Tumultes 2016/2 n° 47

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Article de revue

Le rêve, le désir et le réel

Marx ou Cabet

Pages 43 à 60

Notes

  • [1]
    Karl Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 » (trad. M. Rubel), in Œuvres Philosophie, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1982, pp. 344-46. Le voyage en Icarie, de Étienne Cabet, est de 1840.
  • [2]
    Karl Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 », op. cit., pp. 343-46. 
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion (trad. Marie Bonaparte), Paris, PUF, 1971, p. 45.
  • [5]
    Platon, La république (tr. G. Leroux), Paris, GF, 2002, V, 472c-d, souligné par moi.
  • [6]
    Il faudrait, par exemple, enlever les enfants à leur famille pour les élever selon les règles de l’éducation convenant à la cité juste (République, VII, 541 a).
  • [7]
    Comment le premier philosophe est sorti de la caverne restera toujours une énigme…
  • [8]
    Ibid., VII, 517a.
  • [9]
    Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie (trad. A-M. Lang et C. Piron-Audard), Paris, Gallimard, 1977.
  • [10]
    Miguel Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, Paris, Sulliver, 2000, p. 42.
  • [11]
    Ibid., p. 48.
  • [12]
    Ibid., p. 42.
  • [13]
    William Morris, News from Nowhere [1890], tr. V. Dupont : Nouvelles de nulle part, Paris, Aubier, 2004.
  • [14]
    Dans Le procès des maîtres rêveurs, op. cit., p. 49.
  • [15]
    Martin Buber, Utopie et socialisme (trad. P. Corset et F. Girard), Paris, Aubier-Montaigne, 1977. Voir également la préface d’Emmanuel Levinas.
  • [16]
    Cf. Miguel Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, pp. 49-50.
  • [17]
    William Morris, A Dream of John Ball, London, Nonesuch Press, 1948, p. 214, cité in M. Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, op. cit., p. 51. « … men fight and lose the battle, and the thing that they fought for comes about in spite of their defeat, and when it comes turns out not to be what they meant, and other men have to fight for what they meant under another name… »
  • [18]
    Jacques Derrida : « La différance » (conférence du 27 janvier 1968), in Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, pp. 8-9 : différer signifie à la fois temporiser et ne pas être identique. « Différance » désigne donc « le processus de scission et de division dont les différents ou les différences seraient les produits » dans le temps et l’espacement.
  • [19]
    Dans son Voyages et aventures de lord William Crisdall en Icarie publié sous le pseudonyme de Th. Dufruit en 1839 et republié l’année suivante sous son nom et avec le titre de Voyage en Icarie, Cabet propose un modèle d’utopie égalitaire, rationnelle, planifiée, soumise à un ordre contraignant aussi bien de l’espace que du temps, des mœurs que des travaux. C’est en 1847 que par un article paru dans Le Populaire (« Allons en Icarie ! »), il lance la campagne de recrutement qui allait conduire les Icariens jusqu’à Nauvoo en Illinois.
  • [20]
    Martin Buber, Utopie et socialisme, op. cit., p. 129.
  • [21]
    Jean-Christophe Petitfils, Les communautés utopistes au XIXe siècle [1982], Paris, Pluriel, 2010, p. 320.
  • [22]
    Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Paris, Payot, 2000 : « Marx est le plus utopiste des utopistes : peu soucieux de la société future, il se préoccupe uniquement de la destruction de la société présente. Mais il élève la révolution au rang d’une exigence totale » (p. 419). Voir aussi p. 342, note 2 : « … le socialisme marxien se nourrit de la même “raison utopique” que ses précurseurs et […] au fond, Marx s’est reconnu en Saint-Simon, Fourier, Weitling et Owen précisément parce que ces penseurs lui ont fourni une vision intégrée de la société libre… »
  • [23]
    Ernst Bloch, Le principe espérance, II. Les épures d’un monde meilleur (trad. F. Wuilmart), Paris, Gallimard, 1982, p. 143.
  • [24]
    Ernst Bloch, Le principe espérance, I (trad F. Wuimart), Paris, Gallimard, 1976, p. 16.
  • [25]
    Michael Löwy, « Ernst Bloch, Theodor Adorno : lumières du romantisme », in Marx au XXIe siècle. L’esprit & la lettre [15 juin 2009], http://www.preavis.org/ breche-numerique/article1639.html.
  • [26]
    Miguel Abensour, « Walter Benjamin, le guetteur de rêves », in L’utopie, de Thomas More à Walter Benjamin, Paris, Sens & Tonka, 2000, p. 127.
  • [27]
    Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 », op. cit., p. 345.
  • [28]
    Par exemple par Louis Marin dans Utopiques. Jeux d’espaces, Paris, Éd. de Minuit, 1973, p. 343.
  • [29]
    Ibid., p. 344.
  • [30]
    « Le projet d’émancipation du citoyen Cabet », cité dans L. Marin, ibid., pp. 346-7.
  • [31]
    L. Marin, ibid., p. 344.
  • [32]
    « Le projet d’émancipation du citoyen Cabet », cité dans L. Marin, ibid., p. 350.
  • [33]
    L. Marin écrit que Marx est l’auteur du texte, en le datant une première fois de 1848 et une deuxième fois de 1858. Ce texte a en réalité été publié en allemand en septembre 1847 à Londres, au moment où Cabet est venu en Angleterre pour obtenir le soutien de Robert Owen dans son projet de réalisation d’Icarie. Il est sans doute à attribuer à Karl Schapper à qui la confection du numéro avait été confiée par la ligue des communistes. Voir « Marx à mesure. Une anthologie commentée des écrits de Marx et Engels », dans Le cercle des études du marxisme, fascicule 13, p. 70, Association Joseph Jaquemotte : http://www.acjj.be/IMG/pdf/No_13_mise_en_ ligne.pdf (consulté le 04/09/2013).
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1 « Depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement », écrit Marx dans la lettre à Ruge de septembre 1843 [1]. Pour que le rêve devienne réalité il suffirait qu’ici et maintenant l’humanité prenne conscience de son désir ancien pour lui donner existence, pour l’actualiser et voir naître une société neuve.

