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Article de revue

Face à la philosophie politique de l'écologie, la violence comme seule issue

Pages 55 à 65

Notes

  • [1]
    Hobbes, De Cive. Le citoyen ou Les fondements de la politique, 1642.
  • [2]
    Hannah Arendt, La Crise de la culture, Folio Essais, 1989, p. 83.
  • [3]
    Hannah Arendt, La Crise de la culture, p. 84.
  • [4]
    Hannah Arendt, op. cit., p. 85.
  • [5]
    André Gorz, « L’Écologie politique entre expertocratie et autolimitation », Actuel Marx, 2nd semestre 1992, n°12, repris dans Ecologica, Galilée, 2008.
  • [6]
    Cette administration ne se confondrait pas avec les excroissances bureaucratiques qui existent déjà en France : conseils de développement durable au sein des agglomérations, Comité interministériel pour le développement durable, Conseil national du développement durable, Comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable, Commissariat général au développement durable, Conseil général de l’environnement et du développement durable, etc.
  • [7]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 1961, éd. Pocket 1994, p. 66.
  • [8]
    Jean-Pierre Dupuy, Libéralisme et justice sociale, hachette Pluriel, [1997] 2009.
  • [9]
    Jean-Pierre Dupuy, La Crise et le sacré, Études, mars 2009. L’idée fut exposée pour la première fois dans un livre de 1979 de Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy, L’Enfer des choses. René Girard et la logique de l’économie, Seuil, 1979.
  • [10]
    Vittorio Höslé, Philosophy of the Ecological Crisis, 1991 (traduction française 2009, éd. Wildproject). Vittorio Höslé développe une vision détaillée d’un État écologique dans Moral und Politik, 1997 (traduction anglaise 2004). Voir également son chapitre « Das Umweltproblem im 21. Jahrhundert » dans l’ouvrage collectif Nachhaltigkeit in der Okologie, 2001.
  • [11]
    Le Capital, Livre I, Section IV, chapitre 15. Une des seules fois (sinon l’unique) où Marx fait référence à la destruction de la nature.
  • [12]
    « Will Big Business Save the Earth ? », The New York Times, 5 décembre 2009.
  • [13]
    Et ce, même lorsque quelques centaines de millions de dollars investis en Nouvelle Orléans auraient évité un désastre dont les réparations se chiffrent à plusieurs milliards de dollars.
  • [14]
    Pour être plus exhaustif sur les causes de l’aveuglement, notons que l’extrême division du travail, le cloisonnement des sphères scientifiques et leur hyperspécialisation ne permettent guère de nous représenter les conséquences globales de nos actions – d’autant moins que pour appréhender cette situation, nous utilisons les outils conceptuels complètement dépassés de la société industrielle.
  • [15]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 320.
  • [16]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 324.
  • [17]
    Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, éd. Pocket, [1969] 1994, p. 220.

1 Nous sommes au cœur d’une révolution sans précédent qui promet de bouleverser la continuité du XXIe siècle, que l’on appelle d’ores et déjà le siècle de l’écologie. Le concept de développement durable renvoie à deux préoccupations liées l’une à l’autre : celle des générations futures et celle de la protection de l’environnement. Dans les deux cas le problème est mal posé.

2 Concernant les générations futures, je me sépare de Hans Jonas. Du point de vue de la philosophie morale, assurer la survie de l’espèce à tout prix est indéfendable et même inapproprié comme objectif en soi. En revanche, c’est un devoir moral d’éviter la souffrance et les inégalités qui résulteraient d’un effondrement. Ce qu’il faut protéger, ce ne sont pas des êtres inexistants, ce sont nos valeurs intemporelles de justice et de liberté qui seront les premières victimes des conflits écologiques que nous préparons.

3 Je soutiens l’idée qu’on ne pourra pas non plus démêler le sens des événements qui se déroulent sans cesser de penser en termes de protection de l’environnement. Dominée par la perspective pragmatique d’un espace extérieur à protéger, l’utilisation de ces termes laisse entendre que la menace viendrait d’un « dehors » envers lequel il faudrait maîtriser notre agressivité. Rien n’est plus faux. Cette pensée dominante passe à côté de la transformation qui s’est opérée avec l’avènement de la modernité. L’environnement n’existe plus, ou plutôt, désormais, l’environnement c’est nous. Nous avons fait l’exact contraire du programme baconien : en voulant sortir de la nature, nous l’avons intégrée dans le monde humain.

