Tumultes 2014/2 n° 43

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Article de revue

De Ricœur à Foucault : en finir avec l'herméneutique de soi ?

Quand transfuges et parias racontent leur vie

Pages 107 à 121

Notes

  • [1]
    Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 27.
  • [2]
    M. Foucault, « Subjectivité et vérité », in L’origine de l’herméneutique de soi. Conférences prononcées à Darmouth College, 1980, éd. par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2013, p. 35.
  • [3]
    Cf. M. Foucault, « Structuralisme et poststructuralisme » (1983), in Dits et écrits, IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 445.
  • [4]
    M. Foucault, Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, Paris, Hautes Études/Gallimard/Seuil, 2008, pp. 6-7.
  • [5]
    Je me permets de renvoyer ici à Martine Leibovici, Autobiographies de transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar, Paris, Le Manuscrit, 2013.
  • [6]
    H. Arendt, « Condition de l’homme moderne », trad. G. Fradier, in L’humaine condition, Paris, Gallimard, « Quarto », 2012, p. 203.
  • [7]
    « Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, prémodernes, c’est par son appartenance à divers groupes sociaux que l’individu s’identifie et est identifié par les autres. Je suis frère, cousin, et petit-fils, membre de cette maisonnée, de ce village, de cette tribu. Ces caractéristiques ne sont pas accidentelles, on ne peut les ôter pour révéler le vrai “moi” (…). Les individus héritent d’un espace particulier au sein d’un entrelacs de relations sociales ; sans cet espace ils ne sont rien, parias ou étrangers dans le meilleur des cas » (A. MacIntyre, Après la vertu. Étude de théorie morale, trad. L. Bury, Paris, PUF, pp. 34-35. Je souligne).
  • [8]
    P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 143.
  • [9]
    P. Ricœur, Temps et récit, 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, « Points », 1985, p. 442.
  • [10]
    Vincent Descombes, Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, Paris, Gallimard, 2004, p. 115. Les italiques sont dans le texte.
  • [11]
    Temps et récit, 3, op. cit., p. 443. Les italiques sont dans le texte.
  • [12]
    P. Ricœur, Temps et récit, 1. L’intrigue et le récit historique, Paris, « Points », Seuil, 1983, p. 129.
  • [13]
    P. Ricœur, Réflexion faite. Autobiographie intellectuelle, Paris, Esprit, 1995, p. 59.
  • [14]
    Temps et récit, 3., op. cit., p. 443.
  • [15]
    Johann Michel, « Narrativité, narration, narratologie : du concept ricœurien d’identité narrative aux sciences sociales », in Revue européenne des sciences sociales, XLI-125/2003, pp. 7 et 14.
  • [16]
    Dans les ouvrages à teneur autobiographique d’Assia Djebar, par exemple, certains épisodes sont les mêmes d’un livre à l’autre, mais racontés à chaque fois d’un autre point de vue et donc autrement compris.
  • [17]
    Cf. la dixième étude de Soi-même comme un autre, « Vers quelle ontologie ? », op. cit., pp. 345 sq.
  • [18]
    V. Descombes, Le complément de sujet, op. cit., p. 269. Dans « Le pouvoir d’être soi. Paul Ricœur. Soi-même comme un autre » (Critique, tome 47, numéros 529-530, juin-juillet 1991, p. 381), V. Descombes reconnaît ce même mérite à la pensée de Ricœur.
  • [19]
    M. Foucault, leçon du 25 mars 1981 du cours au Collège de France, in « Subjectivité et vérité », cité par Laura Cremonesi et al. dans l’introdution à L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 11.
  • [20]
    « Structuralisme et poststructuralisme », op. cit., p. 445.
  • [21]
    M. Foucault, « L’écriture de soi », in Dits et écrits, IV, op. cit., p. 426. Voir aussi L’herméneutique du sujet, Paris, Gallimard, 2001, pp. 338-344.
  • [22]
    « L’herméneutique du sujet », p. 317.
  • [23]
    Ibid., p. 389.
  • [24]
    À comparer avec « l’horizon éthico-politique » (J. Michell, op. cit., p. 7) de l’identité narrative chez Ricœur, pour qui le modèle de la permanence de l’ipse est « celui de la parole tenue dans la fidélité à la parole donnée [qui] dit un maintien de soi » (en référence à la Selbständigkeit de Heidegger), « un défi au temps, un déni du changement » (Soi-même comme un autre, op. cit., pp. 148-149). Plus loin, Ricœur tient à démarquer « la modestie du maintien de soi [de] l’orgueil stoïcien de la raide constance à soi » (ibid., p. 198).
  • [25]
    La confession s’appuie sur l’exagoreusis comme examen et verbalisation constante de ses propres pensées (cf. « Les techniques de soi », Dits et écrits, IV, pp. 808 sq.).
  • [26]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., p. 317. Cf. aussi « Du gouvernement des vivants », Dits et écrits, IV, pp. 125-129.
  • [27]
    La pénitence passe par l’exomolegêsis ou « expression théâtralisée de la reconnaissance du statut de pénitent » (« Les techniques de soi », Dits et écrits, IV, p. 806).
  • [28]
    Ibid., p. 809.
  • [29]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., pp. 344-345.
  • [30]
    « Débat sur subjectivité et vérité », in L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 133.
  • [31]
    Jean Starobinsky, « Les problèmes de l’autobiographie », in Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p. 237.
  • [32]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., pp. 52-53, cité par V. Descombes, Le complément de sujet, op. cit., p. 253.
  • [33]
    L’herméneutique du sujet, p. 205, cité par V. Descombes, ibid., p. 259.
  • [34]
    L’herméneutique du sujet, p. 316.
  • [35]
    L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 50.
  • [36]
    Soi-même comme un autre, op. cit., p. 49, cité par V. Descombes, Le complément de sujet, p. 147.
  • [37]
    V. Descombes, ibid. Les italiques sont dans le texte.
  • [38]
    Ibid., p. 257. Les italiques sont dans le texte.
  • [39]
    H. Arendt, « Préface » à Vies politiques, trad. J. Bontemps, Paris, Gallimard, « Tel », 1986, p. 7.
  • [40]
    Soi-même comme un autre, op. cit., p. 144.
  • [41]
    H. Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 204.
  • [42]
    Vies politiques, op. cit., p. 134 (trad. B. Cassin).
  • [43]
    Toutes les citations de ce dernier paragraphe sont tirées de Jean Starobinsky, « Le style de l’autobiographie », Poétique, n°3, 1970, pp. 257-262.

