Notes
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[1]
Je remercie Jeanne Sauvage, doctorante au département de français de l’Université Yale, pour la traduction de mon article en français.
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[2]
Richard Ribb, « La Rinchada : Revolution, Revenge, and the Rangers, 1910-1920 », in Arnoldo de León, War along the Border : The Mexican Revolution and Tejano Communities, College Station, Texas A & M University Press, 2012, p. 65.
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[3]
Benjamin Heber Johnson, Revolution in Texas : How a Forgotten Rebellion and Its Bloody Suppression Turned Mexicans into Americans, New Haven, Yale University Press, 2003, p. 3, 175 ; « Did U.S. Cavalry Massacre Civilians on the Border ? » San Antonio Express-News, 3 avril 2016 ; « Findings Shed New Light on 1918 Porvenir Massacre », Washington Times, 4 avril 2016.
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[4]
Pour une perspective internationale, voir Friedrich Katz, The Secret War in Mexico : Europe, The United States and the Mexican Revolution, trad. par Loren Goldner, Chicago, The University of Chicago Press, 1981. Pour une analyse de la période resituée dans l’histoire de la violence populaire, voir William D. Carrigan et Clive Webb, Forgotten Dead : Mob Violence Against Mexicans in the United States, 1848-1928, New York, Oxford University Press, 2013. La conséquence du conflit sur le contrôle frontalier est examinée dans Miguel Antonio Levario, Militarizing the Border : When Mexicans Became the Enemy, College Station, Texas A&M University Press, 2012. Pour la formation raciale, voir B. H. Johnson, Revolution in Texas, op. cit.
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[5]
Un mot sur la terminologie employée : à l’époque, « mexicain » constituait une catégorie ethnique en elle-même, faisant référence à la fois aux ressortissants mexicains et à n’importe quel individu d’origine mexicaine.
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[6]
Voir Olivier Compagnon, L’Adieu à l’Europe. L’Amérique latine et la Grande Guerre (Argentine et Brésil, 1914-1939), Paris, Fayard, 2013.
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[7]
On trouve un bon résumé de ces études in Pekka Hämäläinen et Samuel Truett, « On Borderlands », Journal of American History, 98 (2), 2011, p. 338-361.
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[8]
Voir, entre autres, Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », Revue de synthèse historique, 7, 1921, p. 13-35 ; Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789. Suivi de Les Foules révolutionnaires, Paris, Armand Colin, 1932 ; et Alain Corbin, Le Village des cannibales, Paris, Aubier, 1990.
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[9]
On trouve une étude des ennemis de l’intérieur en France pendant la guerre in Bruno Cabanes, Août 1914. La France entre en guerre, Paris, Gallimard, 2014 [trad. angl. August 1914 : France, The Great War, and a Month that Changed the World Forever, trad. par Stephanie Elizabeth O’Hara, New Haven, Yale University Press, 2016] ; pour la Grande-Bretagne, Panikos Panayi, The Enemy in Our Midst : Germans in Britain during the First World War, New York, Berg, 1991 ; et pour la Russie, Eric Lohr, Nationalizing the Russian Empire : The Campaign against Enemy Aliens during World War I, Cambridge, Harvard University Press, 2003.
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[10]
John Horne, « End of a Paradigm ? The Cultural History of the Great War », Past and Present, 242 (1), 2019, p. 155-192, p. 177.
-
[11]
Concernant la traduction du Plan de San Diego, voir Charles H. Harris III et Louis R. Sadler, The Plan de San Diego : Tejano Rebellion, Mexican Intrigue, Lincoln, University of Nebraska Press, 2013, p. 1-4.
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[12]
Voir James A. Sandos, Rebellion in the Borderlands : Anarchism and the Plan of San Diego, 1904-1923, Norman, University of Oklahoma Press, 1992, en particulier le cinquième chapitre.
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[13]
David Montejano, Anglos and Mexicans in the Making of Texas, 1836-1986, Austin, University of Texas Press, 1987, p. 125.
-
[14]
Rodolpho Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution on the Mexico-Texas Border, 1910-1916 », thèse pour le doctorat en histoire sous la dir. de Alwyn Barr, Texas Tech University, 1981, p. 344.
-
[15]
Charles H. Harris III et Louis R. Sadler, The Texas Rangers and the Mexican Revolution : The Bloodiest Decade, 1910-1920, Albuquerque, University of New Mexico Press, 2004, p. 214.
-
[16]
« People in Border Counties Fear Monster Uprising », Corpus Christi Caller and Daily Herald, 12 août 1915.
-
[17]
George J. Sanchez, Becoming Mexican American : Ethnicity, Culture, and Identity in Chicano Los Angeles, 1900-1945, New York, Oxford University Press, 1993.
-
[18]
Paul Hart, « Beyond Borders : Causes and Consequences of the Mexican Revolution », in A. de Léon, War Along the Border, op. cit., p. 10-15.
-
[19]
Entre 1911 et 1920, les services d’immigration et de naturalisation américains signalent l’entrée de quelque 220 000 Mexicains aux États-Unis. Ces statistiques sont mentionnées dans Paul Hart, « Beyond Borders : Causes and Consequences of the Mexican Revolution », in A. de. León, War Along the Border, op. cit., 27.
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[20]
W. D. Carrigan et C. Webb, Forgotten Dead, op. cit., p. 33.
-
[21]
Gary Clayton Anderson, The Conquest of Texas : Ethnic Cleansing in the Promised Land, 1820-1875, Norman, University of Oklahoma Press, 2005, p. 7.
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[22]
Monica Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You : Anti-Mexican Violence in Texas, Cambridge, Harvard University Press, 2018, p. 4.
-
[23]
Voir par exemple J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit. ; Trinidad Gonzales, « The Mexican Revolution, Revolución de Texas, and Matanza de 1915 », in A. de Léon, War Along the Border, op. cit., p. 107-133 ; et R. Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution », op. cit. Sur l’argument concurrent selon lequel le chef de la révolution mexicaine et futur président, Venustiano Carranza, avait soutenu les raids au Texas tout en suggérant au gouvernement américain qu’il y mettrait fin rapidement une fois qu’il aurait obtenu la reconnaissance diplomatique, voir Charles H. Harris III and Louis R. Sadler, « The Plan of San Diego and the Mexican-United States War Crisis of 1916 : A Reexamination », The Hispanic American Historical Review, 58 (3), 1978, p. 381-408.
-
[24]
« Quiet Along Rio Grande », Houston Post, 9 octobre 1915.
-
[25]
Déclaration de Dayton Moses, Texas Joint Committee of the House and Senate in the Investigation of the Texas State Ranger Force Transcript of Proceedings, Dolph Briscoe Center for American History, Université du Texas, Austin, cote 2R208, 1919 [désigné par Joint Committee Proceedings], p. 100.
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[26]
L’ethnicité joua un rôle similaire dans la prédétermination présumée des sympathies allemandes lors de la Première Guerre mondiale. Voir Frederick C. Luebke, Bonds of Loyalty : German-Americans and World War I, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1974, ou, dans le contexte britannique, P. Panayi, The Enemy in Our Midst, op. cit.
-
[27]
« Go After the Greasers », Waco Morning News, 23 octobre 1915.
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[28]
Pour une histoire générale des Rangers, voir C. H. Harris III et L. R. Sadler, The Texas Rangers and the Mexican Revolution, op. cit., en particulier le premier chapitre.
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[29]
Les forces comptaient environ 11 capitaines, 150 regular rangers, 400 special rangers (non rémunérés, mais conservant une autorité légale) et 800 loyalty rangers (qui servirent de renseignements pendant la Première Guerre mondiale). Voir M. Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit., p. 87-88.
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[30]
Témoignage du capitaine W. T. Vann, Joint Committee Proceedings, op. cit., p. 574 et p. 562.
-
[31]
David Riches (dir.), The Anthropology of Violence, Oxford, Basil Blackwell, 1986.
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[32]
Témoignage de R. B. Creager, Joint Committee Proceedings, op. cit., p. 355.
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[33]
À propos du massacre de Porvenir, voir M. A. Levario, Militarizing the Border, op. cit., p. 33-34 et R. M. Utley, Lone Star Lawmen, op. cit., p. 60-61.
-
[34]
Voir J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit., p. 92 ; B. Heber Johnson, Revolution in Texas, op. cit., p. 118.
