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Article de revue

Pourquoi tant de cyclistes aux Pays-Bas ?

Pages 10 à 15

Notes

  • [1]
    European Commission, EU Energy & Transport in Figures, Statistical Pocketbook, 2000 et 2002. Cette statistique un peu ancienne n’a pas été renouvelée à ce jour.
  • [2]
    Suite à un procès, elle est contrainte de changer de nom et s’appelle depuis le Fietsersbond.

1Les Pays-Bas, tout le monde le sait, est le « pays du vélo ». La part modale de la bicyclette en pourcentage du nombre de déplacements y est de 27%, loin devant le Danemark (18%), l’Allemagne (10%), la France (3%) ou le Royaume-Uni (2%) [1]. Dans certaines villes, la part modale dépasse même les 30%, comme à Delft, Leyde ou Groningue. Comment expliquer un tel engouement pour la bicyclette ? Telle est la question que nous voudrions traiter dans cet article. Les réponses habituelles sont connues : la bicyclette ferait partie de la culture néerlandaise ; les Bataves auraient toujours fait massivement du vélo ; dans un pays plat, rien ne serait plus facile …

2Hélas, toutes ces réponses sont fausses ou à nuancer fortement. Dans un ouvrage monumental sur la culture néerlandaise en 5 tomes, dont le 4e de 580 pages traite du XXe siècle, l’usage du vélo utilitaire est totalement ignoré, bien que la question du transport y soit bel et bien traitée (Schuyt et Taverne, 2004). Ensuite, la pratique de la bicyclette s’est effondrée au cours des années 1950 et 1960, divisée globalement par 2,7 entre 1950 et 1978 (Pucher et Buehler, 2008), avec une chute encore plus forte dans certaines villes, comme Amsterdam où elle a été divisée par 3,5 (Albert de la Bruheze et Veraart, 1999). Enfin, si le pays est certes plat, il est également venteux et affronter un vent de face est aussi pénible pour un cycliste que de gravir une côte, surtout sur un vélo hollandais où la posture très droite offre beaucoup de prise au vent.

3Si l’on tient à traiter sérieusement la question, il va falloir revenir aux origines du vélo aux Pays-Bas, puis repérer les principales étapes qui émaillent l’histoire du rapport des Néerlandais à ce mode de déplacement. Concrètement, nous proposerons une synthèse de divers travaux méconnus, relativement récents.

Fin du XIXe siècle : le vélo comme retour aux valeurs de l’Âge d’or

4Le vélo moderne est techniquement au point en 1891, avec la dernière invention majeure, celle du pneu et de la chambre à air. Dès lors, il connaît un extraordinaire essor limité seulement par les difficultés de son apprentissage, par son coût encore élevé mais qui ne cesse de décroître et par le mauvais revêtement des routes.

5En France et en Allemagne, le « véloce » représente avant tout la vitesse. Les courses se multiplient jusqu’au premier Tour de France en 1903 qui consacre, dans ce pays, le vélo comme un mode de déplacement à la fois rapide et capable de parcourir tout le territoire. En 1881, l’Union vélocipédique de France (UVF) est créée pour regrouper les nombreux clubs existants un peu partout. Mais elle s’occupe surtout d’organiser les courses. En 1890, les cyclistes qui préfèrent les voyages lancent le Touring club de France (TCF) dont le but est de diffuser la culture du vélo et de faciliter les voyages à bicyclette.

6Aux Pays-Bas, le vélo-découverte est d’emblée plébiscité. Créée en 1883, l’Association générale néerlandaise des cyclistes (ANWB) est aux mains des libéraux progressistes et préfère promouvoir le tourisme à bicyclette plutôt que les courses cyclistes (Ebert, 2004). Face à une Allemagne unifiée par Bismarck depuis 1870, puis au pangermanisme, les Néerlandais inquiets cherchent à promouvoir leur nation et trouvent dans le vélo à la fois un moyen de découverte du pays accessible à tous et un retour aux valeurs de l’Âge d’or, quand les Provinces-Unies dominaient le monde économique, culturel et artistique européen au XVIIe siècle : force, équilibre, maîtrise de soi, liberté et indépendance. Le vélo est assimilé au patinage, une pratique ancestrale dans ce pays.

