[Jacques Rancière a répondu à nos remarques et questions par courrier électronique.]Selon Roland Barthes, le fait divers n’est pas un type spécifique d’événement, mais un type de structure, c’est-à-dire aussi un certain type de récit et de forme. Est-il possible, selon vous, d’envisager le fait divers comme un genre ? Quel serait alors un cinéma « de » fait divers ?
L’opposition de la structure et de l’événement est peut-être une fausse fenêtre. Un certain type de récit, c’est, aussi bien, un certain type d’événementialité. Pour raconter n’importe quoi sur le mode du fait divers, il faut d’abord que ce mode existe c’est-à-dire qu’il existe ce type d’événement à signifiance variable. Le fait divers est en effet deux choses. D’un côté, c’est un fait placé en bas de l’échelle hiérarchique, soit en raison de sa faible signifiance, soit parce qu’il concerne des gens insignifiants. D’un autre côté, c’est un fait appelé à prendre un surcroît de signification, à signifier notamment l’état d’une société.
Ce qu’il y a donc derrière l’élaboration - médiatique puis artistique - du fait divers, c’est une rupture avec un certain ordre de narration et de signification. La tradition représentative aristotélicienne opposait l’ordre dramatique des actions enchaînées selon un schème de rationalité à l’ordre historique des faits qui ne font que se succéder. Cette opposition entre l’action et la vie s’accordait avec deux autres : premièrement le partage social du haut et du bas (ce sont les grands personnages qui agissent et dont les fins rencontrent les aléas de la fortune), deuxièmement la distinction entre les raisons de la fiction et celles de la vie…