Introduction
1L’innovation est un fabuleux catalyseur pour l’entreprise, lui permettant de créer de la valeur et de la conserver. Le concept d’innovation correspond à la réalisation et la commercialisation d’une idée : l’innovation doit être techniquement réalisable et économiquement viable. Toutefois développer des produits ou des services uniquement en interne n’est pratiquement pas faisable ou peut-être financièrement très coûteux. L’option de plus en plus adoptée par les entreprises est la recherche de coopération par externalisation de fonction ou mise en place de partenariats. Le partage des tâches entre entreprises partenaires est le plus souvent la solution la moins onéreuse.
2Dans le cadre d’un processus d’innovation, quel qu’il soit, nous avons souhaité étudier comment une entreprise peut maîtriser les risques qu’elle génère. Nous nous proposons d’aborder dans une première partie les risques liés à l’innovation puis d’analyser les modalités du partage des risques entre entreprises partenaires.
Les risques liés à l’innovation
De l’innovation …
3Face aux impératifs de la mondialisation, à la montée en puissance de la concurrence asiatique, à la nouvelle économie du savoir, et aux nouvelles problématiques liées au développement durable, la gestion de l’innovation est redevenue pour les entreprises une préoccupation stratégique permanente.
4D’après un article du journal « Les Échos » (16/03/2005), analysant les rapports d’activité des 166 premières entreprises françaises ou étrangères implantées sur le territoire, la politique d’innovation est désormais partie intégrante de leur cœur de métier. L’entreprise est condamnée à maintenir un flux constant d’innovations tout au long de sa chaîne de valeur afin de générer les bénéfices exigés par les actionnaires.
5L’innovation génère en effet une mise en valeur économique au sein de l’entreprise. Depuis Schumpeter, qui l’a définie comme une destruction créatrice (1930), elle est devenue un concept multidimensionnel concernant aussi bien les nouveaux objets de consommation que les nouvelles méthodes de production et de transport, que les nouveaux marchés, ou encore les nouveaux types d’organisation industrielle. Différents types d’innovations, couramment appelés trajectoires stratégiques (Pavitt, 1990) peuvent être définis, générant ainsi des implications stratégiques différentes. Il faut donc associer innovation et stratégie engendrée dans l’analyse des risques induits.
6La diffusion de l’innovation devient alors un facteur essentiel, dépendant à la fois de la nature de l’innovation mais aussi des processus de mise sur le marché. La vitesse de ce facteur, par arbitrage de son retour sur investissement, va permettre de déterminer la capacité de financement de l’innovation, qui s’avère souvent coûteuse, et son développement.
7L’innovation peut alors être abordée sous plusieurs angles, selon le degré de risque qu’elle intègre :
- L’innovation incrémentale qui s’inscrit dans un processus d’amélioration dans la continuité ; elle concerne notamment les améliorations de produits et comporte un risque modéré, essentiellement commercial.
- L’innovation de produit permet à l’entreprise de proposer des produits offrant plus de fonctionnalités ou remplissant ces fonctionnalités d’une manière plus efficiente (plus légers, plus simples…). Il peut s’agir aussi de produits complètement nouveaux parce que différents dans leur concept même. Cette innovation concerne les cas où le concept même du produit est revisité.
- L’innovation stratégique correspond à un modèle économique (business model) novateur de l’entreprise (DELL ou SWATCH) mais ne s’accompagne pas nécessairement d’un changement de produit.
- L’innovation de rupture, ou innovation radicale, est la seule à modifier à la fois la valeur du produit perçue par le client et la chaîne de valeur qui a conduit à sa réalisation. Elle intègre de ce fait un degré de risque plus élevé. Elle est source d’avantage concurrentiel car elle introduit une forte différence avec ce que faisait l’entreprise avant elle et ce que font les concurrents.
- En outre, l’innovation de process (ou innovation technologique) s’appuie souvent sur une amélioration technique des processus matériels de production. Elle peut être à l’origine de tous ces types d’innovations et intègre de ce fait un degré de risque variable.
