Notes
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[1]
Paget Henry, « C. L. R. James, Political Philosophy, and the Creolizing of Rousseau and Marx », in Jane Anna Gordon et Neil Roberts (dir.), Creolizing Rousseau, Londres, Rowman and Littlefield International, 2015, p. 154.
-
[2]
Ibid., p. 156.
-
[3]
Paget Henry, « Epilogue », in Jane Anna Gordon, Lewis R. Gordon, Aaron Kamugisha et Neil Roberts (dir.), Journeys in Caribbean Thought. The Paget Henry Reader, Londres, Rowman and Littlefield International, 2016, p. 330.
-
[4]
Peter Hallward, Absolutely Postcolonial. Writing Between the Singular and the Specific, Manchester University Press, 2001, pp. 20-21.
-
[5]
Nelson Maldonado Torres, « Toward a Critique of Continental Reason. Africana Studies and the Decolonization of Imperial Cartographies in the Americas », in L. R. Gordon et Jane A. Gordon (dir.), Not Only the Master’s Tools, Routledge, New York, 2006, pp. 51-84.
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[6]
On peut trouver un mode similaire d’argumentation dans la théorie politique américaine, dans l’ouvrage de Bonnie Honig, Political Theory and the Displacement of Politics, Cornell University Press, Ithaca, 1993 et dans celui de Joseph Schwartz, The Future of Democratic Equality. Reconstructing Social Solidarity in a Fragmented United States, Routledge, New York, 2009.
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[7]
Là aussi, des arguments parallèles sont développés dans la théorie politique et la philosophie américaine, chez Judith Butler, dans son livre Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, Routledge, New York, 1990, ou chez Cristina Beltran, The Trouble with Unity. Latino Politics and the Creation of Identity, Oxford University Press, New York, 2010.
-
[8]
J’insiste sur le fait que je ne cherche pas à valoriser le créole comme une réponse adéquate au traitement poststructuraliste et multiculturaliste de ce qui est significativement différent. Après tout, dans la plupart de ses formations historiques et actuelles, le créole est hostile au processus élaboré ici.
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[9]
Robert Chaudenson, Creolization of Language and Culture (révisé en collaboration avec Salikoko S. Mufwene et traduit par Sheri Pargman, Salikoko S. Mufwene, Sabrina Billings et Michelle Au Coin), Routledge, Londres, 2001, p. 8.
-
[10]
Thomas Hylland Eriksen, « Creolization in Anthropological Theory and in Mauritius », in Charles Stewart (dir.), Creolization. History, Ethnography, Theory, Left Coast Press, Walnut Creek, 2007, p. 155.
-
[11]
Michael Monahan, « Introduction. What is Rational is Creolizing », in Michael Monahan (dir.), Creolizing Hegel, Rowman and Littlefield International, Londres, 2017.
-
[12]
Édouard Glissant, « Creolization and the Making of the Americas », Caribbean Quarterly, 54 (1-2), 2008, pp. 81-89.
-
[13]
Raquel Romberg, « Revisiting Creolization », http://www.sas.upenn.edu/folklore/ center/ConferenceArchive/voiceover/creolization.html 2002
-
[14]
Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, « In Praise of Creoleness », Callaloo 13 (4), 1990, pp. 886-909.
-
[15]
Édouard Glissant, « Creolization and the Making of the Americas », op. cit.
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[16]
J. A. Gordon, « Creolizing Rousseau. Forging a General Will in Frantz Fanon’s Wretched of the Earth », The C. L. R. James Journal. A Review of Caribbean Ideas, 15, n°1 (printemps 2009), pp. 17-53 ; J. A. Gordon, Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, New York, Fordham University Press, 2014 ; J. A. Gordon, « Comparative Political Theory, Creolization, and Reading Rousseau through Fanon », in Creolizing Rousseau, op. cit., pp. 19-59 ; Michael Monahan, The Creolizing Subject. Race, Reason and the Politics of Purity, New York, Fordham University Press, 2011 ; Michael Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[17]
Susan Buck-Morss, Hegel et Haïti, éditions Lignes, 2006 (traduit de l’anglais par Noémie Segal).
-
[18]
Peter K. J. Park, Africa, Asia, and the History of Philosophy. Racism in the Formation of the Philosophical Canon, 1780-1830, Albany, NY, SUNY Press, 2013.
-
[19]
Michael Monahan, Creolizing Hegel, op. cit.
-
[20]
Ibid.
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[21]
Françoise Lionnet et Shih Shu-mei, « Introduction. The Creolization of Theory », in F. Lionnet et S. Shu-mei (dir.), The Creolization of Theory, Raleigh, Duke University Press, 2011, pp. 1-36.
-
[22]
J. A. Gordon, « Creolizing Rousseau. Forging a General Will in Frantz Fanon’s Wretched of the Earth », op. cit. ; Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, op. cit., et M. Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[23]
Il ne s’agit pas de suggérer que l’histoire intellectuelle et sa conception de la rigueur sont dépourvues de mérite. Il s’agit de reconnaître que ce qu’ils ont de galvanisant est assez différent de la vision qu’en a un théoricien politique constructif, et qu’une approche méthodologique créolisante peut éclairer des questions historiques concernant le contexte géopolitique.
-
[24]
O. Nigel Bolland, « Reconsidering Creolization and Creole Societies », Shibboleths. Journal of Comparative Theory, 1/1, 2006, pp. 1-14.
-
[25]
Percy Hintzen, « The Caribbean. Race and Creole Ethnicity », in Prem Misir (dir.), Cultural Identity and Creolization in National Unity. The Multiethnic Caribbean, University Press of America, Lanham, 2006, pp. 9-31 ; Shalini Puri, The Caribbean Postcolonial. Social Equality, Post-Nationalism, and Cultural Hybridity, Palgrave, New York, 2004 ; Aisha Khan, « Feats of engineering. Theory, ethnography, and other problems of method building in the social sciences », American Ethnologist, 33/4, 2006, pp. 566-570 ; Daniel Segal, « Race and “Color” in Pre-Independence Trinidad and Tobago », in Kevin Yelvington (dir.), Trinidad Ethnicity, University of Tennessee Press, Knoxville, 1993.
-
[26]
Deborah A. Thomas, Modern Blackness. Nationalism, Globalization, and the Politics of Culture in Jamaica, Duke University Press, Durham, NC, 2004.
-
[27]
Pour une critique stimulante du souci d’une bonne partie de la gauche politique de fabriquer des contre-hégémonies, voir Janet Conway et Jakeet Singh, « Radical Democracy in Global Perspective. Notes from the Pluriverse », Third World Quarterly, vol. 32, 4, 2011, pp. 689-706.
-
[28]
Kwasi Wiredu, Cultural Universals and Particulars. An African Perspective. University of Indiana Press, Bloomington, 1996.
-
[29]
Vijay Prasad, Everybody was Kung Fu Fighting, Beacon Press, Boston, 2002.
-
[30]
Prem Misir, « Introduction », in Cultural Identity and Creolization in National Unity. The Multiethnic Caribbean, op. cit.
-
[31]
Yesilernis Peña, Jim Sidanius et Mark Sawyer, « “Racial Democracy” in the Americas. A Latin and North American Comparison », Journal of Cross-Cultural Psychology, vol. 35, n°6, 2004, pp. 749-762.