7En utilisant la bicyclette, la famille royale, pourtant richissime, trouve très tôt dans ce mode de déplacement, le moyen de s’afficher comme étant « proche du peuple ». Comme une bonne partie de l’aristocratie de l’époque, la reine Wilhelmine s’entiche du vélo dès son adolescence (elle est née en 1880 et régna de 1898 à 1848). Lors de son passage à Paris en avril 1998, la jeune future reine est surnommée par les gazettes « la petite reine », reprenant une expression parue pour la première fois dans le livre à succès du journaliste français Pierre Giffard La Reine bicyclette, paru en 1891 (l’expression a connu depuis lors le succès que l’on sait). Sa fille Juliana, lors de son mariage en 1936, effectue, à l’issue de la cérémonie, un tour à vélo avec son mari dans La Haye (elle régna de 1948 à 1980). On parle même alors de « monarchie à vélo ». Sa fille Béatrix n’hésite pas non plus à enfourcher une bicyclette (elle régna de 1980 à 2013). Cet affichage contribue à donner au vélo une image « civilisée et respectable » conforme à « la tendance à l’égalitarisme dans la vie politique et la société néerlandaises » (Stoffers, 2012, p. 107).

L’investissement précoce dans les aménagements cyclables

8Dès la fin du XIXe siècle, à la demande des associations de cyclistes, les pays les plus riches d’Europe construisent les premiers aménagements cyclables, pour favoriser avant tout le tourisme. En France, le revêtement des chaussées est souvent constitué de gros pavés disjoints, arrondis ou brisés, très inconfortables, alors qu’aux Pays-Bas, il est surtout fait de gravier ou de briques nettement plus agréables pour les cyclistes. Tous réclament cependant du macadam beaucoup plus roulant (Mom, 2004, p. 77).

9Pendant la Première Guerre mondiale, les Pays-Bas restent neutres et se retrouvent isolés au milieu des belligérants, soumis au blocus de l’Allemagne par les Anglais. Privées d’essence, les automobiles restent au garage et les élites redécouvrent l’intérêt du vélo. L’influente ANWB – l’association des cyclistes néerlandais –, encore dirigée par des « membres supérieurs de la classe moyenne », obtient la réalisation accélérée de pistes cyclables touristiques, en utilisant « le symbole du vélo pour réaffirmer l’identité néerlandaise neutre, équilibrée et pondérée » (Stoffers, 2012, p. 120).

10Autre conséquence, le pays, qui importait avant guerre la plupart de ses bicyclettes, se retrouve contraint de développer sa propre industrie du cycle. Celle-ci s’organise en cartel et met au point un type de vélo à usage utilitaire : le fameux modèle hollandais noir, à col-de-cygne, doté d’accessoires solides et fonctionnels, fabriqué notamment par la marque Batavus, du nom de la tribu qui serait à l’origine de la nation néerlandaise (ibid., p. 109).

11Au départ, les cyclistes réclamaient partout en Europe des aménagements cyclables pour éviter les mauvais revêtements et disposer de surfaces bien plus roulantes. Dès l’essor de l’automobile, ses promoteurs, eux aussi, vont en exiger, mais pour une tout autre raison : dégager la chaussée des cyclistes qui l’encombrent. L’idée est avancée dès le premier Congrès international de la route qui se tient à Paris en 1908. En 1920, l’équivalent néerlandais de ce congrès constate que « la construction de pistes cyclables le long des grandes voiries soulage la circulation d’un élément extrêmement ennuyeux : le cycliste » (Welleman, 1999, p. 22).

12En 1924, une autre circonstance contribue à accélérer la réalisation d’aménagements cyclables. Pour combler un fort déficit public et financer le réseau routier, la taxe sur les vélos, qui avait été supprimée en 1919, est réintroduite au taux de 3 guilders par bicyclette (sachant qu’un vélo ordinaire coûte environ 60 guilders). Face aux protestations de l’ANWB, qui considère que cette taxe frappe surtout les plus pauvres, le gouvernement fait quelques concessions et finit par admettre que les routes nouvelles ou refaites doivent être flanquées de pistes cyclables, dans l’intérêt bien compris des cyclistes comme des automobilistes. Au total, en 1938, le pays compte 2675 km de pistes cyclables, dont 37% hors des principales routes et 63% le long des principales routes (le réseau routier comptant 6120 km) (Stoffers, 2012, p. 130).