- Enfin, il semble que la performance d’une entreprise soit étroitement liée à la façon dont elle organise ses ressources et à sa capacité à modifier cette organisation en fonction de ses objectifs stratégiques : c’est l’innovation organisationnelle. La structure de l’entreprise n’est pas stable mais se transforme pour s’adapter aux nécessités de l’innovation. Nous développerons ce thème en deuxième partie.
8L’innovation est désormais communément considérée comme un levier stratégique. J.Tidd, J. Bessant et K. Pavitt (2001) démontrent que par l’innovation les entreprises développent et consolident leur avantage concurrentiel.
9Aujourd’hui la question reste de savoir comment générer et maintenir au mieux cette innovation sur les marchés ?
10Traditionnellement, le secteur de la recherche & développement a été le moteur de l’innovation, mettant uniquement en avant les avancées technologiques. Cependant l’argument « techno-push » a très rapidement cédé la place à l’ère marketing qui a engendré une harmonisation des marchés « market-pull » et donc une uniformisation qui a nui à l’innovation de rupture nécessaire à la création de valeur. L’innovation n’est plus seulement inspirée par les désirs des clients à qui elle est destinée (vision marketing aval des besoins du marché) mais devient un processus qui implique tous les partenaires de l’entreprise, y compris amont (sous-traitants) et horizontaux (concurrents). Ainsi les sources de l’innovation sont-elles aujourd’hui équitablement réparties entre l’interne (interface client / R&D) et l’externe (fournisseurs / concurrents). C’est désormais dans une situation hybride que les entreprises cherchent à se positionner sur les marchés, en repositionnant le client au centre de leur processus d’innovation.
11Quels que soient la nature ou l’ampleur de ces positionnements, ils ne sont pas sans conséquence sur la prise de risques de l’entreprise, et la gestion des risques induits prend alors toute son importance. Une approche claire et cohérente des risques induits est indispensable au bon développement du processus d’innovation. Une aversion excessive des risques peut étouffer le processus, créer un blocage voire un immobilisme et provoquer une situation de sous-performance. A l’inverse, une absence de prise en compte de ces risques, autrement dit une absence de culture du risque, peut générer une complexité organisationnelle nuisible à l’innovation aussi bien en termes de temps que de coûts financiers, technologiques ou humains. La stratégie de gestion des risques se doit donc de refléter la stratégie d’innovation.
… Aux risques [1] induits
12Gérer l’innovation tout en maîtrisant les risques induits est un enjeu stratégique pour l’entreprise L’innovation implique de transformer des inventions en produits commercialisables (valorisés par le marché), et ce dans des délais courts (au risque de se faire doubler par des concurrents), avec une qualité suffisante (au risque de voir le client se détourner) et à un coût acceptable (pour que l’entreprise tire profit de son produit).
13La gestion des risques comprend trois étapes désormais classiques :
- L’identification des risques : permet de dresser la liste exhaustive de tous les événements susceptibles d’handicaper le bon déroulement de l’innovation.
- L’évaluation de l’impact possible des risques : en fonction du degré de gravité des conséquences et de la probabilité d’occurrence de chaque hypothèse, les risques sont hiérarchisés.
- Le traitement des risques : détermination d’un plan d’action en fonctions des priorités de l’entreprise (d’après la matrice des risques établie à l’étape précédente), puis élaboration d’une veille stratégique destinée notamment à vérifier l’applicabilité et le suivi des traitements préconisés.
Risques liés à l’environnement externe direct de l’entreprise
14• Partenaires de l’entreprise
15Avec la mondialisation et l’externalisation croissante des activités, le risque se diffuse entre les partenaires commerciaux au-delà de la seule entreprise où le risque s’est effectivement produit. L’entreprise doit dès lors réagir à un évènement défavorable externe susceptible de l’affecter par le biais de sa chaîne de valeur qui intègre les risques de l’ensemble de ses partenaires : notamment ses clients, ses sous-traitants, ses fournisseurs, ou encore ses transporteurs. L’entreprise doit donc améliorer en permanence ses processus d’organisation de la production, nécessaires pour se prémunir contre la propagation des risques entre clients et fournisseurs. Toutes les décisions liées à la croissance de l’entreprise, ainsi que les choix des partenaires industriels, font partie des risques stratégiques qui doivent être assumés par les entreprises.
