Dans son livre Effondrement, l’Américain Jared Diamond, évoquant la constante propension des sociétés humaines à la dévastation écologique, sollicite maints exemples anciens. Et notamment celui de l’île de Pâques, qui, à l’origine boisée et autosuffisante, se transforma au fil du xvie siècle en une terre désolée. Ses statues monumentales y constituent de splendides vestiges, mais aussi des déchets à leur manière, les reliefs d’une gabegie. C’est précisément la production de ces statues qui aurait, selon Diamond, entraîné la perdition de la société pascuane : érigeant, en signe de prestige, des effigies de plus en plus nombreuses et imposantes, les clans rivaux de l’île se seraient égarés dans la surenchère et une déforestation intensive, assortie d’une érosion accélérée des sols : ces statues nécessitaient toujours plus de troncs d’arbres – sur lesquels on les faisait rouler pour les déplacer. La seule responsabilité des statues est semble-t-il discutée, mais peu importe : c’est une allégorie précieuse, tant il semble aujourd’hui inconcevable d’envisager l’incidence, éventuellement néfaste, d’une pratique artistique dans le monde matériel. Curieuse réticence, perpétuant un imaginaire antique, sinon édénique, l’art s’étant toujours fait fort de négliger ou mépriser les questions de quantité. Il paraît pourtant difficile d’encore éluder combien toute œuvre, quelle que soit sa nécessité propre, est d’emblée investie par une industrie culturelle loin d’être négligeable en termes économiques et écologiques…