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Article de revue

Les transports guidés sur pneus dits « systèmes intermédiaires » dans le contexte de l’innovation en transport collectif urbain

Pages 3 à 10

Notes

  • [1]
    Mise en service prévue au printemps 2004.
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1Les transports dits « intermédiaires » peuvent être abordés sous plusieurs angles. Nous tenterons d’abord de replacer les développements de cette nouvelle famille de systèmes au sein des tendances observées depuis ces trente dernières années en matière d’innovation dans les matériels de TCU (transport collectif urbain), puis nous présentons les principales caractéristiques des trois filières françaises (ou franco-étrangères).

Des systèmes automatiques aux « systèmes intermédiaires » de surface ou transports guidés sur pneus

2La mise au point de nouveaux matériels ne constitue qu’un aspect parmi d’autres au sein des améliorations possibles des TCU, mais c’est souvent celui-là qui apparaît sur le devant de la scène.

3Dans les années 1970 de grands espoirs étaient placés dans la mise en œuvre de nouveaux systèmes entièrement automatiques et de nombreux programmes de recherche et développement ont été lancés en France et dans d’autres grands pays industrialisés. Une idée largement répandue était que les transports collectifs devaient être attractifs de par leurs qualités intrinsèques (très peu d’attente grâce des fréquences très élevées, haut niveau de vitesse commerciale grâce à des réseaux maillés de sites propres intégraux notamment sous forme de voies aériennes, etc.) mais qu’il n’était pas question de restreindre les quantités considérables d’espace offert à l’automobile. Les années 1980 ont vu le début de la réintroduction du tramway « moderne », pendant que les travaux ont été poursuivis sur les systèmes automatiques avec des objectifs plus réalistes et des ambitions moindres. Pendant les années 1990, en parallèle avec la poursuite de la réintroduction lente et progressive du tramway dans les villes françaises, est apparue l’émergence d’une nouvelle famille de TC de surface : les systèmes guidés sur pneus dits « systèmes intermédiaires ».

4De nombreux parallèles peuvent être faits entre le développement des systèmes automatiques et le développement de cette nouvelle famille de transports guidés.

Le créneau intermédiaire

5De manière simplificatrice, nous pouvons considérer trois grands domaines d’application pour les systèmes automatiques :

  1. les lignes urbaines importantes qui peuvent être équipées de métros légers automatiques tel que le VAL français, le Skytrain canadien ou autres systèmes étrangers, ou bien de métros classiques automatiques tels que MAGGALY à Lyon, METEOR à Paris, le projet de Nuremberg, …
  2. les petites lignes pouvant être équipées de « transports sur courtes à moyenne distance », que ce soit en milieu spécifiquement urbain (rabattements), ou dans des grands complexes fermés (aéroports),
  3. le créneau intermédiaire entre les deux précédents.

6Les deux premiers créneaux représentent des domaines d’application privilégiés pour les systèmes automatiques : la plupart des 110 lignes de systèmes automatiques en service dans le monde peuvent être rangées dans l’une ou l’autre de ces catégories, sachant que les courtes à moyennes distances regroupent le plus grand nombre de lignes en exploitation mais les métros automatiques le plus grand volume de passagers/kilomètres transportés.

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Le VAL, un système de transport automatique sur pneumatiques, vue du sous-ensemble roulement/guidage/traction.
Photo Claude Soulas.

7En revanche le créneau intermédiaire, très souvent mis en avant pour les villes moyennes il y a vingt ou trente ans (et considéré alors comme le créneau de prédilection pour les systèmes automatiques), n’a pratiquement pas connu d’applications pour les trois raisons suivantes qui se rajoutent aux difficultés d’implantation de la voie aérienne exposées plus loin :