-
[35]
Simon Harrison, Dark Trophies : Hunting and the Enemy Body in Modern War, New York, Berghahn Books, 2012, p. 4-5.
-
[36]
Véronique Nahoum-Grappe, « Anthropologie de la violence extrême : le crime de profanation », Revue internationale des sciences sociales, 174 (5), 2002, p. 601-609, p. 607.
-
[37]
Voir Harvey Young, « The Black Body as Souvenir in American Lynching », Theater Journal, 57 (4), 2005, p. 639-657 et Simon Harrison, Dark Trophies, op. cit., p. 108-110.
-
[38]
Voir des récits du raid dans James W. Hurst, Pancho Villa and Black Jack Pershing : The Punitive Expedition in Mexico, Westport, Praeger, 2008, p. 21-28 et Friedrich Katz, The Life and Times of Pancho Villa, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 560-566.
-
[39]
« Woman Held by Villa Nine Days Tells Story of Mexican Raid », New York Times, 10 mars 1916. Voir aussi M. A. Levario, Militarizing the Border, op. cit., en particulier le quatrième chapitre.
-
[40]
« Hints That Germans Are Villa’s Backers », New York Times, 12 mars 1916.
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[41]
« Few See Hand of Germany in Villa’s Columbus Raid », Boston Daily Globe, 27 mars 1916.
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[42]
« German Agents Working Incite Mexicans on Border », Taylor Daily Press, 8 février 1917.
-
[43]
J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit., p. 111-116, p. 142.
-
[44]
F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 329.
-
[45]
E. A. Kreger à A. Mitchell Palmer, 17 janvier 1921, dossier « War, Witzke & Jahnke », boîte 6, Documents Relating to German Sabotage Activities, 1915-1918, Mixed Claims Commission, U.S. and Germany, 1922-1941, Records of Boundary and Claims Commissions and Arbitrations [Archives des commissions et procédures d’arbitrage sur les frontières et les réclamations], Record Group 76 [Groupe de documents 76], National Archives and Records Administration [Archives nationales et administratives] à College Park, Maryland.
-
[46]
Voir F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 337-341 et R. Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution », op. cit., p. 291.
-
[47]
Voir F. Katz, The Life and Times of Pancho Villa, op. cit., p. 555-556.
-
[48]
Cela est aussi vrai de travaux récents, comme Thomas Boghardt, The Zimmermann Telegram : Intelligence, Diplomacy, and America’s Entry into World War I, Annapolis, M.D., Naval Institute Press, 2012.
-
[49]
F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 337.
-
[50]
Untitled article, El Paso Herald, 12 avril 1917.
-
[51]
Poroforio Garcia à Hanson, 4 mars 1918 ; dossier 8, boîte 401-574, Departmental Correspondence [Correspondance du département], Texas Adjutant General’s Department [Département de l’adjudant général du Texas], Archives and Services Division [Division des services et archives], Texas State Library and Archives Commission, Austin, Texas.
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[52]
Voir par exemple « Villa Raiders Were Financed by Germans », The Taylor Daily Press, 5 octobre 1917.
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[53]
« Germans Ask to Raise Regiment », El Paso Herald, 14 mars 1917 ; « Germany Pays Villa to Start Raids on U.S. », The Washington Post, 9 mars 1917 ; « Obregon Deserts Carranza and May Unite With Villa », The Austin American, 18 mars 1917 ; « Villa Is To Be Carranza Ally », El Paso Herald, 15 mars 1917.
-
[54]
B. H. Johnson, Revolution in Texas, op. cit., p. 178.
-
[55]
M. Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit., p. 4, 8.
-
[56]
Les recherches les plus récentes sur ce sujet sont exposées in M. M. Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit. ; W. D. Carrigan et C. Webb, Forgotten Dead, op. cit. ; et Rachel St. John, Line in the Sand : A History of the Western U.S.-Mexico Border, Princeton, Princeton University Press, 2011.
-
[57]
P. Hämäläinen et S. Truett, « On Borderlands », art. cité, p. 358 ; Thomas M. Wilson et Hastings Donnan (dir.), Border Identities : Nation and State at International Frontiers, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 3.
-
[58]
Christopher M. D. Ellis, « “Negro Subversion” : The Investigation of Black Unrest and Radicalism by Agencies of the United States Government, 1917-1920 », thèse pour le doctorat en histoire sous la dir. de Edward Ranson, University of Aberdeen, 1984 ; Theodore Kornweibel, Investigate Everything : Federal Efforts to Compel Black Loyalty during World War I, Bloomington, Indiana University Press, 2002.
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[59]
Nous empruntons ce terme à James N. Leiker, Racial Borders, Black Soldiers Along the Rio Grande, College Station, Texas A&M University Press, 2002.
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[60]
P. Hämäläinen et S. Truett, « On Borderlands », art. cité, p. 358.
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[61]
« Mexico Ally of Germany and Japan Against the U.S. », Albuquerque Morning Journal, 31 mars 1917.
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[62]
À propos de la « sortie de guerre », voir Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats française (1918-1920), Paris, Seuil, 2004.
1En 1915 débute dans le Texas du Sud une « guerre frontalière », opposant les Texas Rangers à des raiders mexicains aux ambitions sécessionnistes. Né d’un système d’oppression et de ségrégation raciales récemment consolidé dans la région, le conflit transforme toutes les personnes d’origine mexicaine en ennemis de l’intérieur. Dans le cadre de la Première Guerre mondiale, elles sont de surcroît identifiées à des suppôts des Allemands.
2Avant que le sud du Texas ne devienne un front intérieur lors de l’entrée des États-Unis dans la Grande Guerre, en avril 1917, il fut le champ de bataille d’un des conflits raciaux les plus intenses que le pays ait traversés, qui reste aujourd’hui largement méconnu [1]. La série d’affrontements violents le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis pendant la Révolution mexicaine (1910-1920) a longtemps résisté aux tentatives de catégorisation. Ces violences ont mobilisé une ample galerie de personnages : troupes fédérales mexicaines et factions révolutionnaires, armée américaine et forces de police locales comme les Texas Rangers, rebelles mexicains, milices américaines autoproclamées, victimes civiles américaines et mexicaines. Les Anglo-Américains dénonçaient à l’époque les « problèmes frontaliers » et les attaques de « bandits mexicains » contre le sud du Texas, principalement en 1915 et 1916. De leur côté, les Mexicains et Américains d’origine mexicaine du Texas (Tejanos) entretenaient le souvenir de la matanza (« massacre »), un terme d’argot faisant référence au règne de terreur et de représailles menées par les Texas Rangers. Les historiens ont remplacé le terme Bandit War – introduit par les contemporains anglo-américains pour créer des catégories simplificatrices opposant des victimes blanches et des malfaiteurs mexicains – par le terme Border War (utilisé ci-après), moins susceptible de déformer ou d’aseptiser la mémoire historique. Les recherches récentes sont précieuses, car elles ont permis d’élucider la nature et de prendre la mesure des violences anglo-américaines à l’encontre de plusieurs centaines voire milliers de Mexicains et Tejanos [2].
3L’éclaircissement de ces heures sombres de l’histoire américaine est un cheminement laborieux. Les premières estimations du nombre de victimes mexicaines et Tejanos ont été proposées lorsque des habitants découvrirent, peu après les violences, des cadavres et des ossements portant les marques d’exécutions par balle. Ces estimations varient de plusieurs centaines à plusieurs milliers. C’est seulement pendant les années 1970 que le gouvernement texan accepta de communiquer 1 600 pages de témoignages choquants sur le comportement des Texas Rangers, plus de cinquante ans après leur compilation par un comité d’investigation. Enfin, plus récemment encore, des données archéologiques et balistiques ont démontré l’implication de l’armée américaine dans un massacre de 1918 initialement imputé aux Rangers [3].
