Notes
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[1]
Paul Ricœur est l’un des seuls à avoir tenté d’élucider le sens d’une action humaine sans la rabattre sur le jeu des intentions, en mobilisant le modèle de l’herméneutique des textes, dans Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II (Paris, Seuil, 1986), spécialement la deuxième partie : « De l’herméneutique des textes à l’herméneutique de l’action ». Pour une conception non intentionnaliste de l’action, voir É. Tassin « Proposition pour une philosophie non intentionnaliste de l’action politique », in O. Švec, C. Mihali, Philosophie de l’action, Idea Design & Print, Cluj, 2005, pp. 135-155. Sur cette question, voir également le commentaire critique de Jakub ?apek, Action et situation. Le sens du possible entre phénoménologie et herméneutique, Hildesheim, Zürich, New York, Georg Olms Verlag, 2010, et l’analyse de Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, Paris, L’Harmattan, 2010.
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[2]
Voir, entre autres, Louis Jouvet, Le comédien désincarné (notes 1939-1950), Paris, Flammarion, 1954 (Champs-arts 2009).
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[3]
Voir ici même en particulier les contributions de Rieke Trimçev et de Hanna Klimpe.
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[4]
Voir en particulier « La question de la démocratie », in Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2006.
-
[5]
Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme [1795], tr. fr. R. Leroux, Paris, Montaigne, 1943 : 14e lettre, p. 193, 15e lettre, p. 199.
-
[6]
Ibid., 15e lettre, p. 199 : « il doit y avoir une union entre l’instinct formel et l’instinct matériel, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un instinct de jeu, car le concept d’humanité ne peut se parfaire que par l’unité de la réalité et de la forme, du hasard et de la nécessité, de la passivité et de la liberté ».
-
[7]
Ibid., 15e lettre, p. 205.
-
[8]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, op. cit., p. 61.
-
[9]
D. Diderot, Le paradoxe sur le comédien, in Œuvres esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 1968.
-
[10]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, op. cit., p. 71.
-
[11]
Diderot a décrit cette « abnégation de soi » requise pour parvenir à une « distraction de soi d’avec soi » (Le paradoxe sur le comédien, op. cit., p. 318) qui permet au comédien de ne pas être fixé à un seule rôle. Car le comédien n’est rien, il joue. « Le grand comédien est tout et n’est rien. Et peut-être est-ce parce qu’il n’est rien qu’il est tout par excellence, sa forme particulière ne contrariant jamais les formes étrangères qu’il doit prendre » (p. 341).
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[12]
L. Jouvet, Le comédien désincarné. Les citations qui suivent sont tirées des pages 145 à 151.
-
[13]
Ibid., p. 189. Je souligne. On remarquera que Jouvet reprend l’expression de Diderot, « abnégation de soi ».
-
[14]
Le paradoxe sur le comédien, p. 306.
-
[15]
Ibid., p. 336.
-
[16]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, p. 119.
-
[17]
Ibid., p. 120. Je souligne.
-
[18]
Ibid., p. 119.
-
[19]
Machiavel, Le Prince (tr. fr. E. Barincou), in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1952, p. 335 : « … car qui veut faire entièrement profession d’homme de bien, il ne peut éviter sa perte parmi tant d’autres qui ne sont pas bons. Aussi est-il nécessaire au prince qui se veut conserver qu’il apprenne à pouvoir n’être pas bon, et d’en user ou n’user pas selon la nécessité ».
-
[20]
L. Jouvet, op. cit., p. 183.
-
[21]
M. Weber, « La profession et la vocation de politique » (1919), in Le savant et le politique, tr. C. Colliot-Thélène, Paris, La découverte, 2003, pp. 192 sq.
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[22]
Machiavel, Le Prince, op. cit., chap. XVII, p. 339.
-
[23]
Op. cit., p. 188. Je souligne.
Didascalie
1Il s’agit dans une réflexion sur l’action et l’acteur de ne pas présupposer une conception du politique ou de l’acteur politique. À ce jour, aucune conception de l’action hormis celle de Hannah Arendt ne s’est penchée sur la phénoménalité spécifique de l’agir. En rapportant toute compréhension de l’action au registre d’une intentionnalité supposée en livrer la raison, les analyses ordinaires de l’action se privent de la possibilité d’en saisir la productivité propre en son déploiement publique [1]. Je suggère donc un double déplacement : partir de l’action elle-même pour penser la scène politique ; partir de l’acteur tel qu’il se trouve mobilisé dans l’art théâtral pour comprendre l’acteur politique. En partant de l’action, on peut concevoir l’institution de l’espace scénique au lieu de présupposer celui-ci comme condition de celle-là ; en partant de l’acteur et de son jeu, par définition théâtral, on peut saisir la scénographie politique comme forme de la phénoménalité de l’action au lieu d’en faire un effet spectaculaire et médiatique dévalorisant. Dans quelle mesure l’action théâtrale permet-elle de penser l’action politique ? Dans quelle mesure la considération de l’acteur théâtral permet-elle de concevoir ce qu’il en est de l’acteur politique ? Soit la question générale : y a-t-il une compréhension de l’acteur qui permette de rendre compte à la fois de l’action scénique et de l’action politique sous couvert d’une élucidation de ce que l’action fait à l’acteur ?
