Notes
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[1]
De 1999 à 2008, l’espace des grandes aires urbaines s’est fortement étendu (+ 39,2 %). Il représente aujourd’hui près de la moitié du territoire (46,1 %), contre un tiers dix ans auparavant. Source : Insee, 2010.
-
[2]
Depuis l’Antiquité, la ville est synonyme de richesse, de progrès et de nombreuses découvertes culturelles, sportives, culinaires…
-
[3]
Entre 1978 et 2010, le nombre de personnes par logement a diminué de 21 % en passant de 2,8 à 2,2 personnes, tandis que la surface moyenne des logements principaux a augmenté de 20 % en passant de 77 à 92 m2 (Insee).
-
[4]
En France, on passe en moyenne, chaque jour, trois heures devant la télévision et trois quarts d’heure devant l’ordinateur, hors motifs professionnels. Les deux appareils pouvant être utilisés simultanément, le temps passé devant un écran, qu’il s’agisse d’une télévision ou d’un ordinateur, est ainsi en moyenne de trois heures vingt-cinq minutes par jour (Insee, chiffres 2010).
-
[5]
Sept Français sur dix choisissent désormais leur lieu d’habitation en fonction de la présence d’un espace vert à proximité (Unep, 2008).
-
[6]
Extrait du rapport « La ville, nouvel écosystème du XXIe siècle », Bettina Laville-Comité 21, 2012, p. 57.
-
[7]
Biophilia, The Human Bond with other Species, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 1984.
-
[8]
On attribue à Henry Monnier la fameuse phrase : « On devrait construire les villes à la campagne, l’air y est tellement plus pur ! », que l’on prête également à Alphonse Allais.
-
[9]
Bernard Reichen, « Trois clefs pour réinventer la ville européenne », in Villes européennes, villes d’avenir ?, Futuribles, juillet-août 2009, n° 354.
-
[10]
Le coefficient d’occupation des sols, ou COS, détermine, en France, la quantité de construction admise sur une propriété foncière en fonction de sa superficie.
-
[11]
Les constructeurs doivent prendre en compte 10 des 35 mesures proposées par la ville.
-
[12]
La France accueillera en décembre 2015 la 21e Conférence onusienne des parties sur le climat. L’enjeu est de taille : parvenir à un accord à la fois ambitieux, juste et efficace, qui permette une division par quatre des émissions mondiales de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 en vue de limiter à + 2 °C le réchauffement climatique.
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[13]
Alain Liébard, André De Herde, « Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques : concevoir, édifier et aménager avec le développement durable », Éditions Le Moniteur, décembre 2005, 368 p.
-
[14]
Le quartier de Viikki compte plus de 10 m2 de jardins familiaux par habitant.
- [15]
- [16]
-
[17]
Source : BP Statistical Review, 2009.
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[18]
« Todmorden incroyable comestible ».
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[19]
« Fermes sur les toits ».
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[20]
Emmanuel Boutefeu, Composer avec la nature en ville, Certu, 2009.
1 Protéger l’écosystème présente de multiples intérêts. Au-delà des préoccupations environnementales, la nature apporte beaucoup à la qualité de vie urbaine. Ce facteur de bien-être fait d’ailleurs consensus : les jardins familiaux et collectifs n’ont jamais connu une telle popularité tandis que les façades, les toitures et les terrasses se végétalisent. Ces initiatives contribuent à tisser des liens entre la ville et sa campagne, mais aussi entre les citadins eux-mêmes. Ces espaces associés au désir de nature sont en effet des lieux d’urbanité, de partage et de convivialité. Mais le chemin à parcourir est encore long, notamment dans le domaine de l’innovation sociale.
2 La ville gagne du terrain, à un rythme tel que la superficie qu’elle occupe en France a triplé depuis les années 1960, pour atteindre aujourd’hui près de la moitié du territoire [1]. Les raisons de cette urbanisation sont multiples. Même si elle s’explique en partie par la démographie naturelle des villes, il ne faut pas occulter les flux migratoires liés à des logiques sociales, économiques ou culturelles. Ainsi, la recherche d’une meilleure offre de services, donnant accès à un large panel de divertissements et à des lieux de tentations en tout genre [2], l’aspiration à de nouveaux modes de vie, qui tirent leur jouissance dans ce que Gilles Lipovetsky appelle l’hyper-consommation urbaine, ou encore l’évolution du marché du travail avec la disparition progressive des métiers ruraux contribuent depuis des siècles à renforcer et à accélérer l’étalement urbain.
