Couverture de TURB_120

Article de revue

Les tramways en Europe : une vision diachronique

Pages 3 à 8

Notes

  • [1]
    Par exemple : Jean Robert, Histoire des transports dans les villes de France, Neuilly-sur-Seine, 1974.
  • [2]
    Par exemple, le chapitre 3 « Naissance et disparition des tramways parisiens » dans l’ouvrage collectif Paris et ses transports XIXe-XXe siècles (D. Larroque, M. Margairaz, P. Zembri), Éditions Recherches, 2002.
  • [3]
    Pays européens inventoriés : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse.
  • [4]
    Il s’agit d’un ordre de grandeur entaché d’une marge d’incertitude en raison de deux facteurs : d’une part la distinction entre tramway urbain et tramway suburbain ou rural (« départemental, vicinal ») n’est ni claire ni cohérente d’un pays à l’autre, d’autre part dans certaines régions très urbanisées, comme la Ruhr, il est parfois difficile de faire la différence entre multiples exploitants ou multiples réseaux d’un ensemble urbain multipolaire.
  • [5]
    La Slovénie fait partie en 1975 de la fédération yougoslave où subsistent encore en 1975 quatre réseaux de tramways contre 11 en 1945.
  • [6]
    Il s’agit d’une courte ligne le long de la plage en exploitation saisonnière avec alimentation électrique par troisième rail à faible voltage, constituant pratiquement un manège.
  • [7]
    Peter De Baere. « Les transports publics urbains belges des origines à 1990 », Bulletin du Crédit Communal, 1995, n°4.
  • [8]
    Se reporter à l’article de Barbara Schmucki, « Fashion and technological change : tramways in Germany after 1945 », The Journal of Transport History.
  • [9]
    Cf. l’ouvrage de Rémy Allain, Morphologie urbaine, A. Colin, 2004.

1Si l’histoire du tramway en France est bien connue et a fait l’objet de nombreuses monographies de la part d’amateurs ou d’érudits passionnés et éclairés [1] et d’études de la part de chercheurs et d’universitaires [2], il n’en va pas de même à l’échelle européenne.

2Il semble bien que rares, pour ne pas dire inexistantes, sont les analyses publiées en français et consacrées à l’histoire du tramway dans l’ensemble des pays européens. C’est pour remédier partiellement à cette lacune que le présent article a été rédigé afin de donner une vue d’ensemble de l’évolution des réseaux de tramway européens depuis 1945 jusqu’à aujourd’hui [3].

Situation en 1945

3À l’issue de la Seconde Guerre mondiale en 1945, le tramway est présent dans environ [4] 500 villes européennes (cf. carte 1945). À l’exception de l’Albanie, aucun pays européen n’en est dépourvu, même si sa présence se limite à un seul réseau dans trois pays (Bulgarie, Estonie, Lituanie). Dans le cadre de ses nouvelles frontières, l’Allemagne dispose d’environ 170 réseaux de tramway, soit à elle seule le tiers des réseaux européens. La carte 1 met en évidence l’extraordinaire densité des réseaux dans la Ruhr et dans l’Allemagne rhénane, ainsi que le semis dense et régulier des réseaux dans la Saxe et la Bavière.

Carte 1

Villes européennes ayant un tramway en 1945

Carte 1

Villes européennes ayant un tramway en 1945

(cartographie de l’auteur)

4Plusieurs pays européens disposent également de plusieurs dizaines de réseaux, au premier rang desquels l’Italie et la France (environ 50 réseaux chacune) suivies du Royaume-Uni (une trentaine de réseaux), de l’Espagne (26 réseaux), de la Belgique et de la Pologne (une vingtaine de réseaux chacune). La carte 1 page suivante fait apparaître la densité élevée des réseaux en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas, pays densément peuplés et très urbanisés. Le semis des réseaux de tramway paraît assez dense et régulier dans plusieurs autres pays : France, Autriche, Hongrie. Il existe des contrastes à l’intérieur de plusieurs autres pays : entre Italie du Nord et du Sud, entre partie tchèque et slovaque de la Tchécoslovaquie, ainsi qu’à l’intérieur des nouvelles frontières de la Pologne, entre les anciens territoires allemands (Prusse orientale et Silésie) et la nouvelle moitié orientale du pays. Au Royaume-Uni, le mouvement de fermetures des réseaux de tramway a, comme en France, commencé précocement dès la fin des années 1920 et la répartition des réseaux et fort contrastée : peu de réseaux dans le sud de l’Angleterre et une forte densité dans le Nord industriel et urbain. La répartition des réseaux dans la péninsule ibérique reflète grosso modo les contrastes de peuplement et d’urbanisation.

