1Le vélo est un mode de déplacement avantageux en termes d’autonomie, de rapidité et de coût pour des déplacements de proximité (moins de 5 km). Pour la collectivité, il contribue à une utilisation économique de l’espace public, à la préservation de notre environnement (qualité de l’air, environnement sonore, économie d’énergies fossiles) et à l’amélioration de la santé publique. Pourtant, sa pratique est confrontée à de nombreux freins plus ou moins avérés : les contraintes climatiques et topographiques, les efforts physiques à fournir, les risques d’accidents liés au trafic, les problèmes de stationnement à domicile et/ou au lieu de destination, la crainte du vol et/ou l’entretien de la mécanique. Face à ces obstacles, la mise en place d’un Service Automatisé de Location de Vélo sur l’Espace Public (SALVEP) peut s’avérer d’une efficacité inattendue, comme en attestent les 4 550 000 locations annuelles de Vélo’v à Lyon, et cela dès la première année !
Vélos publics : nouvelles perspectives grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)
2Mis à disposition par une entité publique ou privée, les vélos publics peuvent être empruntés et rendu en différents points de l’espace public. La première génération de vélos publics, simplement déposés sur l’espace public, est apparue à Amsterdam en 1968. Fondée sur l’utopie d’un civisme total, l’expérience échoua car les vélos furent rapidement détériorés, volés et repeints ou jetés dans les canaux. Les vélos jaunes mis en place en 1974 à La Rochelle furent également confrontés à l’appropriation des vélos par les utilisateurs et l’offre a dû être modifiée. La deuxième génération est apparue à Copenhague en 1995 avec l’introduction d’une dimension financière. Le système de caddie avait pour objectif d’inciter les clients à ramener le vélo dans une station pour récupérer leur caution et permettre un meilleur partage du parc de vélos publics. De fait, les utilisateurs anonymes gardaient le vélo car les incitations étaient insuffisantes.
3Grâce à l’utilisation des NTIC comme le GSM, le GPRS, voire l’UMTS ou la fibre optique, le vélo n’est débloqué que si le locataire s’identifie dans le système : c’est la troisième génération. Ses informations (bancaires) individuelles connues, il est fortement incité à rendre le vélo rapidement, sous peine de payer plus cher et/ou de se voir retirer sa caution. Paradoxalement, la première tentative menée à Amsterdam en 1995, Depo Bike, n’a jamais fonctionné à cause, entre autres, d’un défaut de robustesse du système d’accroche. Le premier système opérationnel, Vélo à la Carte, a été implanté à Rennes en 1998 par la société Clear Channel. Aujourd’hui, le concept a été développé sous différentes déclinaisons à Berlin, à Londres, à Oslo et à Lyon pour ne citer que les plus représentatifs. Vélo’v, le service mis en place et exploité par la société J.C.-Decaux à Lyon depuis le 19 mai 2005 est aujourd’hui le système de vélo public qui fait office de référence.
La troisième génération : diversité des services
4Call a Bike Flex (Berlin) : téléphoner à proximité du vélo pour commencer et mettre fin à la location sans contraintes spatiales
5Call a Bike Flex a été mis en service en 2002 à Berlin sur la propre initiative de DB Rent. Pour louer un vélo, le client appelle le numéro de téléphone inscrit sur le vélo. Une fois identifié dans le système, un code à 4 chiffres lui est transmis vocalement. Il le rentre dans le boîtier qui se trouve sur la roue arrière du vélo pour débloquer le cadenas. L’usage est payant à la minute d’utilisation dès la première minute. Pour mettre fin à la location, il effectue la même opération en signalant le lieu de dépôt du vélo. L’appel téléphonique pouvant être émis de n’importe où, ce service offre la particularité de pouvoir déposer le vélo le plus proche de sa destination. Par contre, le client paiera un coût supplémentaire s’il laisse le vélo en dehors de la ville de Berlin.
