1L’ADTT (Association pour le Développement du Transport collectif en Touraine), créée par Jean-Claude Oesinger et affiliée à la FNAUT, a milité pendant plus de trente ans pour le retour du tramway-fer à Tours. Contre vents et marées, elle a poursuivi ce combat – le terme n’est pas trop fort – avec les municipalités successives (Jean Royer d’abord, puis Jean Germain) qui furent longtemps peu réceptives à ses propositions.
2Son argumentation reposait sur deux éléments spécifiques à l’agglomération tourangelle :
- la présence d’un axe lourd de transports collectifs (bus) Nord-Sud, engorgé, saturé, nécessitant un moyen de transport plus capacitaire et pouvant soulager la voirie d’une circulation automobile pléthorique (fig. 1)
- l’exceptionnelle présence d’une étoile ferroviaire (à 7 branches utilisables, la 8e étant parcourue par des TGV) permettant plus tard une interpénétration tram/voie ferrée et une exploitation de type tram/train, élargissant ainsi la desserte fer à la proche périphérie.
Trafic des bus en voyageurs/heure de pointe en 1989 à Tours
Trafic des bus en voyageurs/heure de pointe en 1989 à Tours
3Nous avions exposé cette situation et présenté des propositions, il y a exactement vingt ans, dans Transports Urbains n°85 (octobre-décembre 1994) dans un article intitulé : « Le TVR à Tours : une chance perdue ? » (pp. 7-16). Rappelons que TVR signifiait Transport sur Voie Réservée, appellation qui ne précisait pas le mode et permettait le choix entre véhicule routier et ferroviaire, ce sigle étant bientôt remplacé par TCSP (Transport Collectif en Site Propre), toujours aussi peu précis. À l’époque, le tramway-fer n’avait pas encore acquis ses lettres de noblesse et l’on cultivait le flou pour ne blesser personne et ne pas figer l’avenir.
4Ces hésitations se retrouvent à Tours où l’on tarde à choisir le mode de véhicule et à décider de son implantation. Mais finalement, l’agglomération vote un projet de tramway sur rails et la DUP est obtenue en juillet 2010 malgré des recours multiples. Le 31 août 2013, 19 ans après l’abandon du TVR par Jean Royer, une ligne de 15 km est donc inaugurée. Dénommée Ligne A, elle relie le Nord de la ville à Joué-les-Tours, commune mitoyenne au Sud et 2e ville d’Indre et Loire par sa population (37 000 habitants). Pour l’ADTT, c’est enfin une victoire.
5Mais l’association estime que l’on ne doit pas en rester là, que l’on a suffisamment perdu de temps et qu’il faut penser sans tarder à un développement du réseau. Ce sont ses propositions, ou plus simplement ses suggestions, que nous présentons ci-dessous, aucune d’entre elles n’étant pour le moment avalisée par la communauté d’agglomération, et le changement politique intervenu aux élections municipales pouvant faire craindre une certaine stagnation dans le développement d’un réseau Tramway.
L’ADTT suggère des extensions du tram
6Dans un souci d’équilibrage de la desserte par tramway entre les différents pôles et quartiers tourangeaux et pour amorcer un maillage du réseau tram/bus, l’ADTT a tout simplement repris les idées d’une desserte « en croix » du périmètre urbain, idées déjà contenues dans le projet TVR abandonné en 1994.
1 – Créer une ligne A2 vers le CHU Trousseau (Chambray-les-Tours) via les Fontaines et le campus de Grandmont
7Cette ligne figurait dans le projet TVR de 1991 comme antenne sud-est de la ligne principale Nord-Sud, qui avait ainsi la forme d’un Y renversé. Dans son schéma de principe, le SITCAT (Syndicat Intercommunal des Transports en Commun de l’Agglomération Tourangelle) prévoyait en 2007 une liaison un peu différente allant de Saint-Pierre-des-Corps à Chambray (CHU Hôpital Trousseau) via le centre-ville de Tours, sans tronc commun (Fig. 2, tracé en vert). La ligne 1 (en rouge sur la carte) était confirmée : elle fera finalement 15 km, après décision de son extension au Nord jusqu’au Lycée Vaucanson. C’est celle qui fonctionne aujourd’hui (ligne appelée A).