2À titre d’exemple, on trouve dans les observations que Louis Jouvet a consacrées au métier de comédien, un témoignage de ce qui arrive à l’acteur (c’est-à-dire à celui qui se trouve en situation d’agir sur une scène publique) — et non seulement de ce qu’il fait ou a à faire —, qui illustre la transformation corrélée de l’acteur et de la scène sous l’effet de l’action [2]. On ne peut soupçonner cette description de chercher par avance à décrire l’action politique et le « qui » agissant sous un angle politique. Et pourtant elle nous en apprend peut-être plus sur ce qu’est un acteur politique, saisi dans le moment de son action, et ce qu’est l’agir politique, pris dans le jeu des interactions qui lui donnent sens, que ne sauraient le faire tous les traités dits scientifiques consacrés à ce sujet. Se trouve ainsi posé le problème, qui reste un problème que je ne peux traiter pour lui-même mais que d’autres abordent ici, de la pertinence de l’analogie entre les deux régimes d’action ou de celle de la métaphoricité de la scène théâtrale pour penser la théâtralité de l’action politique [3].
3Nous devons nous situer en deçà de l’analogie et de la métaphore pour essayer de saisir dans la description pure le travail de l’acteur agissant, antérieurement à son champ d’application : scène théâtrale ou scène politique. Cependant, on ne peut nier que ce point de vue repose sur le postulat que l’ambiguïté de l’action — d’être à la fois indissociablement acte et jeu, commencement et pantomime — est une ambiguïté significative : toute action suppose un jeu comme tout jeu requiert une action. Si une description de l’acteur en sa théâtralité spécifique (que ce soit au sein de l’institution théâtrale ou non) nous apprend quelque chose, c’est en effet d’abord que toute action procède du jeu ; c’est ensuite que ce jeu est un jeu de rôle et qu’il relève donc de l’interprétation ; c’est enfin que l’interprétation requiert une virtuosité spécifique, celle que Machiavel a reconnue au fondement de l’action politique.
La scène, l’action
4Toute scène est un espace de transformation ; et toute scène définit un temps de mutation, une séquence. Qui se transforme sur une scène est nommé acteur. Est acteur qui agit, c’est-à-dire « qui » est pris dans le temps et l’espace de l’action — ni avant ni après cette séquence, ni hors de ce lieu. Être acteur est donc, pour une personne quelconque, opérer mais aussi subir une transformation de ses coordonnées spatio-temporelles, procéder à une mutation de soi, le temps d’une chorégraphie sur une scène dévolue à cet effet. Cette transformation requiert les autres, acteurs et spectateurs. Plutôt que de penser l’acteur à partir des répertoires connus de personnages — comme si ceux–ci dispensaient de s’interroger sur ce qui fait l’acteur —, on devrait s’efforcer de penser l’acteur à partir de l’action, à partir du jeu. Car ce n’est pas l’acteur qui agit — comme si celui qu’on nomme ainsi existait indépendamment de son action et restait acteur quand bien même il n’agirait pas, hors scène —, c’est au contraire l’action qui produit l’acteur ou l’actrice ; et celui-ci ou celle-ci n’existe qu’en raison de ses actions. Être acteur, c’est être agi selon des coordonnées et des transformations dont on portera, le temps d’une séquence, le nom singulier. On n’agit qu’en étant agi.
5L’action produit l’acteur, mais parce qu’elle produit aussi la scène. Que serait un acteur sans scène ? Que serait une scène sans des actions et des paroles qui la dessinent ou la profilent en produisant — en donnant naissance et en faisant voir — dans l’espace et le temps les acteurs qui ont mission d’en porter l’expression publique ? D’un certain point de vue, la scène préexiste à la séquence d’action qu’elle accueille ; mais d’un autre point de vue, c’est seulement cette séquence qui la fait naître et en dessine les contours et la durée de vie. Chaque fois que des acteurs agissent, ils font naître une scène en se donnant naissance à eux-mêmes sur cette scène. Et en sollicitant des spectateurs : en les sollicitant comme observateurs et juges ; et co-acteurs de leur prestation. L’action produit l’acteur, la communauté des acteurs, la scène de leurs actions, la communauté sollicitée des acteurs et des spectateurs, l’interprétation par les uns (spectateurs) de ce que les autres (acteurs) interprètent sous leurs yeux.
