Parler de paysage au cinéma ne va nullement de soi. Si l’on adopte la définition des dictionnaires, qui font du paysage la vision d’ensemble d’une étendue de pays, telle qu’elle se découvre au regard d’un observateur, force est de constater que son expression cinématographique s’en écarte bien souvent. La plupart des « plans paysagers » offrent au spectateur une image discontinue et plutôt fragmentaire des espaces filmés ; et quand ils en proposent une vision plus globale, c’est parfois au prix d’un artifice de montage qui donne l’impression d’une unité spatiale obtenue à partir de lieux et de points de vue hétérogènes : on a affaire alors à une « composition de lieux ». Enfin, la conception occidentale du paysage est si intimement liée à sa représentation picturale qu’il tend à se confondre à nos yeux avec une image statique ; art du mouvement, le cinéma est réfractaire à un tel arrêt sur image, qui seul permettrait au plan paysager de se déployer en tableau.
Mais cette opposition, souvent reprise par les théoriciens du cinéma, repose sur une définition trop limitative du paysage, héritée du modèle pictural mis en place en Occident à la Renaissance : celui d’une construction rationnelle de l’espace, fondée sur la perspective linéaire et sur le point de fuite. Or, le paysage est apparu dans la peinture européenne bien avant l’invention de ce dispositif, et il a survécu à sa disparition. Dès le XIVe siècle, les fresques du Bon Gouvernement déroulent sur les murs du Palazzo Pubblico de Sienne un véritable panoramique, qui nous fait passer de l’intérieur à l’extérieur des remparts de la ville ; la transition entre l’espace urbain et l’espace rural y est assurée par le mouvement de la scène et un discret « raccord » sur le personnage qui sort visiter à cheval les campagnes environnantes : les changements de point de vue sont ainsi rendus imperceptibles, et le spectateur peut voir à…