Situation en 1975

5Trente ans après, en 1975, il ne reste plus que 180 réseaux de tramway dans les pays européens. 320 réseaux ont disparu, soit près de 2 réseaux sur 3 (carte 2) ! Outre l’Albanie, six autres pays sont totalement dépourvus de réseaux de tramway (Danemark, Grèce, Irlande, Lituanie, Luxembourg et Slovénie [5]). Dans quatre pays, les réseaux de tramway ont quasiment disparu : Royaume-Uni, Espagne, Portugal et France.

Carte 2

Villes européennes disposant d’un réseau de tramways en 1975

Carte 2

Villes européennes disposant d’un réseau de tramways en 1975

(cartographie de l’auteur)

6Le cas du Royaume-Uni retient tout d’abord l’attention. Plus d’une trentaine de réseaux ont disparu et il ne reste plus qu’un seul réseau dans la station balnéaire de Blackpool. Autant dire qu’avec le tramway saisonnier de l’île de Man et la curiosité que constitue l’unique ligne de Brighton [6], il ne reste plus que des exploitations touristiques de tramway au Royaume-Uni.

7La situation espagnole est quasiment identique. Sur les 26 villes espagnoles dotées de tramway en 1945, il n’en reste plus en 1975 que trois où le tramway est encore présent : à Barcelone et à Soller (Baléares) il s’agit d’exploitations touristiques. Quant à Saragosse, le réseau disparaît en janvier 1976 !

8En France, le tramway n’est plus présent en 1975 que dans 3 villes au lieu d’une cinquantaine en 1945. Il subsiste à titre symbolique à Marseille, avec la courte ligne 68 de 3 km qu’il a été impossible de fermer en raison de son trafic et de son tracé partiellement en tunnel. À Saint-Étienne, il subsiste aussi une ligne unique mais qui joue le rôle de colonne vertébrale du réseau dans cette ville étirée en longueur. Dans la conurbation Lille - Roubaix - Tourcoing, le Mongy a échappé de peu à la fermeture dans la foulée de la disparition du réseau purement lillois en 1966.

9Au Portugal la situation paraît différente, mais les apparences sont trompeuses : le tramway est encore présent dans quatre villes en 1975 contre cinq en 1945. Mais sur ce total, d’une part, il ne s’agit plus que d’une exploitation touristique à Sintra (à proximité de Lisbonne), d’autre part le réseau de Coïmbra disparaît en 1980. Au total, seule la capitale Lisbonne a conservé une exploitation véritablement urbaine de tramway. Le réseau de Porto, autrefois important, a subsisté au-delà de 1975 avant de se réduire à une ligne-musée le long du Douro.

10Le cas de l’Italie est assez singulier : les disparitions de réseaux sont nombreuses en valeur absolue (42 villes perdent leur tramway) et en valeur relative (90 % de disparitions), mais les quatre réseaux subsistant en 1975 desservent les principales agglomérations du pays : Rome, Milan, Naples et Turin. Il faut y ajouter une ligne rescapée du réseau de Trieste.