6Qu’est-ce alors qu’agir ? Qu’est-ce qu’agir en sorte que la productivité propre de l’action soit comprise comme l’engendrement d’un acteur ? D’un acteur saisi par et selon des coordonnées produites par des actions qu’il porte à une visibilité commune et qui le révèlent comme acteur ; par des actions qui induisent des relations autres à soi-même, autres aux autres acteurs eux-mêmes nés d’autres actions concertées, autres aux spectateurs devenus eux-mêmes autres d’être pris dans ce jeu composé des acteurs et des spectateurs ? Agir, c’est produire un acteur autre, corrélé à un monde devenu lui-même autre d’être reconfiguré depuis cette scène de transformations et cette séquence de mutations qui sollicitent une communauté d’interprètes divisés par altération d’une communauté présupposée — mais fictive.
Le jeu
7Qui agit joue. On ne saurait agir sans jouer, ou on ne saurait agir autrement que sur le mode du jeu. Le jeu (game) n’est un amusement que parce qu’il est d’abord une manière d’agir (to play, to act, to perform). Cette manière d’agir (et le plaisir qu’elle procure à l’occasion) se caractérise par l’articulation entre la nécessité d’une situation (le rôle) et la contingence d’une initiative (l’acte). Le jeu réalise l’accord entre la détermination de conditions imposées et la liberté d’une action qui s’en empare et y échappe. Il n’y a d’action que quand et parce qu’il y a du jeu. Le roulement à billes illustre cette articulation du nécessaire — mouvement combiné de deux pièces rigides — et du contingent — mouvement aléatoire des billes dans leur logement — dans la production d’un mouvement indéfini : le libre déplacement des billes rend possible l’élimination du frottement qui contrarie le mouvement coordonné des pièces rigides et, libérant celles-ci de leurs attaches figées, les ouvre à une puissance inédite et créatrice au sein même d’un cadre déterminé. Tout acteur (qui jouit de la libre disposition de ses mouvements) est un comédien (qui doit se tenir à l’interprétation d’un rôle) parce que par son jeu tout comédien invente une manière singulière et libre de se couler dans une nécessité. Si l’on doit penser l’action sur le mode du jeu, ce n’est pas parce que toute action collective relèverait de la « comédie humaine » ou de la « comédie du pouvoir » qui rendraient toute prestation sociale convenue et artificielle et toute initiative politique opportuniste et manipulatrice, mais parce qu’une action est par définition libre — ou ce n’est pas une action —, et que toute action libre se déploie dans un univers de nécessités et un monde de contraintes sans lesquelles elle n’aurait pas de raison d’être ni d’enjeu commun. Le jeu (libre articulation du nécessaire et du contingent) est le mode sous lequel l’action combine les prescriptions du rôle avec la liberté de ses interprétations, la nécessité de l’histoire avec la contingence des événements qui la réalisent. Le jeu de l’acteur théâtral (to play or to perform a part, or a character, to personify, to act…) ne saurait être une métaphore du jeu de l’acteur politique qu’en raison de leur commune inscription préalable au registre de l’articulation du nécessaire et du contingent, laquelle requiert une scénographie spécifique, une mise en forme qui est indissociablement, comme l’a indiqué Claude Lefort, une mise en scène et une mise en sens [4].
8Schiller a nommé « instinct de jeu » cette disposition propre aux humains à accorder la dynamique de la vie et la stabilité des états en une « forme vivante » qui vise « à concilier le devenir et l’être absolu, le changement et l’identité [5] », « le hasard et la nécessité, la passivité et la liberté [6] ». Le jeu, et le jeu seul, affirme-t-il, peut rendre l’homme complet en lui permettant de déployer librement ses deux natures à la fois, sa nature sensible et sa nature formelle, sous couvert de la beauté : « L’homme ne joue que là où dans la pleine acception de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue [7]. » Certes, c’est au « libre jeu des facultés » que songe Schiller, mais nous ne devons pas restreindre cette compréhension du jeu à cette seule acception. Le jeu théâtral est par excellence le dispositif qui déploie le libre accord de la sensibilité et de la forme, de la vie et de la loi, de la contingence des situations avec leur caractère inéluctable, bref des engagements singuliers avec les rôles qu’imposent les déterminations sociales de l’action. Et ce jeu est aussi principe de société, instauration d’un lien, formation d’une communauté d’acteurs-spectateurs. Louis Jouvet : « Ce n’est pas jouer que de jouer seul [8]. » Ce n’est pas agir, pourrions-nous ajouter reprenant Arendt, que d’agir seul. Car toute action suppose et mobilise d’autres acteurs, sollicite des spectateurs et crée entre eux une communauté divisée et conflictuelle de jugements et de participations.