4 L’un des pères de la philosophie politique, Thomas Hobbes, est l’un des seuls à avoir fait jouer à la violence un rôle constitutif majeur. Pour cet auteur, la violence, ou plus précisément la peur de la violence, est à l’origine du pacte social. Il décrit ce qu’était la vie hors de la société :

5 « Les passions règnent, la guerre est éternelle, la pauvreté est insurmontable, la crainte ne nous abandonne jamais, les horreurs de la solitude nous persécutent, la misère nous accable, la barbarie, l’ignorance et la brutalité nous ôtent toutes les douceurs de la vie. »[1]

6 La catastrophe, c’est le retour à ces souffrances et malheurs, à la décomposition et à l’abomination. C’est ce que René Girard appelle le « rendez-vous planétaire de l’homme avec sa propre violence ». Depuis que nous avons fait entrer la nature dans la société, le maintien des garde-fous, des verrous qui nous évitent l’autodestruction, lui est intimement lié. C’est pour cette raison que la crise écologique est la principale menace qui pèse sur notre avenir commun et que la nature doit devenir un sujet de réflexion de la philosophie politique en tant que telle.

7 Mon propos se résume donc en ceci : le péril vers lequel nous nous dirigeons n’est pas la fin de l’humanité, mais l’avènement d’une humanité faite de violence et d’inégalités qui résulteront d’un effondrement dû à l’idéologie profondément ancrée qui considère la nature comme une entité extérieure. Cet effondrement adviendra, si nous n’avons pas recours à une métamorphose, sous l’effet du processus de développement qui déséquilibrera notre système de régulation sociale. Pour en arriver à cette conclusion, je vais m’appuyer sur les trois auteurs qui m’ont le plus influencé : Hannah Arendt bien sûr, et deux esprits foisonnants, Jean-Pierre Dupuy et Vittorio Höslé.

8 La notion de développement durable a fait couler beaucoup d’encre. Mais la philosophie, contrairement à l’économie ou l’histoire, est restée relativement en dehors du débat. Il y a une raison à cela. Occultant la transformation de la science, la philosophie du siècle dernier, et particulièrement la philosophie française, se sont condamnées à l’impuissance.

Le processus et la maîtrise

9 La nature est directement accessible aux sens des êtres qui la composent. Il ne pourrait en être autrement, les sens, issus de millions d’années d’évolution et de sélection, reflètent pour chaque espèce la meilleure façon de se mouvoir dans le milieu et de s’intégrer dans le monde. Nous avons mis fin à cette relation historique entre l’être et la nature. Nous avons d’abord fait apparaître une nature qui nous était jusqu’alors inaccessible, invisible.

10 La nature invisible est celle qui, depuis Copernic, Galilée, Newton et la révolution scientifique du XVIIe siècle, est décryptée par la science. L’essor des sciences modernes est à l’origine de l’avènement d’une époque nouvelle qu’elles ont provoquée en dévoilant que les expériences des sens n’étaient que des illusions. Ce n’est plus l’observation mais les instruments de l’astrophysicien qui donnent une place à la Terre dans l’univers, ou ce sont les outils de la physique quantique qui décrivent le comportement de la particule. L’homme pensait alors percer les secrets de la nature par la science et la technique. Cette séparation entre l’être et l’apparence est au fondement de la science moderne et du doute cartésien, elle a servi de socle au soupçon.

11 Mais la nature est aussi, désormais, construite, non plus comme un concept façonné à travers le temps, mais physiquement par l’impact des hommes sur les systèmes régulateurs. La nature est artificielle. Si la nature artificielle est de notre cru, elle n’est pas de notre volonté. C’est le résultat imprévisible de nos actions. Depuis que la puissance humaine a atteint un certain seuil au siècle dernier, nous agissons dans la nature de la même manière que nous avons agi dans l’Histoire. Aujourd’hui, l’homme est devenu une telle force tellurique que de nombreux scientifiques, dont le prix Nobel Paul Crutzen, proposent de nommer « anthropocène » l’époque dans laquelle nous sommes. Mais il ne faut pas se méprendre, cette nature n’est en aucun cas le fruit de notre création dans le sens entrepris par la biologie synthétique, elle est le résultat d’une chaîne d’événements que nous avons engendrés en déclenchant des processus naturels inattendus qui nous échappent complètement. Cette perte de la maîtrise et de la lisibilité faisait partie des caractéristiques qu’Hannah Arendt attribuait à l’époque moderne :

12 « Si en déclenchant des processus naturels, nous avons commencé à agir dans la nature, nous avons manifestement commencé à transporter l’imprévisibilité qui nous est propre dans le domaine même que nous pensions régi par des lois inexorables. »[2]

13 Ce qui frappe dans ce constat, c’est que nous assistons bien à la fin de l’environnement. Les frontières historiques entre les éléments naturels et l’artifice humain se sont effacées. Pour décrire ce point, fondamental dans l’œuvre d’Arendt, elle a emprunté au génial mathématicien britannique Alfred North Whitehead, dont elle a été une lectrice attentive, le concept de processus (process) :

