Notes
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[1]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[2]
Les enseignements empiriques mobilisés sont issus d’un stage effectué au Fonds Public pour le Capital-risque, d’entretiens semi-directifs, de la participation à des colloques de professionnels et d’universitaires, d’un questionnaire envoyé à des organismes de capital-risque et de la construction et de l’analyse d’une base de données des entreprises françaises financées par le capital-risque et cotées sur le Nouveau Marché.
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[3]
Knight F.H, 1921, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, Réimprimé en 1971, Chicago, University of Chicago Press.
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[4]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[5]
Granger G. 1995, Le probable, le possible et le virtuel, Éditions Odile Jacob.
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[6]
Méthode dite des DCF pour Discounted Cash FLows.
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[7]
Basée sur l’hypothèse d’un marché financier efficient, celles-ci considèrent que la valeur de la firme se reflète parfaitement dans son prix.
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[8]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[9]
Les modèles de valorisation fondamentale intègrent certes la subjectivité mais celle-ci n’engendre que de faibles écarts à la moyenne qui s’annulent à l’échelle du marché (cf. annexe 2). A l’inverse, la subjectivité dont nous parlons est au cœur de notre analyse de l’évaluation de la start-up.
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[10]
Knight F.H, 1921, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, Réimprimé en 1971, Chicago, University of Chicago Press.
-
[11]
Orléan A., 1999, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob.
-
[12]
Knight F.H, 1921, ibid.
-
[13]
Orléans A., 1999, Le Pouvoir de la finance, Éditions Odile Jacob.
Introduction
1Apparu au milieu des années 1940 aux États-Unis, le capital-risque est le mode de financement spécifique des jeunes entreprises innovantes de haute technologie. Il a connu un essor inédit à la fin des années 1990, qui s’est traduit par son développement sans précédent aux États-Unis comme dans un certain nombre d’autres pays, dont la France. Son succès s’est accompagné de débats quant à sa légitimité, son efficacité pour financer l’innovation. Schématiquement, deux points de vue peuvent être distingués.
2Le premier type de discours, d’une nature que l’on peut qualifier de « promotionnelle », est essentiellement tenu par la communauté des capital-risqueurs pour qui le financement par le capital-risque est la panacée au problème du financement de l’innovation radicale. Il est présenté comme ne posant pas de problèmes de coordination particuliers entre les financiers et les dirigeants de start-up. Cette vision excessivement positive occulte la dimension spécifique et la complexité associées à la mise en œuvre du capital-risque.
3Le second point de vue, développé principalement après mars 2000 (cette date marquant la fin de l’essor et le début de la crise du capital-risque), défend la thèse selon laquelle ce mode de financement est un pur artifice, au sens où il ne répond pas à des besoins financiers particuliers. Selon ce dernier point de vue, les pratiques de sélection des start-up et de valorisation financière auxquelles recourt le capital-risqueur sont considérées comme arbitraires. L’investissement en capital-risque y est vu comme relevant de la loterie et est assimilé à un pari. Son développement engendrerait le chaos sur le marché financier spécialisé dans les valeurs de croissance. C’est la question de sa légitimité même qui est posée. Ces deux points de vue sont extrêmes et méritent d’être discutés.
4Le capital-risque est une activité nouvelle et spécifique, relativement peu abordée jusqu’alors dans la sphère universitaire. Sa spécificité - comparativement au financement bancaire ou au financement par le marché financier - provient selon nous de l’ampleur de l’incertitude à laquelle font face les acteurs qui le mobilisent. Pour la traiter, ces derniers ne peuvent le plus souvent pas faire appel aux outils du risque, aux probabilités objectives. L’objectif de cet article est de proposer un cadre analytique rendant compte du traitement de l’incertitude par les acteurs de la relation de financement par le capital-risque (Dubocage, 2003) [1] Celui-ci s’appuie notamment sur la théorie des options réelles développée par la science de la gestion, ainsi que sur deux approches économiques non mobilisées dans la littérature sur le capital-risque : le jugement knightien et le mimétisme.
5La première partie se penche sur le traitement de l’incertitude par le capital-risqueur lors de la sélection des start-up et lors du processus de leur valorisation. Ces deux pratiques marquent respectivement le début de la coordination et la fixation du prix des participations prises dans la Jeune Entreprise Innovante de Haute Technologie (JEIHT). Dans la mesure où ils sont effectués dans un contexte marqué par une forte incertitude, ces exercices de sélection et de valorisation financière se font selon des procédures spécifiques et ne résultent pas de l’application de méthode standard [2].
