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Article de revue

Le tramway pour transporter des marchandises en ville ?

Pages 22 à 25

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À Dresde, en 1900, des véhicules étaient spécialement conçus et adaptés au transport de textiles, de céréales et de cendres.
(source : DVB)

1Le transport de marchandises en milieu urbain s’effectue généralement dans un environnement dense en population où l’espace public est très utilisé à de multiples fins. En plus de ces difficultés d’insertion, cette activité engendre différentes nuisances telles que la pollution atmosphérique, le bruit et l’occupation de la voirie, contribuant à la congestion urbaine. Mais dans certaines villes françaises et européennes, voient le jour des expérimentations axées sur des organisations logistiques innovantes (comme le Cargo Tram de Dresde) ou encore sur la mise en place de nouveaux systèmes de distribution (comme les « centres de distribution urbaine » à La Rochelle ou à Monaco).

Que recouvre le transport de marchandises en ville (TMV) ?

2Le TMV recouvre l’ensemble des flux d’entrée et de sortie de matières. Selon le Ministère des transports, le TMV est composé :

  • des flux relatifs aux établissements commerciaux, industriels ou tertiaires du secteur privé qui correspondent à tous les déplacements de marchandises entre les établissements économiques d’une agglomération (flux entre industries et distributeurs, approvisionnement des artisans, des bureaux, etc…) ;
  • des flux occasionnés par les autres activités (évacuation des déchets, approvisionnement des chantiers, déménagement des particuliers et des entreprises, entretien et développement des réseaux urbains) ;
  • des flux relatifs aux déplacements effectués par les particuliers pour s’approvisionner (déplacements d’achats).

3Les deux premiers types de flux représentent 49% du TMV, exprimé en véhicules x kilomètres « équivalents voitures particulières ». Ils impliquent l’utilisation de véhicules utilitaires (moins de 3,5 tonnes) ou encore de véhicules industriels de transport (plus de 3,5 tonnes). À noter, par comparaison, la part importante des flux relatifs aux déplacements effectués par les particuliers pour s’approvisionner (51% du TMV). Rappelons que l’utilisation de véhicules utilitaires ou encore de véhicules industriels de transport pour le TMV représente 13% des déplacements (en véhicules x km) en milieu urbain et 18% en termes d’occupation de la voirie (en véhicules x km « équivalents voitures particulières »). Des enquêtes conduites dans le cadre du programme national de recherche sur les marchandises en villes ont révélé que plus de la moitié des opérations de livraison et d’enlèvement est réalisée par des véhicules utilitaires de moins de 3,5 tonnes.

4Aujourd’hui encore, peu de villes disposent de données précises et localisées concernant le volume ou le poids des marchandises qui entre dans le centre-ville. Une étude de ce type a été réalisée dans le cadre d’un projet d’implantation d’un centre de distribution urbaine dans la ville de Toulouse par une équipe de l’Université de Toulouse 1. Elle permet de constater que, chaque semaine, 685 tonnes de marchandises entrent dans l’hyper-centre et 54 seulement en sortent, dans la mesure où il s’agit d’un lieu de consommation finale.

5Le TMV est une composante essentielle de la vie urbaine, mais il fait en même temps partie intégrante de chaînes logistiques internationales. Pour ce qui concerne la seule partie urbaine de la chaîne logistique, trois acteurs principaux sont en jeu : les centres de distribution, les points de vente et les consommateurs finaux. Cette partie de la chaîne logistique fait essentiellement appel au transport routier, sous des formes variées, du gros camion au coffre de la voiture particulière.

6Plusieurs facteurs influent sur la distribution. Par exemple, les petits commerces sont souvent dans l’impossibilité de disposer d’une surface de stockage suffisante en raison du prix du foncier urbain. La conséquence en est la multiplication des mouvements de livraisons. De même, le comportement du consommateur, qui souhaite accéder sans délais à un très grand nombre de produits différents se traduit également par une augmentation du nombre de livraisons et une forte demande de flexibilité.

Quels atouts pour le tramway ?

7En France, le tramway équipe un nombre d’agglomérations suffisant (une quinzaine, plus une dizaine où il est en construction ou en projet) pour justifier l’examen des opportunités offertes en matière de TMV dans des configurations urbaines variées. Mais quels sont a priori les avantages du tramway pour le transport des marchandises en ville ?

8Tout d’abord, le tracé des lignes est bien intégré dans le tissu urbain et permet une desserte fine des quartiers qui sont généralement des pôles générateurs de trafic. Les lignes relient la périphérie au centre, elles sont généralement localisées sur les axes pénétrants les plus importants de la zone agglomérée. Les lignes diamétrales relient deux points de la périphérie en passant par le centre. Elles suivent également les axes pénétrants importants de la zone urbaine. Ainsi, la liaison entre des plates-formes logistiques implantées en périphérie et la partie dense de l’agglomération est possible moyennant peu de travaux.