L’interprétation
9La notion d’interprétation condense les deux dimensions que recèle le jeu puisqu’elle traduit l’aléatoire et singulière appropriation d’une nécessité générale tout en affirmant la légalité formelle qui impose cette libre réappropriation (la partition, le texte, les didascalies, etc.). Tout acteur est un joueur, tout joueur un interprète, et tout interprète reconfigure librement, singulièrement une forme légale, générale et impersonnelle. Comme l’a fortement établi Diderot, le paradoxe du comédien [9] signifie que l’acteur ne s’imite pas : il s’émancipe de lui-même, se soustrait à sa propre sensibilité, se désidentifie de sa personne pour se singulariser dans ses personnages ; il n’imite pas les autres : il se tient à distance des personnalités concrètes, ne reproduit aucune situation ou conduite particulière, aucune convenance sociale ; il imite une idée ou un modèle. Or une idée ou un modèle, c’est un problème. Et à vrai dire, un problème ne s’imite pas, littéralement : il s’exemplifie, se singularise, s’interprète et se « mondifie » par un jeu. Tout acteur est ainsi l’interprète d’une situation, aux deux sens du terme : il en produit une intelligence opportune, en analyse les composantes, en profile les promesses, en esquisse les orientations, configure dans l’instant la trame des avenirs possibles, bref dessine un monde à naître par ses initiatives et que son action avec d’autres portera vers d’autres mondes possibles ; et donc, dans le même temps, il concrétise cette intelligence dans une conduite appropriée, déploie une habileté adéquate aux circonstances, s’empare des éléments qui singularisent une situation, investit un rôle et incarne un personnage dont les actes, en consonance avec d’autres actes portés par d’autres acteurs, confèrent à un problème une existence tangible et composent une communauté conflictuelle, un destin de circonstance, une nécessité du moment.
10Un modèle à imiter, c’est un problème à concrétiser par un jeu, c’est-à-dire par une interprétation : comme le suggère Diderot, il ne s’agit pas d’imiter un Tartuffe ou un Don Juan, il s’agit de jouer le Don Juan, d’interpréter les problèmes dont Tartuffe, Richard II ou Antigone sont les noms singuliers. L’interprétation fait exister un universel qui n’est rien en lui-même — sinon un problème pour l’esprit — sous une figure concrète et singulière qui prend corps, visage et matérialité, devient monde et partage problématique — hésitations, engagements, résolutions, compromissions — pour une communauté d’acteurs et de spectateurs particulière.
L’impersonnalité du personnage
11Le jeu requiert un dédoublement, l’interprétation une posture. Pour interpréter un rôle, le comédien procède à une double opération que Diderot a mise en évidence à sa façon : apprendre à cesser d’être soi, à s’oublier, pour pouvoir devenir un autre ; faire disparaître la personne propre pour faire naître le personnage commun. Mais la production du personnage commun, de la figure publique, du masque, est aussi, paradoxalement, une singularisation phénoménale de l’acteur délivré de soi. Dans le langage de Jouvet : « en sortant de soi, on fait l’épreuve de ce qu’on est [10] ». La désidentification de soi que Diderot comme Jouvet nomment dépouillement de soi ou abnégation de soi, qui est la soustraction de sa propre personne à la communauté des pairs au bénéfice du personnage qu’on lui présente, libère de possibles agencements pour une singularisation inédite sous le masque de ce que la langue anglaise nomme un character. La disparition de la personne est la condition d’apparition du personnage [11]. Louis Jouvet a longuement insisté sur cet aspect du travail de l’acteur : celui-ci « doit quitter sa personnalité […] pour approcher si peu que ce soit de la nature réelle du personnage », écrit-il [12]. Il doit apprendre « à se dépouiller de lui-même, pour “être” cet autre qu’est le personnage ». Si « le personnage est infiniment plus impersonnel que l’acteur ne l’imagine », alors « la première qualité de l’acteur est de dépersonnaliser », car « le comédien est un et plusieurs, et il lui est bien difficile d’être autre que ce qu’il est, si ce n’est par un dépouillement de soi-même ». Des subtiles observations de Jouvet, je ne retiens que deux aspects qui indiquent avec force combien le jeu requis par l’interprétation induit pour l’acteur — au théâtre, bien entendu, mais