L’invention de Ninetto Davoli par Pasolini appartient à cette catégorie d’événements radieux dont le cinéma des années soixante et soixante-dix fut le théâtre. Sans sentimentalisme, il convient d’évoquer le type de jeu pratiqué par Ninetto en insistant sur la façon dont une dimension chorégraphique vient nourrir sa gestuelle. Pour ce faire, on peut considérer un court-métrage réalisé par Pasolini en 1967, La Séquence de la fleur de papier (Sequenza del fiore di carta), inséré dans le film à sketches Amore e rabbia, avec pour acteur principal Ninetto. Cette « séquence », parmi tant d’autres, invite à se demander où situer le rapport entre danse et cinéma mais, avant toute réponse, il faut maintenir la forme de la question et ce qu’elle engage comme réflexion sur l’emplacement, l’espace, le lieu. On peut suivre Nicole Brenez lorsqu’elle écrit : « à l’extrême, avec la danse, le personnage est son lieu, il n’y a plus de lieu que du corps », en prenant soin de préciser, avec Mallarmé, que la danse permet un déplacement des genres, du sens, de la perception et donc de la notion même de mobilité. On connaît les célèbres formules de Divagations où « la danseuse n’est pas une femme qui danse » car « elle n’est pas une femme » et « elle ne danse pas » dessinant alors par ses mouvements et ses arrêts subits un « poème dégagé de tout appareil du scribe » – cette dernière formule, si l’on s’autorise la fiction d’un Mallarmé lecteur de Pasolini, fournissant une interprétation condensée de l…