4L’élucidation progressive de cette histoire complexe et mouvante, aux marges de l’historiographie américaine, a enrichi de multiples champs d’étude : les relations entre les États-Unis et le Mexique, la violence populaire, le contrôle aux frontières, les processus de formation raciale [4]. Pourtant, malgré l’ampleur des travaux sur la Border War, force est de constater que ceux-ci n’ont pas vraiment cherché à l’intégrer dans l’histoire du conflit mondial. Les habitants du sud-ouest des États-Unis estimaient quant à eux que, même si jusqu’en avril 1917 le pays restait en dehors de la Première Guerre mondiale, celle-ci ne s’arrêtait pas pour autant à ses portes. Ils étaient convaincus que la violence perpétrée aux frontières résultait de directives allemandes, en une sorte de guerre par procuration visant à déstabiliser la société américaine et à détourner les troupes du front européen. Au vu des événements qui précédèrent l’entrée en guerre des États-Unis, dont des actes d’espionnage allemands, leurs suspicions n’étaient pas totalement infondées. Cependant, ce sont largement les présomptions portant sur la « race » et sur les loyautés qui alimentèrent une peur sociale très répandue : celle de l’ennemi de l’intérieur « mexicain [5] ». Les Blancs considéraient que les agressions et menaces de troubles civils étaient conduites à l’appui non seulement des aspirations révolutionnaires mexicaines, mais aussi de l’effort de guerre allemand. Par conséquent, ils avaient progressivement conçu le sud du Texas comme un front domestique américain (et les Mexicains et les Tejanos comme des ennemis de l’intérieur) d’une guerre mondiale dans laquelle les États-Unis n’étaient pas encore entrés [6].
5L’histoire culturelle de la construction d’un ennemi de l’intérieur, telle qu’elle est présentée ici, doit beaucoup à l’étude des zones frontalières : celle-ci a fourni des outils théoriques nécessaires à l’appréhension d’espaces caractérisés par leur hybridité politique, sociale et culturelle comme le sud du Texas [7]. Évaluer l’interaction entre un conflit régional, une guerre mondiale et l’imaginaire social que ces conflits nourrissent suppose en effet de placer le sud du Texas et la menace mexicaine interne dans un étagement spatial où les géographies se superposent et se chevauchent. Le terme de géographie fait ici référence à une catégorie spatiale à la fois politique, sociale et imaginaire. Politiquement parlant, le sud du Texas fait partie du territoire américain, mais il devient aussi une zone d’activité de la Révolution mexicaine (les raids mexicains traversent régulièrement la frontière américaine) et de la campagne d’espionnage allemande menée en Amérique du Nord pendant la guerre. Socialement, cet espace dessine une géographie raciale où la couleur de peau des Mexicains et des Américains d’origine mexicaine se voit attribuer une signification particulière, comme si leur proximité spatiale et ethnique avec le Mexique, et par extension leur positionnement aux marges, littérales et figurées, de la société américaine préfiguraient leurs allégeances. Enfin, le Texas du Sud forme également un espace imaginaire, à l’origine de présomptions et d’angoisses sociales spécifiques. Comme l’a démontré l’historiographie des rumeurs et de la peur, l’imaginaire peut infléchir le cours de l’histoire [8]. De nouvelles réalités politiques telles que les raids à la frontière, la publication du télégramme Zimmermann, abordée plus loin dans cet article, et les débuts de la Première Guerre mondiale perturbent les appréhensions de l’altérité raciale. Elles attisent la peur de voir se manifester dans la région une forte activité antiaméricaine et, à partir de 1916, pro-allemande.
6En situant la figure de l’ennemi de l’intérieur « mexicain » à la jonction de ces géographies politiques et imaginaires, on infléchit diverses acceptions historiographiques de la « race », de la nationalité, de la migration. De manière peut-être moins attendue, on contribue également à l’histoire culturelle de la Première Guerre mondiale. D’abord, en transposant l’étude de l’ennemi de l’intérieur, un champ déjà riche en ce qui concerne l’histoire de l’Europe en guerre, dans le contexte américain, en la compliquant de questions liées à la « race » et aux zones frontalières [9]. Ensuite, en soulignant les limitations conceptuelles inhérentes à notre terminologie habituelle du temps de la guerre : la définition et l’histoire du front intérieur américain introduisent dans l’analyse historique nombre de postulats temporels et spatiaux. Enfin, parce que cette étude élargit le cadre chronologique et spatial de la Grande Guerre, un projet que l’historien John Home a qualifié d’écriture d’une Greater War [10]. En stratifiant les diverses géographies de la guerre dans le sud du Texas pour souligner les interactions entre la Première Guerre mondiale et la Border War qui la précède, entre la Révolution mexicaine et le front domestique américain, les ambitions internationales de l’Allemagne et les acceptions régionales de la différence raciale, cet article vise à élargir l’étude des États-Unis et de ses ennemis de l’intérieur pendant la guerre, en dépassant leurs paramètres traditionnels, en amont de la déclaration de guerre officielle et sur une échelle à la fois plus localisée et plus globalisée.
Le plan de San Diego
7Le 24 janvier 1915, les autorités américaines arrêtèrent un Mexicain à McAllen, Texas, et découvrirent dans ses poches une déclaration intitulée le « plan de San Diego ». Le document annonçait une insurrection prochaine aux États-Unis, pour « proclamer l’indépendance et la scission du […] Texas, du Nouveau Mexique, de l’Arizona, du Colorado, et du nord de la Californie, dont la République du Mexique avait été perfidement lésée par l’impérialisme nord-américain ». L’ambition irrédentiste, qui cherchait à délivrer les peuples d’origine mexicaine de la « tyrannie yankee », s’étendait aussi aux Amérindiens, qui reprendraient possession des terres spoliées, et aux résidents noirs libérés, qui contrôleraient une république indépendante détachée du territoire américain. Plus alarmant, le plan indiquait qu’à l’exception des femmes, des enfants et des personnes âgées, « tout Nord-Américain de plus de seize ans serait condamné à mort [11] ». Dans un premier temps, les contemporains ne virent dans cette rhétorique du conflit racial et de la révolte sociale qu’une bravade révolutionnaire creuse, jusqu’à ce que, quelques mois après sa divulgation, le plan ne commence à cristalliser une violence aiguë.
8Lors des soulèvements de la Révolution mexicaine, qui faisaient rage depuis 1910, les réseaux anarchistes mexicains, ainsi que de nombreux journaux en langue espagnole du sud du Texas, permirent la diffusion des desseins révolutionnaires du plan [12]. À partir de l’été 1915 débutèrent des raids périodiques au niveau de la frontière Sud, causant, selon les estimations, la mort de 62 civils et 64 soldats américains [13]. Ces attaques étaient conduites et organisées par Luis de la Rosa et Aniceto Pinzaña, dont le groupe de sediciosos, tels qu’ils se désignaient, comprenait des Tejanos et des ressortissants mexicains des deux côtés de la frontière qui entendaient riposter à des pratiques discriminatoires tenaces [14]. Lorsque les résidents blancs imaginèrent que leurs compatriotes d’origine mexicaine pourraient potentiellement encourager, voire prendre part aux agressions transfrontalières, la panique s’empara de la région. Les craintes se concentrèrent surtout sur l’extrême sud de l’État, dans la basse vallée du Rio Grande, très majoritairement peuplé d’originaires du Mexique [15]. En août 1915, un journal rapporte par exemple que « tous les Américains ou presque dormiront l’arme au poing ce soir, de peur que l’écrasante population mexicaine n’allume le feu d’une lutte raciale [16] ».
9Les meurtres d’Américains, vols, attaques de chemins de fer, de ranchs et de commerces perpétrés par des « bandits » semblaient indiquer que les répercussions sociales de la Révolution mexicaine avaient atteint les États-Unis et qu’elles risquaient de déstabiliser les fondements de la société anglo-saxonne. Cependant, dans une perspective plus large, les deux histoires nationales sont si étroitement entrelacées que ces événements doivent être attribués à des forces et des acteurs répartis de part et d’autre de la frontière [17] ; c’est ici que le prisme frontalier est particulièrement pertinent. Les phénomènes de migration et de révolte que les observateurs américains imputaient à la seule Révolution mexicaine étaient également le fruit de la politique étrangère, des intérêts financiers et de la discrimination sociale propres aux États-Unis. Pendant des années, les exploitations agricoles américaines avaient décimé le système des terres communales qui alimentaient les villages mexicains ; leurs réseaux ferroviaires avaient inondé les marchés mexicains de produits bon marché, sapant ainsi les industries locales ; les firmes américaines implantées dans le nord du Mexique avaient attiré à proximité de la frontière une main-d’œuvre venue de tout le pays [18]. Les Américains récoltaient tous les profits. Du même coup, nombre de Mexicains sans terre et désespérés, cherchant à fuir la pauvreté et les violences révolutionnaires, frappaient aux portes des États-Unis [19].
