Le cinéma de Béla Tarr semble avoir déboulé sur la carte du ciné-monde tel une météorite : un infrangible bloc de crépuscule, intemporel, monumental et mélancolique. Récits de déshérence et de désastres au quotidien, d’une pauvreté aussi existentielle que matérielle, où se débattent une poignée d’hommes quelconques entre survie et lassitude, pointes d’ironie et d’absurdité existentielle. Des corps fatigués, vieilles carnes déposées là, faisant la bête, errant dans les limbes déprimés d’un Est de toute éternité. Eaux-fortes envoûtantes du noir et blanc charbonneux, sombres climats et accumulation de matières inertes, bouffées de brumes qui s’élèvent des sols boueux balayés par le vent et la pluie. Puissance engrammatique des interminables plans mouvants que semblent haler lentement ces silhouettes obtuses et un peu défaites – transfigurées par la durée en présences inquiètes, muets reproches à la fatalité. C’est tel travelling rectiligne traversant un bourg désolé, accroché aux dos de deux marcheurs, ou tel lent panoramique décrivant la triste faune quasi pétrifiée d’un bar de nuit un peu désolé, au milieu de nulle part. C’est telle circonvolution épousant des danses exténuées, comme ralenties par l’ébriété, ou encore tel plan fixe entêtant et frontal épinglant, accoudées au comptoir, quelques-unes de ses figures grotesques. C’est, en arrière-fond primordial, l’infinie et morne plaine hongroise, perspective toujours semblable à elle-même, étendue vide plus sombre que le ciel bas et gris, où s’enfoncent des ombres laborieuses vers d’illusoires lendemains meilleurs…