6Dans la seconde partie, nous proposons un éclairage théorique à la question de l’évaluation de la JEIHT.
7Trois approches constituent alors notre cadre analytique et visent à rendre compte de la pluralité des dimensions de l’évaluation de la qualité de la start-up par le capital-risqueur.
8Tout d’abord, l’approche par les options réelles développée dans les sciences de gestion restitue la dimension objective de la valorisation financière. Cette méthode propose un outil de décision qui rationalise les investissements dans les start-up, et dont l’aspect formalisé confère une légitimité au choix du capital-risqueur. Pourtant, vouloir se tenir exclusivement dans l’objectivité dans un contexte d’incertitude est illusoire : prendre compte de la nature subjective de l’évaluation de la start-up par le capital-risqueur est essentiel. La démarche des options réelles gagne, ainsi, à être complétée par d’autres approches de la théorie économique se situant en dehors de celles que la littérature consacre au capital-risque.
9La dimension subjective est éclairée théoriquement par les travaux de Knight [3] concernant le traitement de l’incertitude non probabilisable. Il est fondé sur le jugement, lequel renvoie directement à l’expérience et donc à la compétence du capital-risqueur.
10Enfin, l’évaluation de la JEIHT présente également une dimension intersubjective. Lorsque l’entreprise n’est pas cotée, l’intersubjectivité se concrétise par une évaluation mimétique, à laquelle procède le capital-risqueur non compétent.
I – Les pratiques de sélection et de valorisation
I.1 – Le processus de sélection des start-up par le capital-risqueur
11La sélection de la JEIHT mise en œuvre par le capital-risqueur marque le début de la coordination entre les deux parties de la relation de financement par le capital-risque. Le choix des start-up constituant le portefeuille d’investissements des entreprises suit un processus complexe dont les grandes caractéristiques sont schématisées dans la figure 1.
Représentation synthétique du processus de sélection sur le marché du capital-risque
Représentation synthétique du processus de sélection sur le marché du capital-risque
12La sélection des jeunes pousses recèle de nombreux enjeux pour le capital-risqueur : elle influe directement à moyen terme sur ses performances financières et ses levées de fonds futures. Sa capacité à effectuer une bonne sélection des entreprises dans lesquelles il investit constitue l’essence de sa compétence et le positionne au sein de sa profession. Le capital-risqueur expérimenté entre dans un cercle vertueux de processus de sélection.
13A l’inverse, le nouvel entrant subit les effets cumulatifs des barrières à l’entrée existantes sur le marché du capital-risque. La spécificité de la stratégie d’investissement du capital-risque peut être résumée par :
- Ne pas rater un succès,
- Est-il possible que le TRI soit supérieur à 45 % ?
14La sélection de projets financés par les capital-risqueurs n’est pas le résultat de l’application d’une méthode standard. Le processus est spécifique et de nature artisanale sans pour autant que ceci soit péjoratif. Pour sélectionner les JEIHT de bonne qualité, le capital-risque doit s’armer contre l’incertitude, être capable de la gérer. Ainsi, pour mettre en œuvre de façon pertinente ses critères de sélection, il se spécialise et effectue un ciblage serré des projets. Il pratique une veille continue pour connaître les débouchés commerciaux des technologies de pointe. Il actualise son réseau d’experts qu’il mobilise pour évaluer la qualité de la JEIHT. Le début de la coordination s’effectue lors de la négociation entourant l’élaboration du Business Plan. En dépit des éléments d’évaluation chiffrés, en réalité, le Business Plan offre une représentation du futur d’une importance limitée en tant que projection quantifiée (déterminant directement la décision d’investissement). Il n’est pas en pratique un outil classique et quantitatif de décision. Ceci n’enlève rien à son importance. Il constitue, en effet, un élément central de la négociation qui s’opère entre le capital-risqueur et le dirigeant de la JEIHT. Celle-ci s’appuie sur l’utilisation d’un langage commun et le respect à la lettre d’une forme standard déterminée. Elle fournit l’occasion au capital-risqueur et au dirigeant de la JEIHT de tester la possibilité de se coordonner et contribue ainsi à réduire l’incertitude. Cet exercice formel permet une mutualisation de l’information entre le capital-risqueur et le dirigeant de la start-up et le formatage de l’entreprise par le capital-risqueur.
