constituant le modèle d’équations proposé, sont simples à comprendre et à utiliser (respect de la loi de Yerkes-Dodson, 1908).

27En rattachant ces indicateurs à l’analyse socio-économique (équation C), par le biais des dysfonctionnements liés au stress professionnel et l’amélioration des comportements, on peut, après collecte et traitement des informations recherchées et obtenues par questionnement et entretiens, mesurer directement l’impact du stress sur la performance socio-économique.

28C’est le prochain travail qui sera mené pour mesurer de manière financière cette fois, après l’évaluation qualitative, adaptative et participante préalablement menée, le travail des collaborateurs de centres d’appels. Les expérimentations montrent déjà qu’un salarié respecté, participant et pris en considération durablement (Honneth, 2013) par toutes les parties prenantes est un salarié qui augmente sa productivité durablement.

29Ces recherches ont donc permis de faire émerger grâce à la littérature et aux données collectées sur le terrain les causes d’ordre qualitatif du risque psychosocial à partir des 3 indicateurs internes (santé, énergie, concentration) en relation avec l’éthique, l’estime et la sagesse situées en amont de la pensée humaine et la considération, la coopération et la confiance en aval de celle-ci (cf. schéma 1 supra). Elles ont permis aussi de mieux comprendre la genèse du stress systémique professionnel afin de mieux le réduire. La représentation schématique ci-après (cf. schéma 4) montre l’interconnexion complexe résultant de toutes les catégories émergentes.

Schéma 4

Positionnement des 15 catégories émergentes inhibitrices du risque psychosocial

Schéma 4

Positionnement des 15 catégories émergentes inhibitrices du risque psychosocial

P. HAIM 2013©

30La collecte des informations relatives au stress est fonction d’un nombre important de paramètres, ce qui en fait sa complexité et lui donne de facto un caractère peu séduisant. L’intelligence individuelle et collective de tous les salariés est alors sollicitée.

4 – L’interprétation des résultats

31La réussite d’une telle opération dépend de la compréhension et du bon vouloir de toutes les parties prenantes. Elle nécessite une forte motivation, de l’enthousiasme, de la volonté de bien faire et un degré de liberté élevé (théorie Y qui s’oppose à la théorie X, Mc Gregor, 1970). Un contexte culturel propice (théorie Z d’Ouchi, 1982) est indispensable. Une énergie, une santé, une concentration obtenues grâce à un apprentissage optimiste, sain, serein et sage, entraînent, d’une part, une forte implication, application et satisfaction au travail, une réalisation de soi et d’autre part une performance de travail encore plus importante. Ce sont les inducteurs internes de l’individu (relatifs à sa vie privée), qui, entrant en interaction avec les inducteurs externes (issus de l’environnement professionnel), et par son initiative et son expérience personnelle optimisée, initialisent le processus de création de bien-être ou de mal-être (Clot, 2011), de plaisir ou de souffrance (Dejours, 2009), de bonheur ou de malheur (Csikszentmihalyi, 2004) propres à l’instauration d’une véritable éthique, d’une estime de soi et du prochain, et d’une sagesse de vie (théorie W de Haim, 2010). Il apparait que ces quatre théories managériales (X, Y, Z et W) se confondent en fait avec les quatre composantes de la tétranormalisation : financière (rationalisation (X)), qualité (recherche de sens (Y)), environnementale (contexte culturel (Z)) et sociale (intelligence humaine (W)).

32Les émotions des collaborateurs dépendent de leurs propres affects. Elles sont inhibées ou exprimées selon que les acteurs évitent ou se confrontent à cette réalité (Luminet, 2008). Adapter ses émotions aux situations rencontrées permet de gérer les comportements qui en découlent (Kotsou, 2012). L’intelligence actionnelle (de type W) répond favorablement aux émotions contrôlées en interne. Lors de l’étude, 90 % des personnes interviewées ont manifesté leurs émotions pour se libérer de leurs propres affects.