11Contrairement à l’impression que pouvait donner l’examen de la seule carte 2, le nombre de réseaux de tramway a considérablement varié dans la plupart des pays européens où il est présent de façon notable en 1975, au premier rang desquels l’Allemagne. Il y avait plus de 170 réseaux de tramway en Allemagne (définition territoriale de 2012) en 1945 ; en 1975 il n’en restait plus qu’environ 90, soit seulement un peu plus de la moitié. Le nombre des disparitions durant cette période est très élevé, en rapport avec le nombre extraordinaire de réseaux de tramway construit dans ce pays. On peut souligner l’omniprésence du tramway en Allemagne, partout dans le pays, jusque dans les plus petites villes ainsi qu’avec de très nombreux réseaux dans la conurbation de la Ruhr. Le rapprochement entre les cartes de 1945 et 1975 montre que le mouvement des fermetures de réseaux n’a pas épargné l’Allemagne, y compris dans la R.D.A., même si la proportion des réseaux supprimés a été bien moindre qu’en R.F.A. (6 fermetures sur 32 réseaux). Au total, on aboutit au paradoxe que c’est en Allemagne, pays où le nombre de réseaux de tramway à avoir subsisté est le plus important (90 réseaux sur les 190 réseaux européens existant en 1975) que le nombre de disparitions a été aussi le plus important : environ 80 disparitions sur les 180 disparitions décomptées entre 1945 et 1975. Certes, ce sont surtout les réseaux desservant des agglomérations relativement petites qui ont disparu, mais un autre fait mérite d’être souligné : le mouvement des disparitions ne s’interrompt pas en 1975 et cinq réseaux disparaissent entre 1978 et 1982.

Évolution 1945-1975

12À l’instar de l’Allemagne, un recul sensible du tramway s’est produit dans une douzaine d’autres pays au cours des trente glorieuses. En valeur relative, les seuils s’échelonnent du tiers ou du quart (Autriche, Pologne) aux deux tiers ou aux trois quarts (Belgique, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Serbie, Slovénie, Suisse) en passant par la moitié (Croatie, Hongrie, République Tchèque) (cf. tableau ci-après). Ces régressions suscitent plusieurs commentaires. En Autriche, trois des neuf réseaux existant en 1945 disparaissent, il s’agit surtout de villes de taille petite ou moyenne.

Nombre de réseaux en exploitation par pays entre 1945 et 2011

tableau im3

Nombre de réseaux en exploitation par pays entre 1945 et 2011

13Dans les pays de l’Europe centrale et orientale passés dans l’orbite soviétique ou dans une économie collectiviste, le tramway a connu également un net recul relatif notamment en Yougoslavie : disparition des deux réseaux slovènes (Ljubljana et Piren), de 3 des 4 réseaux serbes (Nis, Novi-Sad, Subotica), de 2 des 4 réseaux croates (Dubrovnik et Rijeka). Il en va de même en Hongrie : disparition de trois des sept réseaux existant en 1945.

14En Pologne et dans la partie tchèque de la Tchécoslovaquie, le recul du tramway est plutôt à mettre en relation avec les modifications frontalières et les déplacements de population qui se produisent à la fin de la guerre. Comme on l’observe sur la carte 1, la densité des réseaux de tramway est forte dans les Sudètes, la Silésie et la Prusse orientale, régions peuplées d’Allemands ou appartenant à l’Allemagne jusqu’en 1945. En 1945, les quatre villes nouvellement frontalières le long de l’Oder et de la Neisse perdent leur desserte tramway sur la rive devenue polonaise : Küstrin, Francfort, Güben et Görlitz. Nombre de petites villes tchèques ou polonaises frontalières dans les Monts Métallifères et les Sudètes jusqu’au sud-ouest de Cracovie vont voir leur réseau de tramway disparaître dans les années 1950 et 1960. Ces fermetures peuvent donc être considérées comme consécutives aux séquelles de la Seconde Guerre mondiale. Par contre, dans les grandes villes aussi bien tchèques que polonaises, le tramway se maintient et se développe au fur et à mesure de l’industrialisation et de l’urbanisation de ces deux pays. On signalera juste, à contre-courant du mouvement général de recentrage évoqué précédemment, la création du réseau de Czestochowa, destiné à desservir un nouveau complexe industriel, en 1959. Dans le reste de l’Europe orientale, en Slovaquie, en Bulgarie et en Roumanie, le nombre de réseaux de tramway reste stable.

15Dans les Pays-Bas, six des neuf réseaux présents en 1945 disparaissent. En Suède, le nombre de réseaux qui disparaissent est encore plus important qu’aux Pays-Bas. Il faut souligner que le passage d’un régime de circulation automobile de gauche à droite n’arrange pas les choses et accélère la disparition des tramways, notamment à Stockholm. Les disparitions de réseaux affectent également la Belgique et la Suisse, comme nous le verrons plus en détail.