10Certes, les industriels et les politiciens américains furent les artisans d’une précarité qui permit au plan de San Diego de progresser, mais ne devrions-nous pas considérer les résidents américains du sud du Texas comme d’innocentes victimes de la violence qui, prétendument, était simplement due à l’afflux d’immigrants mexicains ? Bien au contraire : ils furent les instigateurs et les bénéficiaires d’un système de discrimination fondé sur des années de dépossessions et de lynchages, participant ainsi régulièrement à des rassemblements blancs, ligués contre des cibles d’origine mexicaine au motif de préjugés raciaux et de rivalités économiques [20]. Ils peuplèrent les rangs des Texas Rangers qui avaient assuré pendant des décennies l’avant-garde de l’expansion anglo-saxonne, expulsant les Mexicains de terres qui pouvaient être exploitées par des ranchers et des fermiers blancs [21]. Plus largement, au cours des années précédant la formulation du plan de San Diego, ils avaient importé le système de hiérarchie raciale qui existait dans le reste du pays, mettant fin à une époque où l’influence considérable du Mexique, dans les domaines culturel, économique et politique, avait jusqu’alors permis une politique de l’accommodement. Celle-ci s’effaçait désormais devant un système de catégorisation binaire qui, au tournant du siècle, distinguait seulement les Mexicains (ségrégués dans des quartiers distincts, dissuadés de voter, bannis des salles de spectacles, des restaurants et des plages) et les Blancs [22].
11En effet, la plupart des analyses historiques comprennent aujourd’hui le plan de San Diego comme une réponse domestique à cette discrimination raciale et économique, plutôt que comme un complot étranger issu de la Révolution mexicaine [23]. Ces études ont contribué à démontrer que la réaction anglo-américaine au plan, mise en œuvre au nom de la sécurité nationale, a en réalité permis de perpétuer les pratiques de domination raciale. Le maintien de l’ordre se mua en pacification, et les politiques sécuritaires en politiques raciales : les discours et les violences des Anglo-Américains commencèrent alors à viser les individus d’origine mexicaine au Texas comme des menaces internes, sur la seule base de la différence raciale, avec des conséquences mortelles.
Les Texas Rangers et les langages de la violence
12Un facteur clé dans la construction des Mexicains comme ennemis de l’intérieur fut la crainte, chez les Blancs du sud du Texas, que Mexicains et Tejanos ne travaillent de concert avec les raiders à la mise en œuvre du plan de San Diego. L’ambition du plan risquait, dans les termes d’un quotidien de l’époque, publié en octobre 1915, de séduire « des centaines, voire des milliers de Mexicains peu avertis [24] ». Il faut souligner l’ampleur d’une telle accusation : quand les Anglo-Américains exprimaient leur méfiance vis-à-vis des « Mexicains », ils ne désignaient pas seulement les ressortissants du Mexique, mais tout individu d’origine mexicaine, y compris des citoyens américains. Un avocat de la Texas Cattle Ranchers’ Association rappelait ainsi, devant un comité mixte du Sénat et de la Chambre des représentants du Texas formé en 1919 pour enquêter sur les Texas Rangers, que, « de ce côté du fleuve, la plupart des habitants sont d’une autre race que la nôtre ». Les habitants d’origine mexicaine vivant sur le sol américain pourraient offrir asile aux raiders « du fait de leurs sympathies partagées, puisqu’ils sont de la même race [25] ». Selon lui, c’était la « race » et non la nationalité qui commandait les allégeances : dans l’éventualité d’une attaque, les citoyens d’ascendance mexicaine se rangeraient du côté des raiders mexicains plutôt que de celui des Américains [26]. Sa mention d’une « race différente de la nôtre » manifestait également l’essor d’une conscience blanche contre l’ennemi mexicain commun. En effet, à mesure que certains Américains blancs définissaient leur propre loyauté à la nation par opposition à la perfidie présumée de leurs voisins de couleur, ils commençaient à saluer les tentatives de débarrasser le sud du Texas de ses indésirables raciaux. Dans un article au titre incendiaire, « Go After the Greasers » [« À bas les Latinos »], un périodique conclut que « plus tôt nous serons débarrassés des Mexicains qui soutiennent [le plan de San Diego], mieux ce sera [27] ».
13Malgré (ou peut-être grâce à) leur comportement plus proche d’une milice que d’une police d’État, ce sont les Texas Rangers qui devinrent le bras armé de la politique de dissuasion et de riposte privilégiée au lendemain des attaques transfrontalières. Créée en 1823 pour protéger les colonies anglo-saxonnes des raids indiens, cette force de police prit d’abord de l’importance avant de décroître en influence au cours du siècle suivant, en poursuivant sa mission de protection de la frontière et de répression de l’activité criminelle [28]. À la fin de l’année 1913, les effectifs étaient ridiculement faibles : seuls treize Texas Rangers patrouillaient dans tout l’État, un nombre d’autant plus réduit que la frontière entre le Mexique et le Texas s’étend sur près de 2 000 kilomètres. En avril 1915, ces effectifs avaient doublé. Ils se mirent à augmenter fortement avec le début des raids à la frontière, jusqu’à atteindre environ 1 350 recrues à la fin de l’année 1918 [29]. Ce dont leur faible nombre les privait, les Rangers le compensaient par une violence accrue. Un comité mixte du corps législatif texan, réuni en 1919 pour enquêter sur les pratiques des Rangers, rend compte de cas d’intimidation, d’agression, de torture et de meurtre. Dans son témoignage, le shérif du comté de Cameron relate un incident loin d’être isolé, impliquant quatre arrestations en octobre 1915 :
[…] on est arrivés le matin et on a arrêté ces quatre hommes, le capitaine Ransom les tenait, il est venu vers moi et m’a dit, je vais les tuer ces types, tu viens avec moi ? J’ai dit non, et je pense que vous non plus. Il a dit, si t’as pas le cran de le faire, je m’en charge. J’ai dit c’est vrai qu’il faut du cran, quatre types avec les mains attachées dans le dos, [faut] vraiment du cran pour faire ça.
15Malgré l’opposition du shérif, le capitaine « les a emmenés dans les bois et il les a butés [30] ». La violence n’est jamais muette. Elle révèle souvent quelque chose des croyances et des identités [31]. Qu’est-ce que les Texas Rangers, et les miliciens anglo-saxons qui leur prêtaient parfois main-forte, cherchaient à communiquer ? Ils tuaient d’abord pour donner l’exemple et avertir du sort réservé à ceux qui pourraient se laisser tenter par le banditisme et l’action révolutionnaire. Malheureusement pour les victimes, c’est plus l’identité raciale que les comportements rebelles qui déterminait les cibles des représailles. Un avocat de Brownsville estime ainsi que, bien que « 90 % des victimes soient aussi innocentes que vous et moi des accusations de banditisme », les Rangers « avaient l’habitude de dresser ce qu’ils appelaient, je crois, des listes noires ». Il explique que « les hommes d’importance dans la vallée […] rapportaient que tel Mexicain était un mauvais Mexicain » et que « très souvent ce Mexicain disparaissait [32] ». Visiblement, les notables blancs disposaient d’un pouvoir colossal dans les choix des cibles et réglaient de vieilles querelles tout en poursuivant des objectifs de dissuasion.
16Cette culture des représailles signalait aux Mexicains et aux Tejanos leur extrême vulnérabilité. Elle faisait disparaître toutes les nuances de la culpabilité et de l’innocence dans un état de responsabilité collective ; impossible de savoir si, ou quand, l’on allait payer pour les méfaits d’autrui. Bien que le genre demeurât un rempart important contre une violence à part cela aveugle (presque toutes les victimes étaient des hommes), les meurtres effaçaient la distinction que l’âge établit habituellement entre cibles légitimes et illégitimes. Lors d’un massacre à Porvenir, par exemple, les quinze victimes étaient âgées de 15 à 72 ans [33]. Cette utilisation de la peur comme une arme, née d’une atmosphère d’incertitude insupportable cultivée par les Blancs américains, porte un nom : la terreur. Elle diffère peu du régime sévissant dans le Sud profond, qui rappelait constamment aux Noirs l’infériorité de leur statut social : les Texas Rangers n’étaient pas si différents des groupes de citoyens du Sud qui utilisaient la violence pour maintenir une domination raciale. Ce qui les différenciait d’autres organisations terroristes blanches, c’est qu’ils opéraient en tant qu’extension officielle de l’État ; leur racisme était dissimulé derrière un badge, plutôt que derrière une capuche blanche.