  • certains types de systèmes n’ont tout simplement jamais débouché : PRT, ARAMIS, C-Bahn, etc. ;
  • d’autres systèmes ont « grossi » pour devenir des métros légers. Pour le VAL, le changement est illustré par la double signification de son nom : le petit système pour la liaison Villeneuve-d’Ascq Lille est devenu le métro de l’agglomération de Lille et par extension un Véhicule Automatique Léger ;
  • enfin d’autres systèmes ont au contraire dû revoir leurs ambitions à la baisse. C’est le cas du POMA 2000 qui avait été envisagé au départ pour le réseau urbain de Grenoble avant d’être retenu sur un site beaucoup plus restreint (1,5 km) dans la ville de Laon et de connaître récemment de nouveaux débouchés sur courtes à moyennes distances en tant que système POMA-OTIS. Il y a aussi d’autres exemples comme le H-Bahn qui avait donné lieu à des études pour des réseaux urbains de villes moyennes mais n’a connu que deux petites installations à l’Université de Dortmund et à l’aéroport de Düsseldorf.

8En conséquence un créneau d’application est resté disponible pour les transports guidés de surface, et n’a pas été totalement couvert par le tramway classique. Le qualificatif d’« intermédiaire » couramment utilisé pour cette nouvelle famille de systèmes peut en fait désigner quatre notions qui se recouvrent souvent mais pas nécessairement : créneau d’application intermédiaire, coût intermédiaire, capacité intermédiaire, ou solution technique intermédiaire (le guidage d’un véhicule sur pneumatiques). Le qualificatif « systèmes guidés sur pneus » est donc plus cohérent, dès l’instant où il est clair qu’il s’agit de systèmes de surface (et non pas de métros ou autres systèmes en site propre intégral).

Le roulement sur pneumatiques

9Un point commun entre les deux familles de systèmes est le roulement sur pneumatiques qui a été choisi par la très grande majorité des systèmes automatiques développés dans le monde, que ce soit en France, aux États-Unis ou au Japon. Les véhicules ont été conçus d’emblée autour du roulement pneumatique, alors que le métro sur pneus (spécialité française avec quelques lignes à Paris, Lyon et Marseille et quelques réseaux à l’exportation) conservait lui l’architecture ferroviaire avec un bogie, les roues fer et les rails subsistant pour cinq raisons : franchissement des aiguillages, réalisation des circuits de voie, roulement de secours en cas de crevaison, retour du courant, passage des trains de travaux.

10Pour les systèmes automatiques, le roulement sur pneus a été généralement choisi pour des raisons d’adhérence (hautes performances d’accélération-freinage pour des véhicules circulant à cadences élevées, précision d’arrêt en station du fait de l’existence de portes palières), parfois pour des raisons de bruit sur des voies aériennes notamment métalliques (par exemple pour le Poma 2000 de Laon où le critère de l’adhérence ne jouait pas du fait de la traction par câble).

11Toutefois, malgré le très grand nombre de systèmes automatiques sur pneumatiques, ce type de roulement ne s’est pas généralisé systématiquement, et on trouve aussi un petit nombre de systèmes sur fer. Il est intéressant de constater que le premier système automatique d’envergure sur fer était le Skytrain de Vancouver équipé d’un moteur linéaire qui permettait de s’affranchir des contraintes d’adhérence. Mais on trouve aussi le roulement fer associé à des moteurs électriques rotatifs pour des projets récents tels que le minimétro de Copenhague ou le système Axonis d’Alstom Transport pour Singapour. Il y a donc là aussi une « concurrence ».

La traction électrique

12Outre une modification notable des caractéristiques de desserte, la mise en œuvre d’un nouveau système guidé se substituant à des lignes d’autobus (que ce soit un système automatique ou un système guidé sur pneus, comme d’ailleurs un tramway) a pour conséquence un basculement de la traction thermique vers la traction électrique.

13Malgré les progrès déjà réalisés ou à venir sur la traction Diesel adaptée aux autobus, malgré la diffusion de nouveaux carburants, la traction électrique pour les transports urbains guidés conserve des avantages importants de natures diverses, parfois sous-estimés :

  • diversification énergétique, dans un contexte où le secteur des transports est très dépendant des hydrocarbures ;
  • meilleur impact vis-à-vis de l’effet de serre et des perturbations climatiques dans la mesure où la consommation modérée des transports collectifs peut être imputée essentiellement à l’hydraulique, ou au nucléaire à la marge ;
  • suppression totale des émissions polluantes localement ;
  • réduction de la part du bruit due à la motorisation ;
  • amélioration des performances ;
  • récupération d’énergie au freinage ;
  • amélioration du confort longitudinal.