2 Dans cette lettre à Ruge, Marx oppose cette prise de conscience aux projets utopiques d’Étienne Cabet. Nul besoin, pour Marx, de faire le Voyage en Icarie. Car pourquoi irions-nous créer de toutes pièces, ailleurs dans le « Nouveau monde », sous forme d’une communauté expérimentale et en totale rupture avec le passé, un avenir qui ne se laisse pas pressentir ici, dans l’ancien monde ? L’utopie icarienne ne présuppose-t-elle pas que ce monde-ci, avec son passé d’oppression et de domination, d’injustices et d’inégalités, n’est gros d’aucun avenir ? Monde mort à toute promesse, qu’il faut donc quitter pour tout recommencer à nouveau, ailleurs, afin de créer de nouvelles communautés fondées sur les vrais principes d’une société juste et égale. On peut évidemment escompter — c’est l’espoir des utopistes — que les expériences de communautés utopiques disséminées partout dans le monde finiront par faire la preuve qu’une communauté fondée sur ses vrais principes peut donner naissance à une vie sociale affranchie de l’oppression et de la domination.

3 Marx suggère, au contraire, en 1843, que ce monde-ci porte en lui un rêve ancien, refoulé, mais qui peut advenir. Prêter attention à ce rêve, c’est aussitôt avancer 1. que l’avenir n’est pas ailleurs, dans un autre monde, mais ici dans le vieux monde. Ou, pour le dire autrement, qu’il n’y a pas un ancien et un nouveau monde mais un monde : un monde qui dort, qui rêve et qui donc est gros d’avenir s’il se réveille et prend conscience de soi ; 2. qu’il s’agit de transformer ce monde-ci en donnant chair à son rêve, qu’il s’agit de le réveiller de son sommeil dogmatique au lieu de construire dogmatiquement un nouveau monde, ou encore de tenter de le fabriquer ailleurs, hors de ce monde-ci ; 3. et donc, enfin, qu’une tâche revient à la critique politique : opérer cette actualisation du rêve par une prise de conscience.

4 La tâche d’une philosophie impliquée dans les combats politiques, professe Marx, est « la critique impitoyable de tout l’ordre établi ». « Nous ne voulons pas anticiper le monde dogmatiquement, écrit-il, mais découvrir le monde nouveau, en commençant par la critique du monde ancien [2]. » Alors que l’anticipation projette un nouveau monde dans un avenir improbable, la découverte du rêve révèle dans le passé de celui-ci ses promesses d’avenir. Alors que l’anticipation de l’avenir est dogmatique et technologique (fabriquer une société nouvelle à partir d’une tabula rasa), la révélation du désir enfoui est critique et réflexive (actualiser les puissances du rêve). Alors que le communisme de Cabet est une abstraction dogmatique, il nous revient à nous, écrit Marx à Ruge, de « montrer au monde pourquoi il lutte en réalité […] La réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde conscient de lui-même, à le réveiller du sommeil où il rêve de lui-même, à lui expliquer ses propres actions ». Notre devise sera donc, ajoute-t-il : « réforme de la conscience, non par des dogmes, mais par l’analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même ». Bref, « il ne s’agit pas de tirer un grand trait suspensif entre le passé et l’avenir, mais d’accomplir les idées du passé [3]… ».

5 Marx oppose ainsi le réalisme de la critique politique au dogmatisme du socialisme utopique de Cabet. On a vu là plus tard l’opposition formulée entre un socialisme scientifique, réaliste, et un socialisme utopique, irréaliste. Mais peut-être s’énonce-t-il en réalité ici moins une alternative entre l’utopie dogmatique des communautés icariennes et le réalisme d’un combat politique visant à éveiller la conscience endormie des peuples asservis et exploités, qu’une alternative entre deux régimes du désir. C’est-à-dire aussi entre deux conceptions de l’utopie. Car s’expriment en effet là deux dimensions du désir : le désir d’un ailleurs à venir, condamné à ne jamais rencontrer que son propre naufrage pour prix de son accomplissement ; et le désir de justice qui, conscient de soi, peut prendre réalité comme conscience des injustices et désir de les combattre. Dans cet échange avec Ruge, Marx ne nous invite-t-il pas à penser la différence entre l’actualisation du désir (sa conscientisation, pourrait-on dire) et la réalisation de son objet (la création d’Icarie) ? Ou encore la différence entre une utopie réflexive qui fait venir le rêve à la conscience et donne chair à l’imagination, et une utopie fabricatrice qui soumet le rêve de justice aux formes concrètes et contraignantes d’un ordre social réputé parfait ? La première active le désir, elle l’actualise ; la seconde l’accomplit, elle le réalise.