3 Par ailleurs, la diminution récente du nombre de personnes par logement [3], la création de centres commerciaux en périphérie, l’extension des zones d’activités, la montée des prix de l’immobilier et la recherche d’un habitat individuel avec jardin en périphérie des grandes villes sont autant de causes qui contribuent à une urbanisation diffuse et consommatrice de sols.
4 Sur le plan écologique, les conséquences sont lourdes. L’extension du tissu urbain entraîne la destruction des habitats naturels, ce qui perturbe de nombreuses espèces animales et végétales dans l’accomplissement de leur cycle de vie. Ce phénomène s’accompagne également d’une imperméabilisation des sols et contribue fortement à l’accroissement des risques d’inondation, augmentant le niveau et la rapidité des crues. En outre, la disparition des terres agricoles pose réellement question à l’heure où le prix des denrées alimentaires s’envole, sans parler des difficultés et des surcoûts d’approvisionnement.
Le désir de nature
5 À ces constats s’ajoute le désir de nature qui s’exprime de plus en plus chez des urbains en mal de verdure, comme en témoignent les nombreuses émissions télévisées qui fleurent bon le terroir et l’amour des prés. Mais cette nature virtuelle, faite de belles images, de couchers de soleil et de troupeaux de chèvres qui gambadent sur la colline – « une nature arcadienne, du tourisme et du loisir », pour reprendre les propos de Michel Serre – ne suffit pas. Si notre cerveau peut nous conduire vers des paysages de rêve qui suscitent l’apaisement dans des séances de relaxation, notre corps a réellement besoin d’air, d’eau et de nature pour pouvoir exercer ses fonctions vitales.
6 À mesure que l’urbanisation s’accélère et que nos vies se « vir tualisent » [4], ce besoin de nature s’exprime un peu partout : sur le balcon, sur la terrasse, sur les murs, mais aussi dans les squares et les jardins. Les Français choisissent désormais leur logement en fonction de la proximité d’un espace vert [5]. Selon les enquêtes d’opinion, ce critère arrive largement en tête, devant l’accessibilité aux commerces, l’offre en transports collectifs ou encore la distance avec leur lieu de travail. Les raisons de cet engouement sont diverses, mais il en ressort une réelle volonté des usagers de faire une coupure avec l’effervescence urbaine, de pouvoir savourer le calme proposé par la nature, sa beauté, son harmonie, ses mystères. « Les citadins veulent trouver en ville du vin naturel, du goût à l’ancienne dans leur alimentation des plus modernes, des couleurs vives comme preuve de bonne santé, et l’odeur de l’herbe mouillée par la rosée du matin. » [6]
7 Cet attrait pour la nature est intrinsèquement lié à l’histoire humaine, dont l’essentiel est issu d’une longue cohabitation avec d’autres espèces végétales et animales. C’est pourquoi notre fonctionnement biologique, nos cellules et même notre cerveau sont imprégnés de cette naturalité. Comme le soutient le biologiste Edward O. Wilson, notre affinité naturelle pour la vie est l’essence même de notre humanité et nous lie à toutes les autres espèces vivantes [7]. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux contemporains ressentent régulièrement le besoin d’aller marcher en forêt, de s’entourer d’animaux et de plantes ou encore de cultiver un jardin.
8 Les Français estiment d’ailleurs qu’un jardin public ou privé constitue l’un des premiers éléments pour améliorer leur niveau de bien-être en ville, aussi les trois quarts d’entre eux se rendent fréquemment dans les espaces verts de leur commune. Ce phénomène conduit à l’émergence de l’homo qualitus, un être humain qui continue à maximiser son niveau de satisfaction matérielle, tout en recherchant son bien-être dans l’immatériel.