33Le lien entre l’état de santé, le niveau d’énergie, le degré de concentration et la performance socio-économique a été mis en évidence au sein du système d’équations ternaire (A, B et C). Les composantes de ce système sont à exploiter individuellement et collectivement pour diminuer le stress et « travailler mieux » selon le Plan santé au travail [7]. Ce dernier est actuellement mis en place par les autorités publiques françaises. Le but est de donner du sens au travail (théorie Y) et de faire gagner les entreprises en générant plus de croissance économique (théorie X), véritable enjeu sociétal (théorie Z). Mais il est nécessaire, pour cela, de relier réellement le bien-être/plaisir/bonheur des salariés (théorie W) à l’amélioration des résultats de l’entreprise. Cette relation fondamentale est l’hypothèse centrale de ces travaux. Elle ne peut se faire que de manière humaine et non normée afin de ne pas générer de tensions supplémentaires. Le Plan santé au travail, lui, est paradoxalement d’essence normative. Il faut cumuler un certain nombre de critères quantitatifs (nombre de réunions, de négociations…), établir un bilan social « conforme » pour être soi-disant une entreprise qui tient compte des risques psychosociaux, même si les salariés de cette entreprise-là sont en fait « malades du travail » et souffrent profondément.

34La création et la mise en place du modèle présenté ci-dessus contribuent à développer le bien-être/plaisir/bonheur des salariés au travail et l’implication de toutes les parties prenantes. La déculpabilisation des acteurs de l’entreprise passe par un accompagnement de ceux-ci. Une téléconseillère représentante syndicale s’est exclamée lors des entretiens menés : « vous êtes sympathique et vous nous faites du bien ». Cela nécessite aussi un travail d’équipe de qualité. « On se soutient mutuellement » affirme une jeune téléconseillère. Cela demande une formation adaptée, une écoute attentive, des échanges réguliers, un management intelligent (adaptatif) individuel et collectif par diffusion (Dejours, 2009). Car la qualité des échanges collectifs diminue la pression sur les objectifs et stimule l’énergie personnelle créatrice de valeur. « C’est la première fois que l’on me demande mon avis sur mon travail » réagit une autre téléconseillère, plus ancienne. « On a envie de donner davantage à l’entreprise » avoue un superviseur. C’est ce type d’évaluation qualitative participante qui a été mené, qu’il faut préconiser et pérenniser, car il inhibe tout risque psychosocial chez le salarié.

35Enfin, la mise en place préconisée de moyens permettant de préserver la santé, de donner de l’énergie et de faciliter la concentration des salariés est devenue une réalité. Des aires de travail aménagées, de détente, de loisirs sont proposées dans beaucoup d’entreprises. Une réflexion collective ouverte sur les dispositions à prendre a abouti avec la participation de toutes les parties prenantes. L’intelligence organisationnelle est en marche. « On nous laisse agir selon notre propre initiative, on a même peint, un samedi matin, sur nos propres deniers, un mur brut de l’entreprise » ; « on réfléchit ensemble sur les réponses à donner aux clients » ; « on est libre d’être performant », entend-on à présent dans l’entreprise.

36Mais l’évaluation qualitative repose sur les dires des collaborateurs, leur déclaratif. Ce qui compte, c’est la réalité perçue sur le terrain. Chacun raconte son histoire à sa convenance, consciemment ou pas. Il a été montré qu’une évaluation objective, uniquement quantitative, normalisée, enferme l’individu dans un système de contrainte tel, qu’il le traumatise. Une évaluation davantage qualitative, subjective, peut laisser aussi la porte ouverte aux constructions de l’esprit. Dans tous les cas, des indicateurs peuvent être générés, mais la question est de savoir s’ils sont bien représentatifs de la réalité et de s’y limiter.