1« Sujet exalté, sujet humilié : c’est toujours, semble-t-il, par un tel renversement du pour au contre qu’on s’approche du sujet », écrit Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre, ouvrage publié en 1990, dans lequel il se propose d’élaborer une « herméneutique du soi » susceptible de nous faire échapper à l’« alternative du cogito et de l’anti-cogito[1] ». Quelques années auparavant, Michel Foucault avait intitulé L’herméneutique du sujet les deux cours qu’il donna au Collège de France entre 1980 et 1982, dont il tira la matière pour Le souci de soi, publié en 1984. Le recours à la notion d’herméneutique chez les deux auteurs n’a évidemment pas le même statut. Centrale et ancienne dans la philosophie de Ricœur, l’herméneutique vient enrichir son ancrage phénoménologique, tandis que, bien plus tardive chez Foucault, elle apparaît dans le cadre de son interrogation sur les technologies du soi. Certes Foucault cherche comme Ricœur à « sortir de la philosophie du sujet » qui avait dominé la philosophie après la Seconde Guerre mondiale. Mais alors que Ricœur reprend à son compte la quête de sens de la démarche herméneutique, c’est précisément parce que la philosophie du sujet la maintient et échoue « à prendre en compte les mécanismes de formation de la signification et la structure des systèmes de sens », que Foucault veut en sortir [2].

2De Ricœur à Foucault cependant, toute question concernant le sujet suppose qu’un individu ait, comme l’écrit Foucault, un « rapport à soi ». Si le mot « réflexivité » peut venir nommer ce rapport [3], il ne désigne pas spécifiquement la conscience de soi, Foucault se donnant pour tâche d’explorer une diversité de moyens par lesquels ce rapport peut s’effectuer, pluralisant ainsi « les formes par lesquelles l’individu est amené à se constituer comme sujet » : sujet moral, sujet de la connaissance, sujet politique, etc. C’est à ce point qu’il introduit la notion de subjectivation, se proposant de reconstituer des « formes de subjectivation à travers les techniques/technologies du rapport à soi, ou (…) à travers ce qu’on peut appeler la pragmatique de soi [4] ». Postulant lui aussi une identité fissurée, une différence interne à soi, Ricœur ouvre à sa manière un champ d’exploration des différents types de médiation intervenant entre soi et soi-même : faits de langage, action, récit ou éthique. Parmi ces détours, Ricœur accorde une place importante au récit et poursuit une réflexion déjà entamée quelques années auparavant sur la notion d’identité narrative, mobilisée avant lui par des auteurs communautariens comme Alasdair MacIntyre ou Charles Taylor dans leur polémique contre l’idée rawlsienne d’un moi abstrait et calculateur, soucieux de ses droits et de ses intérêts et désengagé de toute insertion sociale ou communautaire. On note cependant chez ces auteurs — de façon plus nette chez MacIntyre — une tendance à utiliser le mot identité dans l’optique d’une caractérisation, d’un ancrage des individus au sein de communautés préexistantes et normatives. Chose précisément impossible pour tous ceux, de plus en plus nombreux aujourd’hui, qui ont franchi l’espace des sociétés, des cultures ou des pays. Ils racontent souvent ces passages, ces exils et ces déplacements, en explorant leurs dilemmes, leurs nostalgies ou leurs révoltes, écartelés qu’ils sont entre un sens de la fidélité — et donc de la trahison — et un appétit d’échapper aux contraintes de leurs communautés d’origine sans toutefois adhérer à l’ordre de la société vers laquelle ils ont éventuellement fui, surtout quand cette société persiste à les rejeter au nom de leur appartenance supposée à un groupe identifié comme trop étranger.

3Ce que recouvre la notion d’identité narrative est cependant suffisamment stimulant, en particulier lorsqu’on aborde certains types de récits de soi faits ou écrits par des individus transfuges ou parias [5], pour examiner une façon possible d’en conserver les acquis tout en la préservant de certaines ambiguïtés. Une issue pourrait consister à remplacer la notion d’identité par celle de subjectivation, qui a l’avantage de maintenir une notion de sujet tout en insistant sur une temporalité, un mouvement, un processus dont la notion d’identité ne rend pas explicitement compte. On ne parlerait donc plus d’identité narrative mais de subjectivation narrative. En quel sens cependant entendre l’expression « subjectivation » ? Est-ce nécessairement celui que l’on trouve chez Foucault, lui qui en examine une des versions à propos des techniques stoïciennes d’écriture de soi qu’il distingue de la confession chrétienne ? Une autre conception de la subjectivation n’est-elle pas envisageable, tenant compte du fait que, selon Ricœur, le récit — autobiographique en particulier — qui dit l’identité répond à une question posée par l’autre ? Comme l’écrit aussi Hannah Arendt, la question qui ? à laquelle je réponds en racontant une histoire n’est pas « qui suis-je ? » mais « qui es-tu ? [6] ». Même si, n’en déplaise à MacIntyre, celui ou celle qui répond à cette question est un paria ou un transfuge [7].

