Notes
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[1]
Par exemple : Ilina Singh, « A framework for understanding trends in ADHD diagnoses and stimulant drug treatment : Schools and schooling as a case study », BioSocieties, vol. 1, 2006, pp. 439-452 ; C. H. Besseyre des Horts, H. Isaac, « L’impact des TIC mobiles sur les activités des professionnels en entreprise », Revue française de gestion, 32, 1, 2006, pp. 243-263 ; V. Gonzalez et G. Mark, « Constant, constant, multi-tasking craziness : Managing multiple working spheres », Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 6,1, 2004, pp. 113-120.
-
[2]
Richard Lanham, The Economics of Attention, Chicago, University of Chicago Press, 2006. Voir aussi Yves Citton (dir.), L’économie de l’attention, Paris, La Découverte, 2014.
-
[3]
S. Weil, Leçons de philosophie, édité par A. Reynaud-Guérithault, Paris, Plon, 1989, p. 218. Dans La condition ouvrière, on peut aussi lire : « Les exercices scolaires n’ont pas d’autre destination sérieuse que la formation de l’attention. » (S. Weil, La condition ouvrière, édité par R. Chenavier, Paris, Gallimard, 2002, p. 430). Nous utiliserons désormais l’abréviation CO et pour les Leçons, l’abrévation L.
-
[4]
J. Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, 10-18, 2004, p. 85 ; désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le signe MI, suivi du numéro de page.
-
[5]
Sauf erreur, Rancière ne fait que la mentionner brièvement dans un entretien.
-
[6]
J. Rancière, La méthode de l’égalité, Paris, Bayard, 2012, p. 68.
-
[7]
Aucun commentateur de Rancière ne s’est attardé sur la question de l’attention chez ce dernier. Le même constat ne s’applique pas à Weil : ici les excellentes discussions sont fort nombreuses. Voir, entre autres, Robert Chenavier, Simone Weil. L’attention au réel, Paris, Michalon, 2009 ; Joël Janiaud, « Simone Weil et l’attention », dans Chantal Delsol (dir.), Simone Weil, Paris, Éditions du Cerf, 2009 ; Mario von der Ruhr, Simone Weil : An Apprenticeship in Attention, Londres, Continuum, 2006.
-
[8]
Selon Rancière, raconter une histoire présuppose que l’on embrasse l’idée d’égalité de l’intelligence de tous — présupposé clef de l’émancipation. Voir J. Rancière, « On Ignorant Schoolmasters », dans Charles Bingham et Gert Biesta (dir.), Jacques Rancière : Education, Truth, Emancipation, Londres, Bloomsbury ; et MI, pp. 109-110.
-
[9]
MI, p. 19.
-
[10]
Ibid., pp. 15-16.
-
[11]
Il faut annoncer cette nouvelle « d’abord aux pauvres » ; voir MI, pp. 34 et 175 (deux passages remarquables étant donné le rapport complexe entre Rancière et la catégorie des « pauvres »). Il y aurait beaucoup à dire sur cette question ; nous ne ferons que noter qu’en page 175, Rancière précise que la méthode Jacotot n’est pas une « méthode de pauvres ».
-
[12]
MI, p. 51.
-
[13]
Ibid., p. 29.
-
[14]
La contrainte de la volonté du maître ou celle du livre. Ibid., p. 51.
-
[15]
Ibid., p. 40.
-
[16]
Ibid., p. 41.
-
[17]
Ibid., p. 45.
-
[18]
J. Rancière, « Choses (re)dites par Jacques Rancière », dans Marc Derycke et Michel Peroni (dir.), Figures du maître ignorant, Université de Saint-Étienne, 2010, pp. 422-423.
-
[19]
Andréa Benvenuto, Laurence Cornu et Patrice Vermeren, « L’actualité du “Maître ignorant” : Entretien avec Jacques Rancière », Le Télémaque, 2005/1, n°27, p. 27. (Désormais Entretien.)
-
[20]
MI, p. 92.
-
[21]
Ibid., p. 132.
-
[22]
Si pour Rancière la cause principale des erreurs est la distraction, pour Weil, c’est la précipitation. Voir entre autres Attente de Dieu, Paris, Éditions du Vieux-Colombier, 1950, p. 93 ; désormais AD.
-
[23]
AD, p. 96 ; voir aussi CO, p. 430.
-
[24]
AD, p. 92.
-
[25]
S. Weil, « La volonté et l’attention », Appendice VII, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 1988, p. 389 ; désormais OC I.
-
[26]
Ibid., p. 392.
-
[27]
Voir par exemple S. Weil, La pesanteur et la grâce, Paris, Plon, 1991, p. 194.
-
[28]
AD, p. 91.
-
[29]
Ibid., p. 88 ; nous soulignons. Voir aussi L, p. 178. Comme l’a bien noté J. Janiaud (op. cit.), la conception weilienne de l’attention (et sa relation à la volonté) a quelque chose d’équivoque : l’attention est cruciale pour les actes volontaires, mais on ne peut pourtant pas la forcer.
-
[30]
MI, p. 87.
-
[31]
J. Rancière, Le philosophe et ses pauvres, Paris, Flammarion, 2007, p. xi.
-
[32]
J. Rancière, « Choses (re)dites », op. cit., p. 414.
-
[33]
CO, pp. 431-433.
-
[34]
Sur l’importance de la pensée méthodique voir Réflexions dans S. Weil, Œuvres, Gallimard, Paris, 1999, pp. 315-326.
-
[35]
Nous ne nions pas, cependant, que Rancière aurait eu peu de patience pour la conception weilienne de la vérité et de l’impersonnel (mais nous ne pouvons ici aborder plus avant cette question).
-
[36]
AD, p. 39 ; aussi CO, p. 431. Weil ne nie pas les différences de « talents » : rappelons le désespoir dans lequel elle sombra lorsqu’elle prit conscience des capacités prodigieuses de son frère. Mais ces « mois de ténèbres » eurent un effet heureux en ce qu’elle acquit la conviction qu’il existe différentes routes vers la vérité (la sienne serait l’attention).
-
[37]
S. Weil, L, p. 236 (italiques dans l’original).
-
[38]
Ibid., p. 235 (italiques dans l’original).
-
[39]
Entretien, p. 23.
-
[40]
MI, pp. 51-52.
-
[41]
« Il faut les élever à leurs propres yeux » (CO, p. 215) ; cité aussi dans Jacques Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, Paris, Plon, 1957.
-
[42]
MI, p. 132.
-
[43]
MI, p. 177. Comparez avec Weil : « Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus » (AD, p. 93 ; nous soulignons).
-
[44]
MI, p. 105.
-
[45]
Voir aussi AD, pp. 136-138.
-
[46]
MI, p. 162.
-
[47]
« Introduction à des cours à l’intention d’ouvriers », OC II 1, p. 45.
-
[48]
J. Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, op. cit., pp. 124 et 79-82. Voir aussi André Devaux, « Simone Weil Professeur au-delà de sa classe », Cahiers Simone Weil, XX, 1, mars 1997.
-
[49]
MI, p. 26.
-
[50]
On peut lire la « méthode universelle », la « méthode Jacotot », etc. Parfois Rancière ne met pas de guillemets. Par exemple, à la page 51 il parle de la méthode de l’élève sans guillemets.
-
[51]
MI, p. 33.
-
[52]
Ainsi, pour Rancière, la barrière à franchir n’est pas celle qui sépare ignorance et savoir, mais la « barrière entre ceux qui ont l’opinion de l’égalité et ceux qui ont l’opinion de l’inégalité » (Entretien, op. cit., p. 31).