Quand la campagne s’installe en ville
9 Pour répondre à ces aspirations naturalistes, les urbanistes sont invités à (re) construire la campagne en ville, inversant ainsi la célèbre proposition d’Henry Monnier [8]. Il s’agit de redonner toute sa place à la nature dans les projets d’aménagement, en acquérant des terrains pour en faire des jardins partagés, des mares, ou en composant une trame verte. Cette réhabilitation de la nature, notamment en milieu urbain, renforce indéniablement la qualité de vie et l’attractivité des territoires. Pour l’architecte Bernard Reichen [9], il s’agit de « considérer la nature urbaine comme un partenaire du développement et non comme une simple variable d’ajustement de l’extension urbaine ».
10 C’est l’objet de la transformation de la High Line, l’ancienne ligne du métro aérien de New York mise en service dans les années 1930, en espace vert. Depuis sa fermeture en 1980, cette ancienne voie ferrée était connue pour ses herbes résistantes à la sécheresse, ses plantes de prairie et ses arbres qui s’épanouissaient dans le gravier entre les voies. Une végétation originale qui reste un élément central du nouveau parc : 210 espèces différentes, essentiellement des plantes des prairies, d’origine locale, ont été plantées. Les bancs encastrés et autres structures ont été réalisés avec du bois issu de forêts certifiées. Cette trame verte, située en hauteur, offre de surcroît aux promeneurs des angles de vue exceptionnels et une perspective nouvelle sur leur ville.
11 Dans d’autres villes, les promoteurs immobiliers n’ont plus le choix, ils sont contraints d’intégrer des espaces consacrés à la nature. C’est le cas du quartier de Poblenou, à Barcelone : en contrepartie d’une augmentation du coefficient du sol [10], les investisseurs privés doivent céder 30 % de leur terrain à la municipalité pour la création de zones vertes. Ce partenariat permet à la mairie de reverdir le quartier sans supporter tout l’investissement nécessaire. Au total, 10 % des terrains disponibles ont pu être consacrés à la création d’espaces verts, soit une surface totale de 114000 m2. On y recense plus de 16000 espèces végétales différentes, toutes résistantes au climat méditerranéen. À Malmö (Suède), dans le quartier de Bo01, un coefficient d’espaces verts [11] a également été soumis aux entreprises de construction. Nichoirs à oiseaux, toitures végétalisées, ferme urbaine, vergers, mares… chaque mètre carré de construction est compensé par une surface équivalente de verdure, qui peut se situer à différents niveaux, au sol, suspendu ou encore sur les toits. Sur les 1000 m2 du quartier, 300 m2 sont réservés aux espaces verts et 200 m2 en zone semi-imperméable (graviers).
12 La présence de l’eau est également reconnue comme un élément fort du cadre de vie. Aux Pays-Bas, les eaux usées du quartier EVA-Lanxmeer sont captées, purifiées grâce à des roseaux plantés puis déversées dans les différents plans d’eau du quartier. L’eau pluviale provenant des toits est quant à elle collectée dans de petits étangs situés à proximité de chaque bâtiment. L’eau pluviale qui s’écoule dans la rue est conduite jusqu’à des tranchées permettant l’infiltration de l’eau et le réapprovisionnement des nappes phréatiques. En cas d’inondation, des bassins supplémentaires de rétention de l’eau ont été aménagés dans d’anciens lits de rivières.
L’émergence du « zéro phyto »
13 Le traitement de ces espaces se veut évidemment écologique. Il implique d’autres techniques, alternatives à la gestion horticole intensive et à l’utilisation des phytosanitaires, comme la lutte biologique, le binage, le désherbage thermique, la désinfection des sols à la vapeur, le paillage, l’emploi de végétaux locaux ou encore l’arrosage goutte-à-goutte. Depuis 1996, l’agglomération de Rennes conduit une politique exemplaire pour réduire la consommation de pesticides sur le territoire, en réponse aux préoccupations sanitaires et de qualité des eaux. Cette démarche, appliquée dans un premier temps au service des espaces verts de la métropole, s’est étendue aux citoyens avec la mise en place d’une charte avec les jardineries du territoire. Elle vise à informer les consommateurs des impacts des pesticides, à en réduire l’utilisation et à renforcer l’offre de produits naturels de jardinage sur le territoire. Plus de 90 % des magasins de jardinage sont aujourd’hui engagés dans cette dynamique.