L’ipséité narrative selon Paul Ricœur

4Quel est le sens du mot « identité » — renvoyant nécessairement à l’idée d’unité — dans l’expression « identité narrative » ? Pour le dégager, Ricœur déplace la réflexion du terrain de l’essence vers celui de la temporalité. L’unité suppose une forme de permanence. Comment la penser autrement que comme celle d’un Je pense, même transcendantal, ou celle d’une substance ? Il faut pour cela distinguer deux types d’identité : celle de quelqu’un — l’ipse, le soi-même, le Selbst — ; celle de quelque chose — l’idem, la mêmeté. Dans la mêmeté, la permanence est malgré le temps, elle suppose un substrat, quelque chose d’essentiel, qui a perduré malgré les changements empiriques affectant tout le reste. Pour l’ipséité du soi, il y aurait une autre « forme de permanence dans le temps qui ne [serait] pas réductible à la détermination d’un substrat (…) [et ne serait] pas simplement le schème de la catégorie de substance [8] ».

5Une telle identité suppose la formulation d’une question : « Dire l’identité d’un individu (…) c’est répondre à la question qui a fait telle action, qui en est l’agent ? l’auteur [9] ? » Cela rejoint ce que Vincent Descombes nomme le complément d’agent. Avant toute philosophie du sujet, notre concept de sujet est ancré dans nos pratiques familières : le sujet n’est pas « le sujet d’un prédicat », mais « l’agent d’un événement ». Et quelle que soit la réponse apportée à la question, la forme de la proposition linguistique qui l’effectue est « narrative ». Plus précisément : « la question “Qui ?” ne présuppose pas qu’il y ait un agent, mais seulement qu’on puisse se demander s’il y en a un et, le cas échéant, qui il est [10] ». Ricœur, fidèle ici à une inspiration arendtienne, étend la question “Qui ?” à la vie entière d’un individu : « Qu’est-ce qui justifie qu’on tienne le sujet de l’action (…) pour le même tout au long d’une vie qui s’étend de la naissance à la mort ? La réponse ne peut être que narrative (…). L’identité du qui n’est donc elle-même qu’une identité narrative[11] ».

6Comment le récit et en particulier le récit de soi est-il susceptible de procurer une telle identité ou ipséité ? D’une manière générale, raconter c’est mettre en ordre les expériences de façon rétrospective. Le récit, affirme Ricœur, qui reprend ici la notion aristotélicienne de mise en intrigue, est configurant. Son agencement confère une unité au vécu, grâce à un dispositif organisant la succession des événements en une histoire, généralement racontée avec un début, un milieu et une fin. Cette configuration est une sorte de totalisation, de rassemblement mais en un sens non logique, car elle peut inclure le changement, la mutabilité, les bifurcations, les coups de théâtre, le hasard, etc. La totalité ici est « temporelle [12] ». En même temps, la configuration produit un effet d’intelligibilité, de compréhension, ni théorique ni philosophique, à la portée de tous. La notion d’herméneutique mobilisée par Ricœur lui permet d’introduire la médiation « des signes, des symboles et des textes [13] » dans la pure réflexivité. Dans un sens la dimension de médiation n’est jamais aussi claire que dans la démarche autobiographique, car s’écrire c’est aussi se lire, le sujet se rapportant à lui-même en se lisant au sein de ce qui lui est arrivé. Une caractéristique générale de la conduite de récit est qu’aucun commencement ni aucune fin n’y sont définitifs. Raconter c’est choisir le point de départ et le point d’arrivée et, selon Ricœur, « comme l’analyse littéraire de l’autobiographie le vérifie, l’histoire d’une vie ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même [14] ». On a pu mettre en question la prétention à l’universalité du modèle ricœurien de mise en intrigue, « trop proche du récit bien fait », en faisant valoir l’attrait de la littérature contemporaine pour « la dissonance, l’informe et le chaos » ou le « caractère inénarrable de l’événement traumatique » [15]. Retenons seulement ici l’idée selon laquelle, tant que le conteur ou le scripteur est en vie, aucun récit de soi n’est définitif : la refiguration est une activité incessante, raconter n’empêche pas de re-raconter en prenant un point de départ différent de celui des récits déjà effectués, faisant ainsi surgir de nouveaux éléments d’intelligibilité [16].

7Par ailleurs, seule l’autobiographie d’une vie passée dans la solitude totale serait l’histoire d’une identité non exposée, sans relation aux autres et sans monde [17]. Il y a, de plus, un décalage structurel entre notre venue au monde et notre accès à la parole en première personne. Si, dans un sens, mon histoire commence au jour de ma naissance, je n’en ai pas été le témoin, seuls d’autres en connaissent le premier chapitre. Le récit de mon histoire dépend pour une bonne part des histoires que m’auront racontées les autres. Si nous voulons aller plus loin, la quête nous mène vers l’avant de notre naissance. Plus nous avons besoin d’en savoir sur ce que nous n’avons pas directement vécu, plus la quête narrative en passe par le récit des autres. Lorsque, de plus, le scripteur est un transfuge, ayant vécu ou vivant encore la répétition de situations où il s’est senti en porte-àfaux — étant quelque part en aspirant à un ailleurs ou étant quelque part en venant d’ailleurs —, son désir d’écriture excède le simple désir de compréhension et d’exposition de soi : il écrit aussi pour donner sens à ce décalage constamment revécu entre ses propres dispositions et la configuration des relations sociales où il a eu à évoluer et que son texte décrypte. Comme toute autobiographie, ce genre d’autobiographie relève d’un projet d’herméneutique de soi, un soi d’emblée traversé d’altérité, celle de l’intersubjectivité mais aussi du social.