-
[53]
J. Rancière, « Choses (re)dites par Jacques Rancière », op. cit. (nous soulignons). Voir aussi « On ignorant schoolmasters », op. cit., p. 14, et Entretien, op. cit., p. 33.
-
[54]
Entretien, op. cit., p. 33-34.
-
[55]
AD, p. 9.
-
[56]
Voir J. Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, op. cit., p. 75.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
« La recherche d’une véritable méthode de vulgarisation — chose complètement inconnue jusqu’à nos jours — est une de mes préoccupations dominantes. » (CO, p. 225). Comparer avec MI, pp. 51-54.
-
[59]
Il serait par ailleurs intéressant de comparer en détail les concepts weiliens de traduction, transposition et de lecture avec les concepts ranciériens de traduction et contre-traduction. MI, pp. 118-120.
-
[60]
Voir Fragments à L’enracinement, dans OC V, p. 380.
-
[61]
Voir aussi S. Weil, Œuvres, op. cit., pp. 1053-1054. À la page 1067, elle insiste aussi sur le fait que l’un des remèdes au déracinement ouvrier consiste en une « traduction » des vérités : « Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent. Non pas prendre les vérités, déjà bien trop pauvres […] pour les dégrader, les mutiler, les vider de leur saveur ; mais simplement les exprimer, dans leur plénitude […] L’art de transposer les vérités est un des plus essentiels et des moins connus. »
-
[62]
« Deux tâches : Individualiser la machine ; individualiser la science (vulgarisation, une université populaire à forme socratique concernant les fondements des métiers) » (S. Weil, La pesanteur et la grâce, op. cit., p. 272).
-
[63]
MI, p. 95.
-
[64]
Le génie n’est qu’« apprendre, répéter, imiter, traduire, décomposer, recomposer » (MI, p. 116).
-
[65]
Voir « L’habitude », Appendice VII, OC I. Comme Daniel Boitier le note bien, non seulement l’élève doit être humble, mais le maître aussi — l’éducation weilienne nécessite un « maître en retrait » (« L’éducation comme attention à la faute », Cahiers Simone Weil, XIX, 4, 1996). Il est juste, selon Boitier, de parler d’une « ascèse de la distance » (p. 359).
-
[66]
Ibid., OC I, p. 386.
-
[67]
CO, p. 430.
-
[68]
MI, p. 53.
-
[69]
AD, pp. 85-86.
-
[70]
MI, p. 29 ; nous soulignons.
-
[71]
AD, p. 88 ; nous soulignons.
-
[72]
AD, p. 94. Mais comparer avec « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », dans Œuvres (op. cit., p. 316), où elle identifie un modèle abstrait de liberté dans la résolution correcte d’un problème de géométrie.
-
[73]
MI, pp. 169-170.
-
[74]
Entretien, op. cit., pp. 32-33.
-
[75]
« On ignorant schoolmasters », op. cit., p. 8.
-
[76]
MI, pp. 173-174.
-
[77]
« On ignorant schoolmasters », p. 9.
-
[78]
J. Rancière, La mésentente, Paris, Galilée, 1995, p. 54.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Voir par exemple AD, p. 25.
-
[81]
S. Weil, « L’enracinement », Œuvres, op. cit., p. 1043.
-
[82]
CO, p. 433.
-
[83]
Weil, « L’attention », Appendice VII, OC I, p. 391.
-
[84]
Ibid., p. 392.
-
[85]
L’effet des ordinateurs portables dans nos salles de classe est considérable, même lorsque c’est quelqu’un à proximité (et non pas nous-mêmes) qui en utilise un. Voir par exemple Sana Faria, Tina Weston et Nicholas J. Cepeda, « Laptop multitasking hinders classroom learning for both users and nearby peers », Computers & Education, vol. 62, 2013, pp 24-31.
-
[86]
Weil, La connaissance surnaturelle, Paris, Gallimard, 1950, p. 323.
« L’intelligence, c’est l’attention. »
1 Depuis les vingt dernières années, l’attention est devenue un objet d’étude important pour les économistes, pharmacologues, publicitaires et spécialistes de l’informatique. Chaque année, des milliers d’études tentent de découvrir comment saisir et maintenir aussi longtemps que possible l’attention d’un consommateur, d’un électeur, d’un travailleur ou encore d’un élève hyperactif [1]. Dans une ère où nous baignons dans l’information et une stimulation technologique effrénée, l’objet principal de convoitise des entreprises, journalistes, partis politiques et employeurs est l’attention. Nous vivons dans une « économie de l’attention [2] ». Dans ce contexte, il est surprenant que la science politique se soit si peu penchée sur la question de l’attention et de son importance sociopolitique. Après tout, l’étude de ce phénomène ne peut être confiée uniquement aux gestionnaires, aux compagnies pharmaceutiques ou aux publicitaires. Le présent article tentera de rompre modestement ce silence, en orchestrant une conversation entre deux penseurs politiques qui ont su apprécier le rôle de l’attention dans l’éducation et l’émancipation : Simone Weil et Jacques Rancière.
2Tous deux alliés puis critiques du marxisme, auteurs rebelles résistant à toute classification facile, Weil et Rancière ont chacun consacré de nombreuses années de leur vie à étudier la condition ouvrière ainsi que les rapports troubles de l’intellectuel aux malheureux, aux « sans-parts ». Or, au cœur de leurs réflexions sur l’émancipation ouvrière, on retrouve une conviction partagée quant à l’importance de cultiver l’attention. Dans ses Leçons de philosophie, Weil affirme ainsi que c’est l’attention (plutôt que le logos) qui distingue l’homme de l’animal [3], et dans un passage bien connu d’Attente de Dieu, elle suggère que la formation de l’attention devrait être la seule visée des études et l’assise d’une société plus juste. Dans Le maître ignorant, Rancière définit lui aussi l’être humain comme « un animal attentif [4] » et affirme que l’attention est cruciale pour l’émancipation. Nous avons ici la base d’un riche dialogue, bien que Rancière ne cite pas Weil dans ses écrits [5]. Mais en fait, il importe peu de savoir si Rancière a bel et bien lu Weil, puisque la visée de notre article n’est pas de mesurer l’influence de cette dernière sur Rancière, mais bien de voir si la pensée weilienne résonne dans la sienne. Déterminer s’il existe « un commun de la pensée » (des « résonances ») entre deux textes : voilà précisément ce que Rancière lui-même considère comme l’une des tâches clefs de la pensée politique [6].
3 Le présent article comparera donc la pensée weilienne de l’attention avec celle de Jacotot/Rancière, en se concentrant tout particulièrement sur Le maître ignorant et Attente de Dieu [7]. Nous montrerons dans un premier temps — sans négliger les nombreuses différences — que Weil et Rancière embrassent une conception semblable de l’éducation et que tous deux voient des liens étroits entre attention, liberté et reconnaissance. Ensuite, nous verrons qu’ils partagent également la conviction que les institutions tendent à freiner l’attention plutôt qu’à la soutenir, bien que la position de Weil soit plus nuancée à ce sujet. Enfin, en guise de conclusion, nous suggérerons brièvement que c’est Weil, plutôt que Rancière, qui nous offre l’analyse la plus actuelle de l’attention, étant donné son appréciation des effets de la technologie et des conditions matérielles sur l’attention.