6 Tel est le problème que je voudrais discuter. Je voudrais opposer l’actualisation du désir à la réalisation de son objet. Il n’y a pas d’utopie qui ne soit l’expression d’un désir ; pas de pensée de l’utopie qui ne soit une méditation sur le désir, et donc sur son rapport à la réalité. Mais on ne peut négliger cette tension du désir utopique pris entre l’actualisation du rêve et la réalisation de son objet : l’efficace très réelle de l’utopie n’est-elle pas de faire exister le rêve comme rêve et non de détruire aussi bien le rêve que la réalité en prétendant réaliser ce dernier ? Quelle serait alors la puissance propre de la vis utopica, son efficace spécifique ? Pour élucider le sens de cette tension au sein du désir utopique, je propose de repartir de l’argument socratique à propos du désir de la cité juste. Il y a une manière de comprendre ce qu’avance Socrate dans La république qui jette une lumière nouvelle sur le clivage qui travaille l’utopie au dix-neuvième siècle et que résume l’opposition de Marx et de Cabet.

Du désir utopique : le paradoxe de la cité irréalisable

7 Pas de politique sans désir d’une société dite juste et sans projection du désirable. Mais encore faut-il distinguer l’idéal souhaité de l’idéal réalisé, ou le désir de l’idéal et le désir de le réaliser. La définition d’un idéal politique ne saurait en effet être confondue avec le projet de le réaliser. Le désir qui vise l’idéal ne saurait jamais être illusoire (il n’est pas illusoire de désirer ce qu’on juge idéal). C’est seulement la prétention de le réaliser qui engendre l’illusion ou qui l’entretient. Comme l’écrit Freud, l’illusion est une « croyance dans laquelle prévaut la réalisation d’un désir [4] ». Il n’y a nulle illusion à désirer ce que nous jugeons souhaitable, car il serait inconcevable que nous souhaitions quelque chose sans que nous le désirions. En revanche, l’illusion réside dans la croyance que le souhaitable est à réaliser et qu’il est réalisable.

8C’est ce que nous fait comprendre Socrate dans La république de Platon. La cité idéale semble bien destinée à rester une Idée, à rester une cité idéelle. Ce n’est pas en vue de sa réalisation qu’on s’efforce de la concevoir : « C’était donc pour obtenir un modèle que nous cherchions à savoir ce qu’est la justice en soi, et ce que serait un homme parfaitement juste (…) Nous avions pour but de les regarder, pour voir comment ils nous apparaîtraient eu égard au bonheur et à son contraire (…) Ce n’était donc pas dans le but précis de démontrer comment ces choses-là peuvent en venir à exister [5]. » Il faut en effet convenir que, d’une part, sa réalisation n’est pas envisageable : il serait extrêmement difficile de réunir les conditions nécessaires à son effectuation à savoir l’intégration des femmes à l’égal des hommes dans le corps des gardiens, la communauté des femmes et des enfants et l’acceptation que les philosophes fussent rois. Mais surtout, d’autre part, que cette réalisation n’est, au fond, peut-être pas souhaitable. La troisième condition de réalisation de la cité soulève un paradoxe que Socrate suggère implicitement : puisqu’il n’est guère envisageable que les rois se fassent philosophes ou que les philosophes deviennent rois, force est de reconnaître que seul un tyran, par l’usage de la force, pourrait rendre la cité juste ! Celle-ci ne saurait être réalisée qu’en recourant aux moyens les plus injustes [6]. La perfection réalisée supposerait la tyrannie justifiée. Le désirable n’est pas réalisable sauf à détruire ce qui le rend désirable. On ne peut pas réaliser la cité désirable ; plus encore, on ne saurait pas non plus désirer qu’elle se réalise. Ce paradoxe alors rebondit : nous devons convenir que ce qui est le plus souhaitable, la cité juste, ne l’est qu’en raison de son irréalité ; et que ce qui est le plus désirable en parole — selon le logos — ne l’est pas en fait. Il n’est pas permis de désirer la réalisation du désirable. Inversement, qui désire vraiment la justice ne saurait désirer qu’existe en fait cette cité qu’on a reconnue être juste en idée. Qui désire vraiment la justice ne peut désirer que celle-ci se réalise. Tout ce qu’on peut désirer est que les hommes la recherchent, coordonnent leurs efforts en une lutte contre les injustices. Mais on ne peut désirer qu’ils se donnent réellement les moyens d’actualiser ce possible car ce serait désirer la tyrannie, ne serait-ce qu’à titre de moyen en vue de la justice. Or, injuste, le moyen contredirait la fin. On n’accèdera jamais à la justice par le moyen de l’injustice, même si, inversement, seule l’injustice des moyens pourrait actualiser, réaliser, la justice.

9 Nous comprenons que la cité juste ne peut pas exister comme une « chose » qu’on pourrait fabriquer, à laquelle on pourrait par certains moyens appropriés donner existence. La justice n’existe que comme objet d’une lutte constante et infinie pour la justice, jamais comme une œuvre réalisée, jamais comme un bien qu’on pourrait détenir ou forger par des moyens humains. La justice n’existe qu’autant que s’accomplissent des actions justes qui la rendent visible mais ne la réifient dans aucun rapport prétendu objectivement juste. Elle ne saurait être une « œuvre » produite au moyen d’une tekhne. La considération de la cité juste — ou dans notre langage, celle de l’imagination utopique et du désir qui la meut — nous apprend que la politique se contredit dans les technologies de domination des hommes et de gestion du social.