Le réseau de tram tel que prévu en 2007 avant le début des travaux
Le réseau de tram tel que prévu en 2007 avant le début des travaux
8Mais dès l’ouverture de la première ligne et avant les élections municipales de 2014, d’autres appétits se sont révélés dans la première couronne urbaine et le tracé de cette ligne 2 était loin de faire consensus. Aussi fut-il décidé de ne rien projeter avant les élections. Il fallait aussi « digérer ce tramway » qui fut si long à être réalisé et accepté. Cela semble aujourd’hui chose faite et les élus auraient mauvaise grâce à ne pas reconnaître le succès du tramway et la transformation urbaine qu’il a induite (voir les articles précédents). Cependant, la situation demeure actuellement gelée, du fait des changements politiques intervenus (plusieurs communes de l’agglomération, dont Tours, ont été reprises aux socialistes par la droite en mars 2014) et de la crise affectant les financements des transports urbains.
9Cette ligne A2, simple antenne sud-est de la ligne A existante, desservant le Centre aquatique du Lac puis, immédiatement au Sud, le quartier des Fontaines relativement enclavé, atteindrait ensuite un des campus universitaires de Tours, le parc de Grandmont pour terminer sa course au CHU Trousseau, un des pôles majeurs de l’emploi dans l’agglomération, sur la commune de Chambray-les-Tours. L’ADTT estime que cette branche aurait un grand bassin de clientèle et viendrait renforcer la pertinence de la ligne A actuelle.
2 – Les avantages d’une ligne B - Est-Ouest- offrant une exceptionnelle interconnexion en centre-ville (gare de Tours)
10La seconde ligne de tramway devrait logiquement réaliser une liaison Est Ouest, comme le préconisait l’étude TVR des années 1990, assurant une desserte « en croix » de l’espace urbain en passant par le Centre-Ville. Elle relierait une commune périphérique, autrefois spécialisée dans le maraîchage, La Riche, en nette croissance démographique (7838 habitants en 1990, 10 089 en 2011) à Saint-Pierre-des-Corps, 4e ville du département (inversement en décroissance démographique depuis 1982) comptant 15 260 habitants en 2011.
11Affectée par la déprise industrielle et la réduction d’activité de son gros triage ferroviaire, Saint-Pierre n’en demeure pas moins un pôle de transports majeur (gare TGV accueillant en 2013 plus de 12 000 voyageurs quotidiens) ; la ville abrite un technicentre SNCF (1200 emplois) assurant la réparation des rames de chemin de fer, notamment du matériel francilien ; c’est aussi un lieu d’implantation récent de bureaux et services, du fait de ses disponibilités foncières aux portes de Tours et des facilités de mobilité qu’elle offre. Longtemps marquée par un habitat modeste et populaire, elle est aujourd’hui recherchée par les classes moyennes qui y trouvent des loyers et des prix immobiliers plus intéressants que dans la ville de Tours mitoyenne. S’il s’avérait que La Riche n’offre pas un potentiel d’usagers suffisants pour une ligne de tramway, celle-ci pourrait débuter un peu plus à l’Est sur le territoire communal de Tours au CHU Bretonneau, gros pourvoyeur de trafic.
12L’avantage de cette ligne Est-Ouest serait d’offrir au cœur de Tours, sur la place du Général-Leclerc, face à la gare de Tours Centre, une exceptionnelle plaque tournante, assurant une connexion avec Tours Nord, La Riche à l’Ouest, Saint-Pierre-des-Corps à l’Est ; Joué-lès-Tours au Sud-Ouest et les communes de Chambray et Saint-Avertin au Sud-Est, une fois la branche A2 réalisée. En y ajoutant les correspondances avec les lignes de bus urbains, les lignes départementales d’autocars qui y ont leur terminus, la gare SNCF, la principale station de taxis de la ville, le futur pôle vélo prévu, on obtiendrait un pôle intermodal remarquable (voir fig. 3).
Un pôle d’interconnexion tramway possible face à la gare de Tours
Un pôle d’interconnexion tramway possible face à la gare de Tours
3 – Réaliser une combinaison des futures lignes A2 et B ?
13Certaines voix se sont élevées pour envisager de combiner la branche A2 avec une ligne B allant de l’Ouest (La Riche) ou plus simplement du CHU Trousseau (autre gros hôpital public et siège de la Faculté de Médecine) vers l’Est, c’est-à-dire vers Saint-Pierre-des-Corps, et se dirigeant ensuite vers le Sud pour rejoindre le CHU Trousseau à Chambray. Cette ligne B+A2 mettrait en liaison les deux gros CHU de l’agglomération, desservirait les gares TGV de Tours Centre et Saint-Pierre-des Corps, ouvrirait vers le Sud la ville de Saint-Pierre, quelque peu bloquée par le large faisceau des voies ferrées qui la borde, irriguerait un gros quartier d’habitat social à population au niveau de vie très modeste (La Rabaterie) comme le fait maintenant la ligne A pour des quartiers similaires à Tours (Sanitas) et Joué-les-Tours, classés comme La Rabaterie en Zones Urbaines Sensibles (ZUS).