16• Offre concurrente sur le marché
17Il peut notamment s’agir de l’apparition précoce d’un produit concurrent similaire à notre nouveau produit qui n’ait pas été prévue par l’entreprise, soit parce que le concurrent a accéléré sa sortie, soit par manque d’anticipation de la part de l’entreprise concernée.
18• Demande (quantitative et qualitative) :
19Le cas le plus parlant est ici la surévaluation de la demande puisque l’on connaît les difficultés qu’il y a à évaluer la quantité demandée d’un nouveau produit (pas de référence antérieure). Cela peut provenir d’une surestimation du prix que les consommateurs sont prêts à payer pour obtenir ce produit.
20Le risque de réputation ou le risque image, autrement dit tout ce qui peut porter atteinte au développement de l’activité de l’entreprise en cas de crise de confiance des clients, explique que l’entreprise prenne tant de soin à cerner les attentes de ses clients et à respecter la qualité de conformité de ses produits.
Risques liés à l’environnement interne de l’entreprise :
21Les ressources sont classées en 4 catégories :
- Les ressources humaines : savoir-faire, capacité d’adaptation…
- Les ressources physiques : capacité de production notamment
- Les ressources financières : capacité (ou besoin) de financement…
- Les ressources intangibles : brevets et licences, les marques, R&D, logiciels.
Ressources humaines
22L’attitude des salariés et leurs compétences conditionnent la réussite de l’innovation.
23Le groupe 3M est parvenu à gérer au mieux son risque « ressources humaines ». Il dispose d’un budget de 1,1 milliard de dollars par an pour son poste innovation, soit 10 % de la population salariée, soit près de 7.000 personnes réparties dans le monde. Pour renforcer l’adhésion à un objectif commun et développer une culture d’entreprise qui réduise le risque, 3M favorise l’osmose entre les différents centres de recherche, et les relations entre les équipes. Cette attitude permet de limiter les déperditions d’idées, récoltées par le biais de forums techniques sur Internet, sur lesquels les scientifiques du monde entier échangent leurs idées. De plus, deux fois par an, 3M organise, dans son centre de St Paul (Minnesota) un séminaire à l’accès très restreint où les inventions récentes du groupe, encore non brevetées, y sont présentées. Cette organisation est assortie d’un programme de management de l’innovation (3MAccélération) destiné à gérer les ventes au mieux et qui permet aux scientifiques du groupe de consacrer 15% de leur temps à leurs recherches personnelles.3m dispose également d’un management de l’innovation particulier en ce qui concerne la gestion des ressources humaines en proposant une évolution des carrières individualisée orientée selon deux axes principaux : management ou expertise, sans jamais imposer de modification du poste.
Ressources physiques
24Il peut apparaître lors de l’élaboration d’un nouveau produit, un certain nombre d’obstacles liés à la fabrication de celui-ci. Ainsi, « les risques techniques peuvent être définis comme la possibilité de ne pas pouvoir fabriquer un objet manufacturé en faisant appel à une certaine technologie et en respectant un ensemble de spécifications » (Giard, Midler, 1993). Le passage d’une petite série test à une grande série lorsque le produit décolle sur le marché, les procédés de production utilisés, l’organisation des moyens de production… sont autant de variables à gérer à ce moment-là.
Ressources immatérielles
25Il existe de nombreux exemples de produits dont les erreurs de conception ont été un frein au développement soit par rapport aux attentes du client (encombrement du produit mal évalué, utilisation peu pratique ou trop complexe), soit à cause de problèmes techniques (mauvaise tenue de route d’une voiture…).
26Les entreprises protègent leur capital immatériel en déposant des brevets ou des marques.
27L’entreprise Salomon est communément citée en exemple en ce qui concerne l’innovation par lancement d’un nouveau produit. En deux ans le marché du ski parabolique s’est métamorphosé : les skis longs avaient disparu. Pour arriver à ce succès Salomon investit 4,5% de son CA dans la R&D et dépose en moyenne 70 brevets par an.