16L’analyse de la chronologie des fermetures montre l’importance des années 1950 : en moyenne une quinzaine de réseaux européens disparaissent chaque année durant cette décennie, en deux vagues culminant au début et à la fin de cette décennie. À partir de 1960, le nombre annuel de disparitions diminue pour tomber en dessous de cinq fermetures annuelles au début des années 1970. 1975 marque bien la fin de la période des fermetures massives de réseaux. Par la suite, si le mouvement n’est pas totalement tari, les fermetures sont limitées et cessent pratiquement après 1990. Les deux dernières disparitions en 2006 et 2008 concernent la Roumanie où l’histoire du tramway a été particulièrement chaotique.

17Par rapport à cette chronologie qui s’applique à de nombreux pays comme par exemple l’Italie et la France, l’Allemagne se singularise par un mouvement de fermetures moins intense au début mais qui se prolonge jusqu’en 1990.

Situation en 2011

18En 2011, le nombre de réseaux de tramway est remonté à pratiquement 220 (cf. carte 3), ce qui représente un bilan net de 38 réseaux supplémentaires. Le retour du tramway se fait dans les pays qui l’avaient le plus supprimé au cours des trois décennies précédentes, à l’exception du Danemark.

Carte 3

Villes européennes disposant d’un réseau de tramway en 2011

Carte 3

Villes européennes disposant d’un réseau de tramway en 2011

(cartographie de l’auteur)

19Le retour du tramway est particulièrement spectaculaire en France et en Espagne. En France, une vingtaine d’agglomérations ont reconstruit une ou plusieurs lignes de tramway. En Espagne, c’est le cas également pour une quinzaine d’agglomérations dont notamment Madrid, Alicante, Barcelone, Bilbao, Saragosse, Séville et Valence.

20En Grande-Bretagne, malgré un contexte de déréglementation et de privatisation totales, des lignes de tramway ont été remises en service dans cinq agglomérations : Londres, Birmingham, Manchester, Nottingham et Sheffield. Il s’agit dans un certain nombre de cas de la réutilisation en mode tramway d’une ancienne voie ferrée abandonnée par les British Railways.

21En Italie, le tramway est réapparu dans huit agglomérations. Cinq sont situées dans l’Italie du nord : Bergame, Florence, Gênes, Padoue et Venise. Dans ces deux dernières agglomérations, il s’agit d’un tramway sur pneus Translohr. À Gênes, il s’agit d’un véritable métro léger réutilisant un ancien tunnel du tramway urbain. À Bergame, le nouveau tramway réutilise une ancienne ligne de chemin de fer. La Sardaigne dispose de deux réseaux de tramway, l’un à Cagliari et à Sassari. En Sicile, le tramway est de retour à Messine, et devrait l’être à Palerme très prochainement. En Calabre, à Catanzaro, une partie de l’ancienne ligne de tramway a été réactivée comme funiculaire.

22Le tramway a fait également son retour en Grèce (Athènes, 2004) et en Irlande (Dublin, 2004). Au Portugal, le tramway historique de Porto a été complété par une ligne de métro léger mise en service fin 2002. Au sud de Lisbonne la ville d’Almada dispose d’un métro léger depuis 2007. En revanche, le projet de Coïmbra a été reporté à des jours meilleurs du fait de la récente crise.

23En Norvège, le tramway est réapparu à Bergen, toujours sous forme de métro léger. À Trondheim, le réseau s’est transformé en 1990 avec une extension suburbaine.

24Dans les Pays-Bas, deux agglomérations devaient connaître le retour du tramway : Utrecht d’une part (1983) et Leyde sous forme de tram-train. Le dernier cité est pour l’instant bloqué du fait de querelles politiques locales.

25En Europe centrale et orientale ainsi que dans les pays scandinaves, les réseaux de tramway sont restés stables à l’exception de la Roumanie. Dans ce dernier pays, l’histoire du tramway est tout à fait singulière et présente un côté relativement chaotique, mélangeant ouvertures et fermetures. Sur les huit réseaux existant en 1945, sept étaient en exploitation en 1975, le réseau de Brasov ayant fermé en 1960. Par contre la ville d’Arad disposait d’un tramway depuis 1946. Pas moins de cinq réseaux ont été mis en service dans ce pays entre 1984 et 1991 dont à nouveau Brasov ; mais ce dernier a de nouveau disparu en 2006 tout comme celui de Constanta, ville côtière au bord de la Mer Noire. Au total, en 2011, il existe 10 réseaux roumains.