sur la scène publique avec autant d’évidence — une double opération conjointe de dépossession de soi et de service au public. « La vraie interprétation de l’acteur, note-t-il, consiste d’abord à se dépersonnaliser pour atteindre l’impersonnalité du personnage. » Or, « pour arriver à l’impersonnalité — cette abnégation de soi — cette humilité devant le personnage, cette servitude bien comprise entre le rôle et le public, il faut quitter le “moi”. Ce n’est que dans cette dépossession que l’on se retrouve et qu’on trouve le secret du métier [13] ». Double secret : la dépossession de soi est due au personnage puisqu’elle est condition de son apparition ; elle est due au public puisqu’elle est requise pour mettre ce personnage à son service. Double et précieux secret, en effet. Car c’est en se dépossédant de sa personne privée que le comédien se retrouve comme personnage public, qu’il se distingue comme acteur au sens arendtien dans et par ses actions, qu’il se singularise par son jeu en incarnant concrètement hic et nunc le général, l’humain, le modèle, bref qu’il se met au service de son personnage public en mettant celui-ci au service du public ; car c’est ainsi, en effet, qu’il instaure ce lien de servitude bien comprise entre le rôle et le public par lequel, en un même mouvement, il « se » met, lui, acteur, comédien, officiant dans son rôle, au service du public ; règle son jeu sur les attentes de ce public ; soumet humblement son personnage à l’autorité de son jugement, en jouant son rôle, en interprétant à sa façon, ici et maintenant, une situation commune. Jouer son rôle, qu’est-ce donc faire ? C’est agir de sorte à mettre un personnage au service du public et à faire d’un public le juge d’une manière d’agir, de la manière dont ce personnage est interprété, joué. Faut-il insister ? On aura reconnu la mission de service public de tout acteur, qu’il se trouve au théâtre ou à l’agora. Elle requiert une certaine virtù.
La virtuosité
12L’interprétation est affaire de virtuosité. Et la virtù est tout entière condensée dans l’art de l’interprétation qui fait exister en même temps l’acteur dans son personnage, le problème ou le thème dans la manière dont il est joué, la communauté des acteurs et des spectateurs dans la trame partagée des engagements et des compromissions, ainsi que les divisions et les conflits que l’interprétation fait naître en singularisant concrètement, et problématiquement, une situation. Le virtuoso est nécessairement acteur : il joue ; et l’acteur est forcément virtuose : il interprète, qui un rôle, qui une partition, qui une chorégraphie. Tout acteur, tout interprète, se doit d’être virtuoso pour que l’interprétation qu’il propose à tel moment soit significative et reconnue, fructueuse et contestée : pour qu’elle « fasse monde » pour une communauté qui n’existe pas encore et qui n’existera que par elle et les divisions qu’elle engendrera ; et qu’elle « fasse communauté » dans la composition des mondes qu’elle cristallise singulièrement par son interprétation d’une situation en une circonstance.
13Toute interprétation sollicite une communauté indéterminée et indéterminable, et produit un lien ambigu, double, contradictoire : un lien de communion (adhésion à l’interprétation) et un lien de désunion (conflit des interprétations, qui est un conflit de positions tout autant que d’opinion). Il serait ingénu de croire qu’une communion ne naît pas avec ses divisions et que les divisions ne produisent pas de liens. L’interprétation du monde lie dans les divisions de mondes qu’elle produit. Et ce lien des divisions est le seul qui relie politiquement les acteurs et les spectateurs (on appelle justement « religieux » le lien qui croit pouvoir s’autoriser du seul partage — ou du partage au seul sens de la communion : il est religieux parce qu’il ne procède pas de la division et ne supporte guère le conflit des interprétations). Le commun est un effet de divisions ; et plus croissent les divisions et les conflits qu’elles engendrent, plus se renforce le lien politique, avant que la guerre (qui est la renonciation à la politique par le refus de ses régimes spécifiques de divisions et de conflictualités) ne le détruise. Souvent le théâtre a raconté cette affaire, et la tragédie avant tout, d’Eschyle à Shakespeare, mais aussi de Brecht à Augusto Boal ou, comme on le voit ici, à Wajdi Mouawad ou à Marianella Morena.