-
[32]
M. Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[33]
M. Monahan, ibid. ; The Creolizing Subject. Race, Reason and the Politics of Purity, op. cit., et Jane Gordon, Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, op. cit.
-
[34]
On peut dire la même chose de Rosa Luxemburg, bien qu’elle n’ait été ni caribéenne ni africaine (tout en s’intéressant aux deux situations dans son effort pour comprendre le capitalisme global).
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[35]
Ma lecture de Mariátegui à ce propos se fonde sur les arguments développés par Katherine A. Gordy, dans « Neither Local nor Universal. José Carlos Mariátegui and the Task of Theory », in Diverse Lineages of Existentialism. Africana, Feminist and Continental Philosophy, St. Louis, Missouri, 2014.
-
[36]
Peter K. J. Park, Africa, Asia, and the History of Philosophy. Racism in the Formation of the Philosophical Canon, 1780-1830, op. cit.
1 Paget Henry écrit : « Si la biographie est l’œuvre de la créativité de la subjectivité individuelle, alors l’histoire [pour C. L. R. James] a été l’œuvre de la créativité de la subjectivité publique [1] ». En créolisant la théorie de l’histoire de Marx, le théoricien politique trinidadien C. L. R. James a affirmé que ce sont les poussées de créativité inhérente au peuple qui ont conduit le mouvement de l’histoire humaine. Leurs éruptions visaient dans leur limitation et leur inadéquation les soi publics existants et les architectures intersubjectives qui structuraient les modes d’interaction et de communication entre les différents groupes qui constituent ensemble le système politique. Ce faisant, elles accusaient les formations sociales existantes d’enfermer un potentiel humain susceptible de trouver une expression plus vaste et plus complète. Dans les moments de percée, de nouveaux échafaudages déplaçaient les anatomies organisationnelles précédentes, décentrant certains éléments, en renforçant d’autres, instituant de nouvelles relations fondatrices. Entre ces surgissements de créativité transformatrice, c’est la stase qui était la norme. La majeure partie de l’activité politique se centrait sur l’équilibre des pouvoirs entre groupes et classes en conflit, que ce soit pour l’attaquer ou pour le corriger, alors même que presque toute l’énergie humaine s’épuisait dans un travail exploité. Mais ces compromis et cet état de stagnation étaient provisoires. « Dans la mesure où les groupes subordonnés cèdent parce qu’ils ont l’impression de ne pas avoir le choix, poursuit Paget Henry, ils n’en éprouvent pas moins un profond ressentiment qui conduit à un déficit de légitimité du régime […] Ce déficit va perdurer, parce qu’en obéissant à la volonté du soi public dominant, les groupes subordonnés n’auront pas le sentiment d’obéir à eux-mêmes [2] ». Lorsque se produisent des grèves, des insurrections ou des révolutions, les capacités jusqu’alors réprimées trouvent une expression collective dans la poursuite d’une forme sociale qui les représente véritablement. Ce qui se révèle alors, c’est le caractère spécifique, distinctif de groupes sociaux particuliers, de races et de classes, que ce soit la classe moyenne créole, la classe ouvrière britannique, ou les Indo-Caribéens asservis. Pour James — selon qui ce sont les classes laborieuses du monde parce qu’elles forgent un soi public en créant un ordre social qu’elles contrôlent, qui doivent permettre l’émergence d’une action historique progressiste — tous ces groupes n’étaient pas également aptes à gouverner ensemble ; cela requérait l’expérience réelle et prolongée de formes spécifiques d’intersubjectivité. Pour James et pour Henry, et c’est pour eux primordial, ces moments d’éruption créatrice lors desquels apparaissent sur la scène historique des trajectoires imprévisibles, peuvent encore se produire. Ou plutôt, il s’en produira encore beaucoup [3].
2Ce qui est particulièrement utile et éclairant dans l’approche de James c’est que plutôt que de critiquer Marx pour ne pas avoir su reconnaître la signification d’autres catégories sociales au-delà de la classe, il en a amendé l’analyse, en la repensant à travers le regard des Caribéens. Selon lui, les classes ouvrières du monde qui ont fait l’histoire étaient également noires ou basanées, auparavant réduites en esclavage ou bien asservies, occupées ou colonisées. Ces dimensions devaient alors façonner, d’une manière fondamentale, les formes émergentes d’intersubjectivité à partir desquelles parvenir à une autonomie effective et significative.
3Je suis partie de la discussion de James par Henry pour introduire un exemple concret de ce que je vais m’efforcer de souligner dans ce qui suit. Aux yeux de beaucoup d’observateurs, en effet, la période que nous vivons est profondément déroutante. D’un côté, elle semble saturée de ces flambées créatrices décrites par James. Les formes d’identité ont proliféré, nommant des manières d’être qui auparavant n’avaient pas d’expression publique étendue, ni même largement reconnue. Depuis les années 1960, aussi bien la droite politique que le marxisme, le féminisme ou le libéralisme de gauche ont fait un problème de la question de la différence, et cette critique a été largement acceptée. Dans le pire des cas ils ont reproché leur échec à s’intégrer correctement, à ceux qui étaient marginalisés par ceux qui avaient des soi acceptables. Ouvertement ou implicitement, ils exprimaient le souhait que ceux qui étaient différents acceptent leur insignifiance et celle aussi de leurs différences — ou s’en aillent. Nombre de ceux qui adhéraient au postmodernisme et au poststructuralisme répondirent en rejetant ces normes et ces projets d’intégration, accusant les unes d’être creuses et médiocres et les autres d’être intrinsèquement violents. À l’inverse, comme l’a noté Peter Hallward, ils célébrèrent l’attention portée à la spécificité, aux interprétations et aux reconstructions divergentes, magnifiant une pluralité irréductible et rejetant l’abstrait, le général et l’universel, en faveur du concret, du variable, de la tentative et du mouvant [4].
4Cependant, beaucoup de lecteurs inquiets pourraient insister sur le fait que la deuxième partie de l’analyse de James et de Henry est également essentielle : ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le défi à l’insuffisance des moyens d’organisation des relations sociales existantes, mais l’aptitude de ceux qui lancent ce défi à manifester des formes distinctives de relations intersubjectives. En d’autres termes, avec cette prolifération de différences dûment reconnues, avons-nous été capables de construire de nouveaux modes d’organisation de la communication et des relations ? Sommes-nous passés du diagnostic de l’insuffisance et de la critique de ce qui existe, à la création d’alternatives ? Il est particulièrement nécessaire de soulever ces questions, car si le postmodernisme et le poststructuralisme dont nous avons fait mention ont émergé comme l’orientation prioritaire de la gauche intellectuelle dans les humanités et les sciences humaines et sociales depuis les années 1990, la critique a en outre été leur préoccupation et leur engagement politique prioritaire, sinon exclusif. Notre réponse sera vitale car si la critique est indispensable à tout travail intellectuel et politique, s’il n’y a pas en même temps un effort pour produire ce qui pourrait intérieurement être critiqué, nous nous retrouvons en situation de dépendance intellectuelle et politique.