37Par ailleurs, de fréquents entretiens avec un médecin du travail lors de l’enquête ont permis de découvrir qu’il n’y avait pas actuellement de connexions existantes entre le salarié, l’entreprise et le médecin du travail. Un collaborateur en dépression a eu plusieurs arrêts de travail consécutifs. Il est « au bout du rouleau ». Il erre dans les couloirs de l’entreprise, le visage blême, ailleurs. « J’ai l’impression de tomber dans un trou sans fond et que je ne peux me raccrocher à rien » lance-t-il désespéré. Il s’isole de plus en plus, refuse toute aide. Son cas est alors signalé au médecin du travail qui le suit depuis des années et qui n’avait, selon ses dires, rien décelé. En effet, il ne dispose d’aucune information de la part de l’entreprise, ni du salarié d’ailleurs, sur l’état de santé de celui-ci. À quoi sert donc la médecine du travail dans ce cas ? Et ce n’est pas un problème de formation des médecins du travail comme le pensent certains. C’est plutôt un manque de relais de l’information qui conduit à ces conséquences dramatiques. Mais le salarié en question n’est-il pas le propre auteur de son état ? Qui en est alors le véritable responsable ? Dans le cas explicite du suicide sur le lieu de travail, celui-ci a été reconnu comme pouvant être causé par l’entreprise. Pourquoi un salarié est-il poussé ainsi à bout ? L’évaluation au travail et le risque psychosocial sont intrinsèquement liés. Le jugement d’un individu par un autre au travers de critères quantitatifs prédéfinis détruit sa liberté de vue et de vie. Son ego est touché en profondeur. « On ne peut pourtant pas laisser l’anarchie s’installer », objecte un juriste.

38Si le salarié est réellement partie prenante de son évaluation, si c’est lui-même qui la construit en symbiose avec l’organisation qui l’emploie et en définissant ses propres objectifs, il devient alors acteur participant et maître de son futur professionnel. L’intelligence actionnelle (Haim, 2012) peut alors se mettre en fonctionnement. Pour cela, l’entreprise, à travers la hiérarchie, doit écouter le salarié et lui laisser un degré de liberté et de responsabilité suffisant (Karasek, 1990). Dans le processus permanent de mort créatrice, l’apprentissage individuel libre doit l’emporter sur le désapprentissage organisationnel forcé (Haim 2013). Cette asymétrie décrite par Ameisen (2003) est indispensable pour former des visions, processus, façons de travailler ensemble pour créer plus et mieux. Et même si la vision du monde peut être pessimiste, il faut la distinguer de l’état du salarié qui, lui, peut être optimiste et cultiver cet enthousiasme. Imposer des normes anti-risque psychosocial se révèle improductif. Une approche systémique (Haim, 2009 ; Bouveresse, Baujard, Haim, 2011 ; Bouveresse, Haim, 2013) permet de cerner réellement les agissements et les impacts de toutes les parties prenantes sur l’individu au sein de l’entreprise. Enfin, si la santé, l’énergie et la concentration sont des éléments clés du système décrit, le bien-être, le plaisir et le bonheur, l’éthique, la sagesse et l’estime de soi et d’autrui viennent le compléter. Dans ce cas-là, le risque psychosocial est minimum au sein des entreprises. Même si la crise « systémique » risque de secouer encore le monde pendant quelques années, ces éléments décrits peuvent réellement apporter une valeur et transformer l’organisation exploitante en organisation intelligente, car adaptative et participante en son milieu (Piaget, 2007). Ceci, compte tenu bien sûr de l’adhésion indispensable de toutes les parties prenantes qui peut constituer une limite à la mise en place d’une évaluation qualitative participante inhibitrice du risque psychosocial.