9Ensuite, la connexion du tramway avec le réseau ferroviaire est également envisageable. Sauf rares cas particuliers en France, l’écartement des voies est identique. Ce qui a fait l’objet de mises en pratique pour les voyageurs avec le tram-train est reproductible pour des marchandises.

10Enfin, le matériel roulant présente des caractéristiques qui lui permettent d’être plus adapté au milieu urbain que les véhicules routiers, telles que la réduction des nuisances sonores ou encore l’utilisation de l’énergie électrique. Les tramways de nouvelle génération ont en outre la capacité de récupérer une partie de leur énergie au freinage, ce qui peut représenter jusqu’à 30% de leur consommation.

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Projet de matériel et de design pour un tramway de marchandises.
Source : Dimitrij Gorbatschov, thèse, Kunst-hochschule Berlin-Weissensee, 2003

Quelques cas expérimentaux ou en exploitation

11Au cours de sa longue histoire, notamment en Europe occidentale, le tramway a déjà été utilisé pour transporter des marchandises. Il est ainsi possible de retrouver des usages pour le fret, notamment en Allemagne à Berlin ou à Dresde. Le transport pouvait se faire soit pas des véhicules adaptés, soit par traction de remorques à l’aide de véhicules pour voyageurs. Et récemment, les DVB, les Transports urbains de Dresde, ont étudié des matériels roulants conçus pour transporter des conteneurs de type urbain et permettre leur chargement et leur déchargement de façon optimale (espace nécessaire, durée de l’opération).

À Dresde (Allemagne)

12L’idée de transporter des marchandises par tramway dans la ville de Dresde est née avec la création d’une usine d’assemblage automobile au cœur de la ville. En 1999, le constructeur automobile Volkswagen décide de concevoir un modèle de luxe, la Phaéton, qui sera produit, pour des raisons historiques et commerciales, au cœur de la ville de Dresde. Pour la réalisation de ce projet, trois acteurs sont concernés : la Ville de Dresde, le constructeur Volkswagen et l’exploitant, DVB.

13La Ville de Dresde accepte que le constructeur automobile s’installe en ville mais refuse un approvisionnement des marchandises par mode routier. Il convient donc de mettre en place une organisation d’acheminement différente. Les acteurs pensent donc à un approvisionnement reposant sur le tramway. L’exploitant, DVB, est chargé de la réalisation de ce projet, qui implique à la fois l’adaptation du matériel et de l’infrastructure. La conception du véhicule tient compte du volume et des caractéristiques du fret, ainsi que de la réglementation concernant le tramway. Un seul constructeur a porté de l’intérêt à ce projet : Schalke. Ce constructeur allemand possède une expérience dans le domaine du transport de marchandises. DVB lui a passé commande de deux véhicules.

14La desserte est établie entre le centre logistique et l’usine d’assemblage. L’usine de montage se trouve à 150 mètres du réseau de tramway et la plate-forme logistique à 800 mètres. Il y a donc 950 mètres d’infrastructure supplémentaire à construire. Le tramway de marchandises utilise le réseau dédié à l’exploitation du transport de voyageurs sur environ 3 km, où il. cohabite avec les tramways de voyageurs. Cette cohabitation ne perturbe en rien l’exploitation voyageurs, car la fréquence de l’ensemble des lignes de tramway du réseau DVB est de 10 minutes et 5 minutes sur les troncs communs. Cet intervalle de temps permet aux tramways de marchandises de circuler entre les tramways voyageurs.

15Pour planifier le nombre de trajets à réaliser entre le centre logistique et l’usine d’assemblage, l’élément “temps” est décisif. Les temps se subdivisent entre-temps de chargement, temps de parcours entre centre logistique et usine d’assemblage, temps de déchargement et temps de parcours retour (c’est le temps de révolution). Un nombre maximal de courses a été planifié, soit 21 courses par jour et 10,5 révolutions. (Une organisation de substitution par mode routier a été prévue en cas de panne d’un tramway ou d’incident technique sur le réseau. Elle prévoit la mise à disposition de véhicules routiers gros porteurs.) L’usine d’assemblage Volkswagen commande son besoin en transport (en nombre de courses) une semaine à l’avance.

Tramway cargo de Dresde

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Tramway cargo de Dresde

Longueur : 59 m, volume disponible : 214 m3, charge maximale : 60 tonnes.
(source : DVB).

À Amsterdam (Pays-Bas)

16La ville d’Amsterdam a réalisé un test grandeur nature pour distribuer les colis à destination du centre-ville à l’aide de tramways. Une entreprise privée, City Cargo, organise la livraison de la marchandise par tramway. L’entreprise utilise le matériel roulant de la société GVB, les transports en commun de la ville d’Amsterdam. Ce test s’est déroulé durant le mois de mars 2006 avec deux tramways classiques réaménagés pour l’occasion.