I.2 – Le processus de valorisation financière des start-up par le capital-risqueur
15La valorisation financière de la JEIHT par le capital-risqueur est un art difficile à maîtriser. L’absence de bénéfices, la dimension essentiellement innovante de l’activité, la trajectoire en ruptures de la start-up sont autant de caractéristiques qui rendent les méthodes de valorisation financière traditionnelles peu adéquates. Valoriser le capital humain et l’innovation en tant que tels nécessite le recours à une méthode spécifique. Les capital-risqueurs qui prétendent recourir à la méthode des flux de trésorerie disponibles [6] n’utilisent celle-ci que pour se construire un alibi qui leur permet de légitimer leur estimation auprès d’acteurs habitués à mobiliser la théorie fondamentaliste [7]. La méthode analogique même adaptée aux start-up se heurte à une contradiction : comment valoriser une entreprise en s’appuyant sur d’autres firmes jugées comparables alors que la JEIHT se distingue par son haut degré de singularité ?
16Seuls les capital-risqueurs qui ont abandonné toute référence aux méthodes standard reconnaissent la spécificité et la difficulté de l’exercice de valorisation, sans que leur action soit freinée pour autant. Leur évaluation ne débouche pas sur la fixation de la « vraie » valeur, la valeur fondamentale mais la valeur « légitime ». Elle résulte d’un accord entre les deux parties et renvoie à la réputation du capital-risqueur. Cette valeur a nécessairement un caractère subjectif marqué. Cela ne signifie pas pour autant que le capital-risqueur agit de manière isolée : il mobilise son réseau d’experts. Il n’est pas non plus totalement tourné vers l’évaluation des autres investisseurs. La valorisation financière de la JEIHT peut être considérée comme un exercice de jugement de la part du capital-risqueur quant à la valeur du capital immatériel et comme le résultat d’une négociation entre ce dernier et le dirigeant. Les acteurs s’appuient sur des repères conventionnels de qualité, et non sur de simples signaux, qui doivent être interprétés dans le cadre spécifique de la start-up (Cf. figure 2).
Représentation synthétique du processus de valorisation sur le marché du capital-risque
Représentation synthétique du processus de valorisation sur le marché du capital-risque
II – L’évaluation de la start up : entre objectivité, jugement et mimétisme
II. 1 – La dimension objective de l’évaluation apportée par la technique par les options réelles
17La méthode des options réelles est présentée par ses partisans comme une approche révolutionnaire permettant de déterminer la valeur des entreprises de la Nouvelle Économie et d’expliquer certaines pratiques du capital-risqueur. L’absence de profit et le caractère immatériel des actifs de ces firmes ont mis à jour les limites des méthodes de valorisation traditionnelles et la technique des options réelles serait en mesure de pallier ces défaillances.
18Dans le cadre du financement par le capital-risque, les options réelles susceptibles d’être mobilisées sont de différents types.
19Premièrement, si les options de croissance et de flexibilité sont intégrées au calcul de la valeur de la JEIHT, alors des investissements à VAN (Valeur actuelle Nette) négative deviennent rationnels. En effet, dès lors que la valeur de l’option est supérieure à la VAN, la Valeur actuelle Nette augmentée (VANA) qui correspond à la somme entre la valeur actuelle et la valeur des options est positive.
20Deuxièmement, l’investissement graduel, qui est un mode particulier de gestion de l’incertitude, est appréhendé sur le plan théorique de façon pertinente par les options d’apprentissage.
21Pourtant, dans la pratique, la méthode de valorisation financière par les options réelles est peu utilisée. Il existe donc un écart important entre l’enthousiasme de la sphère académique et le relatif échec de sa mise en œuvre dans le monde des entreprises. La raison majeure est que la détermination de la valeur des paramètres se heurte à de nombreux obstacles.
22Sur le plan théorique, la méthode de valorisation financière par les options réelles fait apparaître un certain nombre de contradictions internes. Bien que le cadre analytique soit celui de l’incertitude radicale, elle a recours à des outils qui relèvent du traitement du risque et de l’objectivité. La volonté de maintenir l’objectivité dans le cadre de l’incertitude radicale est illusoire. Il est préférable d’accepter le fait que le capital-risqueur est pris en tension entre deux pôles : sa volonté de calculer et de formaliser, d’une part, et son souci de maintenir l’intuition et la spécificité de l’entreprise, ce qui exclut l’application de méthodes standard, d’autre part.
23Deux arguments incitent à ne pas s’arrêter à la méthode des options réelles pour éclairer de façon théorique les pratiques de valorisation financière des start-up par le capital-risqueur : en premier lieu, le fait qu’elle soit peu utilisée en pratique ; en deuxième lieu, les relations ambiguës que sa démarche entretient avec la subjectivité et l’objectivité. Puisque la subjectivité est essentielle dans l’évaluation, la section suivante propose une grille d’analyse pour la prendre en compte [9].
