Une journée commence. Des gens se lèvent, accomplissent chacun leurs gestes habituels pour préparer le petit déjeuner. Sortent, attendent à des arrêts de bus, se dirigent vers une gare, croisent d’autres personnes, les mêmes, chaque jour, à heures fixes. Emmanuel Kant n’est pas le seul à passer chaque jour devant les mêmes lieux fixes avec une précision terrible d’horloger. Quelle est la proportion dans un individu, au cours d’une journée, de gestes automatiques et de gestes singuliers ? On peut le supposer : la part d’habitude est importante — à ceci près que selon Jacques Tati, dans une gare, un aéroport, les gens offrent des mouvements singuliers à l’intérieur de leur démarche mécanique.
Les danseurs butô proposent de renverser la proportion. Conçoivent un nouveau type d’événement : non plus surgissant, interrompant le cours des choses, mais devenant justement le cours des choses, devenant une journée. Événement quotidien. Cela s’est opéré avec des migrations de forces. Des forces peuvent voyager d’un pays à l’autre, d’un corps et d’un esprit à l’autre, d’un style à l’autre, géo-transmission.
Quelques rapports de forces se tissèrent entre l’expressionnisme et le butô naissant. Et ce de plusieurs côtés à la fois. En 1931, Eguchi travaille chez Mary Wigman. En 1934, Kazuo Ohno voit danser Harald Kreuzberg. En 1984, Min Tanaka reprend la pièce de Kandinsky, Sonorité violette (1909), qui associe sur scène des danseurs-couleurs et des musiciens : « J’ai lu un texte de Kandinsky où il décrit ses idées pou…