L’animal attentif : volonté, attention et intelligence
4Le maître ignorant n’est pas un ouvrage standard de philosophie : acte d’émancipation [8], ce livre nous offre une histoire d’aventure, celle de Joseph Jacotot, professeur en exil qui enseigne la littérature française à l’Université de Louvain en 1818. Or, comme on le sait, Jacotot ne maîtrise pas le néerlandais et ses élèves ignorent le français. Il leur donne donc à chacun un exemplaire bilingue de Télémaque, sur la base duquel ils devront rédiger, en français, un essai. Jacotot ne leur fournit aucune explication sur la grammaire française ou sur l’auteur ; les élèves n’ont pour uniques ressources que le livre et leur volonté d’apprendre [9].
5Les impressionnants résultats obtenus (les élèves apprirent seuls le français) bouleversent Jacotot : il saisit que les élèves n’ont besoin d’aucune explication pour apprendre et les maîtres, d’aucune connaissance pour enseigner. Or, si les explications sont superflues, pourquoi les écoles en sont-elles remplies ? Il conclut : « C’est l’explicateur qui a besoin de l’incapable et non l’inverse, c’est lui qui constitue l’incapable comme tel. Expliquer quelque chose à quelqu’un, c’est d’abord lui démontrer qu’il ne peut pas le comprendre par lui-même [10]. » Les explications compromettent la confiance de l’élève, le détournent de l’usage de sa propre raison et renforcent ainsi l’inégalité. Les explications abrutissent. L’aventure de Jacotot eut non seulement pour effet de lui faire remettre en question sa vieille « logique explicatrice » pédagogique ; plus encore, elle le convainquit de l’égale intelligence de tous et de l’urgence d’annoncer cette bonne nouvelle [11].
6Mais, si un maître n’a rien à expliquer à ses élèves, quelles sont ses tâches et responsabilités ? Jacotot/Rancière nous inviterait-il à nous débarrasser des éducateurs, des maîtres et supérieurs ? Une telle lecture serait certes en harmonie avec une lecture anarchique de Rancière, mais elle ferait violence à l’idée que les maîtres ont deux rôles discrets mais essentiels à jouer. D’abord, un bon maître doit poser des questions à l’élève concernant ce que ce dernier voit ou entend : « Enseigner ce qu’on ignore, c’est tout simplement questionner sur tout ce qu’on ignore. Il n’y a besoin d’aucune science pour faire de telles questions [12]. » C’est pour cette raison que même un parent analphabète peut enseigner la lecture à son enfant — à l’importante condition, cependant, que ce parent soit déjà émancipé, qu’il croie en l’égalité des intelligences [13]. Ensuite, la seconde tâche du maître émancipateur est de vérifier que l’étudiant a fait attention, qu’il a réellement réfléchi et non pas offert une réponse rapide pour échapper à la contrainte [14].
7Or, que faire si l’élève ne répond qu’un maigre « je ne sais pas lire » [15] ? Il faut lui montrer qu’il a, en fait, déjà démontré sa capacité : il peut remuer son doigt, répéter un son, comparer une lettre avec une autre… et ainsi, lentement, saisir le sens d’une phrase. Le maître émancipateur doit donc rétorquer : « Ne dis pas que tu ne le peux pas. Tu sais voir, tu sais parler, tu sais montrer, tu peux te souvenir. Que faut-il de plus ? Une attention absolue pour voir et revoir, dire et redire [16]. » Ce « plus », cette « attention absolue », ne va pas de soi, mais tous en sont capables. Or, pour Jacotot/Rancière, la volonté et l’attention sont intimement liées, car on travaille sur cette dernière par l’entremise de la volonté : « Appelons attention l’acte qui fait marcher cette intelligence sous la contrainte absolue d’une volonté [17]. » La volonté est donc, en quelque sorte, première et détermine la qualité de l’attention. Mais notons ici le caractère singulier de la volonté ranciérienne : « Vouloir, c’est simplement se déclarer capable, c’est toujours se reconnaître la même capacité que n’importe qui [18]. » Ainsi, sans opinion positive de soi, il ne peut y avoir d’attention soutenue ni encore de manifestation claire de notre intelligence [19].
8 Or, si l’intelligence est attention [20], il est évident que notre raison ne fonctionne pas toujours d’une telle manière. Notre esprit possède en fait deux modalités possibles : l’attention et la distraction. Si la première nous entraîne vers l’émancipation, la deuxième conduit au mépris — qui est compris par Rancière comme un renoncement et une paresse dissimulés sous un voile de (fausse ?) modestie. La distraction mène souvent l’individu au « je ne peux pas », une affirmation qui signale un manque de respect pour soi et les autres (« Le distrait ne voit pas pourquoi il ferait attention [21] », écrit Rancière). Si l’être humain est bien un « animal attentif » qui désire liberté et reconnaissance (deux choses atteintes grâce à l’attention), une vie humaine digne de ce nom se caractérise donc vraisemblablement par une diminution des distractions [22] et par l’usage soutenu de nos facultés réflexives.
9 Weil croit aussi que nous sommes tous capables d’attention (et de distraction) et qu’il existe des liens étroits entre inattention, mépris et oppression. Cependant, l’attention weilienne diffère de celle de Rancière en ce qu’elle est davantage orientée vers l’Autre et qu’elle est beaucoup plus exigeante. En effet, Weil établit une distinction entre différents types d’attention et affirme que l’une d’entre elles, la « pure attention », est si exceptionnelle qu’il est juste de la décrire comme un miracle [23]. Cette attention pure est rarissime à cause de l’ardu travail d’attente et de retrait de soi qu’elle nécessite : « L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet […] la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité l’objet qui va y pénétrer [24]. » On voit ici que Weil et Jacotot/Rancière semblent concevoir différemment les liens entre attention et volonté. Si l’attention est première chez Weil (« la volonté procède de l’attention [25] », dit-elle), on a vu que c’est plutôt la volonté qui est première chez Jacotot/Rancière. Weil, en fait, suggère parfois qu’il est possible et désirable de développer un type d’attention dénué de volonté. Prenons par exemple ce passage : « L’attention consiste à se débarrasser de l’obsession qu’on a de faire attention. […] Il faut savoir vaincre cette tendance, et pour la vaincre, il faut ne penser à rien pour un moment [26]. » Si l’attention peut (et doit) être accompagnée par le désir [27], la volonté est autre chose : « La volonté, celle qui au besoin fait serrer les dents […] est l’arme principale de l’apprenti dans le travail manuel. Mais […] elle n’a presque aucune place dans l’étude. L’intelligence ne peut être menée que par le désir [28]. » Pourtant, les choses deviennent plus ambiguës ailleurs, par exemple dans ce passage d’Attente de Dieu où elle observe : « Au moment où on s’applique à un exercice, il faut vouloir l’accomplir correctement ; parce que cette volonté est indispensable pour qu’il y ait vraiment effort [29]. » Mais, au bout du compte, une chose est évidente chez Weil : les manifestations physiques de notre volonté —la tension dans les muscles, le froncement des sourcils — ne témoignent pas d’un type pur d’attention. Plus spécifiquement, la manifestation physique d’un apparent effort de pensée n’a aucun lien nécessaire avec la véritable attention ; ces deux choses doivent être distinguées. Cela mérite d’être souligné, car si pour Rancière l’attention est immatérielle « dans son principe », elle est toujours nécessairement matérielle dans ses effets ou manifestations empiriques. Il écrit : « nous avons mille moyens d’en vérifier la présence, l’absence ou l’intensité plus ou moins grande [30] ». Malheureusement pour nous, Rancière n’a pas précisé ce que sont ces « mille moyens » ; les lecteurs devront donc se satisfaire de l’intrigante suggestion qu’il est évident pour un maître de voir si ses élèves portent attention.