28Un autre exemple de bonne gestion du risque technologique est celui de l’entreprise Dyson qui instaura une technologie révolutionnaire avec son aspirateur sans sac.
Ressources financières
29Le risque financier s’exprime à travers un retour sur investissement trop faible (prix de vente surestimé, mauvaise diffusion du produit, accroissement du coût d’achat de matières intégrées dans la production), ou trop long (délais sous-estimés, retard dans la mise en place du produit sur le marché).
30Ce risque peut évidemment survenir à la suite de l’un ou plusieurs des précédents et recouvre notamment les risques commerciaux liés à l’innovation.
31Deux ans après le MicroEgg, la Société Internationale d’Innovation et de Distribution, spécialisée dans la création de produits en plastique haut de gamme à usage culinaire, décide de financer le bouchon de canette.
32Il semble donc important, dans un second temps, de construire une matrice des risques pour chaque lancement d’innovation afin de se prémunir de lourdes conséquences financières. Cette matrice est simple à réaliser car elle se présente sous la forme d’un tableau à double-entrées : survenance d’un risque (fréquence ou vraisemblance) et gravité des conséquences (impact).
Extraite de : « Diagnostic des Risques » [Gaultier-Gaillard, Louisot, 2004]
Extraite de : « Diagnostic des Risques » [Gaultier-Gaillard, Louisot, 2004]
33La combinaison des facteurs probabilité de survenance et gravité permet d’obtenir approximativement une hiérarchisation des risques et ainsi de déterminer des zones d’acceptabilité en fonction de la tolérance pour le risque de l’entreprise, couramment appelé « appétence pour le risque » dans le milieu assurantiel. Ces zones permettent alors de construire un chemin de gestion des risques plus que de résoudre les causes profondes des situations dégradées.
34Pour ne pas rester aveugle sur des marchés en constante évolution, une veille stratégique s’impose à toute entreprise désireuse de rester innovante en surveillant l’environnement de l’entreprise (risques internes à l’entreprise, concurrents, clients, fournisseurs,…). La veille est source d’innovation. En collectant l’information par ses « capteurs » et en l’analysant par ses « experts », la veille stimule la recherche et le développement de nouvelles idées. Pour être efficace dans la maîtrise des risques liés à tout processus d’innovation, la veille nécessite de savoir cibler ses besoins, d’avoir identifié les acteurs de l’entreprise (en interne et en externe), de mettre en place des systèmes de collectes d’informations sur le marché et de les analyser. Il est nécessaire de mettre en place une organisation interne de diffusion des résultats pour un temps d’action-réaction optimal.
Innovation et partage de risques
35Dans le cadre de l’innovation, le partage du risque est incontestablement un enjeu stratégique majeur puisqu’il permet aux entreprises concernées de répartir le coût entre elles et de limiter les conséquences négatives sur l’activité de l’entreprise de l’occurrence d’un événement défavorable, ou de l’impact d’une situation dégradée.
36Nous verrons ici en quoi la capacité de l’entreprise à innover d’un point de vue organisationnel (externalisation, co-développement) lui permet de limiter individuellement ce risque.
L’externalisation du risque
37L’innovation comporte tant de risques que les entreprises cherchent à les partager avec d’autres, voire à les externaliser sur d’autres. Ainsi, les alliances de conception ou co-développement se multiplient, tout comme les essaimages -ou entreprises projets-destinés à supporter le risque lié à l’innovation à la place d’une entreprise qui lui soustraite d’une certaine façon ce risque.
38L’essaimage est une structure créée au sein d’une grande entreprise qui prend son autonomie juridique, le plus souvent sous la forme d’une filiale voire d’une entreprise indépendante dans laquelle l’entreprise d’origine n’a qu’une participation minoritaire. Cette dernière continue le plus souvent d’apporter un soutien sous différentes formes (matériel, effort commercial…) à cette “excroissance”. Cette solution permet à la fois de rapprocher ce département d’un fonctionnement de start-up et de partager le risque financier avec des investisseurs spécialisés.