5Dans la suite de cet article, je soutiens l’idée que c’est des Caraïbes, où les conceptions des relations entre les gens, les idées, les identités, les cultures et les relations politiques ont été historiquement assez différentes de celles qui ont été forgées sur les territoires continentaux [5], qu’est venue une des suggestions les plus viables pour prendre en charge la deuxième partie de l’analyse de James. Outre que les Caraïbes sont un lieu où les discussions sur le besoin continu de politique [6] et sur le fait que l’identité politique est produite [7] sont populaires et largement appréciées, on y trouve une histoire distincte de la créolisation et un effort explicite pour la théoriser [8].
Qu’est-ce que la créolisation ?
6La créolisation a été développée au dix-neuvième siècle pour nommer et tenter de comprendre ces productions créolisées jugées sans précédent, qui ont commencé à émerger dans les Caraïbes à partir du seizième siècle [9]. Le terme a d’abord désigné les Créoles, ou gens de « sang mêlé », qui n’étaient ni des indigènes, dans leurs nouveaux lieux d’habitation, ni susceptibles de revendiquer des racines ailleurs, dans une grande civilisation [10]. Il a par la suite également inclus les langues, la production et la préparation de la nourriture, les pratiques religieuses, la manière de se vêtir, la musique et la danse. Dans chacun des cas, comme l’écrit Michael Monahan, « le concept de créole déniche une ascendance fragmentée de façon significative — un arbre généalogique issu non d’un “tronc” unique, mais plutôt d’un ensemble fracturé de racines émergeant de sols natals disparates [11] ». La créolisation décrit alors le processus de tissage des produits créoles. Ce qui est remarquable concernant le processus et ses produits, c’est que les populations non indigènes venues dans la région volontairement, semi-volontairement ou involontairement, alors même qu’elles cherchaient à rester ce qu’elles avaient été — sans souhaiter l’interruption de leur vie antérieure — se sont au contraire trouvées transformées. Dans certains cas c’est la dislocation qui en fut la cause directe : poursuivre des pratiques nées dans d’autres environnements requérait, dans ces nouvelles circonstances, une substitution créatrice. Souvent il s’agissait de relations sociales conflictuelles ou hostiles qui avaient conduit avec les Européens, dans des régions entièrement occupées par les peuples des Premières Nations, des Africains réduits en esclavage. Sans histoire antérieure de reconnaissance mutuelle, des groupes sans connexion préalable ont convergé dans des relations violemment inégales, qui ont chamboulé l’ordre de chacun d’entre eux. Cela signifie que même ce qui demeurait était nécessairement resitué, réinterprété ou retraduit. Alors même qu’il y avait des cas de coexistence parallèle de transplants, comme personne, en fait, ne pouvait rester confiné à l’écart des autres, leurs relations étaient marquées par une interpénétration intime et complexe. De plus cette coexistence nouvelle n’a pas émergé graduellement, comme celle de populations de différentes nations et ethnicités qui auraient conflué dans une région dont elles auraient partagé les vastes ressources. Il s’est au contraire agi de processus massivement accélérés.
7Du fait de leurs histoires antérieures et de leurs racines plongeant dans des régions distinctes, le trait fondamental des productions créoles est que leurs éléments contributeurs n’étaient pas destinés à converger. En outre, si les ingrédients apportés peuvent encore être identifiés — Monahan montre qu’ils n’ont pas été altérés au point de ne pouvoir être reconnus — ils se combinent néanmoins de façon surprenante. En d’autres termes, on peut reconnaître dans le créole haïtien des tournures linguistiques associées à la région du Niger et du Congo et aux régions françaises, avec suffisamment de clarté pour les nommer séparément, tout en étant fasciné par leur nouvelle combinaison qui les transforme. Les débats entre linguistes illustrent la manière si juste dont Édouard Glissant caractérise la créolisation non comme une synthèse directe ou une combinaison mécanique, mais comme une suite de résultats improbables [12]. Cependant le repérage de ce qui est combiné, dans ses dimensions conflictuelles, comme productions créolisées, sert de miroir à la perception des relations qui structurent des sociétés données, et montre comment celles-ci apportent un démenti aux récits qui prévalent sur la constitution effective d’une population et son soi public.
8La cause en est un second trait qui caractérise les productions créoles : elles émergent d’interactions intenses, bien plus que de simples cohabitations ou d’existences parallèles. Ce qui accentue des situations, ce sont les altérations nouvelles et radicales d’un environnement : de nouvelles poussées de migration forcée ou semi-volontaire, ou des groupes d’outsiders religieux en haut ou en bas de l’échelle sociale, conduisant à une proximité soudaine qui soulève la question de ce qui peut être incorporé, imité ou rejeté, dans les vies des autres.
9C’est l’incorporation qui est le troisième élément, souvent négligé par la valorisation de la politique de traduction, des productions créolisées : dans la créolisation, des éléments provenant d’une langue ou d’un cadre symbolique différents, ne sont pas traduits dans ceux des emprunteurs, mais simplement incorporés. Plutôt que de chercher un équivalent conceptuel — il n’y en a peut-être pas — on apprend simplement à utiliser le nouveau. Cette façon de faire peut modifier le sens originel, et dans quelques cas le résultat est utilisé de manière directement opposée à l’intention initiale [13].
10Enfin, comme les éléments qui convergent sont reliés à des lieux d’origine géopolitique inégale — les foyers de ceux qui sont venus volontairement ou semi-volontairement et de ceux qui sont venus par force — leur combinaison, comprise en termes raciaux ou nationaux, est souvent considérée comme illicite [14]. Du point de vue de beaucoup de groupes qui lui sont hostiles — et pas seulement des Européens — la créolisation n’a pas été réellement un mélange, mais bien un abâtardissement, un dénigrement, une dilution. À la différence de métissages culturels où ceux qui, en gros, étaient égaux, pouvaient s’engager dans un processus d’échange, au dix-neuvième siècle la créolisation a été si importante que des gens liés à des espaces opposés d’un ordre racial manichéen ont manifesté la preuve qu’ils s’étaient refaçonnés les uns les autres. C’était particulièrement frappant, parce que la preuve du processus était visible par tous, et qu’elle contredisait le projet politique impérial supposé guider et légitimer les interactions politiques qui devaient façonner le Nouveau Monde.
11La raison pour laquelle certaines productions créolisées étaient remarquables, découle déjà clairement de leur définition. Nous pourrions le reformuler ici dans les termes suivants : la collision entre des membres de groupes auparavant séparés aboutit à plusieurs résultats. L’une des possibilités est la créolisation, qui révèle l’une des manières bigarrées dont la culture elle-même fonctionne. Cependant, c’est précisément en ce que ces productions bigarrées gênaient les gens — en faisant se joindre des généalogies distinctes qui n’étaient pas supposées converger — qu’on pourrait apporter un éclairage à ces autres mécanismes humains plus répandus et plus universels. En d’autres termes, si ce qui a perturbé tant de linguistes a été d’entendre un tel africano-français, mouvement indéniable sur une nouvelle trajectoire francophone, les exemples de créolisation les plus marquants aujourd’hui seraient ceux de l’islamisation ou de la nord-africanisation de l’Europe, ou le remodelage de parties significatives du globe par des traits venus distinctement du nord-est de l’Asie. Dans chacun des cas, c’est la consternation que ces phénomènes ont provoquée qui les distingue, tout autant ou plus que le fait que les processus en cours soient véritablement uniques ; en fait la créolisation apparaît là où les gens ne sont pas hostiles à ses productions ni à leurs implications.