La réalisation du désir utopique : le despotisme

10Chacun connaît la célèbre allégorie de la caverne qui décrit l’humanité non éclairée comme un ensemble de prisonniers enchaînés à leurs préjugés, à leurs erreurs, prenant les apparences pour la réalité et condamnés à une inéluctable illusion. Inéluctable, car qui est sujet à l’illusion (assujetti à la caverne) ne peut pas en sortir puisqu’il lui faudrait être à l’extérieur pour savoir qu’il est à l’intérieur. Seul un philosophe peut, depuis l’extérieur où il a rencontré la vérité, nous délivrer de notre illusion [7]. La traduction politique de l’allégorie est aisée : seul un despote éclairé (un philosophe roi ou un roi philosophe) peut émanciper le peuple prisonnier de ses illusions. Ayant eu accès à l’idée vraie de la justice, le philosophe despote est supposé avoir acquis le principe de la distinction vérifiable entre l’apparence et la réalité, entre l’erreur et la vérité, entre l’illusion et la science. Voilà qui nous met en garde cette fois-ci contre les despotes éclairés et l’illusion du désir, propre aux Lumières, qui les anime, d’être ceux que le destin a désignés pour émanciper le peuple de ses illusions. Car à supposer même qu’il ait eu accès à la vérité, que le philosophe despote soit délivré des erreurs et des illusions de la caverne ne lui confère pas, pour autant, le pouvoir d’en délivrer le peuple. Son désir de vérité ne se traduit pas automatiquement en pouvoir émancipateur ; et son désir tout philosophique de réaliser politiquement son désir de vérité en cité juste pour tous ne le délivre pas, au contraire, de l’illusion qu’il en a le pouvoir et le droit.

11 Pourquoi le supposé détenteur de la vérité ne peut-il délivrer le peuple de ses illusions ? Il y a à cela deux raisons que Platon a exposées avec perspicacité. D’une part parce que le peuple ne le veut pas, prisonnier de ses propres illusions (il mettrait à mort, écrit Platon, le philosophe qui se risquerait à redescendre dans la caverne avec la prétention de délivrer les prisonniers [8]). Prisonnier de ses illusions, le peuple l’est, non parce qu’il prend ses désirs pour la réalité mais parce qu’il prend les pauvres apparences qui miroitent devant ses yeux pour l’objet de son désir (il a fait de l’apparence l’objet de son désir). Le peuple en réalité, pense Platon, ne peut pas désirer la vérité ; la vérité n’est pas populaire. C’est que le peuple ne peut pas désirer en excès de ce qu’il voit, de ce qu’il possède. Ce qui fait défaut au peuple et le tient en servitude, c’est la puissance du désir qui correspond à ce que Ernst Bloch a, pour sa part, nommé « l’excédent utopique [9] ». L’utopie est excessive, elle est de désirer plus que le souhaitable, elle est de désirer l’impossible, l’ineffectuable. Peuple est dans le langage de Platon le nom de ces prisonniers des images consommatoires livrées à leur regard, qui brident leur imagination, empêchent leur désir, entravent le mouvement par lequel ils pourraient concevoir d’avoir plus que ce à quoi on les persuade qu’il ont droit, d’être plus que ce à quoi les réduisent la place et la fonction auxquelles ils sont assignés.

12D’autre part, le philosophe ne peut pas, en réalité, désirer redescendre dans la caverne : s’il a réellement contemplé la vérité, alors il doit savoir que celle-ci n’est pas accessible au peuple. Il faudrait donc, savoureux paradoxe, tout l’art sophistique d’un Thrasymaque pour persuader le philosophe de renoncer à la contemplation de la vérité afin d’aller convaincre en la caverne les amateurs d’idoles qu’ils sont dans l’illusion. Mais cette victoire de la sophistique sur la philosophie serait une victoire des puissances persuasives, illusoires, sur la force convaincante de la vérité. On ne saurait délivrer le peuple de ses illusions qu’au prix d’une victoire de l’illusion. Toute la théorie léniniste du parti d’avant-garde — version révolutionnaire moderne de la théorie du philosophe-roi — est ici invalidée par avance : elle repose sur cette illusion. Le parti-roi ne « sait » ce que le peuple ignore, et le peuple ne peut le suivre, qu’au prix de cette illusion.

13D’un côté, l’excédent du désir utopique manquerait au peuple pour s’émanciper de lui-même. De l’autre, la prétention du pouvoir de détenir le moyen légitime d’émanciper le peuple (par la capacité qu’il croit avoir de le transformer) tient le despote (roi, gouvernement ou parti) dans l’illusion de la toute-puissance justifiée.

14 Qu’arrive-t-il alors si le peuple ne peut désirer au-delà du visible et du faisable et si la capacité émancipatrice du pouvoir est en réalité illusoire ? La république ne nous invite-t-elle pas à ne pas reproduire chez les gouvernants, despotes ou partis, qui se sentent investis d’une mission émancipatrice, l’illusion dans laquelle est supposé être le peuple, en se contentant d’en renverser la logique ? Faire de la vérité (de la cité idéelle connue en sa vérité) l’objet d’un désir pratique, politique (un idéal à réaliser), telle est la face inverse mais symétrique de l’illusion qui caractérise le peuple ignorant. Qui croit que la cité juste doit et peut être réalisée, celui-là est dans une illusion égale à celle du peuple qui croit, lui, que la seule réalité est celle qu’il vit, qu’il voit. L’émancipation politique requiert donc, d’une part, que le peuple puisse se livrer à l’excédent utopique en se délivrant du réalisme des images ; et que, d’autre part, le pouvoir puisse se délivrer, lui, de l’excès de réalisme qui justifie sa prétention au pouvoir en reconnaissant le caractère indéterminable du peuple et en acceptant de se livrer à l’indétermination de l’histoire.