14 « La connexion [entre la nature et l’histoire] a son lieu dans le concept de processus : tous deux impliquent que nous pensions et considérions tout en termes de processus et ne nous occupions plus des étants singuliers ou des événements particuliers et de leurs causes spéciales et séparées. Les mots clefs de l’historiographie moderne – « développement » et « progrès » – étaient, au XIXe siècle, également les mots clefs des branches alors nouvelles de la science de la nature, particulièrement de la biologie et de la géologie, l’une traitant de la vie animale et l’autre d’un objet non organique en termes de processus historiques. »[3]

15 Le « tout est dans tout et réciproquement » n’est en aucun cas un programme des science studies, c’est la prise en compte de la situation qui résulte de la modernité. Ce bouleversement s’est traduit par des allers-retours incessants de métaphores entre les sciences et la politique. Depuis leur émergence, les sciences sociales pensent souffrir d’un déficit par rapport aux sciences dites exactes. Le vocabulaire et les méthodes des sciences de la nature et des sciences formelles, la connaissance fine et la maîtrise précise de leur objet, ont mis en évidence, par contraste, que les sciences de la société et de l’homme relevaient plus de l’art que de la science. Pour renforcer leur scientificité, elles ont traité l’homme comme un être de nature et l’évolution de la société comme un processus naturel. Cette substitution est à l’origine de la conception organique de la matière politico-économique et de l’utilisation du terme biologique de développement pour définir l’évolution des affaires strictement humaines et sociales.

16 Ainsi, qu’elles soient naturelles, sociales ou politiques, les « sciences » ont remplacé le concept de l’Être et de l’objet par le concept de processus et, alors que le propre de l’Être et de l’objet est de dévoiler son existence, le processus est toujours enjoint à l’invisibilité et à l’insaisissable :

17 « La notion de processus ne désigne pas une quantité objective de l’histoire ou de la nature ; elle est le résultat inévitable de l’action humaine. Le premier résultat du fait que l’homme agit dans l’histoire est que l’histoire devient un processus, et l’argument le plus puissant pour l’action des hommes dans la nature sous forme de recherche scientifique est qu’aujourd’hui, selon la formule de Whitehead, “la nature est un processus”. »[4]

18 La première conclusion de ce constat est une cruelle condamnation de la fuite en avant dans le progrès scientifique et technique. Les promoteurs de son accélération pour résoudre la crise écologique ne voient pas que la prudence par la maîtrise, ou par la maîtrise de la maîtrise, est vaine. Le progrès scientifique et technique mène à l’exact contraire de l’objectif recherché : alors que la modernité devait aboutir à la maîtrise et la possession de la nature, elle a abouti au comble de la perte de contrôle en retirant toute capacité à l’homme de percevoir la réalité des processus qu’il a déclenchés. Il est donc aisé de comprendre le désarroi de l’homme moderne. C’est même sa condition fondamentale, l’homme moderne ne sait pas ce qu’il fait et ne sait pas où il va.

La science et la politique

19 La logique du développement durable est la parfaite antithèse de ce que Serge Moscovici, Ivan Illich ou André Gorz ont appelé l’écologie politique dans la seconde moitié du siècle dernier. Ce courant politique est né bien avant la menace sur la survie de l’humanité. Lorsque l’écologie politique a été théorisée, nous vivions encore, du moins c’est ce que nous pensions, dans un univers infini. Il s’agissait d’une critique non marxiste – voire anti – de la société industrielle et du productivisme aliénant. La philosophie de ces auteurs rejoignait la critique de la perte de sens d’une partie de la philosophie allemande post-Auschwitz, notamment celle de l’école de Francfort. Ils n’avaient que faire des controverses scientifiques, tel le dérèglement global du climat. Leur écologisme utopique n’a jamais basculé dans un écologisme scientifique.

20 Le développement durable comme concept part d’un tout autre postulat. Il suggère que le processus est au bord du précipice et qu’il faudrait d’urgence articuler le développement économique et la préservation de l’environnement. On ne cherche pas à rompre avec une quelconque logique capitaliste : on le sait, sa force historique est de renverser ses contradictions en sa faveur. En conséquence, les impératifs écologiques relèveraient de la science et non de la politique. Les sciences seraient les mieux placées et les plus légitimes pour parachever le processus de développement. La notion de développement durable est scientiste par essence. Les politiques de développement durable s’appuient sur les études scientifiques pour « déterminer les techniques et les seuils de pollution écologiquement supportables, c’est-à-dire les conditions et les limites dans lesquelles le développement de la technosphère industrielle peut être poursuivi »[5]. Pour adapter le développement aux nécessités de la « durabilité », l’ensemble de la vie et de la matière terrestre devra être calculé et quantifié. Mais à mesure que la place de la science et de la technique s’étend, s’étendent aussi les nécessités d’une administration [6], du recours au pouvoir des experts et à leurs avis autorisés, et diminuent tout autant l’autorité politique, la faculté de participation du citoyen et sa liberté.