8La notion de totalité temporelle comprise dans celle d’identité narrative telle que Ricœur la construit, ainsi que l’importance donnée aux médiations, présentent donc l’avantage de ne pas supposer un soi préconstitué qui confirmerait son identité en se racontant, comme si la médiation du récit était analogue à un instrument extérieur. Dès lors, peut-on considérer une telle identité comme une subjectivation qui s’effectuerait à même la trame du récit de soi ? Et dans ce cas, est-ce nécessairement la notion de subjectivation telle que Foucault l’élabore qui est susceptible d’enrichir la notion d’identité narrative — il faudrait plutôt dire d’ipséité narrative —, ce qui nous conduirait à parler de subjectivation narrative ?

Subjectivation et techniques de soi

9D’après Vincent Descombes, le « point fort des analyses de Foucault dans L’herméneutique du sujet est de replacer (…) la “question du sujet” dans le contexte historique d’un ensemble de pratiques qu’on peut qualifier d’exercices spirituels [18] ». Précisons que Foucault ne s’y livre pas à une « histoire de la subjectivité » mais à une enquête généalogique sur les « formes de subjectivation » comme pratiques ou plutôt comme pragmatiques du rapport à soi. Ainsi, alors que la dimension technique ou technologique — en tant que « procédures réglées (…) manières de faire qui ont été réfléchies et sont destinées à opérer sur un objet déterminé un certain nombre de transformations [19] » — est généralement vue comme étrangère à la démarche de recherche de la vérité propre à la philosophie, l’originalité de Foucault, disciple ici de Nietzsche, consiste à la réintégrer dans le cadre du problème qu’il déclare avoir toujours été le sien : « la vérité, le dire vrai, le wahr sagen — ce que c’est que dire vrai — et le rapport entre dire vrai et formes de réflexivité, réflexivité de soi sur soi [20] », problème qui n’est autre que celui de la philosophie elle-même.

10Contrairement à une idée reçue, le projet autobiographique moderne ne procède pas du gnôthi seauton de l’oracle de Delphes. D’après Foucault, une telle vision occulte au contraire la dépendance du « connais-toi toi-même » à l’égard de la catégorie plus générale du souci de soi-même — epitemeleia heautou, cura sui. Certes, prendre soin de soi supposait de s’être tourné, converti, vers soi, mais pour Socrate, et même encore pour Platon, la mise en œuvre de ce souci était synonyme d’une ascèse (askêsis) encore proche d’un ensemble de pratiques (rites de purification, techniques de concentration, de retraite, etc.) courantes dans la civilisation grecque archaïque, dont le but était la transformation progressive de soi. Le gnôthi seauton n’implique aucune introspection, aucun examen intérieur susceptibles d’être racontés sous forme d’autobiographie. En suivant la leçon de Pierre Hadot, Foucault veut remettre en lumière le sens initial de la philosophie : on ne parvient pas à la vérité sans se transformer soi-même, la philosophie est un mode de vie. L’autobiographie procèderait-elle alors des techniques de soi prisées par les stoïciens à l’époque impériale, qui faisaient une large part à la lecture et à l’écriture ? Pas plus, car ce retour vers soi n’en revenait jamais à un « déchiffrement de soi par soi ». Les hupomnêmata, par exemple, sont des sortes de carnets personnels dans lesquels on note des choses que l’on a lues, entendues ou pensées, mais c’est pour se constituer un stock de discours vrais à utiliser le moment venu, pour se remémorer les choses dites. Ou encore quand, dans une lettre, quelqu’un raconte à un autre ses journées et ses occupations, c’est pour évaluer avec lui l’adéquation des actions quotidiennes à une règle de vie préalable. À la différence des hupomnêmata, la lettre est adressée à l’autre en même temps qu’à soi, elle est à la fois exercice sur soi et « ouverture que l’on donne à l’autre sur soi-même [21] ».

11Mais l’essentiel pour Foucault est que le stoïcisme est particulièrement emblématique d’un mode de philosopher qu’il veut valoriser en tant que mode de subjectivation caractérisé, d’une part comme un « rapport adéquat, plein et achevé à soi-même », d’autre part par le fait que « je deviens moi-même le sujet d’énonciation du discours vrai », ce qui selon les termes de Sénèque signifie « faire siennes (“facere suum”) les choses que l’on sait (…) Faire sienne la vérité [22] ». Cela ne veut pas dire que l’on s’attribue personnellement la découverte de telle ou telle vérité, mais que grâce à l’ascèse, la vérité, entendue d’abord de la bouche d’un maître, s’intègre au sujet tout en transformant son intériorité. L’intériorisation ne garantit cependant pas à elle seule la subjectivation. Il faut en passer par une énonciation, un dire vrai, une parrhêsia, qui est en même temps l’engagement à tenir une conduite, la présentation de soi comme un, identique à soi-même : « ce qui authentifie le fait que je te dise vrai, c’est qu’effectivement je suis comme sujet de ma conduite, absolument, intégralement et totalement identique au sujet d’énonciation que je suis quand je te dis ce que je te dis [23] ». Nul doute que Foucault, soucieux de nous engager à nous déprendre de nous-mêmes, veut faire valoir une dépsychologisation de la subjectivité : en insistant sur le caractère technologique de la subjectivation pour en arriver à des conduites impliquant d’emblée l’extériorisation, la façon de mener sa vie de façon exemplaire, au vu et au su de tous. C’est dire aussi que son intérêt pour la subjectivation est foncièrement éthique et politique [24], Foucault redécouvrant dans son dernier cours le courage des cyniques pour tenter de leur trouver des postérités religieuses, politiques et esthétiques dans la modernité.