14 Pour limiter l’usage de pesticides, les collectivités font également appel aux animaux. Depuis 2007, une soixantaine de chèvres partent en transhumance sur les collines de Besançon. L’objectif de cette opération est de valoriser les espaces naturels mais aussi de créer des liens sociaux. « La chèvre broute tout, et plus c’est épineux plus elle aime. Elle respecte la diversité biologique, va là où la machine ne peut aller et assure un débroussaillage silencieux, sans dépense d’énergie et sans polluant », explique Jean-Louis Fousseret, le maire de Besançon. Par ailleurs, la ville a signé la charte Abeille, sentinelle de l’environnement élaborée par l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Elle accueille de ce fait une dizaine de ruches sur la base d’une convention de trois ans renouvelable.
Des toitures vertes pour lutter contre la chaleur
15 Au-delà des espaces verts, les toitures et les façades se végétalisent. Cette pratique de plus en plus courante offre de nombreux avantages aussi bien sur le plan esthétique qu’en termes d’isolation, de protection contre les inondations ou encore de préservation de la biodiversité. À Londres, une dynamique intitulée Living Roofs for Wildlife (« toits vivants pour la vie sauvage ») a pour objectif d’installer sur les toits de la ville un réseau de végétation visant à assurer la survie des bourdons, papillons, insectes et oiseaux de la ville, dont les habitats sont perturbés par l’expansion urbaine et l’agriculture intensive. Pour recréer les conditions naturelles d’habitat, les toits seront recouverts de fleurs sauvages, de surfaces sablonneuses et de bardeaux. Le toit de l’hôtel de ville de Lewisham (district du Grand Londres), planté depuis avril 2009, attire déjà de nombreux insectes, dont l’abeille mellifère. Dans un premier temps, six toits seront équipés. Cette expérimentation, soutenue par la fondation Buglife et par Living Roofs, s’appuie sur dix années d’expérience et de travail préalables sur les habitats.
16 La végétalisation participe également aux îlots de chaleur. Dans le contexte actuel des changements climatiques, qui feront l’objet d’une grande conférence internationale à Paris en 2015 [12], ce verdissement des façades et des toitures opère comme un rafraîchissement naturel grâce aux phénomènes naturels d’évapotranspiration végétale. Des études [13] montrent d’ailleurs que la transpiration d’une plante de grande dimension produit un refroidissement équivalent à celui de cinq climatiseurs fonctionnant vingt heures. Consciente de ces bénéfices, la ville de Berlin a décidé de subventionner à hauteur de 60 % l’aménagement en jardins des toits de ses immeubles. Montréal a lancé de son côté des appels à projets pour revégétaliser les toits de ses quartiers. La ville de Chicago, dans l’Illinois, est la première ville des États-Unis en nombre de toits végétalisés. Son maire, Richard M. Daly, a fait installer le premier jardin sur l’hôtel de ville en 2000. Huit ans plus tard, 450 toits verts sont installés ou en cours d’aménagement. L’efficacité est vérifiée : une équipe de scientifiques, survolant la ville en hélicoptère avec des caméras thermiques, a constaté en 2007 qu’un immeuble à toit sombre affichait une température de plus de 40 °C quand l’hôtel de ville voisin, pourvu d’un toit végétalisé, n’affichait qu’une vingtaine de degrés.
Le jardin ouvrier fait son grand retour
17 L’attrait d’une ville passe également par la création de jardins collectifs qui offrent une bouffée d’air pur aux citadins et constituent de véritables lieux d’échange. L’intérêt de ces jardins n’est plus seulement, comme autrefois, d’y cultiver ses légumes pour améliorer l’ordinaire, mais aussi de profiter de la tranquillité de la campagne et de recréer du lien social. Les cultures et les âges s’y mélangent. Des écoles viennent y découvrir différentes variétés de cultures.
18 Au Danemark, la réhabilitation du quartier Vesterbro (Copenhague) s’est traduite par l’aménagement de jardins partagés à l’intérieur de chaque îlot. Abondamment plantés, pour protéger les vis-à-vis trop intrusifs et renforcer l’acoustique, ces espaces comprennent également des services communs (maison communautaire, rangements pour vélos, bac à compost). La plantation des espèces varie de façon à promouvoir la diversité des oiseaux et la vie des insectes. Par ailleurs, une voie ferrée désaffectée a été réaménagée en trame verte favorisant diverses occupations sportives. Dans le quartier Viikki (Helsinki, Finlande), un centre de jardinage a été mis en place où les habitants peuvent disposer d’une parcelle comprise entre 500 et 1000 m2. À ce jour, près de 150 ménages disposent d’un terrain [14]. Ce centre comprend également une ferme urbaine avec des animaux domestiques et un espace de dialogue pour les jardiniers.