21 Je conviens que cette opposition entre écologie politique et développement durable, qu’il me semble tout de même opportun de rappeler, a perdu son sens en ce début de siècle. Elle est rendue obsolète par le seuil que nous avons franchi : l’urgence à laquelle l’humanité est, pour la première fois, confrontée. Ce seuil a opéré une transformation profonde. Nous sommes passés, en l’espace de quelques années, d’une logique d’évolution et de progrès à une logique d’évitement (de la catastrophe) et de conservation (des acquis et des conditions de maintien de la vie). Car nous vivons bel et bien une situation apocalyptique, dans le sens où le déchaînement de la violence humaine est l’aboutissement de la situation actuelle si nous laissons le processus suivre son cours.

22 Il ne s’agit nullement d’irrationalité, de catastrophisme, de pessimisme, de technophobie ou d’antiscience. Bien au contraire, nous vivons une époque captivante où il est nécessaire de tout réinventer, à commencer par la théorie politique. Le risque est que, pris dans une spirale aveuglante, nous laissions filer le faible espace d’action dont nous disposons.

La cause du triomphe de l’économie

23 La question qui se pose au développement durable est celle de la compatibilité entre les contraintes écologiques et le développement économique, entre écologie et économie. En principe, il n’y a pas de raison de partir de l’hypothèse qu’écologie et économie ne le soient pas. Les deux termes sont issus du grec ancien oïkos signifiant maison, mais avec une nuance sensible. Historiquement, l’économie évoque le « sage et légitime gouvernement de la maison, pour le bien commun de toute la famille » (Rousseau). L’oïkosde l’économie renvoie à l’habitat, au foyer, au domestique, alors que celui de l’écologie renvoie au milieu, à l’ensemble, au biotope.

24 Économie et écologie entretiennent un rapport de hiérarchie enchevêtrée. La première se construit au sein de la seconde, du particulier au général. Économie et écologie sont, comme des matriochkas, des sphères qui se superposent. Lorsque la sphère inférieure (l’économie) sort du foyer, monopolise l’espace public et dépasse la sphère qui la contient (l’écologie), s’ensuit inévitablement une rupture catastrophique.

25 On sait qu’en Grèce antique, polis, la cité, s’opposait à oïkos. Il s’agissait de la division entre le domaine public (la politique, l’art du gouvernement) et le domaine privé (l’économie, l’administration du foyer). Le domaine public ne connaissait que des égaux, c’était l’espace de liberté. Le domaine privé contenait la sphère des inégalités, il était placé sous la responsabilité du chef de famille, le maître antique. Mais « dans nos conceptions, écrit Arendt, la frontière s’efface parce que nous imaginons les peuples, les collectivités politiques comme des familles dont les affaires quotidiennes relèvent de la sollicitude d’une gigantesque administration ménagère »[7]. Au commencement de l’époque moderne, l’économie, qui aurait dû rester dans le foyer domestique, en sort et s’empare de l’espace public. La sphère privée s’élève, les limites domestiques éclatent et, à la suite de l’empire romain, c’est l’Église qui a maintenu l’unité. L’ascension moyenâgeuse du séculier au religieux est transposable à celle, antique, du privé au public. Mais la sphère séculière féodale a absorbé toutes les activités humaines du domaine public dans le « privé », et le processus a continué jusqu’à son assimilation complète et au triomphe de l’économie. C’est ici que commence ce qu’aujourd’hui nous appelons l’économiscisme.

26 Pour Arendt, le politique connaît le même dévoiement avec la compassion, cette identification du riche au pauvre, cette passion de le sauver qui conduit à parler en son nom, au nom de tous et non à tous, et qui mène au système totalitaire à partir de Robespierre. Il est à noter que le totalitarisme est bien une pathologie de la modernité car sans les principes de la science appliqués à la politique (la convertibilité du vrai et du faire selon Vico), ce régime est inconcevable.

27 L’histoire est le passage du laïc au religieux, puis au rationnel. La modernité a divisé la rationalité entre sa branche instrumentale et sa branche axiologique, les moyens et les valeurs. Cette séparation était indispensable pour permettre à la science de « dire » la vérité. Le désenchantement du monde est un mouvement de désacralisation, de « démagification » et un processus d’autonomisation de la rationalité instrumentale. C’est le passage du monde enchanté des mythes et des Dieux au monde mécanique puis cybernétique des machines. Mais c’est parce que le monde se désenchante que le vice de l’égoïsme individuel se libère et permet le déploiement de l’économie ; ce n’est pas la rationalisation du monde qui le désenchante.