12Nous déprendre de nous-mêmes, c’est penser d’abord à rebours du tournant chrétien, tout en continuant à identifier les techniques de constitution de soi impliquées dans la nouvelle forme chrétienne de subjectivité, comme dans toute autre. Foucault consacre de longues analyses à la césure opérée par le christianisme au sein du monde de l’antiquité tardive, qui réside d’abord dans le fait que la connaissance de la vérité est donnée par un Texte, lui-même issu d’une Parole révélée. Mais pour recevoir cette parole, il faut un cœur purifié des tentations, des mouvements secrets de l’âme, qui nous détournent de Dieu. C’est alors que les techniques de retour à soi deviennent des techniques de déchiffrement, d’exégèse, d’herméneutique, avec au premier plan la confession qui ne deviendra pourtant une institution majeure du christianisme qu’avec le développement de la vie monastique [25]. Moment capital dans l’histoire de la subjectivité en Occident, c’est désormais le dirigé qui a quelque chose à dire et doit déchiffrer sa vérité sur un mode qui est toujours celui de l’aveu du péché. Cependant si la confession est un « dire vrai sur soi », ce dire vrai n’est pas, selon Foucault, une subjectivation mais une « objectivation de soi » qui en revient à une « renonciation à soi », à un sacrifice de soi, autant dire une désubjectivation [26]. Le sacrifice de soi était déjà exalté dans le christianisme primitif sous la forme du martyre et de la pénitence [27], mais l’obéissance requise par la vie monastique fera que la conduite sera intégralement contrôlée par le maître ou directeur de conscience, lequel exigera cette fois « le sacrifice de la volonté du sujet [28] ».

13C’est Augustin qui le premier avait effectué la jonction entre confession et écriture de soi. Avec lui, dire le vrai sur soi est aussi écrire le vrai sur soi. On sait que cette forme d’écriture n’a pas eu d’émules du temps d’Augustin lui-même mais a connu une nouvelle vie à partir de Luther qui, pour combattre la confession sacramentelle, fait un retour à la confession comme exposition solitaire à Dieu. Foucault a parfaitement noté ce point, et en particulier la réapparition de techniques « du genre de la notation, du journal intime, du journal de vie, du journal de bord de l’existence et puis de la correspondance », documents de base pour toute autobiographie. Dans les technologies subjectivantes de l’antiquité, « l’autobiographie, la description de soi dans le déroulement de sa vie, [n’intervenait] que très peu », alors que dans la modernité l’objectif devient désormais de « pouvoir dire la vérité sur soi-même [29] » au sein d’un dispositif d’aveu qui reprend les caractéristiques centrales de la confession monastique : « objectivation de soi » comme « renonciation à soi », c’est-à-dire désubjectivation. On en arrive alors au paradoxe suivant : les écritures de soi ne sont subjectivantes que dans la mesure où elles excluent l’autobiographie, c’est-à-dire une certaine herméneutique de soi. C’est la raison pour laquelle Foucault écrit : « l’hypothèse fondamentale de l’herméneutique de soi, qui est que nous devons trouver en nous-mêmes une vérité profonde qui est cachée et qui doit être déchiffrée comme doit l’être un livre, un livre obscur, un livre prophétique, un livre divin, je crois qu’il faut s’en débarasser [30] ».

14Cependant, même s’il est incontestable que l’autobiographie moderne inaugurée en particulier par Rousseau procède d’une sécularisation du dispositif inventé par Augustin, elle transforme aussi ce dispositif et il n’est pas dit qu’elle soit concernée par la vérité au sens philosophique du terme. D’après Jean Starobinsky, Rousseau est en quête d’une écriture qui soit au plus proche de la connaissance intuitive de soi sans prétendre « dominer » l’objet qu’il est lui-même, à la façon d’un historien soucieux d’objectivité, mais on pourrait dire aussi à la façon d’un philosophe. Écrire sur soi, poursuit Starobinsky, c’est s’exposer « dans sa recherche et son erreur (…). Cet ensemble constitue une vérité plus complète, mais qui échappe aux lois habituelles de la vérification. Nous ne sommes plus dans le domaine de la vérité (de l’histoire véridique), nous sommes désormais dans celui de l’authenticité (du discours authentique) ». Une telle authenticité — qui suppose un engagement préalable à la véracité — ne fait pas correspondre exactement ce qui est dit avec ce qu’il y a à dire. L’interposition de l’écriture fait surgir de nouveaux décalages, entre recherche de la transparence et obstacles inévitables à celle-ci, dès lors que, écrit Starobinsky, la loi de l’authenticité, jamais satisfaite, « ordonne que l’écrivain, renonçant à chercher son “vrai moi” dans un passé figé, le constitue en l’écrivant [31] ». L’écriture impliquée dans le geste autobiographique suppose bien sûr une certaine maîtrise technique de la langue, un investissement de soi dans des exigences spécifiques, mais si l’on suit Starobinsky, elle est bien un medium de subjectivation, de rapport à soi, sans que, suivant Foucault, l’on ait à supposer un soi qu’il y aurait à transformer ou à modeler.