II.2 – Le rôle essentiel du jugement subjectif
24Rendre compte de la dimension subjective de l’évaluation de la JEIHT a nécessité de notre part le recours à une littérature économique en dehors de celle consacrée au capital-risque. Proposé par Knight (1921) [10], le traitement de l’incertitude radicale, basé sur le jugement, éclaire de façon théorique la capacité du capital-risqueur à évaluer la JEIHT de façon pertinente. Cette évaluation résulte d’un jugement subjectif. La compétence de l’investisseur à formuler ce dernier de façon avisée repose sur l’expérience, qui lui donne des savoirs idiosyncrasiques et lui confère une rationalité interprétative grâce à laquelle il peut interpréter les repères conventionnels de qualité de l’entreprise (comme le dépôt de brevet, l’alliance avec une grande entreprise) dans son contexte. Bien qu’ils soient fondés sur une rationalité dite interprétative, le capital-risqueur peut légitimer ses choix. La présentation formelle du processus de détermination de la valeur légitime de l’entreprise se formule de la façon suivante : « s’il est possible que l’investissement dans la start-up me rapporte un TRI de 45 % alors je décide d’investir ». Elle diffère de la règle de décision qu’est la VAN.
25La population des capital-risqueurs est très hétérogène et un certain nombre d’entre eux n’ont pas la compétence pour déterminer la valeur légitime des start-up : le processus d’évaluation auquel ils recourent est alors de l’ordre du mimétisme. Son analyse est l’objet de la section suivante.
II.3 – La dimension mimétique de l’évaluation
26Le mimétisme qui règne sur le marché du capital-risque présente des spécificités par rapport à celui observé sur le marché financier, où son origine est double car liée à la liquidité des titres et à l’incertitude sur leur valeur (Orléans, 1999) [11] Au contraire, sur le marché du capital-risque, les valeurs mobilières ne sont pas liquides puisque le capital-risqueur est soumis à une contrainte d’immobilisation des fonds. Dès lors, la principale cause du mimétisme à l’œuvre sur ce marché repose sur l’incertitude concernant la valeur des prises de participations des firmes financées par le capital-risque. C’est le capital-risqueur non compétent qui recourt à un mode d’évaluation basé sur le mimétisme. Il a pour objectif, tout comme le capital-risqueur compétent, de déterminer la valeur légitime de la start-up, mais sans avoir les compétences pour le faire. Il imite soit le capital-risqueur qu’il identifie comme compétent, soit le marché du capital-risque dans son ensemble. Ainsi, peut-on dire de son évaluation qu’elle est intersubjective. La modélisation de l’interaction entre le mode d’évaluation du capital-risqueur compétent et celui du non compétent montre les effets de l’intersubjectivité à l’échelle du marché du capital-risque. Le prix de la start-up dévie de sa valeur légitime en fonction du degré de confiance que les agents éprouvent à l’égard de leur jugement.
Conclusion
27Le thème du capital-risque est rarement abordé de façon nuancée : on trouve peu de discours intermédiaires entre l’optimisme ou le pessimisme excessifs quant à son fonctionnement. Si le capital-risque suscite des prises de position aussi extrêmes, c’est parce qu’il est difficile d’en comprendre le fonctionnement. Sa complexité est due à l’ampleur de l’incertitude quant à l’avenir de la start-up et donc au rendement financier qui est associé à son financement.
28La nature spécifique des exercices de sélection et de valorisation conduit à mettre au centre du financement par le capital-risque la compétence des financiers. Que ce soit pour sélectionner les start-up de bonne qualité ou pour les valoriser de façon pertinente, le capital-risqueur doit être un expert. Les diplômes requis sont d’une double nature : financière et technologique. Mais, c’est essentiellement la pratique qui fera de lui un professionnel avisé, compétent. L’expérience joue donc un rôle décisif dans la mesure où les compétences s’acquièrent par l’apprentissage.
29Le cadre analytique visant à rendre compte du traitement de l’incertitude des protagonistes de la relation de financement par le capital-risque que nous proposons est basé sur la conjugaison de trois approches théoriques. Celles-ci ont pour but d’éclairer théoriquement la pluralité des dimensions de l’évaluation de la qualité de la JEIHT par le capital-risqueur. Le capital-risqueur, quand il sélectionne l’entreprise qu’il veut financer ou qu’il procède à son évaluation financière, est pris en tension entre trois pôles. L’évaluation de la start-up revêt tout d’abord un caractère objectif et ce sont les options réelles développées au sein de la science de la gestion qui s’avèrent être l’outil analytique le plus adapté. L’approche par les options réelles propose une règle de décision, la VANA, c’est-à-dire une VAN à laquelle on ajoute la valeur des options réelles. Elle adopte un langage proche de l’analyse financière classique, qui confère une légitimité aux choix du capital-risque. Elle rationalise les investissements dans les projets à VAN négative, apporte un éclairage théorique à certaines pratiques de gestion de l’incertitude, comme l’investissement graduel.