26En Allemagne, la période 1975-2011 est marquée par la poursuite du mouvement de fermetures jusqu’à la fin des années quatre-vingt avec notamment la disparition de plusieurs réseaux dans la Ruhr ainsi que dans le nord de l’Allemagne (Hambourg 1978, Bremerhaven 1982, Kiel 1985). Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la tendance s’est inversée : les réseaux existants connaissent des prolongements de lignes et deux agglomérations ont renoué avec le tramway : Oberhausen en 1996 et Sarrebruck en 1997, cette dernière avec un tram-train allant jusqu’à Sarreguemines en France. À noter en ex-Allemagne de l’Est la disparition du réseau d’Eisenach en 1975 ; depuis la chute du mur, le nombre de réseaux dans les länder de l’Est reste stable même si la dépopulation de certaines villes suscite des craintes quant à leur pérennité.

Histoire du tramway en Belgique et en Suisse

27L’histoire du tramway en Belgique et en Suisse mérite un examen approfondi en raison d’une trajectoire relativement complexe qui renvoie aux clivages linguistiques qui existent dans chacun de ces deux pays.

28La carte 4 présente l’évolution des réseaux de tramway en Belgique de 1945 à 2010, laquelle a pu être établie à partir d’un article sur les transports publics urbains belges rédigé par Peter De Baere [7]. En 1945, la Belgique dispose d’une quinzaine de réseaux de tramway purement urbains. Il est en effet assez difficile de faire un inventaire exact dans la mesure où, si les principales villes disposent d’un réseau propre, toutes les villes sont aussi desservies par des lignes mélangeant dessertes urbaine et suburbaine qui sont exploitées par la Société Nationale des Chemins de Fer Vicinaux. On peut considérer qu’il existe six réseaux majeurs par leur longueur : Bruxelles, Anvers, Charleroi, Gand, Liège et Ostende.

Carte 4

Évolution des réseaux de tramway en Belgique de 1945 à 2010

Carte 4

Évolution des réseaux de tramway en Belgique de 1945 à 2010

(cartographie de l’auteur)

29Comme dans les autres pays européens, un large mouvement de fermetures affecte les réseaux belges. En 30 ans, 13 réseaux vont disparaître et il ne reste plus en 1975 que quatre agglomérations qui ont encore des tramways : Bruxelles, Anvers, Gand et Ostende. Pour cette dernière ville, le réseau purement urbain a disparu en 1958 mais une ligne de tramway allant de la frontière française à la frontière néerlandaise dessert le littoral de part et d’autre d’Ostende. Le mouvement des fermetures démarre dès 1952 avec la disparition du réseau de Louvain. Neuf réseaux disparaissent au cours des années cinquante et au début des années soixante. Les réseaux de Mons et de Charleroi sont les derniers à disparaître respectivement en 1973 et 1974. La carte montre que pratiquement tous les petits réseaux ont disparu au cours de cette période.

30On remarque qu’en 1975, il ne reste plus de réseaux de tramway qu’à Bruxelles et dans les Flandres. En Wallonie, tous les réseaux ont disparu même les deux plus importants de Charleroi (1974) et de Liège (1969). Dans cette dernière agglomération, le trolleybus est venu progressivement remplacer le tramway, mais comme en France, il ne va pas tarder à disparaître à son tour (1971).

31Certes, aussi bien à Bruxelles qu’en Flandres les réseaux de tramway sont sur la sellette : à Bruxelles, un plan à long terme est présenté en 1965 prévoyant la transformation progressive du réseau de tramway en réseau de métro avec la construction de tunnels permettant de passer à une exploitation en pré-métro. À Anvers, il en va de même et un premier tunnel de prémétro est mis en service en 1975. À Gand, le réseau de 11 lignes se développant sur 57 kilomètres est réduit à quatre lignes développant 25 kilomètres. Mais parallèlement, à Anvers comme à Gand, à la fin des années soixante ou au début des années soixante-dix les parcs sont rénovés avec des tramways PCC. Très vite le mouvement va cependant s’inverser : les tunnels de pré-métro ne voient pas le jour et les réseaux de tramway se stabilisent, voire même s’étendent à nouveau. À Gand, le trolleybus complète le réseau de tramway en 1989, mais ne parvient pas à se maintenir par la suite.