Une affaire de style ?

15On peut reprendre ici certaines difficultés pointées par Vincent Descombes à propos du concept foucaldien de subjectivation, qui dépend préalablement d’un « rapport à soi », indiqué par l’utilisation ordinaire des verbes réfléchis du type « je me lève », « je me lave », etc. Or Foucault a tendance à passer de la formulation « rapport à soi » à la formulation « rapport au soi ». Ainsi lorsqu’il demande « ce que signifie ce qui est désigné par la forme réfléchie “s’occuper de soi-même” [32] », il fait comme si cette occupation, ce souci, devaient s’appliquer à un soi différent de celui qui pose la question, sans pour autant être un autre que lui. Dérivant la notion de subjectivation du substantif sujet, Foucault propose de considérer que le nom de sujet ne s’appliquera pas à celui qui agit (pour se transformer soi-même) mais au résultat de cette action. S’armer c’est « armer le soi », se protéger c’est « protéger le soi », etc [33]. À cela on peut objecter deux choses. D’une part, lorsque je dis « je me protège », « je me soigne », etc., j’utilise des verbes réfléchis transitifs en les rendant intransitifs pour parler d’une action pour laquelle je suis non pas sujet et objet, mais agent sans être patient. Certes chez Foucault le rapport sujet/objet s’appliquera plus précisément à la confession, « moment où le sujet s’objective lui-même [34] », puis aux technologies propres aux institutions judiciaires, médicales ou psychiatriques modernes, alors que le soi issu des technologies antiques est la « cible [35] » des pratiques subjectivantes de soi. Il n’en reste pas moins que dans les deux cas, on aura de toute façon eu besoin de transformer le rapport à soi en rapport à un soi. De là une seconde objection : en s’appuyant sur de telles formules, c’est comme si l’on établissait qu’entre « je » et « me », « me » était la référence du « je ». Ici Descombes s’appuie sur une analyse de Ricœur qui dénonce la confusion entre l’auto-désignation et la référence, ou encore « l’alignement de l’ascription à nous-mêmes sur l’attribution à quelque chose [36] ». En gros, lorsque j’emploie « moi » et « je », je ne fais pas référence à un soi distinct de celui qui parle. « Le mot “je”, écrit V. Descombes, ne comporte aucune référence à quoi que ce soit [37] », il est ce que certains linguistes appellent un « actanciel », l’indice dans une phrase orale de celui qui, dans une interlocution, est en train de parler à l’autre, indiqué par tu ou vous. De là, il rappelle le sens de la notion de subjectivation telle qu’on la trouve dans le Littré : « subjectiver quelque chose consiste à le rendre subjectif, c’est-à-dire à le considérer (à tort ou à raison) comme existant dans la dépendance du sujet (ou de son expérience). Inversement, l’objectivation de quelque chose consistera à lui donner (ou à lui rendre) son indépendance [38] ».

16Le « faire sienne la vérité » de Sénèque pourrait alors s’entendre de la manière suivante. Dans l’adage du souci de soi, il faudrait distinguer les soins que je suis le seul à pouvoir me donner à moi-même, de ceux que je peux confier à un autre que moi, de façon à subjectiver ceux qui seraient malencontreusement confiés à d’autres. La subjectivation est toujours subjectivation de quelque chose et non pas de soi.

17Comment pouvons-nous, dès lors, transposer ces réflexions à une reformulation de l’identité narrative en subjectivation narrative ? En suivant Descombes, on dirait que la racine subject- indique que la narration est celle d’un je, qu’elle est dans la dépendance d’un ipse non référentiel mais qui s’annonce lui-même, qui assume de dire en première personne face à un tu, un vous, voire, pour l’autobiographie, à un public de lecteurs. L’ipse se maintient comme tel d’un bout à l’autre du dire ou de l’écrire, sans qu’il s’y agisse d’une identité substantielle. Dans le cas de nos transfuges, cette annonce est une conquête émancipatrice, elle ne produit pas un sujet mais manifeste une capacité que chacun a en tant qu’être humain, alors-même qu’elle lui est déniée par les rapports d’oppression qui ont tendance à ne le considérer que comme un idem et non comme un ipse. Dès lors, le suffixe -vation n’indique pas l’accès à un état ou à statut de sujet, mais renvoie au caractère de déroulement, de temporalité configurante liée au déploiement d’un récit (Ricœur) qui demande le temps de son énonciation. Une telle configuration ne dévoile pas une identité au lecteur, mais une singularité, laquelle n’est pas une particularité (une partie éventuellement classifiable dans un ensemble) mais une exposition unique aux autres dont la durée est celle du temps de la vie ou d’une tranche de vie, avec ses événements, ce que l’on a fait, mais aussi ce que l’on a subi, la narration étant particulièrement adéquate à restituer ces phénomènes. Raconter, c’est transformer cette exposition en histoire, mon histoire. De sorte que l’unicité ne sera pas celle d’une substance mais sera une insubstituabilité : aucune histoire ne peut être échangée contre une autre, tout en étant universellement partageable.