17En abandonnant des corps pendus à des arbres, entassés les uns sur les autres pour pourrir à l’air libre, ou flottant décapités dans le Rio Grande, les Rangers pratiquaient de plus en plus couramment le langage de la violence ; mais ils visaient également les identités mexicaines de façon plus fondamentale. En violation de la tradition catholique romaine, les corps étaient abandonnés aux charognards ou brûlés. Souvent, les proches ne pouvaient empêcher cette violation des rites funéraires : enterrer le mort aurait manifesté leur proximité avec les supposés bandits et les aurait désignés à leur tour comme cibles [34]. La photographie ci-dessus, prise après la répression par les Rangers d’une attaque contre le ranch King à Norias (Texas), le 8 août 1915, fut imprimée sur des cartes postales et écoulée par milliers. Elle montre le capitaine J. M. Fox, de la « Compagnie B », accompagné de deux hommes qui ont noué des cordes aux jambes des morts. Pour les Rangers, il s’agit d’un avertissement. Pour la communauté de victimes potentielles, c’est la promesse que, s’ils venaient à tomber entre leurs mains, leurs cadavres ne seraient pas enterrés mais bien traînés au bout d’une corde : ce cliché est celui d’un sacrilège.
Le raid de bandits de Las Norias : des Texas Rangers avec des bandits morts, 8 août 1915
Le raid de bandits de Las Norias : des Texas Rangers avec des bandits morts, 8 août 1915
18Ces pratiques visaient également, au-delà des identités mexicaines et de leur inscription dans une communauté religieuse, l’humanité même des victimes. La photographie suivante, probablement prise en 1915, représente un Texas Ranger tenant un crâne qui serait celui d’un raider tombé lors de l’attaque à Norias. Ce trophée de guerre suppose que l’ennemi est perçu comme racialement distant ou plutôt comme moins qu’humain [35]. C’est également un geste de profanation, de violation du sacré, que de séparer une tête d’un corps pour la nettoyer ensuite jusqu’à l’os [36]. Par ailleurs, Jack Webb a coiffé le crâne d’un chapeau, dans un geste de réhumanisation frappant, qui semble transformer le squelette en raider (ou peut-être en n’importe quel « Mexicain »). Ce geste met en scène une synecdoque violente : le pistolet à quelques centimètres de ce qui fut un visage, impatient de l’abattre symboliquement pour la deuxième fois, détruisant du même coup tout ce qu’il représente. La résurrection du crâne fonctionne comme une déshumanisation redoublée. D’un côté, cette image fait écho à l’histoire du lynchage aux États-Unis, notamment des Afro-Américains, qui vit les témoins des violences raciales rapporter chez eux des restes humains et des clichés en guise de souvenirs [37]. De l’autre, elle anticipe tellement la violence des conflits postérieurs qu’elle semble déplacée (temporellement, mais aussi spatialement) dans le cadre du processus de radicalisation de la violence guerrière au 20e siècle. Mais qu’une telle scène ait pu se produire sur le sol américain pendant les années 1910 ne peut surprendre que si l’on s’accroche au mythe rassurant selon lequel ces violences auraient été perpétrées seulement sur de lointaines îles du Pacifique, ou au plus profond des jungles vietnamiennes, et certainement pas sur le territoire américain.
Le Texas Ranger Jack Webb tenant un crâne trouvé après le raid de Norias
Le Texas Ranger Jack Webb tenant un crâne trouvé après le raid de Norias
La guerre par procuration de l’Allemagne et l’ennemi de l’intérieur mexicain
19Dans les mois précédant la déclaration de guerre officielle d’avril 1917, la zone frontalière entre les États-Unis et le Mexique semblait aux yeux de certains habitants déjà impliquée dans la Première Guerre mondiale, les raids transfrontaliers constituant autant d’opérations d’une sorte de guerre par procuration, menée par des Mexicains mais financée et dirigée par l’Allemagne. Les motivations proallemandes imputées aux raiders et, implicitement, aux éléments domestiques accusés de les soutenir, contribuaient aussi à redéfinir la présomption de culpabilité collective des Mexicains et Tejanos. Après les accusations de complicité avec les raiders mexicains, on soupçonnait maintenant leur collusion avec les buts de guerre allemands : une menace d’abord locale, circonscrite au contexte de la Border War, puis élargie au cadre global de la Première Guerre mondiale. Les citoyens d’origine mexicaine devinrent une sorte d’ennemi du temps de guerre, et le Texas lui-même un front de l’intérieur.
20Il y a deux raisons évidentes à ce changement de perception. La première se joua au matin du 9 mars 1916, lorsque les forces du général révolutionnaire mexicain Francisco « Pancho » Villa lancèrent une attaque sur le village endormi de Columbus, au Nouveau-Mexique. Quand les raiders furent finalement repoussés, 17 Américains avaient déjà trouvé la mort, dont 10 civils, ce qui en fait l’attaque étrangère sur le territoire américain la plus meurtrière avant le 11 septembre 2001 [38]. Pour certains, l’attaque de Villa était une manifestation supplémentaire, quoique plus intense, de la Border War en cours. Mais pour d’autres, elle annonçait l’éventualité d’une guerre ouverte entre les États-Unis et le Mexique, avec pour conséquence moins d’armements envoyés aux Alliés, des prêts moins importants et des chances plus faibles que les troupes américaines interviennent jamais en Europe. Alors qu’étaient progressivement révélées des activités d’espionnage en d’autres endroits du territoire étatsunien, tout semblait indiquer un plan d’action coordonné des Allemands.
21Après l’attaque, la presse populaire et le bouche-à-oreille amplifièrent les soupçons qui pesaient sur l’Allemagne. L’histoire de Mme Maud Hawk Wright, une Américaine séquestrée par Villa avant le raid, eut un impact considérable du fait de sa médiatisation dans la presse à grand tirage. Selon son témoignage, Villa aurait exprimé devant elle l’espoir d’un soutien allemand [39]. Si ces faits étaient avérés, l’attaque de Villa ne s’inscrivait plus seulement dans un contexte régional frontalier, elle illustrait une possible manœuvre allemande visant à détourner les États-Unis de la guerre en Europe. Dans les jours qui suivirent, d’autres rumeurs rapportèrent que l’Allemagne avait fourni à Villa armes et munitions, et qu’elle ne tarderait pas à financer d’autres groupes mexicains pour qu’ils poursuivent les combats à la frontière [40]. Certains membres du Congrès soupçonnaient même un rôle direct de la puissance étrangère dans l’attaque de Villa [41]. L’année suivante, l’opinion publique était de plus en plus convaincue que les raids à la frontière n’étaient qu’un outil de la stratégie de guerre allemande. Un quotidien notait, par exemple, la peur diffuse « que les Allemands veuillent attiser l’hostilité à l’égard des États-Unis et financer des raids informels de bandits sur le sol américain dans l’éventualité d’une guerre contre l’Allemagne [42] ».
22À l’époque, ces soupçons semblaient fondés. Les autorités américaines savaient que des agents allemands avaient fourni des armes à Villa en 1915, dans l’espoir que les troubles civils au Mexique détournent l’attention américaine de l’Europe [43]. Les services de renseignements américains avaient également mis au jour et déjoué un plan allemand visant à procurer de l’argent et des armes à l’ancien dictateur mexicain Victoriano Huerta, en échange du déclenchement d’une guerre mexico-américaine [44]. Enfin, même si cela n’était pas encore clair aux yeux des autorités américaines, les services secrets allemands opérant depuis le Mexique planifiaient, comme l’affirme plus tard E. A. Kreger le juge-avocat général des forces armées américaines, « une invasion menée par des Allemands, Mexicains, Sud-Américains et d’autres, du Mexique aux États-Unis, pour que les troubles domestiques empêchent les États-Unis d’envoyer des troupes à l’étranger combattre l’Allemagne [45] ». Cependant, il y a une différence entre les souhaits de l’Allemagne à l’époque et leur réalisation : si les intuitions des autorités américaines étaient peut-être fondées, on ne peut en dire autant de leurs conclusions. Ainsi les historiens n’ont pas établi la preuve d’une implication allemande dans l’attaque de Villa (pas plus que dans le plan de San Diego [46]) : il semblerait que celle-ci ait été plus vraisemblablement motivée par ses aspirations politiques et révolutionnaires [47].