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Caténaires et cadre urbain historique peuvent-ils faire bon ménage ? Un exemple à Lisbonne.
Photo Pierre Zembri.
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« Pollution visuelle » due aux caténaires du trolleybus à Neuchatel (Suisse).
Photo Pierre Zembri.

14L’essentiel de ces avantages (sauf le dernier cité) disparaît dans le cas d’un système à transmission électrique qui utilise des moteurs électriques pour la propulsion mais conserve un moteur thermique. De ce point de vue, on peut donc regretter que les premières applications du système CIVIS se fassent en version Diesel-électrique.

15Il convient toutefois de signaler un inconvénient (en grande partie subjectif) qui est apparu récemment pour la traction électrique en milieu urbain : la « pollution visuelle ».

Insertion en milieu urbain et intrusion visuelle

16L’une des raisons importantes qui a freiné la diffusion des systèmes automatiques est l’intrusion visuelle des voies aériennes, alors que le passage en souterrain était jugé trop coûteux pour des systèmes (automatiques) « intermédiaires ». Les tramways et les nouveaux systèmes guidés sur pneus ne connaissent pas ces difficultés, et ils attachent une grande importance à l’esthétique des véhicules et des aménagements urbains ; dans certaines villes, il apparaît toutefois une réticence à l’installation de fils d’alimentation en énergie électrique, bien que l’intrusion visuelle soit faible et puisse être réduite par une meilleure intégration architecturale. Diverses solutions techniques plus ou moins coûteuses existent (alimentation par le sol du tramway de Bordeaux) ou sont à l’étude pour supprimer au moins partiellement les fils d’alimentation (Khatir 2000, Soulas 2000).

L’accessibilité

17L’un des plus importants thèmes d’amélioration des transports collectifs urbains depuis ces vingt dernières années est l’accessibilité aux diverses catégories d’usagers, plus particulièrement les PMR, personnes à mobilité réduite. Il s’agit donc d’un critère important lors de la conception d’un nouveau système, notamment pour les deux familles de système qui font l’objet de notre propos. Le VAL mis en service il y a vingt ans était entièrement accessible grâce notamment à l’implantation d’ascenseurs dans les stations et grâce à une grande attention portée aux lacunes horizontales et verticales entre quai et plancher. Maintenant une des principales caractéristiques communes à tous les transports guidés sur pneus est d’avoir un plancher bas sur pratiquement toute la longueur du véhicule, et l’un des avantages du guidage (outre la capacité et la réduction d’emprise) est de faciliter l’embarquement en réduisant les lacunes.

Le besoin de nouvelles réglementations

18Le succès d’un nouveau système dépend beaucoup de l’adéquation entre le degré d’innovation proposé et une réglementation pertinente. Pour les nouveaux transports automatiques, chaque système à donné lieu à un règlement spécifique intitulé « Instruction Technique » élaboré par une commission de sécurité (différente pour chaque système) qui s’est réunie pendant de longues années en faisant évoluer le document provisoire au fur et à mesure du mûrissement du système. Pour les nouveaux systèmes guidés sur pneus, le contexte national et européen actuel rend les choses beaucoup plus compliquées.