28 Aujourd’hui, la gauche et la droite considèrent toutes deux l’économie comme la solution. Mais la gauche dénonce traditionnellement la violence de l’économie, la droite insiste sur ses bienfaits. Engels décrit dans l’Anti-Dühring les liens inséparables entre l’économie, qui opprime et exploite, et l’esclavage. À l’opposé, pour Montesquieu, « l’effet naturel du commerce est de porter à la paix ». En réalité, ces deux traditions qui ont constitué deux pôles distincts, ne s’opposent pas, elles se complètent.

29 Cette contradiction apparente est présente au sein de l’œuvre du père de la science économique, Adam Smith. Entre la Théorie des sentiments moraux, qui met en évidence la corruption de la sympathie par l’économie et l’Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations qui fait apparaître l’égoïsme individuel comme principale origine de la richesse, beaucoup y ont vu un paradoxe ou revirement qu’ils ont nommé « Das Adam Smith Problem ». On doit à Jean-Pierre Dupuy de lui avoir rendu justice et d’avoir montré en quoi ce n’est en rien une contradiction [8]. Chez Adam Smith, la « sympathie contient l’envie » dans les deux sens du mot : elle la possède en soi et elle l’empêche, la retient. Ce point est fondamental, car le même procédé opère entre l’économie et la violence :

30 « L’économie contient la violence », l’économie est violente « mais il est non moins vrai qu’elle fait barrage [à la violence], comme si, par l’économie, la violence se révélait capable de s’autolimiter, évitant ainsi l’effondrement de l’ordre social »[9].

31 L’économie est la figure moderne du katékhon. Cette force obscure venue de saint Paul et utilisée par Carl Schmitt pour expliquer la « présence totale cachée sous les voiles de l’Histoire » qui retient l’implosion. Sans entrer dans le débat ouvert par l’anthropologie giradienne, c’est cela le principal effet du désenchantement du monde. Alors que la violence était extériorisée par le sacré sous forme de normes, de pratiques, d’interdits, de rituels et de cultes, c’est dans la rationalisation, et plus précisément dans l’économie, que les sociétés « démagifiées » ont trouvé refuge pour contenir la violence des hommes. Et cette évolution est la base de l’État libéral et de l’État socialiste aussi bien que de l’État-providence.

Violence ou apathie

32 L’économie capitaliste est l’état de l’économie lorsque la recherche de l’efficacité est devenue l’essence du monde. Et si l’économie forme désormais une sphère autonome, nous devons composer avec sa principale caractéristique, l’égoïsme.

33 C’est du moins ce que développe Vittorio Höslé dans une série de conférences donnée à Moscou en 1990 [10]. Lorsque j’ai pris connaissance de l’œuvre du philosophe de l’idéalisme objectif, j’ai pensé qu’il avait formulé la meilleure définition de ce qu’est le développement durable.

34 En ce qui concerne la sortie de la crise écologique, l’opposition entre capitalisme et socialisme est favorable au premier. Ce qui rapproche les deux systèmes est peut-être aussi grand que ce qui les sépare : face à la perspective d’une dégradation dramatique des conditions de poursuite de la vie, aucun des deux systèmes n’a de réponse satisfaisante. Les deux résultent du triomphe de la rationalisation, ils puisent leur idéal moral dans les Lumières, ils partagent l’objectif et le préalable. L’objectif est la poursuite du mythe de l’abondance et du programme cartésien de domination de la nature. Le préalable est que l’économie domine les autres systèmes régulateurs de la société.

35 Mais Höslé pensait, au début des années 1990, que le moteur de l’économie capitaliste – les intérêts individuels – pouvait et devait être utilisé pour aiguiller les sociétés à passer le « siècle de l’environnement ». Pour Höslé, l’intérêt général pourra être poursuivi par la mise en place de conditions-cadres, dans la lignée du keynésianisme.

36 Vittorio Höslé adresse à Marx et au marxisme trois principales critiques. On se souvient de la fameuse phrase de Marx sur la production capitaliste qui, selon lui, « ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : La terre et le travailleur »[11]. Cependant, comme le remarque justement Höslé, le marxisme n’a jamais su attribuer à la nature une valeur qui puisse freiner sa destruction. Il rejoint également Gorz dans le constat que la destruction de la nature n’est en rien la caractéristique du capitalisme mais celle de l’industrialisme, commun aux deux systèmes. Enfin, si Marx s’est trompé sur l’amélioration des conditions de vie de la classe laborieuse par le capitalisme, Höslé défend l’idée que le capitalisme peut atteindre, en ce qui concerne « la préservation du fondement écologique de la vie humaine », des résultats semblables. Les conditions-cadres devront toutefois être modifiées de manière à donner un coût à la destruction de la nature et nos valeurs devront être profondément révisées (l’œuvre de Höslé constitue aussi une tentative réussie de concilier l’éthique environnementale anglo-américaine avec la philosophie de l’écologie eurocontinentale).