19 En France, les communes sont de plus en plus nombreuses à créer des jardins partagés, confiant leur gestion à une association de quartier ou à un groupement de citoyens. Le Grand Lyon en compte désormais une quarantaine. À Chalon-sur-Saône, les jardins familiaux inscrivent le quartier Saint-Jean en continuité avec son histoire maraîchère. Au total, 6000 m2 de jardins ouverts sont créés. Des composteurs et des récupérateurs d’eau de pluie, au service des jardiniers, seront installés pour limiter la consommation d’eau, éviter les pesticides et mieux gérer les déchets recyclables. Par ailleurs, chaque jardin privatif accueillera un arbre fruitier de variété différente.
20 Ces expériences montrent que les citadins ne sont plus seulement en attente d’espaces verts, mais en demande d’un ensemble de lieux, plus ou moins grands, qui laissent la nature « en liberté ». Les jardins collectifs cohabitent avec les friches urbaines, les trottoirs sont colonisés par les herbes folles, les talus sont envahis de fleurs en pagaille, les animaux sauvages font leur apparition : c’est ce que Gilles Clément appelle le « tiers paysage » [15]. Cette idée fait écho aux recherches photographiques de Geoffroy Mathieu, qui travaille depuis plusieurs années sur « ces espaces de résistance au sein de la violence urbaine, où le plus isolé et le plus fragile s’entêtent à former des poches de poésie » [16].
Vers une autosuffisance alimentaire des villes ?
21 À travers ces jardins, généralement initiés par les habitants, les villes s’interrogent également sur leurs approvisionnements alimentaires. À plus ou moins long terme, il s’agit pour les élus d’atteindre l’autosuffisance alimentaire pour répondre aux besoins démographiques. Par ailleurs, les enjeux climatiques incitent les collectivités locales à réduire le transport de marchandises responsable de 20 % des émissions des gaz à effet de serre à l’échelle internationale [17]. Face à cette situation, des circuits courts se développent, très souvent portés par les producteurs eux-mêmes ou par des organisations associatives. Dans la petite ville de Todmorden, dans le Yorkshire en Angleterre, la culture des légumes prend progressivement le pas sur celle des fleurs dans les parterres et les espaces verts. Ce projet, intitulé Incredible Edible Todmorden [18], permet aux habitants de se servir en produits frais tout au long de l’année. Des cimetières aux parkings, en passant par la gare, les toits, les vieux canots, les cours d’école, la ville est devenue un vaste jardin. Et toute la communauté s’implique dans ce projet ! Pour les autorités municipales, l’objectif est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2018. Le bailleur social Pennine Housing a distribué des outils de jardinage et des semences, des ateliers de cuisine sont également organisés par la commune et les habitants apprennent à réaliser des conserves, des confitures ou des chutneys.
22 À New York, des potagers bio sont installés sur les toits. Ce projet, appelé Rooftop Farms [19], vise à installer des jardins sur plusieurs bâtiments industriels de Brooklyn. Quatre-vingt-dix tonnes de terre ont été étalées sur un premier toit (750 m2), accueillant seize plates-bandes surélevées. Maïs doux, laitues, radis, herbes, poivrons, citrouilles, les légumes sont cultivés ensemble de façon à éviter les parasites. Par ailleurs, des engrais organiques (évitant l’usage de produits chimiques) sont fournis par les restaurants locaux. Ce premier jardin a dépassé toutes les espérances grâce à une production surprenante, vendue aux habitants et aux restaurateurs du quartier. Il offre de surcroît une petite oasis de verdure pour les habitants de ce quartier industriel, et son épaisse couche de terre isole efficacement le bâtiment.