Égalité et reconnaissance de l’invisible
10Nous avons vu que l’émancipation passe pour Rancière par une prise de conscience de notre égale intelligence et par l’utilisation de cette dernière, grâce à une attention soutenue portée — dès maintenant — à un livre, un poème, une histoire. Nous soulignons ici la dimension temporelle, puisqu’elle est d’une importance capitale dans sa conception de l’émancipation. On sait que pour lui, l’égalité n’est pas un objectif, un but à réaliser une fois que nos institutions auront été réformées ou une fois l’inégalité matérielle dépassée, mais bien « un point de départ », un présupposé à embrasser immédiatement [31]. Embrasser ce principe, croire en soi comme être déjà doté d’intelligence et capable d’apprendre : voilà en quoi consiste l’émancipation.
11 Évidemment, ce qui semble simple et facile ne l’est pas : embrasser cette présupposition nécessite, de la part d’un illettré, d’ignorer (de refuser) préjugés et pratiques inégalitaires qui paraissent confirmer son incapacité. Il faut, selon Rancière, « ne rien vouloir savoir de l’inégalité », ne rien vouloir savoir non plus de la séparation du monde entre deux types d’intelligence et d’individus : entre ceux qui, dotés de connaissances, travaillent avec leur tête, et les « ignorants » qui ne peuvent apparemment qu’employer leur corps. (Selon Rancière, qu’une telle distinction soit célébrée ou décriée n’a aucune importance. Dans un cas comme dans l’autre, l’effet est le même : il y a abrutissement.) Le maître ignorant est celui qui ignorera cette division du monde ; un ouvrier émancipé refusera lui aussi la vieille division entre travail intellectuel et travail manuel. Il sera « celui qui décide d’ignorer le fait que son travail ne donne pas un temps pour étudier ; que si on a la charge de fabriquer, on n’a pas le souci de penser [32]… » L’émancipation d’un ouvrier, bref, requiert sa volonté de mettre son intelligence — son attention — à l’œuvre, cela malgré les opinions et les inégalités actuelles dans la division du travail.
12 Cette double conviction — l’égalité des intelligences et l’utilité d’un dépassement de la scission entre travail manuel et intellectuel — trouve évidemment résonance dans l’œuvre de Weil. Qu’il suffise d’évoquer l’indignation de cette dernière — bien palpable dans son Journal d’usine — face à la situation des ouvriers pour qui créativité, réflexion et pure attention sont constamment compromises. Certes, les travailleurs doivent être attentifs afin d’éviter les blessures ou encore un ralentissement qui diminuerait leur salaire, mais cela n’a rien à voir avec l’attention véritable [33]. Comme Rancière, Weil considérait comme inacceptable un type de société (et un mode de production) qui fonctionne sur la base d’une séparation entre travail manuel et intellectuel, et entre ignorance et savoir. Dans ses Réflexions, déjà, elle insistait là-dessus, et elle le répéta dans son deuxième « grand œuvre » : penser ce que l’on fait est vital pour notre liberté individuelle [34].
13 Aussi, comme Rancière, Weil signale la capacité de chacun d’entrer en contact avec la vérité [35] et la beauté (si l’attention est au rendez-vous, évidemment). Dans sa lettre autobiographique, par exemple, elle note que n’importe quel individu qui fait un « effort perpétuel d’attention » dans sa quête sera récompensé [36]. Plus encore, dans les Leçons, d’une façon semblable à Rancière, elle écrit : « Il ne faut pas se dire “je suis incapable de comprendre” ; il faut se dire “je suis capable de tourner les yeux de l’âme de telle façon que je comprenne”. Cette égalité des esprits est un devoir, non une question de fait [37]. »
14 L’idée de « tourner les yeux de l’âme » est évidemment une référence à la République de Platon et à sa description de l’éducation. Les notes prises par Weil sur la République pour les cours qu’elle offrira en 1933-1934 sont d’ailleurs éloquentes à ce sujet, d’autant que Weil y commente une phrase du Livre VII à laquelle peu d’interprètes s’intéressent habituellement. Il s’agit du passage où Socrate affirme que la « capacité d’apprendre est présente dans chaque âme » (518c). Citons Weil : « L’éducation […] consiste, selon l’opinion générale, à mettre la pensée dans l’âme des enfants. Or, dit Platon, chacun a en lui-même la capacité de pensée. Si on ne comprend pas, c’est parce qu’on est retenu par des liens. […] Si quelqu’un n’est pas capable de comprendre les modèles éternels, ce n’est pas par insuffisance intellectuelle, mais par insuffisance morale [38]. »
15 Ainsi, le principe de l’égalité des intelligences se trouve selon Weil (déjà) chez Platon. Or elle fait ici une lecture de Platon aux antipodes de celle de Rancière, qui voit chez Socrate et Platon des « abrutisseur[s] par excellence [39] ». Selon lui, si Socrate en effet interroge c’est pour instruire, pour communiquer une connaissance que l’Autre ne croit pas posséder [40].
16 Répondant à l’observation de Victor Bernard sur la difficulté d’éduquer les travailleurs, Weil n’a pas entièrement nié cette dernière, mais a insisté sur le fait qu’il faut dans cette situation avant tout améliorer l’opinion que les ouvriers ont d’eux-mêmes [41]. Le maître émancipateur weilien doit tenter de convaincre ses élèves à partir du même point de départ, à partir de cette même opinion sur la capacité d’apprendre que défend Jacotot. Mais si Weil et Rancière mettent tous deux l’accent sur l’effet émancipateur d’un tel présupposé, il faut ici reconnaître que Rancière attache beaucoup plus d’importance que Weil à la responsabilité individuelle dans ce processus émancipateur. Certains passages du Maître ignorant laissent entendre que celui qui échouerait dans son éducation (et donc dans son émancipation) ne pourrait imputer cet échec qu’à sa paresse [42]. Cette approche exigeante (tough love), qui « s’adresse aux individus » et les responsabilise de façon parfois troublante, est liée à l’une des idées les plus chères à Rancière, à savoir que la liberté n’est pas quelque chose que l’on attend ou qui nous sera donné, mais que nous devons prendre nous-mêmes. Ce passage nous aidera à comprendre pourquoi Rancière refuse de considérer l’émancipation dans ses dimensions sociale et institutionnelle : « […] le gouvernement ne doit pas l’instruction au peuple pour la simple raison que l’on ne doit pas aux gens ce qu’ils peuvent prendre par eux-mêmes. Or l’instruction est comme la liberté : cela ne se donne pas, cela se prend [43] ». Et comme il insiste ailleurs, la liberté se prend (et se perd) « par le seul effort de chacun [44] ». Bref, la quête d’émancipation est une aventure beaucoup plus solitaire chez Rancière que chez Weil — une différence importante sur laquelle nous reviendrons plus loin. Weil veut certes que ce soit l’individu (et non la communauté) qui ait « la suprême valeur », mais toute sa vie elle refusera de faire porter sur les épaules des individus le poids de leur liberté.