Les systèmes intermédiaires à la croisée de l’évolution des systèmes et de l’intégration de nouveaux composants ou approches transversales

Une tendance générale : la diversification des systèmes de TC urbains et suburbains

19L’apparition des transports guidés sur pneus se situe dans un contexte général d’augmentation du nombre de types différents de systèmes TC, qui s’explique par un double phénomène :

201°) Il n’apparaît pas de système urbain universel pouvant s’imposer de manière hégémonique. Il apparaît de nouveaux systèmes visant des créneaux particuliers, mais ceux-ci ne remplacent pas les anciens systèmes qui continuent à se diffuser et à se moderniser. De même que les systèmes automatiques n’ont pas remplacé les métros, tramways et bus, les systèmes guidés sur pneus n’ont pas pour vocation de remplacer les systèmes automatiques (qui n’ont pas connu une diffusion colossale mais qui se sont diversifiés en de nombreux types en France et à l’étranger) ni les tramways, ni les bus, même si la diffusion de ces derniers pourrait être réduite à la marge dans le cas hypothétique d’une offre TC constante.

212°) De plusieurs manières, il apparaît des nouveaux systèmes qui sont « intermédiaires » entre des systèmes existants :

a – Systèmes « intermédiaires » entre trains et tramways

22Pour la desserte des zones suburbaines, on parle maintenant beaucoup des tram-trains (tramways d’interconnexion) et des trains-trams (tramways régionaux). Le concept de tram-train ou tramway d’interconnexion né en Allemagne (d’abord à Karlsruhe) est maintenant prêt à se répandre dans d’autres pays, plus particulièrement en France, mais en Allemagne on trouve aussi divers types d’autorails légers dont certains, comme le Regiosprinter, ont des caractéristiques communes à la fois avec le tramway (valeurs d’accélération/décélération, plancher bas) et le tram-train (résistance à la compression de 60 tonnes) tout en récupérant des composants issus du transport routier

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Tram-train de Karlsruhe. Tramway d’interconnexion entrant sur le réseau urbain au niveau de la gare de Durlach.
Photo Pierre Zembri.

b – Systèmes « intermédiaires » entre tramway et métro

23Il existe dans plusieurs pays le matériel que l’on a coutume d’appeler « métro léger » (ou Stadtbahn en Allemand, Light Rail en anglais). Il peut se définir comme étant dérivé du tramway, mais avec des caractéristiques différentes (vitesse, rayon de courbure, hauteur de plancher), circulant en site propre intégral (tunnel ou autre) sur certaines parties de la ligne, notamment en centre-ville.

c – Systèmes « intermédiaires » entre bus/trolley et tramway

24Nous nous situons ici au cœur de notre propos, et nous verrons que de même qu’il existe plusieurs catégories de métros légers selon que l’on est plus ou moins proche du tramway ou plus ou moins proche du métro (quatre catégories sont décrites dans (VDV 2001), il existe plusieurs catégories de systèmes intermédiaires « transports guidés sur pneus » selon que l’on est plus ou moins proche du bus/trolley ou du tramway.

d – Systèmes « intermédiaires » entre bus/minibus et transport individuel

25Nous nous trouvons ici dans le domaine des minibus à la demande, taxis collectifs, flottes de véhicules en libre service (du type Praxitèle, Liselec, …), etc.

L’apparition des transports guidés sur pneus (de surface) replacée dans le contexte international

26En France, le bus guidé n’a donné lieu qu’à de rares études d’implantation et n’a finalement pas débouché. En revanche ces dernières années, c’est en France qu’a été effectué le plus grand nombre de travaux sur les systèmes guidés sur pneus, en visant des performances améliorées par rapport aux bus guidés tels que le 0-Bahn (et en permettant la réalisation de sites franchissables). Des préoccupations comparables existent dans d’autres pays :

  • nous le verrons plus loin avec le nouveau système hollandais PHILEAS :
  • le système STREAM qui a été expérimenté en Italie à Trieste sur la base d’un autobus a souvent été classé dans les systèmes dits intermédiaires, bien qu’il se caractérise essentiellement par un nouveau dispositif de captation de courant par le sol (Khatir 2000) : la mise en œuvre d’un guidage associé au dispositif de captation a été envisagée mais n’a jusqu’à présent jamais été réalisée ;
  • enfin le concept de bus guidé (voir encadré) n’est pas systématiquement abandonné partout, ces dernières années plusieurs études d’implantation ont été effectuées en Grande-Bretagne.