13L’Allemagne, quant à elle, n’en possède que 11 000 km (soit presque deux fois moins par habitant) et la France 1200 km (soit presque dix fois moins) car elle bénéficie d’un immense réseau de petites routes secondaires qu’elle a cependant bien du mal à entretenir. C’est pourquoi, le TCF n’a jamais réussi à convaincre les autorités d’utiliser la taxe sur les vélocipèdes pour la construction de pistes cyclables. Loin d’être une simple question technique à traiter, la création d’aménagements cyclables comporte une forte dimension politique (Ebert, 2012).

14En 1928, une statistique sur le taux de possession des vélos dans divers pays développés indique que les Pays-Bas sont désormais en tête (avec 308 vélos pour 1000 habitants) suivis de la Suède (256), du Danemark (211) et de la Belgique (196), puis, plus loin, de l’Allemagne (172), de la France (167) et de l’Angleterre (141) (Welleman, 1999, p. 19). En tenant compte du relief, les écarts sont finalement encore assez minimes, bien moindres en tout cas qu’aujourd’hui.

Le retard de motorisation des années 1930-1950

15Alors que la France est le berceau de l’automobile, les Pays-Bas (comme le Danemark et d’autres petits pays par la population) n’ont pas d’industrie automobile, du moins jusqu’en 1958 où le constructeur néerlandais de camions et d’autocars Daf se lance dans la production de petites voitures. Après la Seconde Guerre mondiale, quand l’Europe s’engage enfin dans une motorisation massive, cette particularité du marché automobile va suffire à retarder l’effondrement de la pratique du vélo, comparativement à la France ou à l’Allemagne, sans pour autant l’empêcher. La forte densité du pays a aussi contribué à rendre moins urgente l’adaptation des villes et du pays à l’automobile (Mom, 2007).

16Résultat, en une génération, entre 1950 et le milieu des années 1970, la pratique de la bicyclette est certes divisée par 2,7 au Pays-Bas, avons-nous vu en introduction, mais par 6 au Royaume-Uni (selon les données du ministère des Transports britannique), sans doute tout autant en France et un peu moins en Allemagne (mais on ne dispose pas dans ces deux pays de statistiques pour l’affirmer avec certitude). Au Royaume-Uni, la pratique est en chute libre dès 1952, mais aux Pays-Bas ce n’est vraiment le cas qu’à partir de 1965, au moment où le pays est en plein boom économique – avec notamment l’exploitation du gaz de Groningue – et comble son retard d’équipement automobile et routier (Schuyt et Taverne, 2004, p. 256). Si Rotterdam est encore aujourd’hui la ville la moins cycliste des Pays-Bas, c’est parce ce qu’elle est la première ville du pays à avoir été adaptée à l’automobile, premier port d’Europe oblige (ibid., p. 151).

17Au moins deux autres facteurs ont joué un important rôle dans la moindre chute du vélo qu’ailleurs. Les Pays-Bas ne disposent pas de réseaux de transports publics aussi développés que la France ou surtout l’Allemagne, aussi la population la plus pauvre continue plus qu’ailleurs à se déplacer à vélo. Comme l’Allemagne cette fois, mais au contraire de la France, ils encadrent également beaucoup plus strictement l’usage des cyclomoteurs qui ne sont autorisés qu’à partir de 16 ans et dont la vitesse est vraiment bridée.