17 Jusqu’ici, notre analyse s’est concentrée sur l’importance de l’attention pour l’émancipation d’un individu. Mais l’attention est aussi désirable (surtout selon Weil) pour le rôle clef qu’elle peut jouer dans nos relations avec les autres — et en particulier dans nos rapports avec ceux que Weil nomme les malheureux. Pensons ici à ceux que la pauvreté, la marginalité ou le chômage rendent invisibles. Comme Weil l’explique dans Attente de Dieu [45], l’attention est un regard singulier — une attention véritable et compassionnelle qui offre reconnaissance (et donc identité) à ces êtres que la société ne voit pas, n’écoute pas, ne compte pas (pour utiliser un terme ranciérien). Il est possible selon nous de lire dans La mésentente une « politique de la reconnaissance » analogue, au moins partiellement, à celle de Weil. En effet, comme Weil, Rancière comprend un « bon » moment politique en partie comme celui de la reconnaissance des êtres invisibles et inaudibles, dans une forme de contestation du compte (incomplet) de la police. Quoiqu’elle soit plus implicite, j’aimerais suggérer qu’il existe aussi une « didactique » de la reconnaissance au sein des pages du Maître ignorant (bien que rien ne soit dit sur l’importance d’une attention compassionnelle à l’autre). Après tout, ce qu’offre un « bon » maître est la reconnaissance de l’Autre comme être parlant — en tant qu’être capable et égal. C’est ce que révèle la scène de l’Aventin, lorsqu’Agrippa s’adresse aux plébéiens et leur offre — involontairement — une « reconnaissance réciproque des volontés raisonnables [46] ». Pour Rancière, un maître qui émancipe n’est pas celui qui explique (on l’a déjà noté) ; il est celui qui reconnaît l’autre, par le seul fait qu’il s’adresse à lui comme à un être parlant, comme à une créature capable de compréhension et d’attention. Il ne s’agit pas pour un être doté d’un savoir supérieur d’expliquer quelque chose à un inférieur ; il s’agit pour deux individus de s’engager dans un dialogue dont chacun sortira enrichi.
18On peut constater une idée similaire chez Weil, non seulement dans ses réflexions sur l’éducation et la vulgarisation des connaissances, mais aussi dans ses expériences en tant que militante. Rappelons par exemple la façon dont elle s’adressa au « Groupe d’Éducation Sociale » en 1927 : elle prit soin de noter qu’il s’agissait d’un apprentissage mutuel et qu’elle avait elle-même beaucoup à apprendre. En cohérence avec sa conviction qu’il faut améliorer l’opinion qu’ont les ouvriers d’eux-mêmes, elle affirma par ailleurs : « Ceux qui croient savoir le moins se trouvent peut-être à la fin avoir été ceux dont les autres auront le plus appris [47]. » Si cela ne nous permet certes pas d’affirmer avec certitude qu’elle a toujours bien su mettre en application ce principe dans son enseignement au lycée (certains rapports d’inspecteurs d’école cités par Jacques Cabaud nous invitent en fait à penser le contraire [48]), ce qui importe tout de même, c’est que sur le plan théorique, Weil et Rancière ont tous deux une conception foncièrement égalitaire de l’éducation.
Questions de méthode : « Il faut savoir comment s’y prendre »
19Rancière a souvent affirmé de façon provocatrice qu’il était indifférent à la question de la pédagogie proprement dite et qu’il n’avait pas de méthode pédagogique particulière à proposer. « [Jacotot] n’avait fait usage d’aucune méthode [49] », écrit-il dans Le maître ignorant. S’il utilise souvent le mot méthode dans ce livre, il le fait en général de façon ironique, en l’entourant de guillemets [50]. Ce n’est guère surprenant : on sait qu’il décrit l’aventure de Jacotot comme une expérience d’émancipation plutôt que d’éducation [51]. Aussi, pour Rancière, l’émancipation n’est pas une affaire de transmission de la connaissance, mais bien une question d’attitude ou d’opinion [52]. En partie pour cette raison, il conclut : « […] il n’y a pas de bonne méthode […] il n’y a pas non plus de rejet de toute forme de pratique de la maîtrise […] Au fond de l’affaire-Jacotot, il y a : on peut émanciper ou abrutir par toutes les méthodes [53] ».
20Dans ce qui suit, j’aimerais interroger cette indifférence supposée à la méthode ou aux principes et exercices pédagogiques à adopter (ou proscrire). Je suggérerai que, comme Weil, Jacotot/Rancière nous invite à exclure — à rejeter — certaines pratiques ou méthodes pédagogiques. Certes, il n’y a pas de « méthode » pensée dans le sens fort d’un « système [54] ». Mais il y a bel et bien des pratiques condamnées et des pratiques célébrées. Et, comme nous le verrons ici, plusieurs de ces dernières auraient trouvé une oreille réceptive chez Weil — qui, contrairement à Rancière, n’a pas hésité à parler de méthode dans son sens habituel. Dans Attente de Dieu, elle est peu équivoque : « Pour faire vraiment attention, il faut savoir comment s’y prendre [55]. »
21Nous l’avons évoqué plus haut, le premier principe d’une bonne pratique pédagogique consiste, selon Rancière, à proscrire les abrutissantes explications. Cette conviction impliquerait sans doute l’élimination des manuels scolaires ainsi que des versions explicatives « vulgarisées » d’ouvrages classiques : Jacotot a offert Télémaque dans sa version intégrale à ses élèves, non pas une introduction simplifiée. Bien que Weil, contrairement à Rancière, n’ait jamais proposé de distinction nette entre méthode/logique « explicative » et méthode/logique « émancipatrice », elle a néanmoins souvent indiqué son impatience devant la diffusion d’ouvrages exagérément simplifiés et l’usage de manuels [56]. Dans une lettre où elle décrit sa façon d’enseigner la science au Lycée du Puy, par exemple, elle observe : « Je leur ai expliqué que les sciences, ce n’était pas des connaissances toutes faites étalées dans les manuels à l’usage des ignorants, mais des connaissances acquises au cours des âges par les hommes [57]. » Rancière souscrirait sans doute à cette affirmation ; mais ne caractériserait-il pas de dangereusement abrutissante l’invitation weilienne à développer et adopter une « véritable méthode de vulgarisation [58] » ? N’aurait-il pas perçu celle-ci comme une de ces « modes » éducatives progressistes qui humilient et renforcent l’inégalité ? Peut-être pas, du moins s’il avait regardé de près ce que cette « vulgarisation » implique selon Weil. D’abord, cette dernière est catégorique : une bonne « vulgarisation » n’entraîne pas une simplification. Les façons de diffuser la connaissance ne sont pas toutes égales : certaines nous éloignent du réel, d’autres nous en rapprochent. Une bonne vulgarisation (une bonne « traduction » pour utiliser le terme weilien [59]) participe d’une instruction globale, plutôt que d’une hyperspécialisation, et n’abrutit pas. Il existe selon Weil un authentique art de transposer/transformer les vérités « sans rien y ôter [60] » et cet art revêt une importance capitale dans l’éducation ouvrière [61]. La vulgarisation peut donc contribuer selon Weil à l’émancipation, mais elle doit prendre une forme particulière [62].