23Une deuxième raison alimentait la conviction croissante que c’était l’Allemagne qui était responsable des troubles à la frontière mexicaine : la publication le 1er mars 1917 du « télégramme Zimmerman ». En janvier, le ministre des Affaires étrangères allemand Arthur Zimmermann prit contact avec l’ambassadeur allemand au Mexique avec un plan audacieux : dans le cas d’une déclaration de guerre américaine contre l’Allemagne, le Mexique devrait attaquer les États-Unis et demander l’aide du Japon. En échange, il pouvait espérer un soutien financier généreux et l’appui de l’Allemagne pour reconquérir le Texas, le Nouveau Mexique et l’Arizona. Malheureusement pour l’Allemagne, le message fut intercepté par les services de renseignements britanniques, transmis au gouvernement américain à la fin du mois de février 1917, ce qui, une fois le télégramme rendu public, poussa de nombreux Américains à réclamer l’entrée en guerre.
24Pendant trop longtemps, les historiens n’ont étudié le télégramme Zimmermann que comme l’événement qui fit basculer l’opinion publique américaine en faveur de l’intervention dans le conflit, en ignorant largement son impact profond sur les relations raciales dans les contextes régionaux et locaux du sud-ouest des États-Unis [48]. Corroborant les suspicions antérieures, la publication du télégramme renforça pourtant l’idée que les attaques transfrontalières étaient inspirées par les Allemands et contribua ainsi à redéfinir complètement la nature des déloyautés domestiques présumées. Mexicains et Tejanos n’étaient plus seulement vus comme antiaméricains et favorables aux intérêts du Mexique. Ils commençaient à apparaître de plus en plus, pour les observateurs anglo-saxons, comme intrinsèquement pro-allemands, soutiens enthousiastes de l’Allemagne ou ignorants dupés, en tout cas cinquième colonne potentielle à l’intérieur des frontières américaines.
25En donnant l’impression de valider les soupçons d’une collaboration germano-mexicaine, le télégramme déclencha également une nouvelle vague de rumeurs, qui expliquaient rétrospectivement les événements de la Border War comme des opérations liées à l’effort de guerre allemand. Les habitants du sud-ouest des États-Unis se demandaient par exemple si les raiders de 1915 et 1916, obéissant peut-être au plan de San Diego, n’étaient pas depuis le début des espions allemands [49]. « L’Allemagne semble presque la seule à prendre au sérieux le vieux plan de San Diego », expliquait doctement le El Paso Herald à ses lecteurs, en les avertissant que « les Allemands essayent de monter les Mexicains et les Noirs contre les États-Unis [50] ». Une fois de plus, l’idée que l’Allemagne avait initié ou coopté le plan de San Diego et que la haine professée contre les Blancs était attisée « par des propagandistes allemands » imputait à des troubles extérieurs la responsabilité d’une situation, qui résultait en réalité de l’histoire des injustices raciales et socioéconomiques propres à la région [51]. De la même manière, on s’intéressa de nouveau aux motivations de Pancho Villa lorsque de nombreux Américains se demandèrent si l’idée du raid ne lui avait pas été soufflée par ses hypothétiques bienfaiteurs allemands [52]. Beaucoup de rumeurs circulèrent en mars et en avril 1917 à propos de Villa et de sa fraternisation avec l’Allemagne, autant de répliques sismiques du télégramme Zimmermann, qui ravivaient les vieilles peurs liées à la porosité des frontières dans un contexte de menace d’un complot étranger [53]. Autrement dit, en agitant le spectre d’une collaboration entre le Mexique et l’Allemagne, le télégramme sortait les événements de la Border War de leur contexte immédiat, le sud-ouest des États-Unis, pour les repenser dans le cadre du conflit mondial dans lequel les États-Unis s’étaient engagés.
Le sud du Texas et les géographies de la guerre
26La construction d’un ennemi racial mexico-américain se prolongea dans la société texane d’après-guerre, à une époque où les Blancs renforçaient leur pouvoir social et systématisaient les pratiques discriminatoires. Pendant les années 1920, les membres du Ku Klux Klan défilèrent dans les villes, restaurants et autres lieux publics, arborant des panneaux « Interdit aux Mexicains », tandis que les districts scolaires pratiquaient de plus en plus la ségrégation raciale (90 % d’entre eux la pratiquaient à la décennie suivante [54]). Par allusion aux lois « Jim Crow » qui organisaient la ségrégation des Afro-Américains à la fin du 19e et au début du 20e siècle, les historiens vont aujourd’hui jusqu’à parler de lois « Juan Crow » afin de désigner cette mise en place de la suprématie blanche dans le sud-ouest des États-Unis. Cette ségrégation était soutenue par une édulcoration discursive des violences de la guerre : les politiciens, institutions historiques, manuels scolaires, musées et médias privilégiaient alors une version des événements qui mettait surtout l’accent sur les progrès de l’époque [55]. Mais les tentatives d’effacement de l’histoire sont rarement exhaustives ou pérennes. Au début des années 1950, les universitaires commencèrent à s’intéresser au plan de San Diego et aux violences frontalières ; l’essor de l’histoire américano-mexicaine durant les années 1970 poussa un plus grand nombre d’historiens à étudier l’histoire du Texas ; et, ces vingt dernières années, on observe un grand essor des recherches portant sur la violence des années 1910 et ses implications pour l’historiographie de la « race » et de la nation [56]. Notre étude s’inscrit dans ce prolongement : elle vise à lier l’histoire de la Border War et celle de la Première Guerre mondiale en se demandant comment l’histoire culturelle de la Grande Guerre peut bénéficier d’une étude centrée sur la question de la frontière.
27Les historiens de la frontière ont souligné la nécessité de transcender les paradigmes centrés sur l’espace étatique. Ils ont interrogé la manière dont les dynamiques locales au sein d’espaces périphériques pouvaient renouveler l’histoire des empires, des nations et des réseaux globaux [57]. Dans le cas de la Première Guerre mondiale, on peut se demander comment l’histoire du front intérieur américain apparaît différemment quand celui-ci est observé depuis ses marges, c’est-à-dire depuis le sud du Texas. Cet article suggère par exemple que la race joue un rôle dans l’élaboration des figures de l’ennemi intérieur pendant la guerre, à l’échelle locale et régionale. En cristallisant leurs angoisses autour des minorités raciales de la région, les citoyens blancs ramènent le conflit global au niveau local et transforment le spectre (inter)national de l’espionnage allemand en une menace immédiate et visible. Cette interprétation paraît d’autant plus crédible si l’on se souvient des peurs raciales qu’a connues le Sud profond avec son fantasme de « subversion noire [58] ». Autrement dit, le front domestique américain a une géographie raciale interne, qui déstabilise le schéma habituel le présentant généralement comme un espace monolithique, délimité par des frontières politiques nationales. Cette nouvelle cartographie du front intérieur américain, à partir de « frontières raciales » plutôt que nationales, peut conduire également à redessiner, plus largement, une pluralité de fronts domestiques et à élargir l’étude des diverses figures de l’ennemi de l’intérieur dans d’autres pays [59].
28En recentrant l’histoire du front intérieur américain sur le sud du Texas, on met également au jour de nouvelles relations transnationales qui resteraient sinon invisibles. Il reste beaucoup à faire, par exemple, pour intégrer l’histoire de la Révolution mexicaine à celle des États-Unis en guerre, alors que la Border War révèle à quel point les acteurs domestiques et étrangers des deux côtés de la frontière ont informé les définitions locales de l’ennemi intérieur. On l’a vu, la propension des habitants à interpréter d’hypothétiques déloyautés « mexicaines » comme la marque de sympathies allemandes a progressivement globalisé un conflit local. Le cas du sud du Texas éclaire ainsi les possibilités d’intégration de dynamiques internationales dans l’histoire du front intérieur américain, révélant la manière dont les acteurs transnationaux informent un espace jusqu’alors principalement analysé en termes nationaux.