Le rôle et le contrôle
14La compréhension diderotienne de l’acteur théâtral est la clé de l’analyse machiavélienne de l’acteur politique. Du comédien, Diderot écrit, on s’en souvient : « Je lui veux beaucoup de jugement : il me faut dans cet homme un spectateur froid et tranquille, j’en exige par conséquent de la pénétration et nulle sensibilité [14]. » L’acteur est son premier spectateur. Dissocié de soi, l’acteur se tient en son jeu à distance de soi et, en ce dédoublement, se juge. C’est ainsi qu’il « se possède » et peut, tel Quinault-Dufresnes jouant Sévère dans Polyeucte et s’interrompant une seconde pour apostropher un spectateur trop bavard, « déposer et reprendre son masque [15] ». Comme le dit Jouvet, l’acteur qui prend le rôle à son compte doit « rester maître des réactions que ce rôle produit en lui » en même temps qu’il « lui faut mesurer l’effet de son jeu sur le public ». Un acteur ne peut porter un rôle sur scène, et assumer la responsabilité de ce rôle, qu’à condition d’établir un triple poste d’observation par lequel il contrôle son propre jeu et son efficace : du point de vue de son personnage, du point de vue du public et du point de vue de l’acteur s’observant soi-même agissant, spectateur distancié de son propre jeu. « Il y a trois partenaires qui limitent le jeu de l’acteur : le personnage, partenaire virtuel, le public, et un troisième partenaire au sein même, à l’intérieur de l’exécutant, l’acteur se regardant faire ce qu’il fait, lui-même ayant conscience de son exécution [16]. » Un acteur jouant est toujours un interprète qui joue avec d’autres : avec son personnage, et donc aussi avec un auteur, avec d’autres acteurs interprétant d’autres personnages, avec un public interagissant avec cette scène d’action concertée, enfin avec soi-même, à la fois acteur et spectateur de la situation dans laquelle il intervient et qu’il compose avec d’autres par son jeu. « Si l’acteur pouvait alors apprécier son état en jouant, s’il pouvait parvenir par lucidité à saisir ou éprouver les correspondances, les unissons entre lui et le public, entre lui et le rôle, et cet unisson extraordinaire, l’unisson total des trois : public, auteur et lui-même, il aurait atteint le point extrême où se place ce que l’on pourrait appeler le sens intuitif du rôle en action [17]. »
15Le sens intuitif du rôle en action suppose qu’au rôle soit adjoint, indissociable de lui, un contre-rôle : « La faculté de se voir et de s’entendre chez l’acteur, c’est le contrôle [18]. » Alors que le rôle est le registre des offices qui définit le répertoire des conduites significatives et pertinentes dans une situation donnée, le contre-rôle double le rôle d’une opération de vérification, d’administration et de domination des interactions induites par les conduites. Tout acteur ne peut agir de manière appropriée aux interactions requises par une situation qu’à condition d’être à soi-même son propre contrôleur, mais aussi qu’à condition d’agir sous le contrôle d’un texte (le rôle est un rouleau, ce « grand rouleau » sur lequel, dit Jacques le fataliste, tout est écrit), le contrôle des autres acteurs, du public juge de leurs actions, du jeu et de l’interprétation. Qu’aux dire de Jouvet, ce contrôle soit intuitif et comme immédiat chez le comédien accompli, n’empêche pas qu’il relève néanmoins d’une virtù acquise et d’une expérience sédimentée par laquelle l’acteur sait séparer les attendus ne relevant que de sa personne des nécessités imposées par la situation et les contraintes de l’interaction, mais aussi des attentes implicites du public concernant le personnage et projetées sur le rôle.
La scène et la coulisse
16La virtù machiavélienne peut être comprise comme un opérateur de disjonction entre la vie privée et la vie publique qui scinde l’éthique en deux dimensions, l’une propre aux coulisses privées de la vie collective, l’autre requise par la scène publique de l’action concertée. Si comme le dit Machiavel, il appartient selon les circonstances à l’acteur politique de « pouvoir n’être pas bon et d’en user ou n’user pas selon la nécessité [19] », être virtuoso requiert avant tout de savoir relativiser ses convictions personnelles au regard des exigences d’une situation politique pour adapter son action aux nécessités du moment. On doit alors opposer terme à terme la vie privée, domaine de la personne où règnent les normes morales et religieuses, de la vie publique, domaine du personnage, organisée selon des règles de vie collective proprement politiques. La première est le havre de la conscience dans son rapport à soi, à Dieu et aux autres ; la seconde accueille la diversité des conduites et les divisions d’intérêt. La première est gouvernée par les intentions, invisibles par définition ; la seconde ne connaît que les actions, phénoménales, exposées aux regards. La première obéit aux valeurs qui sont l’objet de convictions personnelles indiscutables ; la seconde mobilise des principes qui font l’objet de conventions, implicites ou non, sociales et politiques, et toujours discutables. La première n’engage que soi et les siens ; la seconde engage toute la société dans sa diversité, c’est-à-dire aussi dans ses divisions et ses conflictualités. De la première, enfin, on dira qu’elle a pour clé la fidélité à soi, l’accord toujours recherché de soi avec soi en toutes circonstances, gage de la cohérence d’une conduite et de la vertu d’une âme ; de la seconde, on dira en revanche qu’elle a pour clé le dévouement à la collectivité, lequel exige des compromis, des arrangements en raison de la pluralité des positions qu’il convient de concilier. En coulisse, donc, l’intégrité personnelle comme valeur morale ; sur la scène, la responsabilité collective comme principe politique.