6La fréquence d’usage est faible puisque seulement 3% des abonnés l’utiliseraient presque tous les jours et 10% des abonnés au moins une fois par semaine (source DB Rent). L’absence de place de stationnement spécifique rend aléatoire la recherche d’un vélo public et le client paye, par location, deux communications téléphoniques en plus du coût d’usage.
7Next Bike (Leipzig) : Ce système, géré par Next Bike, est très proche de Call a Bike Flex aux différences près que le coût d’usage est gratuit la première heure et que le client doit payer le coût de régulation entre le lieu de dépôt et le lieu d’enlèvement. L’activité principale de l’entreprise n’est pas la location de vélos mais la vente d’espaces publicitaires.
8C’est d’ailleurs pourquoi les vélos sont conçus pour rendre visible la publicité lorsque le vélo est immobile.
Les principaux concepts européens de services automatisés de vélos sur l’espace public*, **
Les principaux concepts européens de services automatisés de vélos sur l’espace public*, **
* Nombre de places disponibles/nombre de vélos disponibles** L’abonné doit s’identifier pour prendre le vélo et pour le rendre
9Oybike (Londres) : semblable à un système Call a Bike Flex avec station
10Oybike est également un service qui résulte d’une initiative privée de l’entreprise du même nom. La procédure d’identification via le téléphone portable pour la prise et le dépôt du vélo est similaire à celle de Call a Bike. Par contre, le code doit être rentré sur une borne, fixée sur un arceau de stationnement en U renversé, et à laquelle est relié le vélo. Le client a la possibilité de rendre le vélo à l’une des 28 bornes qui se trouvent sur la commune de Fulham & Hammersmith. La capacité d’accueil d’une station est limitée à 3 places.
11Avant la mise en place de la gratuité de la première demi-heure d’usage, il semblerait que les locations se concentraient le week-end, vraisemblablement pour un motif loisir. Comme pour Call a Bike, le coût d’identification engendré par les deux appels téléphoniques rend onéreux l’usage fréquent du service.
12Call a Bike Fix (Stuttgart). Pour répondre aux exigences de la ville de Stuttgart, fondées sur le succès lyonnais, DB Rent a mis en service au printemps 2007 un système avec des stations fixes. Ce service est semblable à celui d’Oybike : le coût d’identification par location est composé par les deux appels téléphoniques, la première demi-heure est gratuite et il faut prendre et déposer le vélo en un lieu fixe. Par contre, les stations ont une capacité d’accueil plus importante et le code doit toujours être rentré sur le vélo.
13Oslo Bysykkel (Oslo) : un coût d’identification par location quasi nul
14Intégré au marché des espaces publicitaires de la ville d’Oslo remporté par Clear Channel, Oslo Bysykkel a été inauguré en 2002. Ce service est la version améliorée du système rennais Vélo à la carte. Les vélos sont disponibles dans des stations dont l’installation nécessite des travaux de voirie. L’abonné peut louer un vélo pour une durée de 3 heures gratuitement en insérant une carte dans la borne qui se trouve à l’extrémité de la station. Une fois déposé dans une des 65 stations, le vélo est détecté et l’utilisateur reconnu automatiquement. Les stations fixes avec un grand nombre de vélos créent un effet visuel qui informe les habitants sur la disponibilité d’un autre mode de déplacement. Contrairement aux systèmes précédents, il y a un abonnement (peu onéreux) et les coûts d’identification et d’usage sont nuls.
15Sur la même période et avec un nombre de vélos plus faible, le service d’Oslo a engendré 2,5 fois plus de locations que Call a Bike à Berlin. Et l’usage est plus fréquent : 42% des abonnés l’ont utilisé plus de 5 fois au cours de la semaine précédent l’enquête et 35% entre 2 et 4 fois (source : Clear Channel).