12L’accouchement de ce qui est nouveau alors même qu’on cherche à conserver ce qui a été, est un processus à l’œuvre bien au-delà de ce qui a été souvent dépeint comme le contexte aberrant de l’économie de la plantation des deux côtés de l’Atlantique Sud. Autrement dit, alors même que ce phénomène social était particulièrement accentué dans les Caraïbes, il ne s’y est pas cantonné. Si le concept scientifique de créolisation est apparu pour décrire ce qui était nouveau dans cette région, il pouvait également être utilisé pour comprendre des processus à l’œuvre d’en d’autres endroits qui avaient des traits communs avec les Caraïbes. En d’autres termes la créolisation éclaire des dimensions de la réalité humaine qui se répandent largement. Si, comme le remarque Édouard Glissant, le reste du monde, en particulier ses cités globales, deviennent plus caribéennes [15], on pourrait dire non seulement que les idées caribéennes peuvent voyager et le font, mais qu’elles le doivent. Glissant va plus loin : pour lui ce qui permet la créolisation, c’est une disposition d’ouverture aux autres gens et des manières d’être qui, dit-il, doivent être perçues comme une force. Nous pourrions ajouter que même si cette ouverture est apparemment le résultat d’une relative faiblesse géopolitique ou de l’incapacité de n’importe quelle superpuissance à établir un monopole intérieur de légitimité, Glissant a raison quand il dit qu’un des résultats, la créolisation, propose une alternative importante à l’idéal de systèmes fermés, fixés et uniformisés.
13Notre seconde étape va être de suggérer que de la même manière qu’ils se manifestent dans les peuples et les langues, la nourriture et les pratiques religieuses, les processus de créolisation sont également apparus et transparaissent encore dans la création d’idées.
D’un usage intellectuel de la créolisation
14Comprendre que la créolisation est la conséquence de problèmes humains tels que ceux qui se posent dans les Caraïbes, conduit à une approche particulière de l’histoire des idées. En particulier cela implique un effort actif garantissant que nous ne nous appuyons pas sur des représentations erronées concernant l’émergence d’idées qui ont façonné notre façon de penser. Ce type d’erreurs repose sur la décontextualisation de figures et de textes particuliers qui consiste à les séparer des influences directes et indirectes réelles qu’ils ont subies, et à adopter un récit de leur contexte qui se caractériserait par des formes de proximité ou de distance, ou par un isolement réel ou imaginaire, qui pourraient bien être les effets d’histoires mythologiques de pureté [16]. Cela ne signifie pas un rejet réactif des penseurs européens ou euro-américains, car procéder ainsi consisterait en un mouvement de décréolisation, ou manifesterait une politique de pureté. Il faudrait s’intéresser aux influences non européennes sur la formation de la pensée européenne, en considérant non seulement les événements historiques importants qui se produisent dans les colonies au même moment [17], mais encore les penseurs qui y ont leur origine et leurs racines, et dont les œuvres sont effectivement étudiées et débattues [18]. De plus, le but ici n’est pas de subordonner les penseurs européens, mais de recontextualiser leurs riches contributions parmi celles de ces autres penseurs, traités à égalité véritable intellectuellement et politiquement [19]. Il ne s’agit pas par là de légitimer les chercheurs non européens en les faisant entrer en dialogue avec un intellectuel européen important, car la reconnaissance qui est au cœur de la créolisation et qui consiste à mettre les gens, les idées et les manières d’être en relation, déclenche souvent des transformations multidirectionnelles et imprévisibles [20].
15L’orchestration de ces conversations intellectuelles a le pouvoir de faire entrer en contact direct et productif, des facettes liées entre elles mais contradictoires, d’un monde partagé ; il s’agit de mettre face à face des penseurs liés à des héritages enchevêtrés de la modernité, mais qui se rencontrent rarement. Cela peut conduire à des interprétations non canoniques de figures canoniques, en introduisant de nouvelles méthodes et de nouvelles questions qui s’ajoutent aux lectures classiques, et en explorant la réception d’un écrivain et les transformations subies dans des contextes variés, ce qui implique qu’ignorer ces facettes de l’influence d’une figure, n’est plus défendable. Une autre approche peut consister à mettre en lumière des dimensions oblitérées ou réprimées lors de leur canonisation [21]. C’est ainsi que l’on peut, par exemple, insister sur la nord-africanité de penseurs du premier christianisme, ou sur la présence sud-européenne ou ibérique dans la période précolombienne, et suggérer les différences que la mise en évidence de cette exclusion introduit par rapport aux travaux universitaires existants.
16La conséquence en est une alternative aux manières de s’intéresser au passé et au présent non européen qui prédominent chez les spécialistes des idées politiques. À la différence d’une approche comparatiste qui cherche à aborder chacune des traditions dans sa spécificité semi-souveraine, une orientation créolisante place côte à côte des figures et des textes individuels, soit parce qu’ils partagent des engagements similaires soit parce qu’ils affrontent des problèmes à peu près similaires [22]. On procède ainsi afin de trouver s’il y a de meilleures façons de concevoir un concept donné, un but, ou un idéal. On rompt ainsi avec les conceptions particulières de la rigueur historique selon laquelle comprendre les idées consiste à les ancrer fermement et profondément dans leurs mondes respectifs, ce qui invite à la marginalisation, ou, au moins, à l’isolement [23]. Les travaux créolisants reconnaissent que les idées sont des expressions humaines poreuses, qui ne font sens qu’en relation les unes avec les autres. Cependant, ce qui devrait se matérialiser à travers le cadre de la créolisation, ce ne sont pas des résultats complètement méconnaissables. C’est au contraire ce que nous trouverions familier qui devrait être resitué de façon stimulante, et donc altéré.
17Mais qu’est-ce que cela signifie pour le présent ? En d’autres termes, si la créolisation peut avoir marqué la manière dont les idées et les idéaux ont émergé dans l’histoire, devrait-elle être également présente et évidente dans les projets intellectuels contemporains ?
18Le fait de travailler depuis le point de vue de la créolisation —c’est-à-dire en comprenant à la fois l’ubiquité du processus et l’hostilité qu’elle déclenche chez ceux qui se consacrent à conjurer la dilution ou le mélange impur — mène au moins dans deux directions. En premier lieu, comprendre la créolisation rend clair le fait que les idées ne sont pas des unités bien closes qui restent loyales ou entièrement immergées dans un seul espace géopolitique, une communauté de gens, ou une seule tradition. Au contraire, comme c’est le cas pour le sang, la langue, la préparation ou la consommation de nourriture, les idées sont resituées et refaçonnées, et leur vitalité dépend entièrement de la série potentielle de conséquences qui en résulte. Corollairement, peu de penseurs dont l’œuvre résiste à l’épreuve du temps se limitent dans leurs lectures à ce que les récits d’histoire intellectuelle nomment a posteriori « leur tradition », sauf ceux qui vraisemblablement seront très vite datés, dans la mesure où ils ne s’adressent qu’à un seul contexte très étroit et fort peu généralisable.