Conclusion

39L’objectif était de montrer, grâce au modèle construit et mis en place, que l’« évaluation qualitative participante » basée sur la stimulation de l’initiative individuelle et collective par un accompagnement empreint de considération humaine pouvait permettre de réduire le niveau de stress et donc le risque psychosocial au sein d’un groupe de centres d’appels. Les résultats obtenus sont constatés : 80 % de satisfaits. La prise en compte qualitative des points de vue de toutes les parties prenantes et sa hiérarchisation systémique a généré une véritable intelligence organisationnelle qu’il faut à présent cultiver. Grâce aux approches psychosociale (tétraconscientisation) et managériale (tétranormalisation) croisées, le risque psychosocial est inhibé. Il ne s’agit pas pour autant de protéger uniquement les personnes vulnérables, de « maintenir, perpétuer et réparer notre monde », comme le préconise la « théorie du care » (Tronto, 1993). Dans l’entreprise, toute personne devient potentiellement vulnérable par les surcharges et non-produits qu’elle supporte ou génère. L’attention (vision), la prise en considération (réalité), la compétence du soin (état) et la réponse du bénéficiaire (capacité) d’un « bon care » représentent les quatre phases (tétraconscientisation) pour aider autrui avec sollicitude. L’estime de soi et des autres (Maslow, 2007), en toute sérénité, relève d’une certaine sagesse liée à sa propre expérience (Krishnamurti, 2008) et à un état psychologique particulier (Csikszentmihalyi, 2004), et positif (Cottraux, 2010 ; Haim, 2010).

40La stratégie de déploiement de la théorie socio-économique systémique est en marche. La majorité des collaborateurs y adhèrent. Tous les éléments sont à présent à disposition pour permettre d’effectuer, dans une prochaine phase, le calcul des coûts et non-performances dus au stress de l’individu et du collectif au sein d’une entreprise. La transformation finale du paradigme qualitatif décrit en un paradigme quantitatif indispensable permettra d’obtenir les documents fondamentaux de synthèse de la comptabilité financière. L’étape suivante, très attendue, du chiffrage financier de cette modélisation donnera l’occasion d’affiner le modèle et de quantifier à minima les coûts et performances inducteurs et non plus déducteurs de valeur ajoutée, comme il est usuellement pratiqué. Elle sera menée en parallèle de l’ouverture d’un nouveau chantier visant à améliorer la santé organisationnelle, d’accroître le niveau d’énergie et de développer la concentration des collaborateurs afin d’améliorer la performance socio-économique de l’entreprise.

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Mots-clés éditeurs : risque psychosocial, initiative personnelle et collective, intelligence organisationnelle, évaluation qualitative participante

Date de mise en ligne : 02/06/2014

https://doi.org/10.3917/vse.195.0144

Notes

  • [1]
    Cette étude clinique et organisationnelle permettant de définir et de quantifier ce qu’on appelle communément le burn out montre que plus de 3,2 millions d’actifs français encourent ce risque (Technologia, 22 01 2014).
  • [2]
    près de 400 suicides par an selon une étude du Conseil Économique et Social de 2007, sans compter tous ceux qui ne sont pas déclarés comme tels (cf. l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale considérant qu’un "accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail" est un accident du travail (AT) et la décision de la CPAM de Gironde, datant du 16 juillet 2012, relative à la reconnaissance du suicide d’un cadre de l’entreprise de transport logistique Gefco, filiale de PSA, qui s’était pendu le 5 mars 2012 dans un local de la société à Bordeaux, et qui a été reconnu comme accident de travail).
  • [3]
    A distinguer de l’adjectif « participatif » qui se dissocie de l’action.
  • [4]
    Maintien d’un état stable de fonctionnement sous l’effet de perturbations.
  • [5]
    Définie comme la prise en compte de quatre types de normes : les normes sociales, qualités, financières et environnementales.
  • [6]
    Qui sont les deux types d’inducteurs de stress systémique : les indicateurs d’ambiance, d’adaptation, de développement et d’animation (inducteurs externes), issus de la nature, de la forme et de la finalité des acteurs eux-mêmes (inducteurs internes), Haim, 2011.
  • [7]
    Op. cit.

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