39Aux Etats-Unis, l’essaimage se développe de plus en plus. Thales, Philips ou encore Siemens excellent en ce domaine. Souvent de grands groupes industriels possèdent environ 10 % du capital des jeunes pousses, qui n’apparaît donc pas dans le bilan consolidé. Lorsque le produit innovant s’avère porteur, elles utilisent leur droit de tirage. Les capital-risqueurs voient ainsi leur sortie assurée. Le risque financier n’est plus financé par l’entreprise mère mais reporté sur les dirigeants, capitaux-risqueurs et parfois un fournisseur. Le risque social est aussi transféré, car une grande entreprise a plus de mal à licencier en cas d’échec.
40Selon le baromètre Outsourcing d’Andersen (2001), 63% des entreprises prétendent avoir recours à l’externalisation de la R&D. Outre le recours à des ressources spécifiques indisponibles dans l’entreprise (approche RBV), elle est également destinée à répartir les risques entre les partenaires. La R&D est caractérisée par l’incertitude, des investissements élevés, des délais difficiles à anticiper, et un enjeu stratégique fort pour les entreprises qui constitue un frein à son externalisation. Le fait que cette fonction soit largement imbriquée avec les autres rend cette externalisation particulièrement délicate.
41De nombreuses entreprises externalisent une partie de leur R&D :
- Snecma 23 %,
- France Télécom 23 %,
- Schneider 15 %,
- L’Oréal 10 %… reste à savoir de quelle partie il s’agit…
- La recherche fondamentale est externalisée car trop exigeante en matière de ressources et de savoir-faire, et trop longue pour une entreprise seule, même de très grande taille.
- La recherche appliquée est plus volontiers internalisée mais l’entreprise a souvent recours à des prestataires extérieurs pour des missions circonscrites dans ce domaine.
- Le développement de nouveaux procédés est souvent confié à des spécialistes dans le domaine.
- Le développement et l’amélioration de produits appartiennent généralement à l’entreprise ; cette phase plus en aval de la R&D requiert généralement de l’information et des compétences propres à l’entreprise.
- La veille technologique reste la mission exclusive des entreprises qui la pratiquent.
- De mener de front plusieurs projets de R&D au lieu d’être obligée de les mettre en concurrence,
- D’acquérir des connaissances et des compétences de ses partenaires extérieurs, et de se concentrer sur ses projets spécifiques en interne,
- De partager les risques liés à la R&D en formant des partenariats ou en externalisant.
42Toutefois, il est de plus en plus coûteux de revenir en arrière ou d’abandonner le projet… ce qui explique que ce processus d’innovation comporte tant de décisions risquées.
Le co-développement
43Les entreprises tirent un avantage concurrentiel de la rapidité avec laquelle elles sont capables de proposer de nouveaux produits performants sur le marché (Clark, Fujimoto, 1991). Or, pour atteindre cet objectif, elles doivent en particulier maîtriser les étapes fondamentales de la réalisation d’un nouveau produit : sa conception et son développement. « Le cycle de vie d’un produit se définit par l’intervalle de temps qui sépare le début de la conception d’un produit de l’arrêt de sa fabrication, et par tous les événements et décisions qui affectent ce produit durant cette période » (V. Giard).
44La conception est l’étape critique de l’innovation dans la mesure où le degré de risque y est élevé (méconnaissance des conséquences de l’innovation) et la marge de manœuvre encore importante (possibilité d’abandon ou de corrections). L’innovation étant un processus long et coûteux, le risque financier s’accroît lorsque l’on se déplace de l’amont vers l’aval. Le résultat de ce processus d’innovation est incertain lorsqu’il est lancé et le partage des fruits de ce processus entre plusieurs partenaires le rend encore plus difficile à gérer.
45Se pose le problème du retour sur investissement de l’innovation pour le fournisseur qui généralement bénéficie simplement de l’accroissement du chiffre d’affaires de ses clients, sans rémunération spécifique de sa prise en charge partielle du risque de ces derniers.