Les années 1970 et la révolte contre le tout-automobile

18Face à l’envahissement brutal de l’automobile, la population se réveille. Dans l’effervescence des années 1960 en pleine mutation économique, sociale et culturelle, divers mouvements de contestation de la société de consommation apparaissent. À Amsterdam, en 1965, les activistes contestataires et libertaires du mouvement « Provo » défraient la chronique. Parmi leurs nombreux « plans blancs » souvent farfelus et ludiques, ils imaginent de supprimer la circulation automobile et de fournir à tous gratuitement des bicyclettes blanches publiques, des sortes de Vélib’ avant l’heure. Les quelques vélos distribués disparaissent vite, mais l’idée d’oser limiter la circulation automobile germe dans les consciences (Pas, 2005). À la fin des années 1960, le mouvement du flower power, né en Californie, atteint les Pays-Bas : des habitants décident de reconquérir les rues en installant des bacs à fleurs, des bancs et des aires de jeu sur la chaussée. En 1970, la première cour urbaine (woonerf) est expérimentée à Delft par de jeunes urbanistes, à la demande des habitants. La même année, face à la montée des accidents de la circulation, l’association Stop de Kindermoord (halte au meurtre des enfants) est créée, en reprenant le titre d’un article au vitriol du célèbre journaliste Vic Langenhoff dont le fils vient d’être tué. Ses manifestations connaissent un grand retentisse ment (Cavenett, 2011).

19Fin 1973, la crise de l’énergie aboutit au quadruplement des prix du pétrole et fait soudain prendre conscience à l’opinion de la nécessité de développer les modes alternatifs à l’automobile. Les Pays-Bas, ami fidèle d’Israël, sont mis sous embargo pétrolier par les pays arabes. Comme dans quelques autres pays – la Belgique, la Suisse, l’Allemagne mais pas la France – des dimanches sans voitures sont organisés à la hâte et font la joie des cyclistes.

20Dans ce contexte, les cyclistes s’organisent et créent l’ENWB (littéralement « la seule, unique et réelle association néerlandaise des cyclistes ») pour parodier l’ANWB devenue trop pro automobile [2]. Les manifestations de cyclistes se multiplient. Le 4 juin 1977, dans le cadre d’une journée mondiale du vélo, 9000 cyclistes défilent dans Amsterdam (gros succès aussi à Berlin et à Copenhague). Les participants demandent « l’interruption immédiate de la cons truction de parkings en ville et l’obligation de garer les autos en périphérie, plus d’importance accordée aux transports publics, une meilleure infrastructure cycliste » et « le comité exige la vitesse limitée à 20 km/h en zone urbaine » (Duizer, 2005). Dès le départ, les revendications ne sont pas limitées aux aménagements cyclables. Deux ans plus tard, le mouvement s’allie à d’autres associations pour lancer une campagne de réduction des limites de vitesse de circulation en ville (« 50 c’est trop ») et obtenir la généralisation des premières « zones 30 ».

21Partout en Europe de l’Ouest, la pratique de la bicyclette remonte de 10 à 30%, y compris en France. Après 25 ans de déclin rapide, c’est un événement. Dans certains pays, et tout particulièrement aux Pays-Bas, les autorités accèdent aux demandes de la population : se lancent dans la modération de la circulation automobile et relancent les aménagements cyclables. Dès 1974, le gouvernement décide, de financer à 100% deux « villes pilotes » – Tilburg et La Haye – pour démontrer la faisabilité de villes plus accueillantes aux vélos, avec création d’axes prioritaires permettant aux cyclistes d’accéder à la ville et de la traverser en toute sécurité (Lambert et Tachet, 1977). À Tilburg (170 000 habitants), les résultats sont très encourageants, plus mitigés à La Haye, grande ville de 500 000 habitants où la situation est plus complexe.

22Dans les villes nouvelles d’Almere et de Lelystad, les pouvoirs publics mettent au point un nouvel équilibre entre « ségrégation » et « intégration » des cyclistes dans le trafic. Sur les grands axes, la ségrégation est de rigueur avec l’aménagement de pistes ou bandes cyclables, alors qu’au cœur des quartiers l’intégration – la cohabitation dit-on plutôt aujourd’hui – est jugée suffisante à condition de limiter la vitesse des véhicules à 30 km/h par des aménagements de voirie, ce qui permet d’éviter la construction d’aménagements cyclables. Tous les 500 mètres, des passerelles passent au-dessus des voies rapides (Millérioux, 1977).