15 Au fond, la leçon de Platon serait la suivante : en politique, la pire des illusions est de croire qu’on peut réaliser son désir, fût-il de justice — mais aussi, pourrait-on ajouter, d’égalité, de liberté, d’opulence, de pureté ethnique, etc. — sous la forme d’une société historiquement fabriquée qui correspondrait à l’idée que nous pouvons nous faire de la cité juste. Bref, la pire des illusions serait de croire que par une politique scientifiquement établie et judicieusement adaptée, les hommes pourraient faire en sorte que les cités réelles soient façonnées sur le modèle de la cité idéelle et idéale afin que les cités réelles, imparfaites, cèdent la place à la cité parfaite. On peut dire cela autrement : la plus dangereuse des illusions politiques est de dénier l’utopie dans sa dimension utopique pour prétendre la réaliser dans les faits. C’est-à-dire d’en faire une technologie de la fabrication sociale, indissociable d’une technologie de la domination politique.

Les deux visages de l’utopie moderne : la voie droite et la voie oblique

16Il y a donc au moins deux manières de penser l’utopie, et deux usages de l’utopie : l’un qui se tient dans l’excédent du désir à distance de sa réalisation ; et l’autre qui, parce qu’il en recherche l’effectuation, précipite le naufrage de l’idéal. Aussi peut-on, comme nous y invite Miguel Abensour, distinguer deux pôles entre lesquels les utopies installent une tension irréductible, tension qui pourrait être le lieu propre, inassignable, du politique. Les unes « rabattent l’énergie utopique (la vis utopica) sur l’État, au nom de l’organisation harmonieuse de la société et (…) hantées par la recherche de la constitution parfaite, replient cette force sur la forme État [10] ». Ces utopies qui « visent une organisation positive » sont « habitées par l’illusion d’un bon régime, tendent à l’effectuation, à nouer un rapport immédiat avec une pratique politique [11] ». Avec elles, le désir de perfection cherchant à se réaliser risque toujours de s’inverser en tyrannie. Les autres, à l’inverse, « se déprenant du désir de l’État », visent le « tout autre social [12] » et invitent à ne jamais rabattre le lien humain et l’action politique sur le seul plan de l’organisation ou de la forme institutionnelle. En ce cas, le désir tenu à distance de son effectuation positive déploie une puissance critique et inventive dont le politique ne saurait se passer. Celles-là, pourrait-on dire aussi, ne vivent pas dans l’illusion de la réalisation du désir, de l’effectuation positive : elles inscrivent l’altérité du désir, le « tout autre » social (le no-where) dans le hic et nunc de l’agir-ensemble (now-here) [13] en sorte d’accueillir dans le lieu présent de la société ce non-lieu à venir qui défait par avance le fantasme d’une organisation parfaite du social.

17 Considérée sous cet angle, la tradition utopique se diversifie. Pour les utopies qui « s’inscrivent, dans la tradition du jacobinisme, dans une stratégie globale de création d’un parti politique », la fabulation « est réduite à une simple fonction ornementale » et la dimension utopique « devient programme, elle se décompose en solutions ». Émerge alors la figure du pouvoir comme lieu et mode d’institution des rapports sociaux, figure du bon gouvernement qui détient un savoir du social et prétend faire advenir la bonne organisation. De cette figure despotique de l’utopie, fusion du socialisme et de l’État, les communautés icariennes fournissent une illustration sous la forme de la réalisation d’un désir, d’une effectuation étatique de la cité rêvée. Mais, comme le fait remarquer Miguel Abensour, c’est aussi du sein même de la tradition utopique qu’est née la critique de cette illusion politique (« Déjacque contre Cabet ou Louis Blanc, William Morris contre Bellamy [14] »).

18 Car une tout autre tradition s’oppose, au contraire, au modèle révolutionnaire né de 1793, à la révolution par l’État, en une visée plus subversive que constructive dont Martin Buber a noté l’originalité au dix-neuvième siècle [15]. Ce qui la caractérise : une stratégie anti-étatique, l’ouverture d’un espace horizontal d’expérimentation sociale, le déploiement de micro-communautés décentralisées comme autant de lieux de socialisations hétérogènes qui résistent à l’organisation verticale du pouvoir étatique et donnent jour à une « société de sociétés [16] ». Loin de nourrir l’illusion d’un accomplissement rationnel de la cité parfaite dans l’histoire, l’utopie entendue en ce sens invite au contraire à creuser en permanence l’écart entre la société utopique et ses institutions, introduisant par là l’idée d’une modification constante de ce qui est rêvé ou désiré.