23 Apprendre à renouer avec la terre présente également des vertus pédagogiques. Cela sensibilise à la protection de l’environnement mais aussi aux problématiques sanitaires liées à une mauvaise alimentation. Toujours à New York, un jardin potager de 280 m2 s’est installé sur le toit du complexe scolaire Robert-Simon dans le Lower East Side. Parents et professeurs entendent utiliser ce jardin pour éveiller l’attention des élèves sur la question de l’obésité (le surpoids touche deux enfants sur trois aux États-Unis) et pour leur faire comprendre l’importance d’une alimentation saine et équilibrée. Ils peuvent goûter les légumes qu’ils ont cultivés eux-mêmes. À East Hampton, dans l’État de New York, une cour d’école « comestible » est gérée par des volontaires et entretenue par un jardinier-éducateur à plein-temps qui aide aussi les enseignants à inclure les enjeux de l’alimentation dans les programmes scolaires. L’école a établi un programme d’enseignement pour toutes les classes de cinquième (8th Grade) avec des travaux pratiques liés au jardin. Les collégiens travaillent sur des sujets concernant le rôle de l’alimentation dans la gestion durable de la planète et les produits récoltés sont vendus sur les marchés et dans les restaurants locaux.
Des inégalités d’accès à la nature
24 Malgré des avancées indéniables, la nature en ville se limite très souvent à une approche environnementale statistique, avec pour indicateur principal la surface d’espaces verts par habitant. Les dimensions sociale et qualitative y sont encore peu intégrées, bien qu’elles soient intrinsèques au développement durable.
25 Si la création d’espaces verts (squares, jardins publics, parcs urbains), de jardins familiaux ou encore de lieux de promenade contribue à réduire les inégalités d’accès à la nature, ces derniers restent encore très diversement répartis sur le territoire urbain. Les quartiers dits « sensibles » bénéficient généralement d’un environnement de moins bonne qualité, voire parfois dégradé, sans compter que la nature périurbaine, située à trente ou quarante kilomètres des villes, leur est inaccessible en raison des distances à parcourir. Par ailleurs, l’aménagement d’espaces verts devient, dans certains quartiers, un facteur d’exclusion supplémentaire en raison de la plus-value apportée au foncier et à l’immobilier situés à proximité immédiate, ainsi que du renchérissement des loyers. Ainsi, dans le quartier social de Vesterbro (Pays-Bas), une large part des habitants ont dû quitter les lieux, chassés par la hausse des loyers allant parfois du simple au double. Et ce, malgré les souhaits exprimés par la municipalité de maintenir sur place la population d’origine.
26 À Malmö, le quartier Bo01 est aujourd’hui un véritable ghetto réservé aux classes les plus aisées. Depuis sa construction, les prix se sont envolés de 25 % par rapport aux opérations classiques et le brassage des populations ne peut être observé que durant le soir et les week-ends, car le front de mer est devenu populaire.
27 Pour lutter contre ces inégalités écologiques, les experts préconisent de renforcer l’adéquation entre la création de nouveaux espaces verts et les attentes des habitants. Selon Emmanuel Boutefeu, il faut « briser l’isolement insulaire des espaces verts, rapprocher la nature des lieux de vie, mais aussi connecter les espaces verts intra-muros pour créer des liaisons fonctionnelles avec les forêts périurbaines et la campagne environnante » [20]. La culture statistique est donc remise en cause au profit d’une approche humaniste, privilégiant la pédagogie et l’importance des usages. La façon dont les habitants s’emparent, ou non, des espaces proposés influe en effet largement sur l’empreinte écologique de ces quartiers. Ainsi, il n’existerait pas un seul modèle de nature en ville mais de nombreuses initiatives, qui reposent sur des spécificités locales et des caractéristiques intrinsèques à chaque quartier.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Frédéric Basset, Alice Leroy, Jardins partagés, utopie, écologie, conseils pratiques, Terre Vivante, 2008.
- Béatrice Bochet, « Morphologie urbaine et développement durable : transformations urbaines et régulation de l’étalement », in Enjeux du développement urbain durable : transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005.
- Pierre Boulez, Le Pays fertile. Paul Klee, Gallimard, 2008.
- Emmanuel Boutefeu, « La demande sociale de nature en ville : enquête auprès des habitants de l’agglomération lyonnaise », Certu, 3 mars 2010.
- Antoine Charlot, Du quartier à la ville durable, vers un nouveau modèle urbain ?, mars 2011.
- Denis Clerc et Hervé Vouillot, « L’urbanisation contre l’urbanisme », in La ville autrement, hors-série poche n° 39, Alternatives économiques, juin 2009.