23Dès cette époque, d’autres innovations voient le jour. Les « contresens cyclables » dans les rues à sens unique se révèlent très sûrs parce que cyclistes et automobilistes se voient en se croisant, aussi sont-ils généralisés à tout le pays dès la fin des années 1970. De même, l’ouverture des couloirs de bus aux vélos ne pose guère de difficultés aux conducteurs de bus tout en sécurisant fort bien les cyclistes. Les sas aux carrefours sont eux aussi simples à réaliser et rendent plus visibles les cyclistes, surtout ceux qui veulent tourner à gauche. L’autorisation du tourne-à-droite au feu rouge est obtenue plus tard, en 1991.

24Toutes ces initiatives portent leurs fruits. La pratique de la bicyclette est globalement confortée dans le pays, en remontant de 35% entre 1978 et 2005 (figure 1). Dans une ville comme Amsterdam, la pratique passe de 2% de part modale en 1988 à 28% en 2006, soit + 33% en 18 ans (Ligtermoet, 2009, p. 73).

Figure 1

Évolution de la pratique de la bicyclette et du risque d’être tué à vélo, depuis 1950, aux Pays-Bas

Figure 1

Évolution de la pratique de la bicyclette et du risque d’être tué à vélo, depuis 1950, aux Pays-Bas

Source : Netherlands Ministry of Transport, 2007, cité par Pucher et Buehler, 2008. NB : pour pouvoir comparer les deux courbes, l’échelle de gauche ne commence pas à zéro.

Les facteurs expliquant le rôle pionnier joué par les Pays-Bas

25Les contraintes géographiques et la densité urbaine limitent d’abord fortement l’étalement urbain et compliquent la réalisation des routes. La nature sableuse et tourbeuse des terrains oblige à refaire régulièrement les chaussées qui s’affaissent, ce qui permet une évolution plus rapide des aménagements. Pour faciliter cette réfection, les rues sont le plus souvent pavées de briques, avec un traitement différencié selon les vitesses autorisées. Par exemple à Utrecht, les voies limitées à 30 km/h ou moins sont en briques rouges et les chaussées limitées à 50 km/h ou plus sont asphaltées. L’espace devient très lisible.

26Autre facteur clé : l’ancienneté de l’urbanisation. En 1650, la moitié des deux millions d’habitants des Provinces Unies vivait déjà dans les villes. Cette culture urbaine imprègne toute la société. Les maisons basses sont accolées et donnent de plain-pied dans la rue. Le pas-de-porte (le stoep) fait quasiment partie de la maison. Les habitants se sont depuis longtemps approprié les espaces publics qui sont, en fait, semi-privés : woonerf signifie d’ailleurs littéralement « cour d’habitation ». Ils considèrent que les enfants doivent pouvoir jouer dans la rue et l’absence de rideaux aux fenêtres permet de les surveiller (figure 2). Ils ont le droit de cultiver au bord de leur maison, sur le trottoir, une étroite bande de terre pour des fleurs ou quelques plantes grimpantes. On comprend mieux pourquoi les réactions sont si vives, lorsque l’automobile menace cet art de vivre et la sécurité des enfants (Loiseau, 2005).

Figure 2

La rue Gerard Doustraat dans le quartier populaire De Pijp à Amsterdam

Figure 2

La rue Gerard Doustraat dans le quartier populaire De Pijp à Amsterdam

En 1972, à gauche, aucune plantation, pas de vélos et que des voitures dans les rues. Aujourd’hui, à droite, des bâtiments rénovés, des arbres, des jardinières, de nombreux parkings vélos, un stationnement et une circulation automobile limités.

27Enfin, de nombreuses villes sont de taille moyenne, peu équipées en transports publics, avec des distances propices au vélo. Les distances domicile-travail sont, en particulier, assez réduites et, quand ce n’est pas le cas, la densité du réseau ferroviaire facilite la complémentarité « vélo + train ».

Les années 1990-2000 et la prise de conscience de la spécificité néerlandaise

28Ce n’est finalement qu’à partir des années 1990 que les Néerlandais prennent peu à peu conscience de leur spécificité de « pays du vélo ». En 1990, le premier Masterplan Fiets (plan national vélo) fixe des objectifs ambitieux en matière de développement de l’usage de la bicyclette, d’intermodalité vélo-transports collectifs, de réduction de l’insécurité routière et de diminution du risque de vol. Un guide des aménagements cyclables est réalisé (CROW, 1993), puis un guide du stationnement notamment près des gares (CROW, 1997). Un système de taxe très élaboré, adopté en 1995, permet de rembourser les déplacements professionnels réalisés à vélo et une partie des frais des déplacements domicile travail à vélo ou d’achat d’une bicyclette utilisée à cette fin. Un bilan rigoureux est effectué en 1998 et un deuxième plan suit.