18Pour rendre compte de cette insubstituabilité dans le cas particulier des autobiographies de transfuges, l’approche uniquement linguistique ne suffit pas. Certes le sujet est complément d’agent en réponse à la question « qui ? », mais il faut considérer aussi que le je actanciel du récit est assumé existentiellement par quelqu’un qui, au moment où il écrit, a changé, est devenu autre qu’il n’était et que c’est souvent de cette transformation qu’il fait état. Même si la généalogie de la quête de sens, c’est-à-dire une certaine herméneutique de soi, nous reconduit à la dimension chrétienne de l’aveu ou du déchiffrement d’une vérité profonde et cachée, on peut considérer qu’une fois lancée, elle a été réappropriée en fonction des ressources qu’elle offrait dans des situations inédites, la faisant échapper aux dispositifs de contrôle au sein desquelles elle est apparue. Ainsi la quête de sens propre aux autobiographies de transfuges présente toujours la particularité d’articuler une dimension d’autoanalyse avec un décryptage critique des relations sociales dans lesquelles les scripteurs ont été et sont encore pris. Ici, la manifestation du qui ne se produit pas abstraction faite de toutes les déterminations sociales, surtout lorsque ces déterminations vous ont placé du côté des dominés. Dans le cas des transfuges, on dirait qu’à l’encontre des catégorisations qui les constituent en exemplaires interchangeables d’un groupe, leurs autobiographies veulent faire entendre une voix singulière qui, sans renoncer à son exigence critique, ne renie jamais les liens qui la rattachent aux membres opprimés de son groupe d’origine. Ces personnes peuvent éventuellement revendiquer une identification (et assumer pour eux-mêmes, à certains moments, le nom de leur groupe d’origine : noir/noire, juif/juive, ouvrier/ouvrière, etc.), mais le retour par écrit aux dédales de leur existence ne sera jamais identique au récit que pourrait en faire un autre individu issu de la même situation qu’eux.

19Pour dire cette singularité on pourrait tenter la notion de style, intéressante car elle engage la question du comment et non celle du pourquoi : « comment, écrit Arendt, [certains hommes et certaines femmes ont] vécu leur vie, comment ils ont évolué sur la scène du monde et comment ils furent affectés par l’époque [39] ». Ricœur appelle cela le caractère, en tant que « manière d’être propre », « style indivisible », « singularité insubstituable [40] ». Le style c’est le type de régularité engagée par la manifestation du « qui », lequel, écrit Arendt, « apparaît si nettement, si clairement aux autres, [mais] demeure caché à la personne elle-même (…), visible seulement aux gens que l’homme rencontre [41] ». Ce à quoi les autres sont sensibles, ce à quoi ils nous reconnaissent, c’est à une manière régulière sinon constante d’être, une façon de parler ou de faire que la biographie (qui rassemble une pluralité d’épisodes et de situations) restitue en les racontant, la refiguration constitutive du récit permettant justement de tenir compte de surprises et de bifurcations, de doutes, d’hésitations, de crises ou de décisions soudaines. « Que la réponse à la question : Qui êtes-vous ? soit, écrit Arendt, la réponse (…) : “Laissez-moi (…) vous répondre à la manière classique, et vous raconter une histoire” [42] ».

20Dès lors — pour reprendre une formulation de Jean Starobinsky —, de quoi le « style de l’autobiographie » porte-t-il la trace ? Quelle que soit sa dose de fiction ou de reconstitution, le je narratif de l’écriture autobiographique est « assumé existentiellement » par celui qui signe l’ouvrage, lequel s’adresse à un public de lecteurs anonymes. L’autobiographie suppose, de plus, une distance constitutive entre le scripteur d’aujourd’hui et celui d’hier (lorsqu’il reconstitue par les mots l’enfant qu’il était par exemple). Une telle distance, sur laquelle repose le travail de la mémoire, est un rapport à soi, une subjectivité. Jean Starobinsky définit alors le style de l’autobiographie par un double écart : écart temporel entre l’aujourd’hui et l’hier, par rapport auquel « la première personne est le support commun de la réflexion présente et de la multiplicité des états révolus » ; en même temps, dans le présent de l’acte d’écrire, le « moi actuel » s’adresse à d’autres absents, invoqués au futur. Dès lors, le style de cette adresse « révèle le projet (…) d’une manière spécifique de se révéler à autrui [43] ». Le style n’est pas la forme ajoutée au fond, mais l’effectuation écrite de l’écart singularisant, c’est-à-dire subjectivant, de l’autobiographe dont la reconnaissance ne dépend que de ses lecteurs.