14Au nom d’une réelle justice sociospatiale, la ville de Saint-Pierre insiste sur cet équilibre nécessaire dans les dessertes de quartiers d’habitat modeste. Il faut reconnaître qu’à Tours (quartier Sanitas) comme à Joué (quartier de la Rabière), l’image tout comme l’environnement de ces deux quartiers réputés « difficiles » ont été singulièrement améliorés par le passage du tramway. Pourquoi Saint-Pierre-des-Corps ne bénéficierait-elle pas du même avantage ?
15Nous avons fait figurer cette variante B + A2 sur la carte présentant ci-après la ligne B et les points de raccordements possibles entre voies du tramway et lignes SNCF (fig. 4).
Suggestions ADTT pour l’extension des lignes de tramway et possibilités d’interconnexion (interpénétration) tramway/lignes SNCF
Suggestions ADTT pour l’extension des lignes de tramway et possibilités d’interconnexion (interpénétration) tramway/lignes SNCF
L’ADTT prône la sauvegarde des emprises pour de futures éventuelles interpénétrations entre tram et réseau SNCF
16Dans un avenir plus lointain, il pourrait advenir que l’on exploite enfin l’étoile ferroviaire tourangelle en la combinant avec le réseau de tramway. Nous avions déjà suggéré dans le n°85 de Transports Urbains (1994) des points d’interpénétration entre les deux réseaux. Avec le recul, il apparaît que ces points ne pourraient guère être plus de trois : au Sud de la gare de Tours, Boulevard Winston Churchill, près de la gare de Joué. Éventuellement, une connexion supplémentaire pourrait être réalisée à la halte ferroviaire de La Douzillière proche du terminus Jean Monnet du tramway. On pourrait ajouter un 5e point de contact, mais qui serait une simple correspondance dénivelée entre tram et voies SNCF à l’arrêt Verdun de la ligne A du tramway. Cet aménagement a d’ailleurs fait l’objet d’une réserve foncière et pourrait être un des premiers mis en place.
17Si l’on devait réaliser ces interconnexions, il faudrait d’urgence réserver des emprises afin d’éviter que des constructions ou des développements routiers ne viennent interdire leur réalisation. Et ceci, quel que soit l’horizon temporel de ces aménagements.
18Bien évidemment, ces prolongements du réseau tramway sur voies ferrées ne gagneraient que des destinations proches situées à une vingtaine de km au maximum du centre de Tours, une sorte de 2e couronne à l’intérieur du périurbain. Du Nord au Sud et à l’Est, les terminus pourraient être Monnaie, Saint-Antoine-du-Rocher, Langeais, Azay-le-Rideau, Cormery, Bléré - La-Croix, Amboise. Seraient prioritaires les rac-cordements avec des lignes électrifiées desservant par ailleurs de petites villes ou des bourgs notables, à savoir les axes Tours Langeais, Tours Bléré et Tours Amboise. La liaison vers Monnaie, au Nord, utilisant une voie unique non électrifiée, ne serait envisageable qu’à plus lointaine échéance.
19Nous avions déjà esquissé cette desserte périurbaine dans Transports Urbains n°119 (novembre 2011) dans un bref article « Un tram-train en Touraine : cas d’école ou utopie ? » pp. 27-29. Ce titre interrogatif laisse entendre que toutes les conditions ne sont pas réunies pour justifier une desserte de type tram-train. Si l’étoile ferroviaire de Tours offre des conditions remarquables pour un accès aux espaces périurbains en lançant des rameaux dans 7 voire 8 directions différentes, d’autres caractéristiques de ce territoire tourangeau viennent tempérer nos ambitions :
- un faible bassin de population : l’aire urbaine de Tours ne dépasse guère 400 000 habitants,
- une zone périphérique à l’habitat peu dense, largement pavillonnaire, donc peu propice à une desserte par transports collectifs, même si l’on multipliait les parkings-relais autour des gares,
- une localisation des gares, héritée du passé, et parfois inadaptée aux concentrations actuelles de population, nécessitant des déplacements ou des créations de stations,
- le projet de la communauté d’agglomération, renouvelée politiquement, de reprendre le projet de « bouclage » du périphérique routier, malgré son coût exorbitant (100 M€ le km), en le déployant au Nord et à l’Est,
- la nécessité de fabriquer un véhicule tram-train au gabarit de 2,40 m, gabarit du tramway urbain actuel, et hybride (carburant + électricité) pour circuler sur les axes non électrifiés.