19Un courant particulièrement important de la pensée politique africaine contemporaine présente une nouvelle façon d’envisager les relations entre les idées et les gens, en insistant sur l’aspect créatif des modes partagés d’existence et de leur négociation continue et essentielle. Il indique une voie féconde pour mener des débats anciens à l’intérieur de et entre la pensée européenne et africaine.
20Enfin, comme c’est probablement déjà évident, faire de la créolisation une approche de la pratique intellectuelle s’intègre dans le mouvement visant à démontrer la valeur historique et universelle des idées caribéennes. C’est aussi un effort délibéré pour contrecarrer les effets d’une décréolisation qui empêcherait de percevoir les contributions effectives des penseurs caribéens en laissant entendre que telle ou telle œuvre est sans histoire et sans précédent. En d’autres termes, je ne suggère pas seulement qu’il y a eu des idées caribéennes qui ont été importantes pour l’ensemble du monde, mais aussi que cette région fournit un modèle de pensée-monde.
Usages politiques de la créolisation
21La créolisation ne se contente pas d’indiquer une façon d’étudier des idées et de dialoguer avec elles ; elle montre une manière fondamentalement poreuse et imbriquée de comprendre les sujets humains, les relations et les mondes. Même si elle a malheureusement été mise en lumière dans des situations de conquêtes, de génocides et de mise en esclavage que personne ne souhaite imiter, la créolisation est comme un prisme permettant de voir comment des sujets humains, subissant de telles contraintes, ont en eux la possibilité de vivre et respirer, de chercher à se développer et à agir politiquement.
22Certes, je me suis initialement intéressée au phénomène de la créolisation parce qu’il me semblait permettre de repenser la notion fameuse et infâme de « volonté générale » au nom de laquelle on disait à beaucoup de musulmans nord-africains de France de séquestrer, et de rendre privées et non politiques, des formes essentielles de ce qu’ils/elles étaient. J’ai été frappée par le fait que le portrait que Frantz Fanon offrait de la conscience nationale, pouvait servir d’antidote. Après tout, selon lui, c’était à travers un engagement collectif à se débarrasser de ces gens et des dispositifs qui les empêchaient d’agir chez eux comme sujets politiques, que s’était forgée une identité politique partagée. Cependant l’unité des griefs et des actions partagées ne permettait pas, à elle seule, de passer d’une lutte anticoloniale à un moment décolonial. Quoiqu’indispensables à leur force révolutionnaire, leurs expériences communes et distinctes de la colonisation devaient subir une altération pour qu’émerge une situation qui ne soit plus coloniale. Il fallait en particulier que les nouveaux modes de gouvernance ne dressent pas les centres urbains contre les modes de vie ruraux, et que la répartition des offres d’emploi et des services sociaux vitaux ne suivent pas les étroites divisions ethniques et religieuses. L’échec à instituer des normes complètement nouvelles constituerait un obstacle inévitable à la maturation, dans la nouvelle nation, d’un sens de l’implication mutuelle de tous. En d’autres termes, d’une manière dont le monde français et francophone avait urgemment besoin, Fanon a redéfini la volonté générale comme quelque chose de né dans et à travers la lutte, la contingence et la perte ; quelque chose qui devait être réalisé politiquement en faisant délibérément face à l’inadéquation ou au défaut fondamental de soi publics existants. Ce faisant, Fanon a montré une manière de penser l’identité politique républicaine, pour le présent et le futur.
23En termes plus généraux, pour avoir une approche créolisée des tâches politiques, nous pouvons trouver des guides historiques dans l’ère des indépendances caribéennes, avec ses efforts délibérés pour fabriquer une identité nationale mettant en valeur les origines multiples des citoyens émergents [24]. Il n’y avait pas de nation singulière et primordiale à laquelle l’État pouvait se référer ; il n’y avait pas de pureté originelle qu’une politique culturelle pluraliste aurait mise en danger. Ces efforts n’étaient pas sans faille. Beaucoup, sinon la plupart des labels de nationalisme créole ne reconnaissaient qu’une forme d’hybridité ou de mélange, à l’exclusion des autres formes — typiquement celle que défendaient les leaders nationalistes qui étaient en première ligne pour chasser les étrangers blancs. Pour parler concrètement, cela a cultivé des sentiments d’antipathie à l’égard de ceux qui n’étaient pas des exemples de tels mélanges, qu’il s’agisse d’Africains ou d’Asiatiques ou de peuples des Premières Nations moins mélangés [25]. En suivant ici le défi fanonien lancé à la bourgeoisie nationale qui a émergé de la révolution anticoloniale en Algérie, je dirais que dans les cas que je viens de citer, ce n’est pas le processus de créolisation qui est en jeu, mais au contraire son piratage et sa monopolisation par un groupe de pseudo-élites qui ont délibérément cherché à interrompre le processus vivant de créolisation qui aurait conduit les sociétés concernées à une réflexion plus ample. Le langage de la volonté générale ou de la conscience nationale ou de la créolisation dont on s’est emparé de façon illégitime, a servi de slogans à un nationalisme xénophobe servant des intérêts personnels, qui a fabriqué un soi public inadéquat en guise d’aboutissement du projet national. La difficulté avec ce type de slogan, ce n’est pas seulement sa puissance symbolique, mais c’est aussi qu’il peut apparaître comme une initiative politique légitime.
24Aujourd’hui, au lieu de la valorisation de la créolisation, on rencontre plus souvent, à la gauche et à la droite de la décréolisation, des projets tendant à purifier les cultures de ce qui est vu comme influences extérieures et contaminantes. Comme exemples antérieurs de ce phénomène, on peut citer les efforts menés à la fois en France et dans la partie francophone du Canada, pour empêcher l’anglicisation de la langue française. Il y a certainement des moments où l’on évite la créolisation parce qu’elle semble se réduire à l’assimilation à une culture colonisatrice. Telle est la position défendue par nombre d’éminents afrocentristes américains, pour qui la créolisation est polluée par un eurocentrisme omniprésent et déshumanisant qui promeut une manière fondamentalement biaisée d’organiser le passé et le présent humains.
25Le problème soulevé par cette position est que, y compris dans les variantes les plus affirmées et engagées de leur nationalisme noir et africain, les Africains du Nouveau Monde sont déjà inexorablement créolisés, et dans cette affirmation même, en communication et en réponse résistante aux Anglais, aux Portugais, aux Hollandais ou aux Français. En ce sens, même si les projets de créolisation dans les Caraïbes sont sans doute loin de l’idéal plus profond d’une indépendance mettant réellement fin aux formes coloniales de vie et de valeur, ce qui s’est substitué à ces projets ne vaut certainement pas mieux. La logique ascendante du néolibéralisme qui encourage l’affichage des différences dites culturelles, mais protège des lieux d’exclusion, d’exploitation et d’enrichissement potentiel sur un terrain dont la rareté va croissant, ne s’est pas montrée plus efficace pour remédier aux formes racialisées d’une inégalité radicale [26].