17Dans un premier temps, les véhicules de fret ont tourné à vide sur le réseau pour pouvoir vérifier que l’exploitation de ces véhicules de marchandises ne perturbait pas l’exploitation des tramways voyageurs. Ensuite City Cargo a réalisé des livraisons réelles pour des marques de vêtements et de boissons. Le point de départ des tramways de marchandises est un espace logistique urbain qui permet de conteneuriser la marchandise. Les conteneurs sont déposés dans les tramways réaménagés à cet effet. Une fois chargés, les tramways s’insèrent sur le réseau et poursuivent leur course en centre-ville.

18Le projet d’origine, qui ne sera finalement pas mis en œuvre, envisageait la mise en exploitation de cinq tramways de marchandises, 47 petits véhicules routiers pour le « dernier kilomètre » et un centre de distribution. À terme, City Cargo a étudié la possibilité de faire rouler 50 tramways et 400 véhicules de distribution, les lignes étant connectées à quatre espaces logistiques urbains à créer en périphérie de la ville.

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Le véhicule-test de City Cargo à Amsterdam.

À Zurich (Suisse)

19Depuis avril 2003, les habitants de Zurich disposent d’un service spécifique pour les déchets électriques et électroniques et pour les déchets encombrants. L’exploitant des transports en commun de Zurich met à disposition des habitants des remorques pour le ramassage de ces déchets. Ces remorques sont tractées puis laissées en stationnement sur des voies de délestage. L’objectif est de réduire le nombre de camions-bennes en ville. Il existe en fait deux types de remorques pour transporter des déchets différents, les « encombrants » et les déchets électriques et électroniques. Les périodes d’immobilisation de ces remorques sont publiées en mairie, et il existe neuf points de collecte.

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Une remorque-conteneur en voie d’enlèvement à Zurich.
(Photo : VBZ)

Conclusion

20La mutualisation de l’infrastructure au profit des voyageurs et du fret demande évidemment une organisation adaptée. L’idée première, pour des questions de simplicité, est d’organiser un transport de nuit pour éviter tout conflit avec le trafic voyageurs. Cependant, le transport de marchandises par tramway durant la nuit engendre des coûts supplémentaires et une réorganisation de l’ensemble de la chaîne logistique (disponibilité de la marchandise). De plus l’exploitant de transport urbain organise généralement les travaux d’entretien de l’infrastructure la nuit.

21Suite aux différentes enquêtes du programme « Transport de marchandises en ville » de 1993, il faut noter qu’il existe un décalage entre les heures de pointes des personnes et celles des marchandises : le transport de marchandises et de personnes ont leur propre rythme, ce qui facilite la mutualisation des deux exploitations de jour. La question demeure tout de même du temps nécessaire pour les manutentions. Le tramway de voyageurs s’arrête à tous les arrêts alors que le tramway de marchandises s’arrête en quelques points spécifiques de la ligne. L’infrastructure doit donc être adaptée pour déconnecter temporairement le tramway de marchandises du réseau.

22Le coût du « tram-fret » est toutefois élevé et il est difficilement envisageable qu’un opérateur privé puisse le prendre en charge. De plus, en raison de l’utilisation conjointe de l’infrastructure, la question de la « gouvernance » du système de tram-fret est posée. Cela milite en faveur d’une intervention de l’autorité organisatrice de transport urbain (AOTU) au service d’une offre intégrée voyageurs-marchandises.

23Pour atteindre un niveau de pertinence susceptible de justifier l’investissement, le tramway de marchandises doit cependant être conçu comme un transport de masse. Un centre de distribution urbaine (CDU) permet cette massification en périphérie de la ville. L’exploitation du système ne peut donc être conçue sans recourir à l’intégration de la logistique, un métier qui n’est pas dans les compétences directes des AOTU, aussi bien en amont du tramway qu’en aval, pour la desserte du « dernier kilomètre » par petits véhicules probablement électriques.

Réglementation

Il n’existe pas de textes imposant la taille et la dimension des tramways. Cependant, le matériel roulant de type tramway utilisé dans le cadre du transport de marchandises en ville doit s’intégrer au système existant dédié au transport de voyageurs.
Le décret n°2003-425 du 9 mai 2003 relatif à la sécurité des transports publics guidés introduit l’obligation, pour les systèmes de transport urbains de personnes, de respecter le système « GAME » (Globalement Au Moins Équivalent).
Article 5 : « Tout nouveau système de transport public guidé (ou toute modification d’un système existant) est conçu et réalisé de telle sorte que le niveau global de sécurité à l’égard des usagers, de personnels d’exploitation et des tiers soit au moins équivalent au niveau de sécurité existant ou à celui des systèmes existant assurant des services comparables. »

Date de mise en ligne : 01/06/2019

https://doi.org/10.3917/turb.116.0022

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