29Les historiens de la frontière ont également interrogé la manière dont les changements d’échelle et d’espaces ouvrent la voie à des tournants épistémologiques [60]. Comme le suggère notre étude, en partant de la frontière entre les États-Unis et le Mexique comme cadre de référence, on modifie aussi la périodisation du front intérieur américain. À l’évidence, l’anticipation collective de violences mexicaines commanditées par l’Allemagne a transformé toute cette région en une zone d’opérations de la Première Guerre mondiale dès le milieu de l’année 1916. Lorsque le télégramme Zimmermann révéla, début 1917, les liens noués entre l’Allemagne et le Mexique, il apporta « la confirmation officielle de ce que ce pays savait depuis longtemps [61] ». De même, le point de rupture privilégié d’habitude par les historiens, le 6 avril 1917, ne fut sans doute guère plus qu’une formalité pour des contemporains, qui se sentaient déjà impliqués dans une sorte de front intérieur de la Première Guerre mondiale bien avant l’intervention officielle des États-Unis dans le conflit. Si l’histoire culturelle a présenté l’après-guerre comme une transition confuse et probablement incomplète, notamment à travers le concept de « sortie de guerre », elle a moins œuvré à redéfinir les débuts du conflit pour comprendre comment ils furent imaginés et anticipés [62]. Qu’est-ce que cela signifierait d’étudier les traces de la guerre non seulement comme vestiges, mais aussi comme signes annonciateurs ?
30Le cas du sud du Texas montre combien l’angle analytique de la frontière peut compliquer les cadres chronologiques et spatiaux communément admis. Pour aller plus loin, il permet aussi de souligner, selon nous, l’interdépendance qu’entretiennent nos définitions des temps et des lieux de la guerre dans leur portée conceptuelle. L’existence d’un espace de la guerre, comme le front intérieur, par exemple, repose sur celle d’un temps de guerre ; inversement, le temps de la guerre exige le plus souvent des espaces de la guerre structurés conformément au schéma binaire front/front intérieur. Mais que représentait le sud du Texas, par exemple en 1916, quand il existait à la fois comme front de la Border War avec le Mexique et comme un front intérieur officieux de la Première Guerre mondiale avec l’Allemagne, avec des habitants d’origine mexicaine considérés dans les deux cas comme des ennemis de l’intérieur ? La réponse à cette question exige que l’on abandonne nos modèles théoriques, ou qu’on les adapte au désordre du conflit, principalement en élargissant et en recomposant nos définitions du temps et des espaces de la guerre. Car si les conflits de basse intensité, les guerres asymétriques, les guérillas et les violences aux frontières sont incontestablement l’avenir de la guerre, ils représentent également son passé.
Mots-clés éditeurs : violence, États-Unis, Première Guerre mondiale, frontière mexicaine, race
Date de mise en ligne : 25/11/2020
https://doi.org/10.3917/vin.147.0003Notes
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[1]
Je remercie Jeanne Sauvage, doctorante au département de français de l’Université Yale, pour la traduction de mon article en français.
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[2]
Richard Ribb, « La Rinchada : Revolution, Revenge, and the Rangers, 1910-1920 », in Arnoldo de León, War along the Border : The Mexican Revolution and Tejano Communities, College Station, Texas A & M University Press, 2012, p. 65.
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[3]
Benjamin Heber Johnson, Revolution in Texas : How a Forgotten Rebellion and Its Bloody Suppression Turned Mexicans into Americans, New Haven, Yale University Press, 2003, p. 3, 175 ; « Did U.S. Cavalry Massacre Civilians on the Border ? » San Antonio Express-News, 3 avril 2016 ; « Findings Shed New Light on 1918 Porvenir Massacre », Washington Times, 4 avril 2016.
-
[4]
Pour une perspective internationale, voir Friedrich Katz, The Secret War in Mexico : Europe, The United States and the Mexican Revolution, trad. par Loren Goldner, Chicago, The University of Chicago Press, 1981. Pour une analyse de la période resituée dans l’histoire de la violence populaire, voir William D. Carrigan et Clive Webb, Forgotten Dead : Mob Violence Against Mexicans in the United States, 1848-1928, New York, Oxford University Press, 2013. La conséquence du conflit sur le contrôle frontalier est examinée dans Miguel Antonio Levario, Militarizing the Border : When Mexicans Became the Enemy, College Station, Texas A&M University Press, 2012. Pour la formation raciale, voir B. H. Johnson, Revolution in Texas, op. cit.
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[5]
Un mot sur la terminologie employée : à l’époque, « mexicain » constituait une catégorie ethnique en elle-même, faisant référence à la fois aux ressortissants mexicains et à n’importe quel individu d’origine mexicaine.
-
[6]
Voir Olivier Compagnon, L’Adieu à l’Europe. L’Amérique latine et la Grande Guerre (Argentine et Brésil, 1914-1939), Paris, Fayard, 2013.
-
[7]
On trouve un bon résumé de ces études in Pekka Hämäläinen et Samuel Truett, « On Borderlands », Journal of American History, 98 (2), 2011, p. 338-361.
-
[8]
Voir, entre autres, Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », Revue de synthèse historique, 7, 1921, p. 13-35 ; Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789. Suivi de Les Foules révolutionnaires, Paris, Armand Colin, 1932 ; et Alain Corbin, Le Village des cannibales, Paris, Aubier, 1990.
-
[9]
On trouve une étude des ennemis de l’intérieur en France pendant la guerre in Bruno Cabanes, Août 1914. La France entre en guerre, Paris, Gallimard, 2014 [trad. angl. August 1914 : France, The Great War, and a Month that Changed the World Forever, trad. par Stephanie Elizabeth O’Hara, New Haven, Yale University Press, 2016] ; pour la Grande-Bretagne, Panikos Panayi, The Enemy in Our Midst : Germans in Britain during the First World War, New York, Berg, 1991 ; et pour la Russie, Eric Lohr, Nationalizing the Russian Empire : The Campaign against Enemy Aliens during World War I, Cambridge, Harvard University Press, 2003.
-
[10]
John Horne, « End of a Paradigm ? The Cultural History of the Great War », Past and Present, 242 (1), 2019, p. 155-192, p. 177.
-
[11]
Concernant la traduction du Plan de San Diego, voir Charles H. Harris III et Louis R. Sadler, The Plan de San Diego : Tejano Rebellion, Mexican Intrigue, Lincoln, University of Nebraska Press, 2013, p. 1-4.
-
[12]
Voir James A. Sandos, Rebellion in the Borderlands : Anarchism and the Plan of San Diego, 1904-1923, Norman, University of Oklahoma Press, 1992, en particulier le cinquième chapitre.
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[13]
David Montejano, Anglos and Mexicans in the Making of Texas, 1836-1986, Austin, University of Texas Press, 1987, p. 125.
-
[14]
Rodolpho Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution on the Mexico-Texas Border, 1910-1916 », thèse pour le doctorat en histoire sous la dir. de Alwyn Barr, Texas Tech University, 1981, p. 344.
-
[15]
Charles H. Harris III et Louis R. Sadler, The Texas Rangers and the Mexican Revolution : The Bloodiest Decade, 1910-1920, Albuquerque, University of New Mexico Press, 2004, p. 214.
-
[16]
« People in Border Counties Fear Monster Uprising », Corpus Christi Caller and Daily Herald, 12 août 1915.
-
[17]
George J. Sanchez, Becoming Mexican American : Ethnicity, Culture, and Identity in Chicano Los Angeles, 1900-1945, New York, Oxford University Press, 1993.
-
[18]
Paul Hart, « Beyond Borders : Causes and Consequences of the Mexican Revolution », in A. de Léon, War Along the Border, op. cit., p. 10-15.
-
[19]
Entre 1911 et 1920, les services d’immigration et de naturalisation américains signalent l’entrée de quelque 220 000 Mexicains aux États-Unis. Ces statistiques sont mentionnées dans Paul Hart, « Beyond Borders : Causes and Consequences of the Mexican Revolution », in A. de. León, War Along the Border, op. cit., 27.
