Le Steadicam a dès le début été associé à la notion d’endurance, notamment avec Marathon Man (John Schlesinger, 1976), l’un des premiers films à l’avoir expérimenté, qui suivait Dustin Hoffman s’entraînant à la course de fond à Central Park. Il apparaît naturel qu’il soit utilisé pour filmer un autre type d’épuisement, celui du visiteur de musée qui, gavé d’images, ne peut se résoudre à interrompre sa progression et continue à traverser de nouvelles salles, comme un animal boulimique picorerait en flux tendu un buffet servi à volonté. L’expérience des limites réside parfois moins dans le « sublime » d’une pièce d’art que dans la quantité d’œuvres que l’on peut ingurgiter : saturation et nausée imagières, celles d’une époque-musée que nous traversons. Que peut-on encore voir quand on a déjà vu plus que de raison, quand on a vu son comptant ?
Le Journal de Witold Gombrowicz est traversé par une horreur du Nombre, une démographie angoissée des hommes comme des œuvres. Gombrowicz est tout aussi agoraphobe que « thèquophobe » : tétanisé par l’inflation et la reproduction des œuvres, il fuit bibliothèques et musées, dont la profusion tourne pour lui au tourment. L’écrivain décrit notamment cet épuisement lorsqu’un ami lui propose de feuilleter avec lui des livres d’art, juxtaposition qui s’apparente pour lui à une visite de musée : « Il y avait là la cathédrale de Chartres, des Picasso, des Michel-Ange, des vases étrusques, des fresques de Giotto et des temples grecs. “Ah ! s’exclamait Atilio en feuilletant les pages…