22 Le second principe pédagogico-méthodique que Rancière et Weil partagent selon nous est l’idée qu’un sain apprentissage (et une bonne attention) procède d’un long, patient et (souvent monotone) processus d’identification, de répétition, d’imitation. En effet, dit Rancière, « n’en déplaise au génie, le mode le plus fréquent d’exercice de l’intelligence, c’est la répétition. Et la répétition ennuie [63] ». Répéter et imiter est non seulement la façon dont tous les bébés apprennent partout dans le monde (il s’agit donc d’une « méthode universelle » et « naturelle ») ; c’est aussi la méthode de tous les grands artistes et auteurs : Racine n’a-t-il pas traduit et imité Euripide ? Démosthène, Thucydide ? et Haydn, Bach ? La « méthode Jacotot » implique donc que l’élève affronte l’ennui, mais aussi qu’il développe une bonne dose d’humilité. On trouve évidemment ici une critique du concept de génie — qui ne tient, en réalité, qu’à l’habitude et à une « attention absolue » et répétée [64]. Weil aussi était convaincue de l’importance de l’habitude et de la répétition, et du fait qu’il ne peut y avoir d’attention sans humilité [65]. Rappelons que sa propre askesis vers l’attention pure a en partie consisté en une répétition lente du Pater et que dans son rôle d’enseignante, elle a beaucoup insisté sur l’importance de la répétition et des habitudes : « Bien écrire est une habitude, la seule par laquelle on puisse arriver à la possession de soi. […] L’habitude donne le pouvoir de faire attention [66]. »
23 Dernière résonance entre les « méthodes » proposées par Rancière et par Weil : le fait que tous deux soulignent que ce à quoi exactement un élève fait attention importe très peu. Faire attention à quelque chose (un livre, un individu, une prière) est en soi bénéfique pour l’individu [67]. Rappelons que pour Jacotot, l’ouvrage particulier utilisé à Louvain n’avait aucune importance : n’importe quel écrit aurait fait l’affaire — fût-ce une simple recette ou une prière. C’est là l’autre raison pour laquelle une mère analphabète peut très bien apprendre à lire à son enfant : elle connaîtra déjà par cœur cette prière et sera ainsi en mesure de vérifier si son enfant apprend, s’il fait attention aux mots sur la page [68]. De la même manière, Weil écrit à maint endroit que peu importe la matière utilisée en vue de développer l’attention. (On connaît bien, par ailleurs, son appréciation de l’utilité d’une simple prière ou d’un poème dans le développement de l’attention.) Dans Attente de Dieu, elle observe : « […] la formation de la faculté d’attention est le but véritable et presque l’unique intérêt des études. La plupart des exercices scolaires ont aussi un certain intérêt intrinsèque ; mais cet intérêt est secondaire [69]. »
24 Il n’est donc guère surprenant de constater que Weil tout comme Jacotot/Rancière accordent peu d’importance aux résultats, à la performance. Dans Le Maître ignorant, Rancière est particulièrement désinvolte : « […] qui émancipe n’a pas à se préoccuper de ce que l’émancipé doit apprendre. Il apprendra ce qu’il voudra, rien peut-être [70] ». Ce même détachement quant au contenu et aux résultats est tout aussi explicite chez Weil. Il faut étudier et apprendre, dit-elle, « sans aucun désir d’obtenir de bonnes notes, de réussir aux examens, d’obtenir aucun résultat scolaire [71]… ». Notons que même pour la géométrie, cette matière si chère à ses yeux (on sait que Weil avait mis l’inscription « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » au-dessus de la porte de sa classe), la philosophe se disait parfois indifférente à l’obtention de réponses correctes de la part de ses élèves [72].
Les institutions, la technologie et l’attention
25Jusqu’à présent, nous avons surtout insisté sur l’importance de l’attention dans l’éducation émancipatrice weilienne et ranciérienne. Nous avons aussi tenté d’indiquer le rôle discret (mais décisif) que certains principes pédagogico-méthodologiques et les maîtres jouent dans cette éducation. Mais Rancière précise à plusieurs reprises : « Jacotot était un maître, non pas un chef d’institution. Sa méthode était propre à former des hommes émancipés, mais non point des instructeurs militaires, non plus que les servants de n’importe quelle spécialité sociale [73]. » Dans un entretien, il revient parfois sur cette idée : « […] on peut toujours s’émanciper tout seul, [on] ne s’émancipe jamais que tout seul justement », car, insiste-t-il, « la pensée de Jacotot s’adresse aux individus [74] ». Rancière affirme de façon tranchante que l’émancipation intellectuelle doit être complètement séparée des institutions principalement parce que celles-ci sont inévitablement fondées sur une logique explicatrice abrutissante [75]. Il explique : « Il ne suffit pas à l’inégalité d’être respectée […]. Elle veut être expliquée. Toute institution est une explication en acte de la société, une mise en scène de l’inégalité. Son principe est et sera toujours antithétique à celui d’une méthode fondée sur l’opinion de l’égalité et le refus des explications. L’enseignement universel ne peut s’adresser qu’à des individus, jamais à des sociétés [76]. »
26Or c’est précisément parce que la méthode Jacotot est « une méthode des individus [77] » que Rancière l’envisage comme politique. On sait que pour Rancière, la politique proprement comprise consiste à contester et reconfigurer, par des actes singuliers, des catégories et identités de groupes. La politique prend place à travers des sujets spécifiques — à travers la reconnaissance de l’égalité fondamentale de chaque être humain. Cela ne surprendra pas les lecteurs familiers de La mésentente, où Rancière propose une distinction nette entre la sphère de la police (définie par une logique de domination et d’inégalité) et la sphère de la politique (définie par une logique d’émancipation et d’égalité). Tout ce que nous considérons généralement comme institution politique appartient pour Rancière au domaine de la police (parlements, cours, partis politiques et, plus pertinent encore pour nous, écoles). Les institutions pédagogiques, en effet, opèrent toutes selon une logique d’inégalité — elles ont besoin d’inégalité pour exister. Voilà pourquoi le développement de l’attention ne pourra être institutionnalisé.
27 Pour autant, ces affirmations catégoriques ne devraient pas être prises à la lettre, puisqu’elles font une certaine violence à ce que Rancière dit ailleurs sur les institutions. Si l’on s’attarde par exemple sur la façon dont Rancière décrit la police dans La mésentente, on ne voit pas toujours un rejet catégorique, une critique totale de celle-ci. On peut noter, dans quelques passages brefs mais révélateurs, que nos institutions policières peuvent être évaluées, discutées, classées. Puisque Rancière reconnaît qu’il existe une « meilleure et une pire police [78] », il serait raisonnable de présupposer qu’il existe de pires et de meilleures écoles. Qui plus est, Rancière admet que la police peut « procurer toutes sortes de biens [79] ». Prises ensemble, ces affirmations viennent nuancer la manière quelque peu hyperbolique de Rancière déclarant qu’aucune institution ne peut émanciper et que le perfectionnement de l’attention doit nécessairement être chose individuelle.
28 Rancière prend évidemment plaisir aux déclarations-chocs sur la police et les institutions ; on peut imaginer que quelques-unes de ces affirmations auraient sans doute irrité Weil (qui était pourtant elle aussi encline aux affirmations tranchantes). Il ne s’agit pas de suggérer ici que la position weilienne sur les institutions était beaucoup plus positive que celle de Rancière. On sait que la philosophe a émis de profondes réserves quant à l’État moderne et qu’elle a souvent dit que la bureaucratie et le social relevaient du « domaine du diable [80] ». Comme Rancière, Weil est par ailleurs convaincue que l’intelligence et l’attention ne peuvent s’exercer que de façon individuelle. Il ne peut y avoir en effet « d’exercice collectif de l’intelligence [81] ». Néanmoins, elle n’était pas prête à conclure que les institutions ne sont pas à même de jouer un rôle important dans la protection et le développement de notre faculté d’attention (comme l’indiquent bien ses Écrits de Londres, Attente de dieu et L’enracinement), non plus qu’à affirmer que toutes les institutions reposent sur une « logique explicatrice » vouée à justifier leurs propres pouvoirs et les inégalités intrinsèques. Si Weil comme Rancière voyait dans les institutions centralisées et les partis une menace pour le jugement et la liberté de l’individu, elle croyait néanmoins possible d’atténuer un peu ces difficultés, par exemple en décentralisant les institutions, en assouplissant radicalement la discipline de parti, mais aussi — et de façon plus positive — en offrant la plupart des positions de pouvoir et d’autorité à des individus capables d’attention aux autres. Bref, contrairement à Rancière, l’évaluation sobre que propose Weil des écueils de l’État moderne bureaucratique ne l’a pas menée à envisager en premier lieu des solutions individuelles.