16Vélo’v (Lyon) : un service de grande envergure
17De même qu’à Oslo, ce service est apparu sur une initiative publique du Grand Lyon en l’incluant dans le marché des espaces publicitaires remporté par la société J.C.-Decaux. Le client s’identifie dans le système avec une carte sans contact, puis rentre un code à quatre chiffres. Pour mettre fin à la location, le vélo doit être correctement enclenché dans une des places de stationnement. Le système qui détecte le vélo reconnaît automatiquement l’usager. Les abonnés des transports en commun bénéficient d’un abonnement préférentiel et peuvent utiliser leur carte sans contact de transport en commun pour s’identifier. La première demi-heure est gratuite puis la tarification est progressive. En un an, plus de 4,5 millions de déplacements ont été produits et 85% des déplacements effectués par Vélo’v le matin le sont pour un motif domicile-travail ou domicile-université (enquête menée par le Grand Lyon réalisée du 30 novembre au 6 décembre 2006 auprès de 2 406 usagers).
18Semblables à Oslo, le coût de l’abonnement annuel reste faible (5 €), le coût d’identification est nul et l’usage de la première demi-heure est gratuit. La tarification progressive incite les utilisateurs à ramener le vélo et favorise ainsi la rotation du parc. Les campagnes d’information du Grand Lyon qui ont précédé puis accompagné la mise en service ont permis de présenter le service à la population. À la différence du système norvégien, la possibilité de payer par carte bleue offre l’opportunité d’essayer le service sur une impulsion.
19Grâce à un maillage dense, les 250 stations offrent 62500 possibilités de locations susceptibles de correspondre aux déplacements de certains individus. Trouver un vélo dans un état correct de fonctionnement à proximité de son point de départ et trouver une place disponible proche de son point d’arrivée sont les principales limites du service. Un rapport élevé entre le nombre de places disponibles et de vélos disponibles améliorent l’autorégulation en augmentant les possibilités de stationnement dans les emplacements réservés. Ce rapport (taux de foisonnement) est de 1.72, supérieur à Oslo. Malgré tout, les flux pendulaires engendrent un manque de vélos ou de places de stationnement disponibles. Un service de régulation rééquilibre le parc pour réduire ce genre de situation préjudiciable à l’usage du service.
20Yello (Prague). Mis en route depuis 2005 avec 23 vélos pour 12 stations dans l’arrondissement de Karling par la société Homeport, ce service est un dérivé d’Oybike. Si le boîtier pour s’identifier et attacher les vélos est similaire, il est posé sur un arceau de stationnement propre plus facilement identifiable. En raison de la présence d’une station et de l’utilisation d’une carte sans contact pour s’identifier, le service est proche de Vélo’v.
21Vélo + (Orléans). Mis en place et géré par Effia, une filiale de la SNCF, ce service a été inauguré le 25 juin 2007. Le système est très proche du service lyonnais avec des stations d’une capacité moyenne de 18 places et un processus d’identification semblable. Si la première demi-heure est également gratuite, l’abonnement coûtera 5 € annuellement pour les abonnés des transports en commun ou 15 € pour les autres. La location impulsive à travers une formule à courte durée coûtera 3 € à l’achat. L’innovation de ce marché réside dans son élaboration. Si Barcelone fut la première ville européenne à déconnecter le marché des espaces publicitaires et celui des vélos publics, l’agglomération d’Orléans est la première en France à avoir lancé un appel d’offres ne portant que sur le volet vélo public.
Les premiers enseignements des expériences européennes
Trois éléments déterminants : la présence de stations, le choix du mode d’identification et la tarification
22Si les services sans station permettent une flexibilité dans le choix de la destination, une station est un repère dans le paysage urbain plus ou moins visible selon sa capacité d’accueil et le nombre de vélos publics qui y stationnent. Ce repère permet de localiser facilement les lieux de retrait et de dépôt potentiels.