37 Il est vrai que, dans les sociétés socialistes, la suppression de l’égoïsme économique n’a en aucun cas mené à une société plus morale et à une meilleure poursuite de l’intérêt général. Au contraire, la négation de l’égoïsme économique a abouti à des violences effroyables et au développement de la corruption. L’étouffement de l’égoïsme individuel est immoral dans le sens où seul le recours à une violence extrême est susceptible de le rendre possible : « Celui qui veut étouffer l’égoïsme, écrit Höslé, commettra des crimes bien plus épouvantables encore que ceux que l’on attribue à l’égoïsme. »

38 Mais il y a pire. Imaginons un instant qu’il soit possible de neutraliser les intérêts individuels de manière pacifique. Le résultat serait une société apathique, dans laquelle il serait impossible de mobiliser la collectivité et faire face à l’ampleur des efforts à effectuer pour éviter une catastrophe écologique majeure. Car, il faut bien l’admettre, si l’égoïsme économique ne se transforme pas en bien commun, il se transforme en énergie et « celui qui neutralise l’égoïsme sans parvenir à conserver à un plus haut niveau les énergies qui l’animent, condamne ainsi l’humanité à une apathie, à une indifférence qui seront pires encore que dans un monde gouverné par l’égoïsme ».

39 Se priver des motivations égoïstes pour canaliser les énergies vers les actions à accomplir (à savoir protéger les conditions d’existence de la vie sur terre) nous condamnerait à l’impuissance et à des catastrophes bien pires que celles prévues par Marx et ses épigones. Cela eut peut-être été possible lorsque la crise écologique restait un diagnostic à l’horizon lointain. Or, les seuils que nous avons franchis nous ont fait entrer dans l’ère de l’urgence et « sans l’incroyable efficacité d’une activité économique rationalisée et fondée sur des motivations égoïstes, il sera très difficile de venir à bout des tâches importantes qui nous incombent ».

40 Dans ce cadre (rappelons que les conférences d’Höslé datent de 1990), écologie et économie sont non seulement compatibles mais la seconde est même indispensable au respect de la première. Höslé parle d’économie de marché écologiste et sociale, je crois que cela aurait pu être une interprétation réaliste du développement durable.

41 Mais, vingt ans après l’analyse d’Höslé, cette pensée n’a pas pu aboutir à une réalité objective et, malheureusement, les seuils que nous avons franchis et l’urgence de l’action rendent cette possibilité dépassée. La négation de l’urgence est l’erreur que commet une des figures de l’écologie associative, Jared Diamond, le célèbre biologiste-géographe. Dans un article récent [12], j’ai été surpris de voir l’auteur d’Effondrement miser sur le souci des entreprises transnationales de protéger l’environnement (« embrace of environmental concerns ») pour sortir de la crise. D’une part parce que Diamond ne peut ignorer que le principal problème écologique n’est pas un problème de pollution mais un problème de gestion des flux ; d’autre part parce que la solution qu’il espère voir mise en œuvre par les grandes entreprises est d’une naïveté confondante.

42 En illustrant ses propos d’exemples de pratiques vertueuses par de grandes firmes américaines (Wal-Mart, Coca-Cola et Chevron), Diamond pense que, par leur biais, l’économie de marché va intégrer l’idée selon laquelle la protection de l’environnement est économiquement rentable : à court terme, par une faible consommation de ressources environnementales ; à long terme, en évitant la pollution et en développant l’utilisation de ressources renouvelables. À cela, s’ajoute l’intérêt pour une entreprise de jouir d’une « image propre », réduisant ainsi les critiques potentielles de la part de ses employés, de ses consommateurs et de la puissance publique.

43 S’il est vrai que les normes environnementales s’affinent à travers le monde à des degrés divers, et qu’il est économiquement préférable de s’aligner sur les normes les plus exigeantes que de s’adapter à chaque pays, penser en ces termes est absurde. Certes, le coût exorbitant de l’inaction a été mis en avant par de nombreuses publications (dont celles de Nicholas Stern), mais les exemples des Conférences des parties de l’ONU sur le climat ou encore l’ouragan Katrina ont tout de même démontré que, lorsqu’il s’agit d’investir dans la prévention d’un désastre, la collectivité préfère nier les avertissements [13].