30Mais vouloir se maintenir dans l’objectivité dans le cadre de l’incertitude radicale est un leurre. Nous proposons donc de restituer théoriquement la dimension subjective de l’évaluation de la start-up par le capital-risqueur. Pour ceci il est nécessaire de mobiliser une littérature en dehors de celle consacrée au capital-risque. La nature subjective de l’évaluation de la jeune pousse est éclairée théoriquement par les travaux de Knight [12]concernant le traitement de l’incertitude par le jugement. L’expérience dote le capital-risqueur idéal de savoirs idiosyncrasiques. Il se trouve ainsi doué d’une rationalité interprétative qui lui permet d’interpréter de façon pertinente les repères de qualité de la jeune pousse dans le cadre spécifique de cette dernière. Nous proposons une présentation formelle de la valorisation financière lorsqu’elle est mise en œuvre par le capital-risqueur compétent, capable de déterminer la valeur légitime de l’entreprise.
31Enfin, lorsque le capital-risqueur ne détient pas les compétences nécessaires pour effectuer un jugement avisé sur la qualité de l’entreprise, son évaluation repose sur le mimétisme et a donc une dimension intersubjective. Pour restituer cette dernière, nous nous appuyons sur la littérature abordant la question de l’imitation sur le marché financier [13]. Celle-ci ne peut cependant pas s’appliquer telle quelle : le mimétisme qui prévaut sur le marché du capital-risque comporte des spécificités. Alors que le mimétisme régnant sur le marché financier a une double origine, la liquidité des titres et l’incertitude sur leur valeur ; sur le marché du capital-risque, les valeurs mobilières ne sont pas liquides puisque le capital-risqueur est soumis à une contrainte d’immobilisation des fonds. Dès lors, la principale cause du mimétisme est l’incertitude concernant la valeur des prises de participations des firmes financées par le capital-risque. Le capital-risqueur non compétent, à l’instar du compétent, a pour objectif de déterminer la valeur légitime de la start-up, mais sans avoir les compétences pour le faire. Il imite soit le capital-risqueur qu’il identifie comme compétent, soit le marché du capital-risque dans son ensemble. Modéliser l’interaction entre le mode d’évaluation du capital-risqueur compétent et celui du non compétent révèle les effets néfastes de l’intersubjectivité : à l’échelle du marché du capital-risque, le prix de la start-up peut dévier fortement de sa valeur légitime et affecter l’activité du capital-risque dans son ensemble.
Notes
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[1]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[2]
Les enseignements empiriques mobilisés sont issus d’un stage effectué au Fonds Public pour le Capital-risque, d’entretiens semi-directifs, de la participation à des colloques de professionnels et d’universitaires, d’un questionnaire envoyé à des organismes de capital-risque et de la construction et de l’analyse d’une base de données des entreprises françaises financées par le capital-risque et cotées sur le Nouveau Marché.
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[3]
Knight F.H, 1921, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, Réimprimé en 1971, Chicago, University of Chicago Press.
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[4]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[5]
Granger G. 1995, Le probable, le possible et le virtuel, Éditions Odile Jacob.
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[6]
Méthode dite des DCF pour Discounted Cash FLows.
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[7]
Basée sur l’hypothèse d’un marché financier efficient, celles-ci considèrent que la valeur de la firme se reflète parfaitement dans son prix.
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[8]
Dubocage E., 2003, Le capital-risque : un mode de financement dans un contexte d’incertitude, Thèse de Doctorat, Paris XIII.
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[9]
Les modèles de valorisation fondamentale intègrent certes la subjectivité mais celle-ci n’engendre que de faibles écarts à la moyenne qui s’annulent à l’échelle du marché (cf. annexe 2). A l’inverse, la subjectivité dont nous parlons est au cœur de notre analyse de l’évaluation de la start-up.
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[10]
Knight F.H, 1921, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin, Réimprimé en 1971, Chicago, University of Chicago Press.
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[11]
Orléan A., 1999, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob.
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[12]
Knight F.H, 1921, ibid.
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[13]
Orléans A., 1999, Le Pouvoir de la finance, Éditions Odile Jacob.