Date de mise en ligne : 24/12/2014

https://doi.org/10.3917/tumu.043.0107

Notes

  • [1]
    Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 27.
  • [2]
    M. Foucault, « Subjectivité et vérité », in L’origine de l’herméneutique de soi. Conférences prononcées à Darmouth College, 1980, éd. par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2013, p. 35.
  • [3]
    Cf. M. Foucault, « Structuralisme et poststructuralisme » (1983), in Dits et écrits, IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 445.
  • [4]
    M. Foucault, Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, Paris, Hautes Études/Gallimard/Seuil, 2008, pp. 6-7.
  • [5]
    Je me permets de renvoyer ici à Martine Leibovici, Autobiographies de transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar, Paris, Le Manuscrit, 2013.
  • [6]
    H. Arendt, « Condition de l’homme moderne », trad. G. Fradier, in L’humaine condition, Paris, Gallimard, « Quarto », 2012, p. 203.
  • [7]
    « Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, prémodernes, c’est par son appartenance à divers groupes sociaux que l’individu s’identifie et est identifié par les autres. Je suis frère, cousin, et petit-fils, membre de cette maisonnée, de ce village, de cette tribu. Ces caractéristiques ne sont pas accidentelles, on ne peut les ôter pour révéler le vrai “moi” (…). Les individus héritent d’un espace particulier au sein d’un entrelacs de relations sociales ; sans cet espace ils ne sont rien, parias ou étrangers dans le meilleur des cas » (A. MacIntyre, Après la vertu. Étude de théorie morale, trad. L. Bury, Paris, PUF, pp. 34-35. Je souligne).
  • [8]
    P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 143.
  • [9]
    P. Ricœur, Temps et récit, 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, « Points », 1985, p. 442.
  • [10]
    Vincent Descombes, Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, Paris, Gallimard, 2004, p. 115. Les italiques sont dans le texte.
  • [11]
    Temps et récit, 3, op. cit., p. 443. Les italiques sont dans le texte.
  • [12]
    P. Ricœur, Temps et récit, 1. L’intrigue et le récit historique, Paris, « Points », Seuil, 1983, p. 129.
  • [13]
    P. Ricœur, Réflexion faite. Autobiographie intellectuelle, Paris, Esprit, 1995, p. 59.
  • [14]
    Temps et récit, 3., op. cit., p. 443.
  • [15]
    Johann Michel, « Narrativité, narration, narratologie : du concept ricœurien d’identité narrative aux sciences sociales », in Revue européenne des sciences sociales, XLI-125/2003, pp. 7 et 14.
  • [16]
    Dans les ouvrages à teneur autobiographique d’Assia Djebar, par exemple, certains épisodes sont les mêmes d’un livre à l’autre, mais racontés à chaque fois d’un autre point de vue et donc autrement compris.
  • [17]
    Cf. la dixième étude de Soi-même comme un autre, « Vers quelle ontologie ? », op. cit., pp. 345 sq.
  • [18]
    V. Descombes, Le complément de sujet, op. cit., p. 269. Dans « Le pouvoir d’être soi. Paul Ricœur. Soi-même comme un autre » (Critique, tome 47, numéros 529-530, juin-juillet 1991, p. 381), V. Descombes reconnaît ce même mérite à la pensée de Ricœur.
  • [19]
    M. Foucault, leçon du 25 mars 1981 du cours au Collège de France, in « Subjectivité et vérité », cité par Laura Cremonesi et al. dans l’introdution à L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 11.
  • [20]
    « Structuralisme et poststructuralisme », op. cit., p. 445.
  • [21]
    M. Foucault, « L’écriture de soi », in Dits et écrits, IV, op. cit., p. 426. Voir aussi L’herméneutique du sujet, Paris, Gallimard, 2001, pp. 338-344.
  • [22]
    « L’herméneutique du sujet », p. 317.
  • [23]
    Ibid., p. 389.
  • [24]
    À comparer avec « l’horizon éthico-politique » (J. Michell, op. cit., p. 7) de l’identité narrative chez Ricœur, pour qui le modèle de la permanence de l’ipse est « celui de la parole tenue dans la fidélité à la parole donnée [qui] dit un maintien de soi » (en référence à la Selbständigkeit de Heidegger), « un défi au temps, un déni du changement » (Soi-même comme un autre, op. cit., pp. 148-149). Plus loin, Ricœur tient à démarquer « la modestie du maintien de soi [de] l’orgueil stoïcien de la raide constance à soi » (ibid., p. 198).
  • [25]
    La confession s’appuie sur l’exagoreusis comme examen et verbalisation constante de ses propres pensées (cf. « Les techniques de soi », Dits et écrits, IV, pp. 808 sq.).
  • [26]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., p. 317. Cf. aussi « Du gouvernement des vivants », Dits et écrits, IV, pp. 125-129.
  • [27]
    La pénitence passe par l’exomolegêsis ou « expression théâtralisée de la reconnaissance du statut de pénitent » (« Les techniques de soi », Dits et écrits, IV, p. 806).
  • [28]
    Ibid., p. 809.
  • [29]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., pp. 344-345.
  • [30]
    « Débat sur subjectivité et vérité », in L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 133.
  • [31]
    Jean Starobinsky, « Les problèmes de l’autobiographie », in Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p. 237.
  • [32]
    L’herméneutique du sujet, op. cit., pp. 52-53, cité par V. Descombes, Le complément de sujet, op. cit., p. 253.
  • [33]
    L’herméneutique du sujet, p. 205, cité par V. Descombes, ibid., p. 259.
  • [34]
    L’herméneutique du sujet, p. 316.
  • [35]
    L’origine de l’herméneutique de soi, op. cit., p. 50.
  • [36]
    Soi-même comme un autre, op. cit., p. 49, cité par V. Descombes, Le complément de sujet, p. 147.
  • [37]
    V. Descombes, ibid. Les italiques sont dans le texte.
  • [38]
    Ibid., p. 257. Les italiques sont dans le texte.
  • [39]
    H. Arendt, « Préface » à Vies politiques, trad. J. Bontemps, Paris, Gallimard, « Tel », 1986, p. 7.
  • [40]
    Soi-même comme un autre, op. cit., p. 144.
  • [41]
    H. Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 204.
  • [42]
    Vies politiques, op. cit., p. 134 (trad. B. Cassin).
  • [43]
    Toutes les citations de ce dernier paragraphe sont tirées de Jean Starobinsky, « Le style de l’autobiographie », Poétique, n°3, 1970, pp. 257-262.

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