-
[20]
W. D. Carrigan et C. Webb, Forgotten Dead, op. cit., p. 33.
-
[21]
Gary Clayton Anderson, The Conquest of Texas : Ethnic Cleansing in the Promised Land, 1820-1875, Norman, University of Oklahoma Press, 2005, p. 7.
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[22]
Monica Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You : Anti-Mexican Violence in Texas, Cambridge, Harvard University Press, 2018, p. 4.
-
[23]
Voir par exemple J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit. ; Trinidad Gonzales, « The Mexican Revolution, Revolución de Texas, and Matanza de 1915 », in A. de Léon, War Along the Border, op. cit., p. 107-133 ; et R. Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution », op. cit. Sur l’argument concurrent selon lequel le chef de la révolution mexicaine et futur président, Venustiano Carranza, avait soutenu les raids au Texas tout en suggérant au gouvernement américain qu’il y mettrait fin rapidement une fois qu’il aurait obtenu la reconnaissance diplomatique, voir Charles H. Harris III and Louis R. Sadler, « The Plan of San Diego and the Mexican-United States War Crisis of 1916 : A Reexamination », The Hispanic American Historical Review, 58 (3), 1978, p. 381-408.
-
[24]
« Quiet Along Rio Grande », Houston Post, 9 octobre 1915.
-
[25]
Déclaration de Dayton Moses, Texas Joint Committee of the House and Senate in the Investigation of the Texas State Ranger Force Transcript of Proceedings, Dolph Briscoe Center for American History, Université du Texas, Austin, cote 2R208, 1919 [désigné par Joint Committee Proceedings], p. 100.
-
[26]
L’ethnicité joua un rôle similaire dans la prédétermination présumée des sympathies allemandes lors de la Première Guerre mondiale. Voir Frederick C. Luebke, Bonds of Loyalty : German-Americans and World War I, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1974, ou, dans le contexte britannique, P. Panayi, The Enemy in Our Midst, op. cit.
-
[27]
« Go After the Greasers », Waco Morning News, 23 octobre 1915.
-
[28]
Pour une histoire générale des Rangers, voir C. H. Harris III et L. R. Sadler, The Texas Rangers and the Mexican Revolution, op. cit., en particulier le premier chapitre.
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[29]
Les forces comptaient environ 11 capitaines, 150 regular rangers, 400 special rangers (non rémunérés, mais conservant une autorité légale) et 800 loyalty rangers (qui servirent de renseignements pendant la Première Guerre mondiale). Voir M. Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit., p. 87-88.
-
[30]
Témoignage du capitaine W. T. Vann, Joint Committee Proceedings, op. cit., p. 574 et p. 562.
-
[31]
David Riches (dir.), The Anthropology of Violence, Oxford, Basil Blackwell, 1986.
-
[32]
Témoignage de R. B. Creager, Joint Committee Proceedings, op. cit., p. 355.
-
[33]
À propos du massacre de Porvenir, voir M. A. Levario, Militarizing the Border, op. cit., p. 33-34 et R. M. Utley, Lone Star Lawmen, op. cit., p. 60-61.
-
[34]
Voir J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit., p. 92 ; B. Heber Johnson, Revolution in Texas, op. cit., p. 118.
-
[35]
Simon Harrison, Dark Trophies : Hunting and the Enemy Body in Modern War, New York, Berghahn Books, 2012, p. 4-5.
-
[36]
Véronique Nahoum-Grappe, « Anthropologie de la violence extrême : le crime de profanation », Revue internationale des sciences sociales, 174 (5), 2002, p. 601-609, p. 607.
-
[37]
Voir Harvey Young, « The Black Body as Souvenir in American Lynching », Theater Journal, 57 (4), 2005, p. 639-657 et Simon Harrison, Dark Trophies, op. cit., p. 108-110.
-
[38]
Voir des récits du raid dans James W. Hurst, Pancho Villa and Black Jack Pershing : The Punitive Expedition in Mexico, Westport, Praeger, 2008, p. 21-28 et Friedrich Katz, The Life and Times of Pancho Villa, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 560-566.
-
[39]
« Woman Held by Villa Nine Days Tells Story of Mexican Raid », New York Times, 10 mars 1916. Voir aussi M. A. Levario, Militarizing the Border, op. cit., en particulier le quatrième chapitre.
-
[40]
« Hints That Germans Are Villa’s Backers », New York Times, 12 mars 1916.
-
[41]
« Few See Hand of Germany in Villa’s Columbus Raid », Boston Daily Globe, 27 mars 1916.
-
[42]
« German Agents Working Incite Mexicans on Border », Taylor Daily Press, 8 février 1917.
-
[43]
J. A. Sandos, Rebellion in the Borderlands, op. cit., p. 111-116, p. 142.
-
[44]
F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 329.
-
[45]
E. A. Kreger à A. Mitchell Palmer, 17 janvier 1921, dossier « War, Witzke & Jahnke », boîte 6, Documents Relating to German Sabotage Activities, 1915-1918, Mixed Claims Commission, U.S. and Germany, 1922-1941, Records of Boundary and Claims Commissions and Arbitrations [Archives des commissions et procédures d’arbitrage sur les frontières et les réclamations], Record Group 76 [Groupe de documents 76], National Archives and Records Administration [Archives nationales et administratives] à College Park, Maryland.
-
[46]
Voir F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 337-341 et R. Rocha, « The Influence of the Mexican Revolution », op. cit., p. 291.
-
[47]
Voir F. Katz, The Life and Times of Pancho Villa, op. cit., p. 555-556.
-
[48]
Cela est aussi vrai de travaux récents, comme Thomas Boghardt, The Zimmermann Telegram : Intelligence, Diplomacy, and America’s Entry into World War I, Annapolis, M.D., Naval Institute Press, 2012.
-
[49]
F. Katz, The Secret War, op. cit., p. 337.
-
[50]
Untitled article, El Paso Herald, 12 avril 1917.
-
[51]
Poroforio Garcia à Hanson, 4 mars 1918 ; dossier 8, boîte 401-574, Departmental Correspondence [Correspondance du département], Texas Adjutant General’s Department [Département de l’adjudant général du Texas], Archives and Services Division [Division des services et archives], Texas State Library and Archives Commission, Austin, Texas.
-
[52]
Voir par exemple « Villa Raiders Were Financed by Germans », The Taylor Daily Press, 5 octobre 1917.
-
[53]
« Germans Ask to Raise Regiment », El Paso Herald, 14 mars 1917 ; « Germany Pays Villa to Start Raids on U.S. », The Washington Post, 9 mars 1917 ; « Obregon Deserts Carranza and May Unite With Villa », The Austin American, 18 mars 1917 ; « Villa Is To Be Carranza Ally », El Paso Herald, 15 mars 1917.
-
[54]
B. H. Johnson, Revolution in Texas, op. cit., p. 178.
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[55]
M. Muñoz Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit., p. 4, 8.
-
[56]
Les recherches les plus récentes sur ce sujet sont exposées in M. M. Martínez, The Injustice Never Leaves You, op. cit. ; W. D. Carrigan et C. Webb, Forgotten Dead, op. cit. ; et Rachel St. John, Line in the Sand : A History of the Western U.S.-Mexico Border, Princeton, Princeton University Press, 2011.
-
[57]
P. Hämäläinen et S. Truett, « On Borderlands », art. cité, p. 358 ; Thomas M. Wilson et Hastings Donnan (dir.), Border Identities : Nation and State at International Frontiers, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 3.
-
[58]
Christopher M. D. Ellis, « “Negro Subversion” : The Investigation of Black Unrest and Radicalism by Agencies of the United States Government, 1917-1920 », thèse pour le doctorat en histoire sous la dir. de Edward Ranson, University of Aberdeen, 1984 ; Theodore Kornweibel, Investigate Everything : Federal Efforts to Compel Black Loyalty during World War I, Bloomington, Indiana University Press, 2002.
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[59]
Nous empruntons ce terme à James N. Leiker, Racial Borders, Black Soldiers Along the Rio Grande, College Station, Texas A&M University Press, 2002.
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[60]
P. Hämäläinen et S. Truett, « On Borderlands », art. cité, p. 358.
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[61]
« Mexico Ally of Germany and Japan Against the U.S. », Albuquerque Morning Journal, 31 mars 1917.
-
[62]
À propos de la « sortie de guerre », voir Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats française (1918-1920), Paris, Seuil, 2004.