32Le mouvement de balancier se produit également, mais de façon limitée en Wallonie : Charleroi renoue avec le tramway en 1983 mais dans le cadre d’une ligne de métro léger réutilisant pour partie une plate-forme des chemins de fer vicinaux.

33En Suisse, l’histoire du tramway est assez étonnante (cf. carte 5). Il existait 16 réseaux de tramway urbain, du plus petit à Martigny (2 km) au plus important à Genève (120 km). En 1945, ces 16 réseaux existent encore mais, dans les vingt ans qui suivent, 11 vont disparaître. Sur les cinq réseaux subsistants, trois sont en Suisse alémanique et sont pratiquement intacts : Berne, Bâle et Zurich. Les deux autres sont en Suisse romande mais ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient dans le passé : à Genève, d’un réseau de 120 km, il ne subsiste plus qu’une seule ligne ; à Neuchâtel le réseau urbain disparaît en 1976 et il ne subsiste qu’une ligne suburbaine de 9 km le long du lac.

Carte 5

Évolution des réseaux de tramway en Suisse de 1945 à 2010

Carte 5

Évolution des réseaux de tramway en Suisse de 1945 à 2010

(cartographie de l’auteur)

34La carte montre que le mouvement des disparitions présente des disparités régionales spécifiques. En Suisse romande, la disparition des tramways est quasi totale, y compris à Lausanne qui disposait d’un réseau de 66 km, plus important que celui de Bâle.

35En Suisse italienne, les petits réseaux de Lugano et de Locarno disparaissent respectivement en 1959 et 1960. À Lugano, le trolleybus remplace le tramway, mais il disparaîtra à son tour en 2001. En Suisse alémanique, six réseaux disparaissent : Winthertur (1951), Saint-Gall (1955), Lucerne (1961), Schwyz (1963), Fribourg (1965) et Schaffhouse (1966). Deux constats sont à faire : d’une part, il s’agit de petits réseaux, d’une longueur comprise entre 7 et 12 km ; d’autre part toutes ces villes s’équipent en trolleybus.

36De 1975 à aujourd’hui, l’évolution est, en Suisse romande, conforme à celle observée en France : retour du tramway à Lausanne (TSOL) sous la forme d’un métro léger (une ligne plus conventionnelle a fait l’objet d’une concession du Conseil fédéral en 2011), et renouveau du tramway à Genève. Le réseau connaît de nouveaux développements à partir de 1995. Aujourd’hui, trois lignes parcourent un réseau en extension sur plus d’une vingtaine de kilomètres.

37En Suisse alémanique, le réseau de Berne est resté relativement stable jusqu’en 2010 avant de s’enrichir de deux nouvelles lignes. Selon un schéma d’évolution proche de celui observé en Allemagne, les réseaux de Bâle et de Zurich ont connu un développement plus constant au cours de cette période. Il est à noter qu’à Zurich, ce développement se produit après le rejet d’un projet de mise en souterrain sous forme de pré-métro.

38Il est tout à fait remarquable de constater que parallèlement, les réseaux de trolleybus se sont maintenus aussi bien en Suisse alémanique qu’en Suisse romande, y compris dans des agglomérations de taille relativement petite (Fribourg, Neufchâtel, Schaffhouse…). On observe cependant des suppressions : Lugano et La Chaux-de-Fonds par exemple.

39Au total, l’analyse des trajectoires du tramway dans les deux pays partagés en zones linguistiques francophone et germanophone montre des disparités corrélées avec leur localisation dans chacune de ces zones et présente des similitudes avec les trajectoires observables respectivement en France et en Allemagne.