29 Pour terminer, nous aimerions suggérer que c’est Weil (plutôt que Jacotot/Rancière) qui a le plus à nous offrir aujourd’hui, cela pour deux raisons. D’abord, sa position sur la question des institutions est plus nuancée que celle de Rancière, comme nous venons de le souligner (quoique trop brièvement). Mais plus encore, Weil est l’une des rares philosophes du vingtième siècle qui a su réfléchir aux liens intimes entre l’attention, les conditions matérielles et la technologie. Ses écrits sur la condition ouvrière, par exemple, abondent en réflexions sur l’effet des machines sur la faculté d’attention des travailleurs [82] — réflexions qui sont toujours des plus pertinentes. S’il y a évidemment d’énormes différences entre la machinerie des usines des années 1920 et les gadgets électroniques utilisés par un employé de bureau « moyen » aujourd’hui, Weil aurait apprécié de façon juste le fait que le fonctionnement et la culture organisationnelle de nos lieux de travail (et de nos écoles, par ailleurs) perturbent véritablement la capacité d’attention. Nombreux sont ceux qui croient que le cerveau humain et l’attention sauront s’adapter au défi posé par ce que l’on nomme multitâche et une stimulation technologique accrue. Mais Weil nous invite à y regarder d’un peu plus près, non pour rejeter la technologie (il n’y a pas d’antitechnologisme chez elle), mais plutôt pour mieux comprendre ce que nos avancées techniques pourraient entraîner comme pertes sur le plan de la qualité de l’attention et de nos rapports avec autrui. Elle rappelle avec pertinence qu’en présence de plusieurs voix — plusieurs sources de stimulation technologique simultanées — on ne peut réellement faire attention : « on oublie le jeu de la voix intérieure, [la] parole intérieure […] On peut être attentive à une seule voix parmi une cacophonie [83] ». Son œuvre nous convie aussi à considérer la difficulté de porter attention quand quelque chose ou quelqu’un « parle à côté de vous [84] ». Observation somme toute banale, diront certains. Pourtant, il s’agit d’une banalité que nous sommes en train d’oublier, comme l’indiquent de récentes études qui montrent l’effet négatif qu’ont les ordinateurs portables et le multitâche sur notre santé mentale et notre apprentissage [85]. À en juger par la pertinence de son œuvre on peut affirmer que Weil aurait été en mesure d’apprécier ces défis individuels, mais en considérant toujours le contexte plus large des conséquences sociopolitiques de la perte d’attention et des mesures institutionnelles à prendre pour la contrecarrer. Et de fait, elle se trouve être l’une des seules philosophes à reconnaître que la justice sociale elle-même dépend du perfectionnement de l’attention. « Le premier des problèmes politiques, écrit-elle, c’est la manière dont les hommes investis de puissance passent leurs journées. S’ils les passent dans des conditions qui rendent matériellement impossible un effort d’attention soutenu longtemps à un niveau élevé, il ne se peut pas qu’il y ait de la justice [86]. » La philosophie politique devrait accepter l’invitation lancée par Weil à penser et repenser les conditions pédagogiques, technologiques et institutionnelles nécessaires à l’attention — ce précieux socle du souci de l’autre et de la justice.
Notes
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[1]
Par exemple : Ilina Singh, « A framework for understanding trends in ADHD diagnoses and stimulant drug treatment : Schools and schooling as a case study », BioSocieties, vol. 1, 2006, pp. 439-452 ; C. H. Besseyre des Horts, H. Isaac, « L’impact des TIC mobiles sur les activités des professionnels en entreprise », Revue française de gestion, 32, 1, 2006, pp. 243-263 ; V. Gonzalez et G. Mark, « Constant, constant, multi-tasking craziness : Managing multiple working spheres », Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 6,1, 2004, pp. 113-120.
-
[2]
Richard Lanham, The Economics of Attention, Chicago, University of Chicago Press, 2006. Voir aussi Yves Citton (dir.), L’économie de l’attention, Paris, La Découverte, 2014.
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[3]
S. Weil, Leçons de philosophie, édité par A. Reynaud-Guérithault, Paris, Plon, 1989, p. 218. Dans La condition ouvrière, on peut aussi lire : « Les exercices scolaires n’ont pas d’autre destination sérieuse que la formation de l’attention. » (S. Weil, La condition ouvrière, édité par R. Chenavier, Paris, Gallimard, 2002, p. 430). Nous utiliserons désormais l’abréviation CO et pour les Leçons, l’abrévation L.
-
[4]
J. Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, 10-18, 2004, p. 85 ; désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le signe MI, suivi du numéro de page.
-
[5]
Sauf erreur, Rancière ne fait que la mentionner brièvement dans un entretien.
-
[6]
J. Rancière, La méthode de l’égalité, Paris, Bayard, 2012, p. 68.
-
[7]
Aucun commentateur de Rancière ne s’est attardé sur la question de l’attention chez ce dernier. Le même constat ne s’applique pas à Weil : ici les excellentes discussions sont fort nombreuses. Voir, entre autres, Robert Chenavier, Simone Weil. L’attention au réel, Paris, Michalon, 2009 ; Joël Janiaud, « Simone Weil et l’attention », dans Chantal Delsol (dir.), Simone Weil, Paris, Éditions du Cerf, 2009 ; Mario von der Ruhr, Simone Weil : An Apprenticeship in Attention, Londres, Continuum, 2006.
-
[8]
Selon Rancière, raconter une histoire présuppose que l’on embrasse l’idée d’égalité de l’intelligence de tous — présupposé clef de l’émancipation. Voir J. Rancière, « On Ignorant Schoolmasters », dans Charles Bingham et Gert Biesta (dir.), Jacques Rancière : Education, Truth, Emancipation, Londres, Bloomsbury ; et MI, pp. 109-110.
-
[9]
MI, p. 19.
-
[10]
Ibid., pp. 15-16.
-
[11]
Il faut annoncer cette nouvelle « d’abord aux pauvres » ; voir MI, pp. 34 et 175 (deux passages remarquables étant donné le rapport complexe entre Rancière et la catégorie des « pauvres »). Il y aurait beaucoup à dire sur cette question ; nous ne ferons que noter qu’en page 175, Rancière précise que la méthode Jacotot n’est pas une « méthode de pauvres ».
-
[12]
MI, p. 51.
-
[13]
Ibid., p. 29.
-
[14]
La contrainte de la volonté du maître ou celle du livre. Ibid., p. 51.
-
[15]
Ibid., p. 40.
-
[16]
Ibid., p. 41.
-
[17]
Ibid., p. 45.
-
[18]
J. Rancière, « Choses (re)dites par Jacques Rancière », dans Marc Derycke et Michel Peroni (dir.), Figures du maître ignorant, Université de Saint-Étienne, 2010, pp. 422-423.
-
[19]
Andréa Benvenuto, Laurence Cornu et Patrice Vermeren, « L’actualité du “Maître ignorant” : Entretien avec Jacques Rancière », Le Télémaque, 2005/1, n°27, p. 27. (Désormais Entretien.)
-
[20]
MI, p. 92.
-
[21]
Ibid., p. 132.