26Tous les efforts pour constituer de nouvelles hégémonies, y compris celles qui sont liées à des formes créolisantes de lutte, sont voués à l’échec [27]. Cependant, ce qui singularise la créolisation, c’est son intérêt pour la nature de la vie symbolique. Le concept est apparu pour éclairer les processus de création de ce qui est local, en étant attentif aux manières dont ce que nous appelons « cultures » est lié à des situations de race et de classe qui sont incohérentes si on ne les lie pas au rôle qu’elles jouent dans la définition d’une palette d’opportunités, et à leur déni. En d’autres termes la créolisation insiste sur la nature politique de ce qui est tu ou exprimé de préférence sous la forme plus euphémistique du langage de la « diversité ». D’un autre côté la créolisation est aussi un antidote utile à ceux qui, sous prétexte de protection, pourraient exagérer les distinctions culturelles jusqu’à les considérer comme mutuellement intraduisibles. Ce courant a été fortement critiqué par Kwasi Wiredu [28] qui montre que si les contextes de signification sont fondamentalement façonnés par des contingences historiques, celles-ci sont traversées de façon remarquablement régulière par des luttes autour du pouvoir, de l’autorité, de l’orientation et de l’intention.
27C’est ainsi que Vijay Prasad [29] explore, sous le nom de « polyculturalisme », le phénomène suivant : lorsque des groupes séparés et marginalisés luttent ensemble, même si ce n’est pas leur but ou leur intention, ces efforts collectifs produisent des pratiques, des symboles et une langue qui mêlent ceux dont on pensait auparavant qu’ils appartenaient à des groupes et à des traditions séparés et souvent antagonistes ; il en résulte des alliances durables auxquelles ceux qui sont hostiles à leurs bénéfices potentiels cherchent à faire obstacle. La vitalité des productions est frappante car, au lieu de canaliser les énergies intellectuelles, créatrices, politiques et morales pour la préservation des identités existantes dictant des comportements et des objectifs appropriés, les processus polyculturels ou créolisants sont à la poursuite d’un monde qui convienne aux gens qui l’occupent, en posant qu’il n’existe pas de schéma préétabli de ce à quoi il doit ressembler. Ce qui se concrétise ne reflète pas à la perfection tous les différents groupes à la recherche de conditions sociales et politiques moins contraignantes, mais les efforts déployés dans cette direction introduisent de nouveaux répertoires et de nouveaux exemples qui, à leur tour, peuvent être retravaillés et remaniés. Mais surtout, si à de tels moments, la créolisation des pratiques, des langues et des idées n’est pas un enjeu, elle découle néanmoins inévitablement du fait d’identifier en commun un monde partagé dans le souci de produire des alternatives plus légitimes.
28Enfin, la créolisation n’a pas toujours besoin de se référer à ce qui apparaît dans la configuration coloniale ou chez les damnés de la terre. Dans le développement des idées et des pratiques, des trajectoires inattendues peuvent apparaître partout où se produit une migration littérale ou métaphorique. Toutefois, l’insistance sur le fait que la créolisation n’implique pas seulement des résultats imprévisibles, mais aussi des résultats susceptibles d’incarner une approche plus significative des besoins et des espoirs de la société dans son ensemble, implique une relation constante à ceux qui cherchent une transformation politique progressive. Autrement dit, ceux qui bénéficient d’arrangements partiels masqués sous l’apparence qu’ils profitent à tous, sont davantage susceptibles de s’opposer à l’émergence d’alternatives plus légitimes montrant clairement par là que les proclamations de généralité ou de représentativité sont du toc. Ce sont eux qui rejetteront les productions créolisantes comme illicites, impures, illégitimes, antipolitiques et donc indésirables, au lieu d’opter pour des mélanges qui existent déjà et se sont sédimentés.
Les limites de la créolisation
29Tout cela nous mène à deux mises en garde concernant la créolisation. L’une d’elles a déjà été mentionnée. Si cette description de la créolisation frise le romantisme, il est bon d’insister sur le fait que même si la créolisation marque un processus ouvert qui éclaire de manière radicale et intense la nature d’une culture humaine vivante, ce processus peut aussi être interrompu et détourné. En d’autres termes on peut aisément confondre la célébration sélective de quelques-uns des produits de la créolisation avec son processus même, et cette confusion peut être plus difficile à détecter, identifier et contester là où la norme est de prétendre célébrer la créolisation en cours [30]. C’est la raison pour laquelle des chercheurs du Brésil et des Caraïbes ont soutenu la thèse de la responsabilité politique de la démocratie raciale. Selon eux, le langage clairement ségrégationniste des États-Unis et du monde anglophone est un atout, parce qu’il ne dissimule pas l’importance politique des lignes de faille [31].
30Sans nul doute on peut utiliser à tort le langage de la créolisation pour poursuivre des buts tout à fait conservateurs. Il est également vrai qu’il n’y a rien d’intrinsèquement progressiste dans les formes de mélange qui émergent des processus de créolisation, à moins qu’ils ne comportent un engagement à aller vers une généralité toujours plus grande, ou vers l’amélioration constante de l’articulation de ce qu’il y a en commun entre ceux qui, dans une société, sont significativement différents. Son utilité principale est de rappeler qu’il n’y a jamais de terme à la politique. Et même alors, il y a des différences qui ne peuvent ni ne doivent être réconciliées. Par exemple, on ne peut rapprocher ceux qui sont prêts à exclure de la vie politique des groupes entiers de gens, de ceux qu’ils excluent.
31En second lieu il y a quelque chose d’ironique au cœur de la créolisation. Plus précisément, on ne peut en faire sa fin, son objectif, son but. Le faire aboutirait à célébrer la diversité, ou le mélange, ou l’hybridité pour eux-mêmes, ou à transformer en axiomes les méthodes inter ou transdisciplinaires. Néanmoins, si nous ne craignons pas les processus et produits de la créolisation, y voyant des impuretés illicites, si nous ne les désavouons pas et ne les fuyons pas, il est presque inévitable qu’ils caractériseront les tâches intellectuelles et politiques qui ne considèrent pas comme définitives les conjonctures sociales et politiques actuelles. Comme l’écrit Monahan, « dans la mesure où nous sommes nous-mêmes des phénomènes ambigus et dynamiques, tout effort pour restreindre et contraindre les méthodes que nous déployons pour nous comprendre nous-mêmes et comprendre les autres, aboutira à une mauvaise caractérisation de l’objet même qu’on prétend éclairer [32] ». Ce que produit la créolisation, c’est un travail intellectuel et politique visant à oblitérer les conditions de griefs mutuels. Cela exige que les gens de communautés auparavant distinctes et même hostiles, collaborent à ce qui devrait nécessairement produire de nouvelles formes de discours, de pratiques et d’idéaux.
32 Si nous ne pouvons faire de la créolisation notre but exprès, des approches créolisantes ont néanmoins des chances d’émerger à partir du moment où notre intérêt premier est d’explorer et de chercher l’expression la plus complète de ce que c’est qu’être humain et où nous sommes à l’aise avec l’ouverture et l’ambiguïté que cela implique [33].