Le bus guidé, précurseur des systèmes dits intermédiaires ?

Le premier système en exploitation commerciale dans le monde a été le O-Bahn d’Essen, réalisé il y a vingt ans sous forme de bus guidés et de trolleybus guidés (l’exploitation de ces derniers est maintenant arrêtée mais les bus guidés subsistent sur l’une des lignes). Le bus guidé s’est ensuite diffusé de manière ponctuelle en Australie (à Adélaïde avec un système dérivé de celui d’Essen), au Japon et en Angleterre, avec un nombre de réalisations limité. L’avantage de grande simplicité du véhicule (très proche du bus classique fabriqué en grande série auquel on rajoute des roulettes de guidage) se paye par quelques inconvénients :
  • manque d’aptitude au franchissement des courbes de très faible rayon ;
  • caractère non franchissable du site du fait des rails ou bordures de guidage situés au-dessus du plan de roulement ;
  • voie pas nécessairement bon marché, surtout si on la rapporte à une capacité plus faible que pour le tramway : par exemple la voie de type O-Bahn nécessite une grande précision de réalisation.
Remarque : quand on parle ici de « bus guidé », on sous-entend systématiquement bus équipé d’un guidage mécanique. Le bus disposant d’un guidage sans contact généralement intitulé « guidage immatériel » n’a, jusqu’aux projets récents évoqués plus loin, donné lieu à aucune réalisation commerciale même si l’Allemagne a été, là aussi, précurseur en réalisant l’expérimentation technique d’un bus filoguidé à Fürth voici une vingtaine d’années. Depuis le filoguidage a été utilisé pour la navette routière du tunnel sous la Manche, donc dans un environnement protégé (en souterrain) moins difficile que les sites urbains : la tentative de mise en œuvre d’un tel dispositif sur la ligne de bus Millenium à Londres en 2000 n’a pas abouti.
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Bus guidé d’Essen (O’Bahn) à un arrêt.
Photo Volker Deutsch.

Nouveaux types de guidage

27La réalisation des nouveaux systèmes a été rendue possible par l’utilisation de deux types différents de guidage :

  • deux principes différents de guidage mécanique par rail central situé sous le plan de roulement : à galets verticaux pour le GLT/TVR, à galets obliques « en V » pour le Translohr ;
  • deux principes différents de guidage dit « immatériels » : guidage optique pour le CIVIS et mémorisation assortie d’un recalage par transpondeurs pour le PHILEAS néerlandais. Contrairement aux deux guidages mécaniques cités précédemment, qui ont été développés de manière spécifique, il s’agit ici de nouveaux guidages dérivés de dispositifs qui avaient déjà été étudiés dans un autre contexte pour des transports routiers.

Chaînes de traction et plancher bas

28Nous abordons maintenant un autre composant essentiel pour la réalisation de systèmes guidés sur pneus, même s’il n’est pas spécifique de ce type de systèmes. L’utilisation de chaînes de traction compactes avec des moteurs à courant alternatif (asynchrones ou synchrones) alimentées par des convertisseurs à IGBT (Insulated Gate Bipolar Transistor) facilite la réalisation des planchers bas qui, on l’a vu, deviennent « obligatoires ». L’une des filières (celle de CIVIS, la plus proche du bus/trolley) utilise la solution dite du « moteur-roue » selon laquelle un moteur situé dans la roue entraîne celle-ci par l’intermédiaire d’un réducteur. En association avec un pneu extra-large, ceci permet de réaliser un plancher bas et d’élargir le passage entre les roues arrières.

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Civis de Clermont-Ferrand.
Photo Pierre Zembri.