-
[22]
Si pour Rancière la cause principale des erreurs est la distraction, pour Weil, c’est la précipitation. Voir entre autres Attente de Dieu, Paris, Éditions du Vieux-Colombier, 1950, p. 93 ; désormais AD.
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[23]
AD, p. 96 ; voir aussi CO, p. 430.
-
[24]
AD, p. 92.
-
[25]
S. Weil, « La volonté et l’attention », Appendice VII, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 1988, p. 389 ; désormais OC I.
-
[26]
Ibid., p. 392.
-
[27]
Voir par exemple S. Weil, La pesanteur et la grâce, Paris, Plon, 1991, p. 194.
-
[28]
AD, p. 91.
-
[29]
Ibid., p. 88 ; nous soulignons. Voir aussi L, p. 178. Comme l’a bien noté J. Janiaud (op. cit.), la conception weilienne de l’attention (et sa relation à la volonté) a quelque chose d’équivoque : l’attention est cruciale pour les actes volontaires, mais on ne peut pourtant pas la forcer.
-
[30]
MI, p. 87.
-
[31]
J. Rancière, Le philosophe et ses pauvres, Paris, Flammarion, 2007, p. xi.
-
[32]
J. Rancière, « Choses (re)dites », op. cit., p. 414.
-
[33]
CO, pp. 431-433.
-
[34]
Sur l’importance de la pensée méthodique voir Réflexions dans S. Weil, Œuvres, Gallimard, Paris, 1999, pp. 315-326.
-
[35]
Nous ne nions pas, cependant, que Rancière aurait eu peu de patience pour la conception weilienne de la vérité et de l’impersonnel (mais nous ne pouvons ici aborder plus avant cette question).
-
[36]
AD, p. 39 ; aussi CO, p. 431. Weil ne nie pas les différences de « talents » : rappelons le désespoir dans lequel elle sombra lorsqu’elle prit conscience des capacités prodigieuses de son frère. Mais ces « mois de ténèbres » eurent un effet heureux en ce qu’elle acquit la conviction qu’il existe différentes routes vers la vérité (la sienne serait l’attention).
-
[37]
S. Weil, L, p. 236 (italiques dans l’original).
-
[38]
Ibid., p. 235 (italiques dans l’original).
-
[39]
Entretien, p. 23.
-
[40]
MI, pp. 51-52.
-
[41]
« Il faut les élever à leurs propres yeux » (CO, p. 215) ; cité aussi dans Jacques Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, Paris, Plon, 1957.
-
[42]
MI, p. 132.
-
[43]
MI, p. 177. Comparez avec Weil : « Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus » (AD, p. 93 ; nous soulignons).
-
[44]
MI, p. 105.
-
[45]
Voir aussi AD, pp. 136-138.
-
[46]
MI, p. 162.
-
[47]
« Introduction à des cours à l’intention d’ouvriers », OC II 1, p. 45.
-
[48]
J. Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, op. cit., pp. 124 et 79-82. Voir aussi André Devaux, « Simone Weil Professeur au-delà de sa classe », Cahiers Simone Weil, XX, 1, mars 1997.
-
[49]
MI, p. 26.
-
[50]
On peut lire la « méthode universelle », la « méthode Jacotot », etc. Parfois Rancière ne met pas de guillemets. Par exemple, à la page 51 il parle de la méthode de l’élève sans guillemets.
-
[51]
MI, p. 33.
-
[52]
Ainsi, pour Rancière, la barrière à franchir n’est pas celle qui sépare ignorance et savoir, mais la « barrière entre ceux qui ont l’opinion de l’égalité et ceux qui ont l’opinion de l’inégalité » (Entretien, op. cit., p. 31).
-
[53]
J. Rancière, « Choses (re)dites par Jacques Rancière », op. cit. (nous soulignons). Voir aussi « On ignorant schoolmasters », op. cit., p. 14, et Entretien, op. cit., p. 33.
-
[54]
Entretien, op. cit., p. 33-34.
-
[55]
AD, p. 9.
-
[56]
Voir J. Cabaud, L’expérience vécue de Simone Weil, op. cit., p. 75.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
« La recherche d’une véritable méthode de vulgarisation — chose complètement inconnue jusqu’à nos jours — est une de mes préoccupations dominantes. » (CO, p. 225). Comparer avec MI, pp. 51-54.
-
[59]
Il serait par ailleurs intéressant de comparer en détail les concepts weiliens de traduction, transposition et de lecture avec les concepts ranciériens de traduction et contre-traduction. MI, pp. 118-120.
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[60]
Voir Fragments à L’enracinement, dans OC V, p. 380.
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[61]
Voir aussi S. Weil, Œuvres, op. cit., pp. 1053-1054. À la page 1067, elle insiste aussi sur le fait que l’un des remèdes au déracinement ouvrier consiste en une « traduction » des vérités : « Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent. Non pas prendre les vérités, déjà bien trop pauvres […] pour les dégrader, les mutiler, les vider de leur saveur ; mais simplement les exprimer, dans leur plénitude […] L’art de transposer les vérités est un des plus essentiels et des moins connus. »
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[62]
« Deux tâches : Individualiser la machine ; individualiser la science (vulgarisation, une université populaire à forme socratique concernant les fondements des métiers) » (S. Weil, La pesanteur et la grâce, op. cit., p. 272).
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[63]
MI, p. 95.
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[64]
Le génie n’est qu’« apprendre, répéter, imiter, traduire, décomposer, recomposer » (MI, p. 116).
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[65]
Voir « L’habitude », Appendice VII, OC I. Comme Daniel Boitier le note bien, non seulement l’élève doit être humble, mais le maître aussi — l’éducation weilienne nécessite un « maître en retrait » (« L’éducation comme attention à la faute », Cahiers Simone Weil, XIX, 4, 1996). Il est juste, selon Boitier, de parler d’une « ascèse de la distance » (p. 359).
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[66]
Ibid., OC I, p. 386.
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[67]
CO, p. 430.
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[68]
MI, p. 53.
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[69]
AD, pp. 85-86.
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[70]
MI, p. 29 ; nous soulignons.
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[71]
AD, p. 88 ; nous soulignons.
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[72]
AD, p. 94. Mais comparer avec « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », dans Œuvres (op. cit., p. 316), où elle identifie un modèle abstrait de liberté dans la résolution correcte d’un problème de géométrie.
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[73]
MI, pp. 169-170.
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[74]
Entretien, op. cit., pp. 32-33.
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[75]
« On ignorant schoolmasters », op. cit., p. 8.
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[76]
MI, pp. 173-174.
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[77]
« On ignorant schoolmasters », p. 9.
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[78]
J. Rancière, La mésentente, Paris, Galilée, 1995, p. 54.
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[79]
Ibid.
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[80]
Voir par exemple AD, p. 25.
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[81]
S. Weil, « L’enracinement », Œuvres, op. cit., p. 1043.
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[82]
CO, p. 433.
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[83]
Weil, « L’attention », Appendice VII, OC I, p. 391.
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[84]
Ibid., p. 392.
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[85]
L’effet des ordinateurs portables dans nos salles de classe est considérable, même lorsque c’est quelqu’un à proximité (et non pas nous-mêmes) qui en utilise un. Voir par exemple Sana Faria, Tina Weston et Nicholas J. Cepeda, « Laptop multitasking hinders classroom learning for both users and nearby peers », Computers & Education, vol. 62, 2013, pp 24-31.
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[86]
Weil, La connaissance surnaturelle, Paris, Gallimard, 1950, p. 323.