En guise de conclusion
33C’est d’un désir très pratique de décrire de façon précise la réalité de la vie et de la pensée caribéenne, qu’est née la théorisation du concept de créolisation. Ainsi nous avons constaté un rapport actif et critique avec ce que l’on pourrait appeler les penseurs européens, chez les grandes figures qui forment ce que l’on pourrait appeler ironiquement le panthéon de l’Association philosophique caribéenne (CPA), que ce soit Aimé Césaire ou Frantz Fanon, C. L. R. James ou W. E. B. Du Bois. Mais il ne s’agissait ni d’une relation de subordination ni même de provenance. Au contraire les textes ou les concepts européens, là où ils étaient employés, ne l’étaient que parmi de multiples autres éléments. Et c’est en identifiant ce qui était utile et ce qui était limité dans ces ingrédients et dans d’autres, que Césaire, Fanon, James et Du Bois ont apporté des substitutions et des amendements créatifs. Ce qu’ils avaient utilisé restait reconnaissable, mais était altéré et transformé d’une façon qui ne pouvait été immédiatement prévisible. En d’autres termes, le langage de la créolisation met un nom plus précis sur l’orientation qui a produit les œuvres que beaucoup au sein de l’Association philosophique caribéenne (CPA) mais également au-delà, jugent particulièrement fécondes pour comprendre notre propre condition passée et présente. Plutôt que de chercher une pureté en vertu de laquelle leur pensée ne serait pas entachée d’influences coloniales, ces intellectuels africains ont pris sérieusement en compte le fait que si ces auteurs européens avaient contribué à diagnostiquer des dimensions partagées du globe, il y avait néanmoins beaucoup de choses qu’ils n’avaient pas saisies ou avaient mal comprises.
34C’est la raison pour laquelle on ne peut qualifier ni James, ni Fanon, ni José Mariátegui de marxistes au sens strict [34]. Ils se sont intéressés à des problématiques qui ont inspiré Marx, et ont lu et pensé avec Marx comme interlocuteur, et ne se sont pas simplement conformés à son programme de recherche, en apprentis marxistes [35]. De la même façon que Kant avait rapport à Rousseau et Hegel à Kant, James, Fanon et Mariátegui ont rejoint Marx, permettant à des dynamiques fondamentales qu’il avait identifiées d’être mieux articulées, dans et à travers le prisme du Sud global, ce qui, après tout, constitue la majorité de l’humanité. Alors que toutes ces figures ont adopté une démarche critique, elles ne s’y sont pas enfermées, ce qui les auraient mises dans une situation de dépendance à l’égard de l’objet de leur critique.
35C’est précisément du fait de la nature racialisée du monde européen moderne, qu’on n’a pas su voir que les saints de l’Association caribéenne de philosophie fonctionnaient de la même manière que ceux qui forment le canon dominant de la modernité européenne. Comme les Européens, ils étaient capables de produire une pensée qui n’était ni dans le mimétisme ni dans le rejet absolu. Comme les Caribéens, les Européens dont la pensée a résisté à l’épreuve du temps, faisaient de larges emprunts œcuméniques, et s’alliaient à quiconque leur était nécessaire pour formuler leurs projets intellectuels [36]. Cependant, en raison de l’incapacité à voir les colonisés noirs ou basanés comme des producteurs d’idées d’importance et d’impact global auxquelles d’autres auraient pu et dû faire des emprunts, nous avons besoin du langage de la créolisation pour décrire l’émergence de leur pensée. On peut mesurer la valeur intellectuelle de cette approche créolisée et créolisante, en montrant sa fécondité. Non seulement il y a des dialogues permanents avec ces saints, mais l’invitation lancée par l’Association caribéenne de philosophie à créoliser le canon, devrait permettre à nombre de théoriciens et de philosophes politiques qui disent combien ils apprécient ce cadre, de travailler véritablement comme ils le souhaitent, sans la pression des normes intellectuelles et politiques.
36Comme l’ont dit de nombreux militants politiques et théoriciens, nous vivons à un moment de grande possibilité et de besoin extrême : la globalisation technologique et sociale, le développement économique, mettent fondamentalement en cause les modes premiers d’organisation politique dans lesquels nous vivons. Il est urgent de se représenter comment les institutions politiques pourraient faciliter l’épanouissement humain et minimiser la vulnérabilité dans ce nouvel environnement. Nous pouvons le faire en observant à travers le temps et l’espace les gens qui ont diagnostiqué les dimensions communes et distinctes de notre condition actuelle, et nous pouvons construire à partir de leurs visions.
37C’est particulièrement crucial compte tenu des divisions déchirantes qui marquent la plupart des politiques contemporaines. D’un côté nous voyons des citoyens nostalgiques d’une conception de la liberté fondée sur la domination d’un petit nombre dans le déni de sa dépendance vis-à-vis d’autres inégaux, et des relations qu’il entretient avec eux. Ils ont une perception arrêtée de l’origine de leurs idées qui nie toute créolisation passée, présente ou future, avec une mauvaise foi intentionnelle. De l’autre, nous voyons des citoyens qui acceptent le fait de vivre dans un monde qui a changé, qui est déjà profondément créolisé et qui le sera de plus en plus. Pour eux les ressources adéquates consistent en un mélange divergent, enraciné dans et déraciné d’un grand nombre de lieux, qui aspire à un monde dans lequel il serait possible d’être plus pleinement soi-même. Un tel monde ne peut naître que de l’approfondissement des relations entre les idées et les gens qui cherchent à démasquer ce qui prétend accroître notre liberté mais nous encourage en réalité à consentir à l’éradication de ses conditions de possibilité.
38 La critique implique l’analyse et le jugement sur les mérites et les défauts de quelqu’un ou de quelque chose, ou bien une exploration indéfinie de ses origines et de ses buts. Cependant la critique dérive —ou en tout cas dépend — de ceux qui sont à l’origine des objets de l’attention du critique. C’est la raison pour laquelle les projets intellectuels qui cherchent à diminuer la dépendance épistémique et politique, en portant, bien sûr, un regard critique sur les modalités existantes, ne peuvent pas s’en tenir à cela. C’est précisément pourquoi l’Association caribéenne de philosophie a pour mot d’ordre le « déplacement de la géographie de la raison ». Cela implique, à coup sûr, que l’on identifie les arguments erronés et les distorsions historiques, mais aussi que l’on procède de façon constructive à de la récupération — en retraçant les généalogies réelles des idées historiques et des figures intellectuelles dont les idées méritent qu’on les revisite — et à la construction réfléchie d’un monde.
Notes
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[1]
Paget Henry, « C. L. R. James, Political Philosophy, and the Creolizing of Rousseau and Marx », in Jane Anna Gordon et Neil Roberts (dir.), Creolizing Rousseau, Londres, Rowman and Littlefield International, 2015, p. 154.
-
[2]
Ibid., p. 156.
-
[3]
Paget Henry, « Epilogue », in Jane Anna Gordon, Lewis R. Gordon, Aaron Kamugisha et Neil Roberts (dir.), Journeys in Caribbean Thought. The Paget Henry Reader, Londres, Rowman and Littlefield International, 2016, p. 330.
-
[4]
Peter Hallward, Absolutely Postcolonial. Writing Between the Singular and the Specific, Manchester University Press, 2001, pp. 20-21.
-
[5]
Nelson Maldonado Torres, « Toward a Critique of Continental Reason. Africana Studies and the Decolonization of Imperial Cartographies in the Americas », in L. R. Gordon et Jane A. Gordon (dir.), Not Only the Master’s Tools, Routledge, New York, 2006, pp. 51-84.