Les bimodalités

29Nous pouvons définir la bimodalité comme l’utilisation successive de deux modes de fonctionnement, et pour les transports collectifs urbains il existe plusieurs concepts qui souvent s’imbriquent : bimodalité de guidage, bimodalité énergie, bimodalité de motorisation, bimodalité de conduite…

30Avant l’apparition des « systèmes intermédiaires », le concept de bimodalité a été beaucoup utilisé pour le trolleybus. En 1975, la première idée de « trolleybus bimode » incluait une bimodalité de guidage, mais cela a été abandonné et par la suite le terme « trolleybus bimode » désignait uniquement une bimodalité énergie (c’est le cas de celui qui a circulé entre 1985 et 2000 à Nancy). Actuellement le développement de nouveaux composants en termes de batteries, volants d’inertie et supercondensateurs, est de nature à donner un regain d’intérêt à la bimodalité énergie tout électrique (Soulas 2000), notamment pour les systèmes guidés sur pneus, que ceux-ci soient ou non bimodes en guidage. Malgré l’échec des années 1970 le concept ambitieux de bimodalité de guidage est resté séduisant grâce aux avantages de souplesse offerts… mais il convient de prendre en compte aussi les difficultés notamment d’ordre technique et réglementaire que cela entraîne (voir article de J.-L. Maupu dans ce même numéro).

L’offre industrielle et les trois filières proposées

31On peut définir trois filières de transport guidé sur pneus en partant des solutions les plus proches du tramway classique pour aller vers les solutions les plus proches de l’autobus/trolleybus :

32a) Les systèmes à guidage mécanique permanent (non débrayable) : il s’agit là du véritable tramway sur pneu toujours guidé, le terme tramway sur pneus étant parfois utilisé par extension pour des systèmes du b) ci-après, voire même du c),

33b) Les systèmes à guidage mécanique débrayable (bimodes),

34c) Les systèmes à guidage dit « immatériel ».

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Maquette échelle 1 du Translohr de Clermont-Ferrand.
Photo Pierre Zembri.

35Il se trouve qu’actuellement en France, chacune de ces trois filières est représentée par une et une seule offre industrielle. Il aurait pu en être autrement et d’ailleurs il y a quelques années, il existait deux systèmes différents à l’étude pour le type b), et une autre tentative sans suite avait été effectuée pour le type a). Quant au type c), il existe une autre filière à l’étranger comme nous le verrons plus loin.

36Cette classification choisie pour illustrer une « graduation » dans les types de matériel ne correspond pas à l’ordre chronologique d’apparition puisque les systèmes bimodes (type b) sont apparus en premier non seulement avec les bus guidés (en quelque sorte les précurseurs des filières actuelles) mais également avec le GLT devenu ensuite le TVR.

37Si l’on voulait compléter cette graduation vers le « haut » (en direction du tramway classique) et vers le « bas » (en direction de l’autobus/trolleybus classique), on pourrait ajouter deux autres catégories :

38– Le tramway sur fer modernisé et allégé. Cette notion est un peu floue, mais nous l’illustrerons par deux exemples de programmes de développement qui ont été proposés. En France, il y a quelques années, le constructeur de tramway Alstom Transport a présenté le concept STIF, Système de Transport Intermédiaire sur Fer. Il s’agissait d’un programme de recherche et développement visant à réduire les coûts de possession du tramway sur fer. Cette référence à la notion de STIF est une des raisons qui incitent maintenant à parler de « systèmes guidés sur pneus » plutôt que de « systèmes intermédiaires » pour désigner la nouvelle famille de systèmes qui utilisent le roulement pneumatique. Par ailleurs au plan technique, ces deux dernières décennies, diverses tentatives ont été effectuées pour alléger la conception de tramways fer en proposant des essieux ou roues isolées à la place des bogies. Un des programmes les plus en vue était en Allemagne le tramway VÖV utilisant le procédé des roues auto-orientées (abréviation allemande « EEF ») du Professeur Frederich de l’Université Technique d’Aix-la-Chapelle. Ce programme, plus ambitieux que d’autres, a échoué pour partie au sens où actuellement, ce procédé n’est utilisé en exploitation réelle qu’avec des essieux porteurs mais pas avec des essieux moteurs.

39– Le bus ou trolleybus avec un guidage en station pour faciliter l’embarquement. Avant même le développement d’un nouveau système, ceci était envisagé avec l’adjonction du dispositif VISEE sur des véhicules existants. Maintenant le système CIVIS a pour vocation de faire bien plus, même si pour les premiers projets décidés, l’aspect guidage en station a été prédominant.