17On voit bien que si la personne privée est relativement aisée à contenter en ce qu’elle rapporte les situations à des valeurs assumées par la conscience, le personnage public et son rôle — politique parce qu’interactif — sont, eux, exposés à des sollicitations contradictoires qui réfèrent à des principes pluriels requis de convenir à un peuple divisé dans une société divisée. Il en résulte une alternative simple mais décisive. Quand le point de vue de la personne privée impose l’intégrité à soi, qui n’a de sens que dans la seule sphère particulière de la vie, à l’ensemble de la société, on a ce qu’on appelle l’intégrisme. Au contraire, le personnage public ne peut faire autrement, lui, que de régler sa conduite sur les attentes du public, ce qui l’oblige à relativiser ses convictions, à accepter de se compromettre et à assumer les contradictions que les divisions entraînent. Jouvet encore : « le personnage est “ouvert”, la personne est fermée [20] ».
18On pourrait ne voir là que l’alternative de l’intégrisme (politique morale) et de l’opportunisme (politique cynique). La leçon de Machiavel est qu’il y a plus de grandeur dans l’opportunisme responsable qui assume le nœud de la vie collective que dans la position de la belle âme qui le refuse ou dans celle de l’intégriste qui prétend le dénouer en tirant son fil de la pelote et en coupant les autres. Certes, l’opposition est ici caricaturale ; et purement analytique. C’est cependant elle qu’on retrouve dans la distinction wébérienne entre l’éthique de conviction, prête à se contredire dans ses actes du moment que ses valeurs sont défendues sans compromis, et l’éthique de responsabilité, disposée à transiger sur les valeurs parce qu’elle accorde plus de prix aux conséquences des actes qu’au bien fondé des raisons [21]. Car au fond, ce que la virtù machiavélienne suggère est qu’il n’y a pas de troisième solution. Ou vous êtes pour les valeurs, et si vous êtes intégriste vous les contredirez par votre intransigeance et vous rendrez la société invivable en la soumettant à l’inquisition. Ou vous êtes responsable, et vous vous guiderez sur des principes, dont la fonction sociale est régulatrice et non prescriptive, qu’il vous appartient donc d’interpréter et d’aménager pour donner sens à vos actes dans un ensemble collectif qui n’épouse vos vues ni ne partage vos intérêts mais qui compose la société sans laquelle votre existence n’aurait guère de sens ni d’attrait. Aussi appartient-il à celui qui prend des responsabilités publiques d’apprendre à pouvoir n’être pas bon si cela est requis par les circonstances et rendu nécessaire par l’état des choses. Soit donc, de renoncer à ses convictions, de renoncer à soumettre le tout de son existence à une norme unique, de renoncer à plier le tout de la société à quelque norme que ce soit sous prétexte qu’elle convient à sa conscience ou à celle de son église. Bref, d’interpréter la situation, de jouer le jeu requis par la société et d’être fidèle à son personnage public plutôt qu’à sa personne privée.
Le théâtre des responsabilités
19Le fondamentalisme, exportation indue des convictions religieuses ou morales de la personne privée dans la sphère publique qui ne saurait, elle, dans sa pluralité, s’y plier sans nier la liberté, l’égalité (et la conflictualité qui leur est indissociable), est odieux. La responsabilité politique doit cependant encore être comprise dans son exercice. Si le Prince machiavélien n’est pas un imposteur, c’est qu’il est un acteur au sens propre, un comédien. Non seulement il agit avec d’autres sur une scène dédiée à la vie politique et élevée du sein de la société à cet effet, mais il le fait devant un public qui le juge et que Machiavel considère comme le seul véritable juge : le peuple. C’est toujours au peuple que le prince rend des comptes, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non, comme le comédien au spectateur qui l’évalue, le loue ou le blâme. C’est pourquoi, s’il est indéniable qu’il est mieux que le prince possède réellement les qualités qu’il prétend avoir, il doit aussi, dit Machiavel, « rester maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient [22] ». C’est là tout l’art du comédien, tel que Diderot ou Jouvet l’ont décrit. Le virtuoso joue des apparences, non pour tromper son public mais pour le satisfaire, afin d’être dans son rôle et de n’y pas déroger quelles que soient les circonstances. Revêtu de son masque, la persona juridique, le prince — mais aussi bien tout responsable politique, tout citoyen — joue un personnage et doit le jouer selon les règles du jeu collectif. Jouer n’est pas tricher, c’est adapter sa personne aux personnages que les rôles appellent. Mieux : comme le suggère Machiavel, c’est étouffer ses convictions personnelles pour laisser paraître ce que la fonction exige et que le peuple attend ; ou comme le dit à sa manière Diderot, c’est pour le comédien, investi d’une responsabilité publique, faire abnégation de soi, parvenir à se distraire de soi, bref oublier sa propre personne au profit du personnage collectif.