- Cyria Emelianoff, « Les quartiers durables en Europe : un tournant urbanistique ? » in Urbia, juin 2007, n° 4.
- Bettina Laville, « La ville, nouvel écosystème du XXIe siècle », Comité 21, 2012.
- Ugo Leone, Gilles Benest, Nouvelles Politiques de l’environnement, L’Harmattan, 2006.
- François Letourneux, cité dans « La nature en ville, un paradoxe à cultiver », in Diagonal, revue des équipes d’urbanisme, juin 2009, n° 179.
- « Politiques novatrices pour un développement urbain durable : la ville écologique », OCDE, Paris, 1996.
- Florence Rudolf, « Les glissements de sens de l’écologie dans ses associations avec la ville : écologie urbaine, ville écologique et ville durable », in Philippe Hamman, Penser le développement durable urbain : regards croisés, L’Harmattan, 2008, p. 47-68.
- Anne-Marie Sacquet, L’avenir en vert – Environnement, santé, emploi pour une France du XXIe siècle, mars 2007.
- Jean Viard, Penser la nature : tiers espace entre ville et campagne, éditions de l’Aube, 2012.
- Ann Caroll Werquin, « La ville, la densité, la nature », in Ville et Écologie. Bilan d’un programme de recherche (1992-1999), ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement et ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, août 1999.
Notes
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[1]
De 1999 à 2008, l’espace des grandes aires urbaines s’est fortement étendu (+ 39,2 %). Il représente aujourd’hui près de la moitié du territoire (46,1 %), contre un tiers dix ans auparavant. Source : Insee, 2010.
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[2]
Depuis l’Antiquité, la ville est synonyme de richesse, de progrès et de nombreuses découvertes culturelles, sportives, culinaires…
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[3]
Entre 1978 et 2010, le nombre de personnes par logement a diminué de 21 % en passant de 2,8 à 2,2 personnes, tandis que la surface moyenne des logements principaux a augmenté de 20 % en passant de 77 à 92 m2 (Insee).
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[4]
En France, on passe en moyenne, chaque jour, trois heures devant la télévision et trois quarts d’heure devant l’ordinateur, hors motifs professionnels. Les deux appareils pouvant être utilisés simultanément, le temps passé devant un écran, qu’il s’agisse d’une télévision ou d’un ordinateur, est ainsi en moyenne de trois heures vingt-cinq minutes par jour (Insee, chiffres 2010).
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[5]
Sept Français sur dix choisissent désormais leur lieu d’habitation en fonction de la présence d’un espace vert à proximité (Unep, 2008).
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[6]
Extrait du rapport « La ville, nouvel écosystème du XXIe siècle », Bettina Laville-Comité 21, 2012, p. 57.
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[7]
Biophilia, The Human Bond with other Species, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 1984.
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[8]
On attribue à Henry Monnier la fameuse phrase : « On devrait construire les villes à la campagne, l’air y est tellement plus pur ! », que l’on prête également à Alphonse Allais.
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[9]
Bernard Reichen, « Trois clefs pour réinventer la ville européenne », in Villes européennes, villes d’avenir ?, Futuribles, juillet-août 2009, n° 354.
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[10]
Le coefficient d’occupation des sols, ou COS, détermine, en France, la quantité de construction admise sur une propriété foncière en fonction de sa superficie.
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[11]
Les constructeurs doivent prendre en compte 10 des 35 mesures proposées par la ville.
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[12]
La France accueillera en décembre 2015 la 21e Conférence onusienne des parties sur le climat. L’enjeu est de taille : parvenir à un accord à la fois ambitieux, juste et efficace, qui permette une division par quatre des émissions mondiales de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 en vue de limiter à + 2 °C le réchauffement climatique.
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[13]
Alain Liébard, André De Herde, « Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques : concevoir, édifier et aménager avec le développement durable », Éditions Le Moniteur, décembre 2005, 368 p.
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[14]
Le quartier de Viikki compte plus de 10 m2 de jardins familiaux par habitant.
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[17]
Source : BP Statistical Review, 2009.
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[18]
« Todmorden incroyable comestible ».
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[19]
« Fermes sur les toits ».
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[20]
Emmanuel Boutefeu, Composer avec la nature en ville, Certu, 2009.