46Les produits devenant plus complexes, les entreprises ont davantage intérêt à sous-traiter, non seulement certaines phases de la fabrication mais, de plus en plus, la conception même de leurs produits, phase jusqu’alors privilégiée de l’entreprise. Autrement dit, le phénomène d’impartition, qui désigne la décision d’une entreprise de déléguer à un tiers la réalisation d’une partie de sa production finale, inclut de plus en plus les phases amont que sont la R&D. C’est ainsi que les fournisseurs conçoivent et produisent des sous-ensembles capables de s’adapter parfaitement aux ensembles des donneurs d’ordres. Cette complexification appelle une « coopération étendue » (J. Perrin, M-C Villeval, Y. Lecler, 1997). Ainsi, de nombreux équipementiers ne travaillent plus sur plans fournis par les fabricants mais proposent leurs propres études de conception. C’est le secteur automobile, notamment éclairé par les travaux de C. Midler sur le projet Twingo (l’auto qui n’existait pas), qui fournit les exemples les plus significatifs de ce phénomène d’impartition où le coût financier de la conception et de l’industrialisation de l’innovation réside en majorité dans les prestations des fournisseurs. Dans de nombreux secteurs, c’est principalement sous la double contrainte d’une augmentation de la pression concurrentielle et d’une instabilité croissante des choix technologiques que la capacité de commercialisation rapide de nouveaux produits (notion de time-to-market) est devenue un véritable facteur de différenciation ( S. Ben Mahmoud-Jouini, R. Calvi, 2004).
47En effet, dans des domaines tels que l’automobile ou l’aéronautique, les donneurs d’ordres font supporter une partie de leurs risques à leurs équipementiers. Ce « risk sharing » partage le financement de la R&D et de la fabrication entre les différents acteurs du projet et soumet donc les sous-traitants à la même incertitude financière que le donneur d’ordre concernant l’aboutissement du projet. Pour prendre un exemple récent, l’airbus A380 a utilisé les services de 550 sous-traitants aéronautiques de la région Midi-Pyrénées, dont Sogeclair [2] qui ne reçoit le paiement des pièces dont il a participé au développement et à la fabrication que lorsque l’avionneur facture ses produits aux clients.
48Fondamentalement, deux stratégies de limitation du risque en phase d’élaboration [du projet] peuvent être utilisées : l’amélioration du niveau d’information et l’externalisation du risque (V. Giard, 1993). Cette seconde stratégie consiste pour l’entreprise à définir les risques qu’elle peut assumer et ceux dont elle souhaite se décharger sur des acteurs extérieurs : assurance, fournisseurs…. La rigueur du cahier des charges contribue à assurer le donneur d’ordres du respect du travail de ses fournisseurs (quantité, qualité, coût, délais).
49L’impartition suppose une implication précoce des acteurs externes à l’entreprise, afin de limiter l’incertitude qui diminue au fur et à mesure que le temps avance mais qui réduit également le degré de liberté. Dans la figure ci-après, C. Midler montre que les entreprises ont intérêt à déplacer la courbe de connaissance vers la gauche afin de réduire la portée des décisions irréversibles prises en situation de manque de partage de l’information.
Adaptée de Midler (1993), p21
Adaptée de Midler (1993), p21
50Le co-développement désigne une situation où le client et les fournisseurs coopèrent pour concevoir des produits ensemble. Cela implique que les deux partenaires fassent converger leurs savoir-faire très tôt pour mener à bien le développement du nouveau produit. Dans le co-développement, il ne s’agit plus de faire converger des savoirs issus de métiers différents vers un objectif commun au sein d’une même entreprise (démarche concourante) mais de « coordonner des trajectoires amont des entreprises », ce que L. Gastaldi et C. Midler (2005) nomment « exploration concourante ». L’intérêt réside toujours dans le fait d’intégrer le plus tôt possible les informations et le savoir-faire des fournisseurs afin d’accroître le niveau de connaissance du projet global.