19Il y aurait ainsi une étrange historicité de la réalisation critique et non programmatique des rêves ou des utopies insurrectionnelles au gré d’actions et de luttes sociales qui ne s’ordonnent pas par avance à un pouvoir centralisateur ou organisationnel. La clé de cette étrange historicité est donnée par William Morris : « Les hommes combattent et perdent la bataille, et la chose pour laquelle ils ont lutté advient malgré leur défaite. Quand elle advient, elle se révèle être différente de ce qu’ils avaient visé et d’autres hommes doivent alors combattre pour ce qu’ils avaient visé, sous un autre nom[17]. »

20 William Morris suggère une dynamique historique au lieu d’une statique étatique : une dynamique qui ne vient jamais achever le désir (le contenter et l’éteindre) mais le reporte sans cesse depuis l’inaccomplissement des efforts que l’on entreprend pour le réaliser, en sorte que jamais le désir n’aboutit, jamais il ne cesse, car son objet, jamais possédé, est toujours relancé et poursuivi. On peut dire, selon la compréhension qu’en a proposé Jacques Derrida, que le désir différé dans le temps renaît, certes, mais différemment : repris par d’autres sous d’autres noms, l’objet du désir est pris dans une « différance [18] », et cette différance est au principe même de l’utopie comprise par Morris. Les luttes que nous menons pour que s’accomplisse ce que nous désirons, et qui toujours échouent en partie, ne cessent cependant de renaître, les mêmes et pourtant autres, entretenant le désir par delà réussites et échecs. Utopies de la différance, comme temporisations et espacements, non comme planifications et ordonnancements.

21Cette compréhension de la nature des luttes politiques est une compréhension à la fois critique et profondément utopique. Le désir ne se réalise pas en se dotant d’une structure de domination, structure organisationnelle, en s’inféodant à un pouvoir et en usant de moyens coercitifs. Le désir s’accomplit dans une action et non dans une œuvre, dans une lutte et non dans une administration : accomplissement indéfini, interminable puisque l’utopie ainsi comprise ne saurait actualiser le désir qu’en le reconduisant à son foyer originel, faisant ainsi valoir qu’aucune forme politique achevée ne pourrait, sans contradiction, le satisfaire. Et ce désir ne peut lutter pour sa réalisation qu’en luttant en même temps contre lui-même, contre sa propre tendance à désirer le pouvoir, la domination et la servitude puisque, après tout, pouvoir et organisation sont eux-mêmes toujours en lutte contre les puissances du désir. Ce qui fait de Fourier l’utopiste parfait, celui qui retourne la passion désirante contre le désir d’ordre que recèle toujours le désir se réalisant. Seul le désir différant et différé de l’utopie critique s’élève contre les formes étatiques des utopies planifiées qui détruisent la vis utopica.

Les naufrages ou la politique réelle

22Cependant, une part importante des expériences communautaires des dix-neuvième et vingtième siècles a consisté, avec plus ou moins de rigueur, à planifier l’avenir à partir d’une organisation du présent. C’est ce que fit Cabet en Icarie, dans la colonie de Nauvoo, qui finit après quelques années par se diviser et reproduire en son sein les oppositions de valeurs et d’intérêt qui travaillent de l’intérieur toute société quelle qu’elle soit [19]. Comme le rappelle Martin Buber, la colonie a connu scission sur scission. D’une part, parce que Cabet se révèle autoritaire, d’autre part et surtout, parce que « sous la forme d’une dictature des promoteurs du plan, il revendiquait un dogmatisme du plan [20] ». Se rejoue alors, dans la nuit du 3 février 1856, une scène de la Révolution française, la « journée du jeu de Paume » — qui devait bien sûr condamner bientôt la communauté à une scission irréparable conduisant à un nouveau 9 thermidor où Cabet ferait « figure de dictateur déchu [21] ». Dans cette histoire de la dissolution des communautés icariennes de Nauvoo et de Corning, s’observe le paradoxe des communautés utopistes construites sur l’idéalisation d’une société bien ordonnée donnant corps au désir de cité juste. En raison de l’ordre dont elles se prévalent pour imposer égalité, fraternité et justice, elles reproduisent incontinent le balancement entre l’autoritarisme des dictatures et les désordres des sociétés démocratiques avec leur cortège de rivalités et de conflits. La réalisation concrète, extraordinaire, du désir de justice s’accomplit en naufrage ordinaire de la société.

Le rêve éveillé : Marx avec Bloch

23Comme le suggère Maximilien Rubel, Marx n’a pas opposé son socialisme scientifique au socialisme utopique de ses prédécesseurs, il a pensé en sa radicalité la dimension utopique du socialisme là où certains utopistes, prétendant réaliser scientifiquement leur utopie, ont désavoué l’excédent utopique et conduit le désir au naufrage [22]. De ce point de vue, on peut lire Marx à la manière dont Ernst Bloch comprend l’utopie, manière qu’il voit poindre chez Marx lui-même et qui est, pourrait-on dire, tout entière contenue dans la lettre à Ruge. Alors qu’Icarie est « un édifice unitaire et homogène » dont les communautés expérimentales de l’Illinois et du Missouri devaient fournir un modèle destiné à préfigurer l’avenir de la France [23], Marx s’attache à réveiller les germes utopiques d’un avenir dans les rêves de l’Europe aux anciens parapets. Et c’est là la tâche utopiste par excellence selon Bloch : repérer dans le présent les traces d’un passé qui appelle un avenir, qui feront advenir, à condition qu’on en prenne conscience, ce qui n’est pas encore de l’ordre de l’être. À un tel regard critique, « les barrières dressées entre l’avenir et le passé s’effondrent d’elles-mêmes, de l’avenir non devenu devient visible dans le passé, tandis que du passé vengé et recueilli comme un héritage, du passé médiatisé et mené à bien devient visible dans l’avenir [24] ». Le passé saisi dans les rêves de justice devient une « source vivante pour l’action révolutionnaire, pour une praxis orientée vers l’accomplissement de l’utopie [25] ». Marx l’utopiste, guetteur de rêve, donc, au sens de Walter Benjamin : « Le guetteur de rêve, écrit Miguel Abensour, n’est pas là pour surveiller le caractère peut-être périlleux du rêve de justice au regard de l’ordre existant, il se tient là pour guetter dans les rêves du collectif — à l’encontre des forces mythiques qui travaillent à prolonger le sommeil de l’univers capitaliste — l’éclat fragile qui soudain provoque le réveil et arrache au maléfice du XIXe siècle [26]. » Si les rêves attendent secrètement le réveil, comme le dit Benjamin, alors Marx l’utopiste se présente ici comme un technicien du réveil qui prend acte du rêve collectif, donne à la société l’occasion de se réveiller plutôt que de la laisser succomber aux mythes séducteurs du pouvoir et de la société juste.