23Le choix du mode d’identification résulte d’un choix stratégique de l’opérateur. Dans les services d’origine privée, à l’exception de Yello, les entreprises utilisent l’usager pour transmettre les informations via le réseau GSM. En passant deux communications téléphoniques, les clients paient l’identification. À l’opposé, les prestataires dont l’initiative du service est publique ont recours à la technologie du GPRS, donc l’identification dans le système. Le transfert d’information créé par l’identification d’un abonné dans le système est payé par l’opérateur, généralement subventionné par les collectivités territoriales. Le client ne subit aucun coût d’identification à chaque location. Le coût de la carte est intégré dans l’abonnement mais celui-ci reste dérisoire. Toutefois, le coût d’identification pour le client avec les téléphones portables peut être nul avec l’usage de la technologie NFC (Near Field Communication). L’opérateur devra alors investir dans les émetteurs/récepteurs GSM ou GPRS sur chaque vélo ou chaque borne pour localiser les vélos et centraliser les informations.
24Excepté Next Bike, les services d’origine privée ont (ou avaient) une tarification payante dès le début de la location. Les services d’origine publique, bénéficiant de subventions, ont permis une tarification gratuite dans un premier temps. Ensuite, cette tarification peut être progressive afin d’inciter le client à rendre le vélo pour que ce dernier soit partagé. La gratuité du service facilite considérablement l’usage fréquent du service.
Une location de très courte durée est la plus favorable à l’usage du vélo
25Le succès de ce nouveau type de location repose sur deux éléments. Premièrement, le client ne supporte pas les contraintes d’un propriétaire de vélo : crainte du vol, entretien et stationnement à domicile. Il n’est donc pas surprenant que 96% des utilisateurs des Vélo’v soient de nouveaux cyclistes. Deuxièmement, le client peut louer un vélo uniquement pour la durée d’un trajet simple à un prix très avantageux. Pour cela, le client doit avoir la possibilité de déposer le vélo public à un autre endroit que celui du lieu de retrait. Pour correspondre au mieux aux besoins de déplacement de la clientèle potentielle, le nombre d’origines et de destinations possibles doit être élevé. Les individus dont l’origine et la destination du déplacement ne se trouvent pas dans la zone de chalandise d’une station (4 minutes à pied à 4 km/h, soit moins de 300 m), ne seront pas susceptibles de se déplacer en empruntant ce service, d’où l’importance d’un maillage dense.
26Dans cette optique, il ne serait pas raisonnable économiquement que les vélos se trouvent dans des locaux privés à cause des coûts du foncier et de la masse salariale. Cette prestation n’est donc possible que si les vélos sont accessibles et déposables sur l’espace public : d’où notre préférence pour le nom de vélos publics par rapport à vélos en libre service. L’usage de l’informatique a permis d’automatiser les systèmes. Les vélos publics, disponibles 24h/24, 7j/7, sont une nouvelle alternative de déplacement la nuit.
Vers une reconnaissance du vélo comme mode de déplacement ?
27Du statut de niche il y a seulement deux ans, le concept s’est répandu dans de nombreuses villes françaises et européennes. La mise en service des Vélib’ à Paris le 15 juillet 2007 avec, à terme, plus de 20000 vélos, est un symbole volontaire de la prise en compte du vélo dans les politiques publiques. La force de ce système est d’être un point d’ancrage pour une politique favorable aux modes doux. C’est un service de mobilité non motorisé visible dans le paysage urbain qui réduit, dans des proportions mêmes limitées, le nombre de places de stationnement automobile et contribue à un meilleur équilibre entre les différents usagers de la voirie.
28Malgré tous les avantages de ce service, sa mise en place n’est pas la panacée d’une politique du vélo. D’autres actions prenant en compte les comportements et les besoins de déplacement des modes non motorisés doivent être menées en parallèle (pistes cyclables, zones 30, contre-sens cyclables, arceaux de stationnements et autres services …).
29L’origine des services émanant de plus en plus des pouvoirs publics, l’enjeu des prochaines années pour les collectivités locales sera d’organiser la concurrence dans une optique d’efficience et de transparence de l’utilisation des fonds publics. Considéreront-elles encore ce service comme un simple produit dérivé du marché des espaces publicitaires ou assumeront-elles un rôle d’autorité organisatrice des déplacements non motorisé ?