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TVR de Caen en station.
Photo Pierre Zembri.

40Enfin une autre filière, celle des véhicules routiers bi-articulés (tri-caisses, d’environ 24 m) non guidés, mérite aussi d’être signalée. Le Mégabus RVI exploité à Bordeaux n’a pas fait d’émules en France, mais il est apparu récemment un nouveau matériel Van Hool (première application à Utrecht) se distinguant par l’orientation des roues arrières.

Les systèmes en présence

41Nous nous contenterons de rappeler quelques caractéristiques essentielles qui différencient les trois filières, compte tenu que les considérations développées jusqu’à présent permettent de comprendre que les systèmes guidés sur pneus ont de nombreux points communs :

  • insertion généralement au niveau du sol ;
  • plancher bas ;
  • motorisation électrique ;
  • alimentation en énergie électrique (en règle générale, avec une réserve pour l’une des filières) ;
  • bimodalité énergie envisageable en option ;
  • aptitude à franchir des pentes de l’ordre de 13 % ;
  • aptitude au franchissement de rayons de courbure de l’ordre de 12 m (avec des différences mineures selon les systèmes) ;
  • vitesse maximale (en conditions favorables) dans la plage 60-70 km/h ;
  • fréquence de passage comparable à celle d’un système de surface classique : bus ou trolley ou tramway.

42Les principales différences entre les filières se situent au niveau :

  • du type de guidage et d’une éventuelle bimodalité ;
  • de la capacité ;
  • du gabarit ;
  • des surlargeurs en courbe ;
  • de fonctionnalités telles que la réversibilité.

43a) Le Translohr est dans sa version actuelle STE un tramway sur pneus guidé en permanence, à petits gabarit (largeur 2,20 m) et hauteur (2,89 m hors captage), réversible, de capacité modulable selon le nombre de caisses du véhicule (STE 3, 4 ou 5) et l’éventuel couplage en rame. Il a été retenu par Clermont-Ferrand et par trois villes italiennes (Padoue, L’Aquila et Venise).

44b) Le GLT devenu TVR est un véhicule de gabarit standard (2,50 m), bimode (guidage débrayable), donc limité à une longueur de 24 mètres correspondant à trois caisses. A Nancy, la bimodalité est totale c’est-à-dire qu’en exploitation normale, certains tronçons sont guidés et pas d’autres pas, tandis qu’à Caen, la bimodalité n’est pas utilisée en exploitation normale, mais uniquement pour aller au dépôt ou, en cas de perturbations, pour sortir du site guidé.

45c) Les systèmes CIVIS à guidage optique et PHILEAS hollandais à mémorisation de la trajectoire et recalage par transpondeurs ont en commun le gabarit routier et la capacité d’un véhicule articulé de 18 mètres en version de base (le véhicule bi-articulé de 24 m étant pour l’instant seulement envisagé).

46Le système PHILEAS ajoute d’autres innovations comme l’orientation de toutes les roues (pour le CIVIS seul l’essieu avant est orienté pour bénéficier de l’effet de série d’un véhicule plus classique) et l’hybridation du moteur thermique à gaz à l’aide de batteries (ou d’un volant d’inertie sur l’un des douze premiers véhicules). CIVIS est réalisé selon la même architecture que le trolleybus CRISTALIS, qui bénéficie de la même innovation en matière de moteur-roue (déjà évoquée).

47PHILEAS est en construction à Eindhoven [1] alors que le CIVIS a déjà été expérimenté sur ligne commerciale à Rouen et Clermont-Ferrand (en configuration minimum, c’est-à-dire guidage optique réalisé surtout au voisinage des stations) et a été commandé pour Las Vegas et Bologne.