40Il semble donc que, vis-à-vis de l’histoire du tramway, un clivage assez net se dessine dans l’espace européen entre une zone anglo-saxonne et latine d’une part, et une zone germanique d’autre part. Pour aussi net qu’il soit, il peut faire l’objet d’une analyse nuancée :

  • Contrairement à une vision superficielle, la zone germanique ne se caractérise pas par une stabilité et une omniprésence du tramway. Comme dans les autres pays européens, il y a eu des fermetures, parfois nombreuses, dans les zones germanophones jusqu’en 1975 et même parfois après (contrairement sur ce point à la zone latine et anglo-saxonne où les réseaux avaient pratiquement tous disparu en 1975). Il y a eu aussi une remise en cause, des réductions de réseau et des projets de substitution de métros au tramway dans les principales agglomérations allemandes (Münich, …).
  • Dans chaque zone, on observe des disparités et des exceptions, par exemple si l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne ferment pratiquement tous leurs réseaux, il en va autrement en Italie où le tramway demeure présent dans les 4 principales agglomérations des pays ; si l’Allemagne conserve un grand nombre de ses réseaux, cela n’est pas le cas dans les Pays-Bas et en Suède.
  • En Allemagne, le déclin est plus prononcé dans la partie septentrionale du pays alors que dans la partie rhénane le tramway s’est fortement maintenu, en France on observe aussi des disparités régionales dans les rythmes de disparition et de renouveau du tramway.

41Il existe une trajectoire générale commune sur l’ensemble du continent européen et les deux zones s’individualisent par la différence d’intensité du double mouvement de déclin et de renouveau du tramway. Durant la première période, la tendance générale est à la remise en cause du tramway. Cette remise en cause peut aller jusqu’à sa disparition complète. Même dans les pays où il se maintient le mieux, il y a un mouvement doctrinal de contestation de l’intérêt du tramway [8] et des disparitions se produisent, y compris dans les pays qui paraissent les plus attachés au tramway au vu du nombre de réseaux subsistants en 1975, notamment en Allemagne.

42La question de l’interprétation théorique de l’existence de ces deux zones ne sera pas abordée dans cet article qui se contente d’essayer de mettre en évidence les disparités géographiques qui ont existé dans l’histoire européenne du tramway. On se contentera en conclusion de suggérer que leur explication renvoie à des problèmes de géographie culturelle relativement fondamentaux, et que cela concerne simultanément les politiques de limitation de l’automobile, de gestion de la voirie publique et d’aménagement urbain et périurbain, enfin de la place de l’habitat individuel et du régime de propriété dans les parcs nationaux de logements [9].


Date de mise en ligne : 01/06/2019

https://doi.org/10.3917/turb.120.0003

Notes

  • [1]
    Par exemple : Jean Robert, Histoire des transports dans les villes de France, Neuilly-sur-Seine, 1974.
  • [2]
    Par exemple, le chapitre 3 « Naissance et disparition des tramways parisiens » dans l’ouvrage collectif Paris et ses transports XIXe-XXe siècles (D. Larroque, M. Margairaz, P. Zembri), Éditions Recherches, 2002.
  • [3]
    Pays européens inventoriés : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse.
  • [4]
    Il s’agit d’un ordre de grandeur entaché d’une marge d’incertitude en raison de deux facteurs : d’une part la distinction entre tramway urbain et tramway suburbain ou rural (« départemental, vicinal ») n’est ni claire ni cohérente d’un pays à l’autre, d’autre part dans certaines régions très urbanisées, comme la Ruhr, il est parfois difficile de faire la différence entre multiples exploitants ou multiples réseaux d’un ensemble urbain multipolaire.
  • [5]
    La Slovénie fait partie en 1975 de la fédération yougoslave où subsistent encore en 1975 quatre réseaux de tramways contre 11 en 1945.
  • [6]
    Il s’agit d’une courte ligne le long de la plage en exploitation saisonnière avec alimentation électrique par troisième rail à faible voltage, constituant pratiquement un manège.
  • [7]
    Peter De Baere. « Les transports publics urbains belges des origines à 1990 », Bulletin du Crédit Communal, 1995, n°4.
  • [8]
    Se reporter à l’article de Barbara Schmucki, « Fashion and technological change : tramways in Germany after 1945 », The Journal of Transport History.
  • [9]
    Cf. l’ouvrage de Rémy Allain, Morphologie urbaine, A. Colin, 2004.

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