51S. Ben Mahmoud-Jouini et R. Calvi (2004) distinguent :
- Le co-développement critique, caractérisant une situation où ni le fournisseur, ni le client n’ont la capacité d’intégrer isolément l’ensemble du développement d’un produit ou d’une partie du produit. Le risque est d’autant plus élevé que les acteurs ont des compétences spécifiques et complémentaires.
- Le co-développement stratégique, concernant la situation où l’entreprise délègue volontairement la conception d’un sous-ensemble comportant un risque élevé dans le développement et dont elle ne maîtriserait pas le savoir-faire. Le fournisseur assume alors un poids financier important mais dispose également d’un levier de différenciation lorsqu’il ajoute une forte valeur au produit.
Conclusion : jusqu’où peut-on transférer le risque ?
52L’innovation n’est plus seulement inspirée par les désirs des clients à qui elle est destinée (vision marketing aval des besoins du marché) mais devient un processus qui implique tous les partenaires de l’entreprise, y compris amont (sous-traitants) et horizontaux (concurrents).
53La coopération, quelle que soit sa forme (alliances / partenariats), facilite l’innovation puisqu’elle permet aux entreprises qui la pratiquent de partager les coûts, les risques et les bénéfices liés à celle-ci.
54Mais elle peut entraîner à son tour des effets pervers…
55Dans la mesure où l’activité des entreprises est liée de plus en plus à la fiabilité de leurs fournisseurs, il appartient à ces entreprises de trouver des processus de « rechange » qui leur permettent de faire face à un événement fortuit.
En 2000, une usine de semi-conducteurs, fournisseur de Nokia et d’Ericsson brûle. Le risque d’incendie fait tout naturellement partie d’un risque classique transférable aux assurances au titre des risques SIAV, mais la répercussion de cet événement défavorable sur l’activité des entreprises dépend également de leur réactivité. Elle permit à Nokia, sur la base d’un scénario préalablement établi, de retrouver un autre fournisseur sous 48h et de poursuivre son activité de fabrication (téléphones portables). En revanche, la diffusion de ce risque sur Ericsson a grandement nui à son activité puisque l’entreprise n’a pas été en mesure d’offrir de téléphones portables à ses clients pendant une longue période.
57Le fait de développer des relations de coopération étroites entre les entreprises rend difficile le transfert des risques vers des systèmes classiques d’assurance et oblige les entreprises à innover pour s’en protéger. La coopération industrielle comporte des avantages (économies de coûts, partage de connaissances…), mais permet également la diffusion rapide d’un événement à faible probabilité (donc souvent sous-estimé) à l’ensemble des clients et des fournisseurs.
Bibliographie
- R. Dumoulin, A. Martin, L’externalisation de la R&D : une approche exploratoire, n° spécial RFG (143), Externalisation et relations partenariales, mars-avril 2003.
- Clark, Fujimoto, Product Development Performance, Harvard Business School Press, 1991.
- L. Gastaldi, C. Midler, Exploration concourante et pilotage de la recherche, n° spécial RFG (149), Développer l’innovation, mars-avril 2005.
- S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, Diagnostic des Risques, Ed. AFNOR, 2004.
- V. Giard, C. Midler, Pilotages de projet et entreprises, groupe ECOSIP, ECONOMICA, 1993.
- S. Ben Mahmoud-Jouini, R. Calvi, Les coopérations interentreprises dans les projets de développement, dans « Faire de la recherche en management de projet », dir. G. Garel, V. Giard, C. Midler, Vuibert 2004.
- F. Moreau “risques et menaces”, dans Comprendre et gérer les risques, Ed d’Organisation, Paris 2002, p. 1-6.
- K.Pavitt, “What we know about the strategic management and technology”, California Management Review, vol. 32 (1990), pp.17-26.
- J. Perrin, M-C Villeval, Y. Lecler, Conception de produits et coopération au Japon, Revue Française de Gestion, juin-juillet-août 1997.
- J.Tidd, J. Bessant et K. Pavitt (2001), Managing Innovations : Integrating Technological, marketing and organisational change, 2ème Ed. wiley.
Mots-clés éditeurs : Externalisation, Partage de risques, Cooperation, Innovation
Date de mise en ligne : 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/vse.172.0010