44 Mais l’intérêt microéconomique de ces approches éclipse l’objectif macroéconomique persistant d’une croissance linéaire de la consommation globale (avec une démographie en augmentation constante et un effet rebond). On perd d’un côté, hélas, ce que l’on gagne de l’autre. Il n’y a rien de nouveau dans cette affaire. La recherche de l’efficacité, produire avec moins de ressources pour gagner en productivité, est une constante historique de l’économie capitaliste. Les flux de matière et d’énergie ne cesseront de croître.

45 Outre la différence certaine entre les approches philosophique de Höslé et pragmatique de Diamond, il me semble, qu’aujourd’hui, notre situation est très différente. S’il est vrai que l’étouffement de l’intérêt égoïste est immoral et apathique, je crois désormais que ça l’est encore plus de laisser entendre que le théâtre des passions envieuses peut continuer comme avant. Il est apathique car il inhibe toute tentative de mobilisation, il détourne les énergies des efforts nécessaires à l’établissement d’un nouveau paradigme et participe au renforcement de l’aveuglement. Il est immoral parce qu’il est apathique et que la violence est au bout du processus.

L’Homme plus que jamais menacé par sa propre violence

46 Si les deux traditions, chacune de leur point de vue, ont raison, l’économie est violente et l’économie régule notre vie en commun parce qu’elle est violente. En conséquence, l’économie, comme le sacré naguère, canalise les passions, discipline les comportements violents, évite la tendance naturelle à la décomposition. Mais cela ne pourra durer qu’un temps. Car la condition du maintien de la violence de l’économie capitaliste, contrairement à celle du sacré, est d’être constamment en expansion.

47 Pour poursuivre son expansion, l’économie capitaliste a besoin de l’intégration progressive de toutes les sphères sous son emprise. Gorz a très justement remarqué dans l’évolution actuelle vers l’économie de la connaissance une tentative propre à l’économie capitaliste de s’emparer de la dimension cognitive du travail. Dans un monde fini, la connaissance apparaît bien sûr comme une ressource illimitée. S’agissant d’un bien qui ne se consume pas mais se fertilise dans l’échange, la connaissance et le savoir sont voués à être transformés en ressources artificiellement rares. Mais les agents d’une économie de la connaissance ne désireront pas consommer moins ; au contraire, ils importeront de l’autre bout du monde ce qu’ils cessent de produire eux-mêmes. Non seulement l’immatériel est un mythe, mais c’est une économie qui a besoin du maintien des inégalités mondiales pour subsister, et qui renforce les flux physiques au lieu de les réduire.

48 La base de l’économie capitaliste est la confiance, la croyance est performative, l’optimisme une obligation. La croyance en l’immortalité est la condition de l’existence et de la poursuite de l’économie capitaliste. Il est impératif que les agents du capitalisme croient en la durabilité de son développement. C’est une des causes de notre aveuglement sur son impossibilité de croître sans développer sa violence destructrice [14]. Le seul moyen de poursuivre l’accumulation se traduit par une désuétude accélérée des produits, une augmentation constante des consommations de matière et d’énergie, et par une dégradation des biens communs en marchandises fictives. La destruction et la non-durabilité des choses qui forment le monde sont la condition de la poursuite de son existence :

49 « Dans les conditions modernes, l’expropriation des gens, la destruction des objets et la dévastation des villes aboutissent finalement à stimuler un processus, ne disons pas de rétablissement, mais d’accumulation de richesses plus rapide et plus efficace, pourvu que le pays soit assez moderne pour répondre en termes de processus de production. »[15]

50 On retrouve ici le processus décrit par Arendt, nommons-le capitalisme ou économie, en réalité peu importe. Sur le développement de l’Allemagne d’après-guerre, Arendt conclut : « Il y eût destruction pure et simple au lieu de l’inexorable processus de dépréciation des objets de-ce-monde, qui caractérise l’économie de gaspillage dans laquelle nous vivons. »

51 L’aporie de la modernité apparaît alors clairement : sans l’économie capitaliste nous nous autodétruirions, mais le capitalisme lui-même est un processus d’autodestruction.

52 Arendt résume d’une formule cinglante l’entropie du processus : « Dans les conditions modernes, ce n’est pas la destruction qui cause la ruine, c’est la conservation » car « la durabilité des objets conservés est en soi le plus grand obstacle au processus de remplacement dont l’accélération constante est tout ce qui reste de constant lorsqu’il a établi sa domination » [15]. Entrée dans le monde humain, la nature est embarquée dans un processus où tout doit passer, périr et disparaître, afin de permettre le perpétuel recommencement à un rythme de plus en plus effréné. C’est le produit compulsif d’un monde où plus rien n’est réfléchi, raisonné, pensé qu’en terme de calcul, ce qui exclut toute forme de politique. C’est, je crois, le point fondamental et non moins pathétique de la modernité, qu’Arendt a démêlé avec une grande sagacité. Lorsque l’économie a établi sa domination, la confrontation est sans issue : la conservation de la nature cause la destruction de l’économie et la conservation de l’économie implique inéluctablement la destruction de la nature. La condition du maintien de l’économie capitaliste est « de ne laisser intervenir ni durabilité, ni stabilité », ce maintien « n’est possible que si l’homme sacrifie son monde et son appartenance au monde » [16].

