Imagerie inaugurale de cette traversée de la nuit, ce sera la Geschichte der Nacht de Clemens Klopfenstein (1979), qui, aux portes des années 1980, explore les nuits de la ville contemporaine, ses bâtiments fantomatiques, ses lieux déserts, l’errance de ses habitants au cœur de notre monde (l’Europe, jusqu’à la Yougoslavie et à la Turquie). Des bâtiments désaffectés d’un milieu postindustriel ; des monuments, des pancartes, et des drapeaux, emblèmes réduits à de simples motifs, comme des bateaux échoués. De temps à autre, comme dans une photographie d’Eugène Atget, surgit un corps, un bruit humain, des silhouettes sombres, démangées par la lumière ou plongées dans les gris les plus foncés. Le regard du cinéaste reste à distance, mais sa caméra à peine tremblante nous fait ressentir son empathie.
À l’évidence et par parti pris, Geschichte der Nacht est un film nocturne, où la matière pelliculaire, poussée à l’extrême pour capter les bribes d’une lumière qui l’effleure à peine, commence à vibrer d’une vie nouvelle. Les rues, les bâtiments, les cieux, fourmillent en explorant toutes les gammes du gris, pendant que l’éclat des lumières artificielles transperce l’obscurité en s’élargissant comme une tache effrangée. Geschichte der Nacht se veut à la fois un récit structuré par bribes de réalité (une histoire) et l’étude d’une situation déterminée (l’Histoire) : dans les deux cas, motif qui défie les limites entre la figuration et l’informe, la nuit sert de principe pour nous plonger dans une expérience sensorielle du réel…