24Telle serait la dimension proprement utopique du projet critique de Marx en 1843, et tel serait aussi le principe de toute utopie : développer pour le monde des principes nouveaux tirés des principes mêmes du monde. « Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouilletoi ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde[27]. »

25 C’est ce que redira avec fermeté le texte publié en 1847 dans le premier et seul numéro de La revue communiste (publié en allemand à Londres), à propos de l’appel lancé par Cabet afin de recruter des volontaires pour aller fonder Icarie au Texas. Intitulé « Le projet d’émancipation du citoyen Cabet », ce texte anonyme attribué à Marx [28] confirme ce qu’on peut lire dans la lettre à Ruge de 1843. Après avoir vanté les mérites de Cabet dans sa lutte acharnée pour « la cause de l’humanité souffrante », le texte condamne avec virulence le projet d’installation en Icarie. Comme le dit Louis Marin dans un très stimulant commentaire de ce texte, « non seulement l’utopie n’est pas “réalisable”, mais elle ne peut se réaliser sans se détruire elle-même [29] ». Si elle est nulle part, l’utopie ne pourra pas être en Icarie, au Texas ou ailleurs, sans cesser d’être utopique. Plus encore, elle ne saurait se réaliser sans détruire l’utopie au profit d’une anarchie sociale, de déchirements politiques et de rapports de force qui finiront dans les plus révoltantes dominations. Avec une surprenante lucidité, le texte énonce par avance cinq raisons de l’échec inévitable de la communauté utopique réalisée :

26

  • les Icariens sont encore trop imprégnés des préjugés de la société actuelle ;
  • il en résultera « des querelles et des frictions que la société extérieure, puissante et hostile, ainsi que les espions des gouvernements européens, attiseront encore davantage » jusqu’à la dissolution complète de la société communiste ;
  • parce qu’il faut des travailleurs agricoles et non des artisans ;
  • parce que les privations et les maladies entraîneront un découragement insurmontable ;
  • parce que la communauté des biens prétendument réalisée « sans période de transition démocratique » revient pour un laboureur à vouloir récolter sans avoir semé [30].

27 Pour Marx, cette utopie-là, icarienne, n’est tout simplement pas réalisable ; mais elle n’est même pas souhaitable. Car à l’inverse, suggère Louis Marin lisant ce texte à la lumière du Principe espérance de Ernst Bloch, « l’utopie relève de l’espérance, c’est-à-dire de la surprise devant le futur qui s’indique dans le présent même. […] Elle est la latente poussée de ce qui est en train de passer, de se dire, et en se disant, de faire advenir le nouveau, l’autre inattendu, dans le flux de sa parole [31] ».

28 Aussi Marx enjoint-il les communistes à travailler à cette espérance du sein de la vieille Europe : « Frères, restons sur la brèche de notre vieille Europe, travaillons et luttons ici, car ce n’est qu’en Europe qu’il existe actuellement déjà tous les éléments pour l’établissement d’une communauté des biens, et cette communauté sera établie ici ou ne le sera nulle part [32]. » 

29 Aussi bien le texte de Marx que le commentaire qu’en propose Louis Marin confirment avec force la leçon qu’on a cru pouvoir dégager de la lettre à Ruge de 1843.

30 Cependant…

31 Cependant, il se pourrait qu’en apportant de l’eau à mon moulin, Louis Marin, par ce commentaire, ait aussi pris ses désirs pour des réalités. Car, contrairement à ce qu’il avance, et comme une rapide enquête m’amène à le penser, il est plus que vraisemblable que le texte de 1847 ne soit pas de… Marx. Le texte publié anonymement serait sans doute de Karl Schapper [33]. Ce dernier, qui fut lié à Blanqui d’un côté, à Cabet de l’autre, et qui se rapprocha de Engels et de Marx au milieu des années 1840 pour s’opposer à eux ensuite et finalement se réconcilier, exprime peut-être, cependant, assez fidèlement la pensée de Marx. Je vois en tout cas un signe dans le fait que Louis Marin a rêvé que le texte fût de Marx, réalisé ce rêve en le commentant comme s’il était de Marx ; et qu’il a, ce faisant, peut-être dit la vérité de l’utopie marxienne, assez « réaliste » dans son irréalisme, contre l’utopie cabetienne, irréaliste dans son réalisme.