-
[6]
On peut trouver un mode similaire d’argumentation dans la théorie politique américaine, dans l’ouvrage de Bonnie Honig, Political Theory and the Displacement of Politics, Cornell University Press, Ithaca, 1993 et dans celui de Joseph Schwartz, The Future of Democratic Equality. Reconstructing Social Solidarity in a Fragmented United States, Routledge, New York, 2009.
-
[7]
Là aussi, des arguments parallèles sont développés dans la théorie politique et la philosophie américaine, chez Judith Butler, dans son livre Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, Routledge, New York, 1990, ou chez Cristina Beltran, The Trouble with Unity. Latino Politics and the Creation of Identity, Oxford University Press, New York, 2010.
-
[8]
J’insiste sur le fait que je ne cherche pas à valoriser le créole comme une réponse adéquate au traitement poststructuraliste et multiculturaliste de ce qui est significativement différent. Après tout, dans la plupart de ses formations historiques et actuelles, le créole est hostile au processus élaboré ici.
-
[9]
Robert Chaudenson, Creolization of Language and Culture (révisé en collaboration avec Salikoko S. Mufwene et traduit par Sheri Pargman, Salikoko S. Mufwene, Sabrina Billings et Michelle Au Coin), Routledge, Londres, 2001, p. 8.
-
[10]
Thomas Hylland Eriksen, « Creolization in Anthropological Theory and in Mauritius », in Charles Stewart (dir.), Creolization. History, Ethnography, Theory, Left Coast Press, Walnut Creek, 2007, p. 155.
-
[11]
Michael Monahan, « Introduction. What is Rational is Creolizing », in Michael Monahan (dir.), Creolizing Hegel, Rowman and Littlefield International, Londres, 2017.
-
[12]
Édouard Glissant, « Creolization and the Making of the Americas », Caribbean Quarterly, 54 (1-2), 2008, pp. 81-89.
-
[13]
Raquel Romberg, « Revisiting Creolization », http://www.sas.upenn.edu/folklore/ center/ConferenceArchive/voiceover/creolization.html 2002
-
[14]
Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, « In Praise of Creoleness », Callaloo 13 (4), 1990, pp. 886-909.
-
[15]
Édouard Glissant, « Creolization and the Making of the Americas », op. cit.
-
[16]
J. A. Gordon, « Creolizing Rousseau. Forging a General Will in Frantz Fanon’s Wretched of the Earth », The C. L. R. James Journal. A Review of Caribbean Ideas, 15, n°1 (printemps 2009), pp. 17-53 ; J. A. Gordon, Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, New York, Fordham University Press, 2014 ; J. A. Gordon, « Comparative Political Theory, Creolization, and Reading Rousseau through Fanon », in Creolizing Rousseau, op. cit., pp. 19-59 ; Michael Monahan, The Creolizing Subject. Race, Reason and the Politics of Purity, New York, Fordham University Press, 2011 ; Michael Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[17]
Susan Buck-Morss, Hegel et Haïti, éditions Lignes, 2006 (traduit de l’anglais par Noémie Segal).
-
[18]
Peter K. J. Park, Africa, Asia, and the History of Philosophy. Racism in the Formation of the Philosophical Canon, 1780-1830, Albany, NY, SUNY Press, 2013.
-
[19]
Michael Monahan, Creolizing Hegel, op. cit.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Françoise Lionnet et Shih Shu-mei, « Introduction. The Creolization of Theory », in F. Lionnet et S. Shu-mei (dir.), The Creolization of Theory, Raleigh, Duke University Press, 2011, pp. 1-36.
-
[22]
J. A. Gordon, « Creolizing Rousseau. Forging a General Will in Frantz Fanon’s Wretched of the Earth », op. cit. ; Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, op. cit., et M. Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[23]
Il ne s’agit pas de suggérer que l’histoire intellectuelle et sa conception de la rigueur sont dépourvues de mérite. Il s’agit de reconnaître que ce qu’ils ont de galvanisant est assez différent de la vision qu’en a un théoricien politique constructif, et qu’une approche méthodologique créolisante peut éclairer des questions historiques concernant le contexte géopolitique.
-
[24]
O. Nigel Bolland, « Reconsidering Creolization and Creole Societies », Shibboleths. Journal of Comparative Theory, 1/1, 2006, pp. 1-14.
-
[25]
Percy Hintzen, « The Caribbean. Race and Creole Ethnicity », in Prem Misir (dir.), Cultural Identity and Creolization in National Unity. The Multiethnic Caribbean, University Press of America, Lanham, 2006, pp. 9-31 ; Shalini Puri, The Caribbean Postcolonial. Social Equality, Post-Nationalism, and Cultural Hybridity, Palgrave, New York, 2004 ; Aisha Khan, « Feats of engineering. Theory, ethnography, and other problems of method building in the social sciences », American Ethnologist, 33/4, 2006, pp. 566-570 ; Daniel Segal, « Race and “Color” in Pre-Independence Trinidad and Tobago », in Kevin Yelvington (dir.), Trinidad Ethnicity, University of Tennessee Press, Knoxville, 1993.
-
[26]
Deborah A. Thomas, Modern Blackness. Nationalism, Globalization, and the Politics of Culture in Jamaica, Duke University Press, Durham, NC, 2004.
-
[27]
Pour une critique stimulante du souci d’une bonne partie de la gauche politique de fabriquer des contre-hégémonies, voir Janet Conway et Jakeet Singh, « Radical Democracy in Global Perspective. Notes from the Pluriverse », Third World Quarterly, vol. 32, 4, 2011, pp. 689-706.
-
[28]
Kwasi Wiredu, Cultural Universals and Particulars. An African Perspective. University of Indiana Press, Bloomington, 1996.
-
[29]
Vijay Prasad, Everybody was Kung Fu Fighting, Beacon Press, Boston, 2002.
-
[30]
Prem Misir, « Introduction », in Cultural Identity and Creolization in National Unity. The Multiethnic Caribbean, op. cit.
-
[31]
Yesilernis Peña, Jim Sidanius et Mark Sawyer, « “Racial Democracy” in the Americas. A Latin and North American Comparison », Journal of Cross-Cultural Psychology, vol. 35, n°6, 2004, pp. 749-762.
-
[32]
M. Monahan (dir.), Creolizing Hegel, op. cit.
-
[33]
M. Monahan, ibid. ; The Creolizing Subject. Race, Reason and the Politics of Purity, op. cit., et Jane Gordon, Creolizing Political Theory. Reading Rousseau through Fanon, op. cit.
-
[34]
On peut dire la même chose de Rosa Luxemburg, bien qu’elle n’ait été ni caribéenne ni africaine (tout en s’intéressant aux deux situations dans son effort pour comprendre le capitalisme global).
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[35]
Ma lecture de Mariátegui à ce propos se fonde sur les arguments développés par Katherine A. Gordy, dans « Neither Local nor Universal. José Carlos Mariátegui and the Task of Theory », in Diverse Lineages of Existentialism. Africana, Feminist and Continental Philosophy, St. Louis, Missouri, 2014.
-
[36]
Peter K. J. Park, Africa, Asia, and the History of Philosophy. Racism in the Formation of the Philosophical Canon, 1780-1830, op. cit.