29Dès le début des années 1990, les exigences des cyclistes urbains ne portent plus sur la modération de la circulation ou sur la création de nouveaux aménagements cyclables déjà largement acquises, mais sur la réduction du nombre d’arrêts imposés aux cyclistes (suppression des carrefours à feux, création de passages dénivelés, rectification du profil en long …) et sur la qualité de roulement des chaussées (amélioration du revêtement, meilleur éclairage, nettoyage régulier, traitement de la neige et du verglas …). Pour évaluer tous ces aspects et les progrès accomplis, l’Association néerlandaise des cyclistes urbains, le Fietsersbond, met au point, en 2000, une méthode – appelée Fietsbalans – qu’il applique à 150 municipalités, en la renouvelant depuis lors sur une quarantaine. Il utilise à cette fin un vélo bardé de capteurs pour parcourir les aménagements. Dans le même ordre d’idées, une première « autoroute pour vélo » de 7 km est construite entre Breda et Etten-Leur, en 1998 (Fietsberaad, 2009). Le succès aidant, d’autres aménagements du même type sont réalisés ici ou là. Puis, en 2009, le gouvernement néerlandais débloque un budget de 25 millions d’euros pour la construction d’un réseau de fietssnelwegen (pistes cyclables rapides) destiné à rejoindre les principales villes (figure 3).

Figure 3

Le projet de réseau de pistes cyclables rapides aux Pays-Bas

Figure 3

Le projet de réseau de pistes cyclables rapides aux Pays-Bas

En rouge : pistes existantes.
En bleu : pistes en construction.
En vert : pistes en projet.
figure im4
Piétons sur leur trottoir, piste cyclable et site propre pour transports collectifs : une rue sans voiture à Amsterdam.
(photo F. Beaucire)
figure im5
Train, vélo et bateau, devant la gare centrale d’Amsterdam.
(photo F. Beaucire)

30En 2011, toute l’expertise du pays dans le domaine du vélo (consultants, ingénieurs, chercheurs, industriels, décideurs et associations) fonde un unique réseau – la Dutch Cycling Embassy – qui vend désormais son savoir-faire à l’étranger, comme une marque à l’export (Carstensen et Ebert, 2012).

31Si les Pays-Bas sont devenus le pays le plus cycliste d’Europe, ils le doivent, non pas à quelque déterminisme géographique ou culturel, mais à un savant mélange de circonstances fortuites et variées que les autorités comme les techniciens et les associations ont su saisir au bon moment, non sans quelques revers liés à la concurrence des autres modes de déplacement et principalement de l’automobile.

Références

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  • Carstensen Trine Agervig, Ebert Anne-Katrin, 2012. Cycling Cultures in Northern Europe : From ‘Golden Age’ to ‘Renaissance’. In John Parkin (ed.), Cycling and Sustainability. Bingley : Emerald, pp. 23-58.
  • Cavenett Mike, 2011. Dutch campaigners explain why The Netherlands is now so cycle-friendly. London Cyclist magazine.
  • CROW (ed.), 1997. Bicycle Parking in the Netherlands. Recent experiences of bicycle parking policies in the framework of the Masterplan Bicycle, CROW. 47 p.
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  • Fietsberaad, 2009. Le vélo aux Pays-Bas, La Haye : Ministerie van Verkeer en Waterstaat. 77 p.
  • Ligtermoet Dirk, 2009. Bicycle policies of the European principals : continuous ant integral, Fietsberaad Publication number 7. 120 p.
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Date de mise en ligne : 01/06/2019

https://doi.org/10.3917/turb.126.0010

Notes

  • [1]
    European Commission, EU Energy & Transport in Figures, Statistical Pocketbook, 2000 et 2002. Cette statistique un peu ancienne n’a pas été renouvelée à ce jour.
  • [2]
    Suite à un procès, elle est contrainte de changer de nom et s’appelle depuis le Fietsersbond.

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