Date de mise en ligne : 06/12/2016

https://doi.org/10.3917/tumu.047.0043

Notes

  • [1]
    Karl Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 » (trad. M. Rubel), in Œuvres Philosophie, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1982, pp. 344-46. Le voyage en Icarie, de Étienne Cabet, est de 1840.
  • [2]
    Karl Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 », op. cit., pp. 343-46. 
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion (trad. Marie Bonaparte), Paris, PUF, 1971, p. 45.
  • [5]
    Platon, La république (tr. G. Leroux), Paris, GF, 2002, V, 472c-d, souligné par moi.
  • [6]
    Il faudrait, par exemple, enlever les enfants à leur famille pour les élever selon les règles de l’éducation convenant à la cité juste (République, VII, 541 a).
  • [7]
    Comment le premier philosophe est sorti de la caverne restera toujours une énigme…
  • [8]
    Ibid., VII, 517a.
  • [9]
    Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie (trad. A-M. Lang et C. Piron-Audard), Paris, Gallimard, 1977.
  • [10]
    Miguel Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, Paris, Sulliver, 2000, p. 42.
  • [11]
    Ibid., p. 48.
  • [12]
    Ibid., p. 42.
  • [13]
    William Morris, News from Nowhere [1890], tr. V. Dupont : Nouvelles de nulle part, Paris, Aubier, 2004.
  • [14]
    Dans Le procès des maîtres rêveurs, op. cit., p. 49.
  • [15]
    Martin Buber, Utopie et socialisme (trad. P. Corset et F. Girard), Paris, Aubier-Montaigne, 1977. Voir également la préface d’Emmanuel Levinas.
  • [16]
    Cf. Miguel Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, pp. 49-50.
  • [17]
    William Morris, A Dream of John Ball, London, Nonesuch Press, 1948, p. 214, cité in M. Abensour, Le procès des maîtres rêveurs, op. cit., p. 51. « … men fight and lose the battle, and the thing that they fought for comes about in spite of their defeat, and when it comes turns out not to be what they meant, and other men have to fight for what they meant under another name… »
  • [18]
    Jacques Derrida : « La différance » (conférence du 27 janvier 1968), in Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, pp. 8-9 : différer signifie à la fois temporiser et ne pas être identique. « Différance » désigne donc « le processus de scission et de division dont les différents ou les différences seraient les produits » dans le temps et l’espacement.
  • [19]
    Dans son Voyages et aventures de lord William Crisdall en Icarie publié sous le pseudonyme de Th. Dufruit en 1839 et republié l’année suivante sous son nom et avec le titre de Voyage en Icarie, Cabet propose un modèle d’utopie égalitaire, rationnelle, planifiée, soumise à un ordre contraignant aussi bien de l’espace que du temps, des mœurs que des travaux. C’est en 1847 que par un article paru dans Le Populaire (« Allons en Icarie ! »), il lance la campagne de recrutement qui allait conduire les Icariens jusqu’à Nauvoo en Illinois.
  • [20]
    Martin Buber, Utopie et socialisme, op. cit., p. 129.
  • [21]
    Jean-Christophe Petitfils, Les communautés utopistes au XIXe siècle [1982], Paris, Pluriel, 2010, p. 320.
  • [22]
    Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Paris, Payot, 2000 : « Marx est le plus utopiste des utopistes : peu soucieux de la société future, il se préoccupe uniquement de la destruction de la société présente. Mais il élève la révolution au rang d’une exigence totale » (p. 419). Voir aussi p. 342, note 2 : « … le socialisme marxien se nourrit de la même “raison utopique” que ses précurseurs et […] au fond, Marx s’est reconnu en Saint-Simon, Fourier, Weitling et Owen précisément parce que ces penseurs lui ont fourni une vision intégrée de la société libre… »
  • [23]
    Ernst Bloch, Le principe espérance, II. Les épures d’un monde meilleur (trad. F. Wuilmart), Paris, Gallimard, 1982, p. 143.
  • [24]
    Ernst Bloch, Le principe espérance, I (trad F. Wuimart), Paris, Gallimard, 1976, p. 16.
  • [25]
    Michael Löwy, « Ernst Bloch, Theodor Adorno : lumières du romantisme », in Marx au XXIe siècle. L’esprit & la lettre [15 juin 2009], http://www.preavis.org/ breche-numerique/article1639.html.
  • [26]
    Miguel Abensour, « Walter Benjamin, le guetteur de rêves », in L’utopie, de Thomas More à Walter Benjamin, Paris, Sens & Tonka, 2000, p. 127.
  • [27]
    Marx, « Lettre à Ruge de septembre 1843 », op. cit., p. 345.
  • [28]
    Par exemple par Louis Marin dans Utopiques. Jeux d’espaces, Paris, Éd. de Minuit, 1973, p. 343.
  • [29]
    Ibid., p. 344.
  • [30]
    « Le projet d’émancipation du citoyen Cabet », cité dans L. Marin, ibid., pp. 346-7.
  • [31]
    L. Marin, ibid., p. 344.
  • [32]
    « Le projet d’émancipation du citoyen Cabet », cité dans L. Marin, ibid., p. 350.
  • [33]
    L. Marin écrit que Marx est l’auteur du texte, en le datant une première fois de 1848 et une deuxième fois de 1858. Ce texte a en réalité été publié en allemand en septembre 1847 à Londres, au moment où Cabet est venu en Angleterre pour obtenir le soutien de Robert Owen dans son projet de réalisation d’Icarie. Il est sans doute à attribuer à Karl Schapper à qui la confection du numéro avait été confiée par la ligue des communistes. Voir « Marx à mesure. Une anthologie commentée des écrits de Marx et Engels », dans Le cercle des études du marxisme, fascicule 13, p. 70, Association Joseph Jaquemotte : http://www.acjj.be/IMG/pdf/No_13_mise_en_ ligne.pdf (consulté le 04/09/2013).

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