53 L’autodestruction est intrinsèque au processus, à l’économie, au capitalisme. Le germe de l’espoir ne se situe pas dans cette spirale obsessionnelle. Les diagnostics scientifiques ne sauraient nous épargner les tâches de la politique. Pour retrouver l’essence du politique, il faut d’urgence inventer le moyen de contenir la subordination de la société à l’économique. Car, pour que le monde perdure, la parenthèse de la modernité devra se fermer. La laïcité du XXIe siècle sera celle de la religion moderne. L’œuvre de Hannah Arendt révèle que nos valeurs et la poursuite de notre existence ne seront garanties que par « la séparation entre le pouvoir de l’État et le pouvoir économique »[17] :

54 « Toute notre expérience nous enseigne que le processus d’expropriation qui commença avec l’essor du capitalisme ne se limite pas à une expropriation des moyens de production ; seules les institutions juridiques et politiques indépendantes des forces économiques et de leurs automatismes sont capables de contrôler les monstrueuses potentialités inhérentes à ce processus et de leur faire échec. » [17]

55 L’alternative est entre la violence et la métamorphose urgente de l’humanité. Il ne s’agit guère de développement durable mais de rupture épistémologique et de transition vers une nouvelle ère dont nous sommes encore loin de mesurer la nature et l’ampleur. La philosophie, et en particulier la philosophie politique, aura à nouveau un rôle fondamental à jouer.

Notes

  • [1]
    Hobbes, De Cive. Le citoyen ou Les fondements de la politique, 1642.
  • [2]
    Hannah Arendt, La Crise de la culture, Folio Essais, 1989, p. 83.
  • [3]
    Hannah Arendt, La Crise de la culture, p. 84.
  • [4]
    Hannah Arendt, op. cit., p. 85.
  • [5]
    André Gorz, « L’Écologie politique entre expertocratie et autolimitation », Actuel Marx, 2nd semestre 1992, n°12, repris dans Ecologica, Galilée, 2008.
  • [6]
    Cette administration ne se confondrait pas avec les excroissances bureaucratiques qui existent déjà en France : conseils de développement durable au sein des agglomérations, Comité interministériel pour le développement durable, Conseil national du développement durable, Comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable, Commissariat général au développement durable, Conseil général de l’environnement et du développement durable, etc.
  • [7]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 1961, éd. Pocket 1994, p. 66.
  • [8]
    Jean-Pierre Dupuy, Libéralisme et justice sociale, hachette Pluriel, [1997] 2009.
  • [9]
    Jean-Pierre Dupuy, La Crise et le sacré, Études, mars 2009. L’idée fut exposée pour la première fois dans un livre de 1979 de Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy, L’Enfer des choses. René Girard et la logique de l’économie, Seuil, 1979.
  • [10]
    Vittorio Höslé, Philosophy of the Ecological Crisis, 1991 (traduction française 2009, éd. Wildproject). Vittorio Höslé développe une vision détaillée d’un État écologique dans Moral und Politik, 1997 (traduction anglaise 2004). Voir également son chapitre « Das Umweltproblem im 21. Jahrhundert » dans l’ouvrage collectif Nachhaltigkeit in der Okologie, 2001.
  • [11]
    Le Capital, Livre I, Section IV, chapitre 15. Une des seules fois (sinon l’unique) où Marx fait référence à la destruction de la nature.
  • [12]
    « Will Big Business Save the Earth ? », The New York Times, 5 décembre 2009.
  • [13]
    Et ce, même lorsque quelques centaines de millions de dollars investis en Nouvelle Orléans auraient évité un désastre dont les réparations se chiffrent à plusieurs milliards de dollars.
  • [14]
    Pour être plus exhaustif sur les causes de l’aveuglement, notons que l’extrême division du travail, le cloisonnement des sphères scientifiques et leur hyperspécialisation ne permettent guère de nous représenter les conséquences globales de nos actions – d’autant moins que pour appréhender cette situation, nous utilisons les outils conceptuels complètement dépassés de la société industrielle.
  • [15]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 320.
  • [16]
    Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 324.
  • [17]
    Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, éd. Pocket, [1969] 1994, p. 220.
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