Conclusion et perspectives

48Comme pour les systèmes automatiques, la France se distingue au niveau mondial par le plus grand nombre de développements de nouveaux systèmes guidés sur pneus (de surface). Nous ne prétendons pas apporter une explication simple, mais nous remarquons au contraire qu’il existe plusieurs manières d’appréhender cette situation. Une approche par la « négative » consisterait à analyser les carences des systèmes existants :

  • le bus classique (notamment articulé) en véritable site propre s’est très peu développé, à la fois pour des raisons objectives (par exemple besoin d’emprises plus importantes que pour le tramway) et des raisons subjectives (moins bonne image) ;
  • malgré la réalisation de projets dans plusieurs villes, la France reste sous-équipée en matière de réseaux de tramways classiques par rapport à d’autres pays européens. Le tramway a maintenant assez souvent la réputation d’être trop cher pour multiplier le nombre de lignes, alors que plusieurs tendances qui renchérissent le coût des projets sont pour partie indépendantes du mode : amélioration de l’accessibilité, de l’intégration urbaine, de l’esthétique, du confort (climatisation) …

49Une approche « positive » consisterait à mettre en évidence les capacités d’innovation des entreprises françaises (ou franco-étrangères) et le souci des acteurs du transport urbain de rechercher des améliorations et des adaptations plus fines aux contextes locaux. Là aussi, en ce qui concerne le choix de nouveaux systèmes il convient de distinguer les aspects objectifs (meilleure capacité d’insertion en fonction de la configuration, réduction du bruit en certaines circonstances, …) des aspects plus subjectifs (attrait pour l’innovation, meilleure image qui facilite le choix du site propre).

50La problématique est différente pour chacune des filières. Entre autres objectifs, le Translohr vise une meilleure insertion urbaine que le tramway classique. L’importance de sa diffusion pourrait dépendre aussi de son niveau de coût global : le petit gabarit associé à une faible charge à l’essieu offrent des perspectives intéressantes qui ne se traduisent pas forcément dans le coût des premières réalisations.

51L’enjeu du CIVIS et du PHILEAS est d’améliorer les bus ou les trolleybus classiques en intégrant un nouveau type de guidage dit « immatériel » qui malgré quelques tentatives dans le passé n’avait jusqu’à présent jamais pu déboucher sur des lignes en exploitation commerciale. Là aussi, il s’agit d’une « première » au niveau mondial et les premières réalisations ne permettent pas de dire où se situent les limites de cette nouvelle solution en termes de capacité, vitesse, réduction d’emprise : les aspects sécurité et réglementation seront déterminants.

52Enfin la filière du GLT/TVR est à plusieurs égards intermédiaire entre les deux autres. Nous ne nous étendrons pas sur les difficultés rencontrées sur le site de Nancy qui sont de natures diverses et ont donné lieu à de multiples expertises. Le choix de la bimodalité de guidage est l’un des facteurs qui compliquent la situation, dans un contexte plus difficile qu’à Caen. Ceci nous ramène encore une fois à un parallèle avec les systèmes automatiques : lors de l’apparition d’une nouvelle famille de systèmes, les concepts les plus ambitieux sont les plus attractifs, mais ensuite ce sont les solutions les plus proches des systèmes classiques en termes de fonctionnalité qui débouchent plus facilement (sans pour autant être exemptes de difficultés). Mais les systèmes guidés sur pneus n’en sont qu’à leurs débuts, et il existe un potentiel de recherche et d’améliorations.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Collectif (CETE, CERTU, INRETS), Nouveaux systèmes de transports guidés urbains, CERTU, mars 1999.
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  • Soulas (Claude), Nouveaux systèmes de captation par le sol, colloque international Métros Légers de l’UITP, Nantes, juin 2002.
  • Soulas (Claude), Evolution of guided transport systems for urban and suburban applications, WCRR World Congress on Railway Research 2001, Cologne, novembre 2001.
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  • Collectif (CERTU, INRETS). L’offre française en matière de transports publics, CERTU, mars 2000.

Date de mise en ligne : 01/06/2019.

https://doi.org/10.3917/turb.105.0003

Notes

  • [1]
    Mise en service prévue au printemps 2004.
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