20Quoi qu’il en soit, nous proposons un schéma de ces extensions possibles du tramway en périphérie, afin de permettre au lecteur de visualiser et localiser ces aménagements potentiels (fig. 5).
Une desserte de la Touraine, toutes directions, par un tram-train potentiel
Une desserte de la Touraine, toutes directions, par un tram-train potentiel
21Même si ce passage au tram-train ne saurait se faire dans un avenir proche, il faut sauvegarder les points de raccordement, ne serait-ce que pour familiariser les élus avec ce système d’interpénétration des voies ferrées urbaines et périurbaines qui leur est grandement étranger, mais aussi pour ne pas obérer l’avenir.
Conclusion : quelles autres solutions pour renforcer le réseau de transports collectifs tourangeau ?
22Pendant la campagne des élections municipales de 2014, des propositions assez fantaisistes ont surgi comme l’établissement d’un transport par télécabines pour le franchissement de la Loire ou pour la jonction entre Tours et Saint-Pierre-des-Corps. On sait combien ce mode de transport revient à la mode pour des liaisons intra-urbaines, mais il ne semble pas adapté au cas tourangeau, les dénivellations étant ici minimes et le tissu urbain peu apte à recevoir pylônes et embarcadères.
23Plus sérieusement, la CFDT Cheminots du Centre a proposé après une étude fouillée sur le terrain, d’utiliser une emprise encore libre à l’Est de la gare de Tours-Centre et au Nord du faisceau de voies ferrées de Saint-Pierre-des-Corps et d’y installer une voie dédiée à une liaison spécifique entre les deux gares de l’agglomération.
24Rappelons que le système des navettes ferroviaires entre ces deux gares a été presque totalement supprimé et remplacé par des correspondances, plus ou moins longues, établies à Saint-Pierre en utilisant des trains effectuant d’autres missions. Le but officiel de cette opération était de désengorger l’entrée en gare de Tours en réduisant le nombre de circulations. Il en résulte aujourd’hui un allongement des temps de voyage et un certain inconfort lié à l’attente, parfois voisine du quart d’heure, sur les quais de Saint-Pierre alors que l’on a avalé les 235 kilomètres séparant Paris de la Touraine en une heure de TGV.
25Cette liaison sur voie dédiée pourrait être exploitée par du matériel ferroviaire classique ou par un tram-train. Mais elle ne saurait, à nos yeux, remplacer la ligne de tramway B destinée à desservir, outre les deux gares via la voirie urbaine, les quartiers et centres d’activités de Saint-Pierre-des-Corps. Elle n’en demeure pas moins une réponse intéressante et peu coûteuse au problème des liaisons inter-gares.
26Est évoquée aussi la solution du BHNS pour compléter la ligne actuelle de tramway. Cette solution a d’ailleurs été adoptée pour une ligne de bus à fréquences renforcées, ligne N°2 dénommée Tempo, mise en service en même temps que le tramway en septembre 2013 et doublant la ligne A du tram sur un axe Nord-Sud via le centre-ville (voir à ce sujet l’article d’A. Thibal, p. 18). Appréciée et bien utilisée, cette ligne est cependant handicapée par le fait qu’une partie de son tracé n’utilise pas de voie réservée et est donc tributaire de la circulation automobile générale. C’est donc, pour cette raison, un « simili BHNS ».
27Pour l’ADTT, le BHNS pourrait être dans l’avenir une composante du réseau de bus, mais ne saurait remplacer en termes de capacité, confort, rapidité, absence de pollution les lignes de tramway A2 et B évoquées précédemment.
28Les idées ne manquent pas en Touraine, elles mettent souvent beaucoup de temps à se concrétiser, comme l’a montré l’exemple du tramway. Pourtant, l’indiscutable réussite de la 1re ligne de tram, l’acceptation de son insertion dans la ville après de longues oppositions « conservatrices », les transformations positives induites par cette réalisation devraient convaincre élus et décideurs de ne pas perdre du temps comme par le passé.
29Malgré la période de disette financière que traverse le transport public, il conviendrait d’étudier et décider au plus vite une extension du tramway, car, comme l’exprime le titre de notre contribution, « une ligne ne fait pas un réseau ». Et une agglomération de 300 000 habitants ne peut se contenter en matière de transports collectifs d’une simple colonne vertébrale, aussi symbolique et efficace soit-elle.