20Au regard du jeu théâtral requis par la responsabilité publique, la virtù du politique n’a donc pas plus à voir avec l’hypocrisie que le rôle du comédien, l’hypokrites, jouant son personnage. Pas plus que le comédien sur scène, le prince ne cache son jeu, il l’exhibe au contraire ; pas plus que le comédien, il ne trompe son public ; bien plutôt lui est-il lié par un contrat implicite qui exige de lui qu’il lui rende ce qu’il attend, et qui décide de son sort. S’il y a une théâtralité du politique, c’est, à suivre les indications conjointes de Machiavel, de Diderot, de Jouvet, du côté de l’interprétation qu’il faut la chercher. La virtuosité politique n’est ni une simple habileté de manipulation ni un génie insondable, même si elle tient des deux : elle est avant tout un art de l’interprétation. Interpréter, c’est jouer une partition en la singularisant, traduire le modèle en le concrétisant, a-t-on dit, inventer des agencements en fonction des parties. La manière dont Glenn Gould interprète Bach est unique ; la manière dont Harry Baur interprète Jean Valjean est unique ; la manière dont Václav Havel a exercé ses responsabilités de président de la république est unique. En politique, bien sûr, l’interprétation est un art un peu plus compliqué : le texte, la partition, les co-acteurs, le décor ne sont pas donnés ; la scène peut être partout et là où on ne l’attend pas ; la salle est incertaine et divisée, prête à en découdre ; et surtout le partage des spectateurs et des acteurs, de la salle et de la scène est labile et mouvant, et changeant, continuellement contesté, les rôles s’échangent. Mais c’est aussi pourquoi la responsabilité politique en est d’autant plus grande : elle doit faire avec ces aléas, accepter que d’autres reprennent et infléchissent le sens de ce que nous avons fait, le contrarient ou le combattent, nous nuisent ou nous ignorent, etc. Il y a ainsi un tragique de la politique qui consonne avec le théâtre de la tragédie car tous deux affrontent l’incertitude des décisions, le retournement des situations, la responsabilité des conséquences imprévues. La théâtralité tragique de la politique confère sa noblesse à l’art des opportunités.
La puissance du personnage
21À considérer ce que l’action fait à l’acteur, on conviendra que le jeu des rôles et l’interprétation des situations, pratiques plurielles et concertées, sont générateurs d’un lien spécifique qui ne s’ordonne pas aux personnes mais aux personnages, pas aux supposés auteurs des actes mais aux acteurs réellement nés des actions, pas à ce que nous sommes mais à qui nous sommes pour reprendre la distinction arendtienne, et qui tient aux scènes sur lesquelles ces peuples se rencontrent. Une attention à l’agir ne préjugeant ni des rôles ni des scènes permet d’envisager la genèse commune des scènes théâtrales et des scènes politiques : des scènes politiques comme scènes théâtrales et des scènes théâtrales comme scènes politiques. Et donc de définir une théâtralité du politique, une orchestration de la visibilité non pas sur un mode instrumental et manipulateur, mais sur un mode phénoménal qui ne doit rien à la société du spectacle, rien à la comédie du pouvoir, rien à la médiatisation des personnes ; et tout à la mise en scène d’un agir concerté dans lequel les acteurs sont sollicités par des publics et inversement. Elle permet aussi de concevoir ce que signifie être acteur de ses actes, acteur du monde aussi bien sur la scène théâtrale que sur la scène politique. Il convient de considérer la théâtralité du politique à partir de la politicité du théâtre, mais ici théâtralité et politicité visent moins à ordonner la « bonne communauté » par la « bonne gouvernance » — fantasme policier, dirait Rancière — qu’à ouvrir de multiples espaces de manifestation pour des peuples divisés mais agissant. Ainsi peut-on penser la puissance de ces peuples — ce que les actions font aux peuples — selon ce que suggère cette proposition de Jouvet : « C’est le pouvoir (la puissance, l’intensité) qui fait agir un personnage et non pas les raisons qui l’ont fait accomplir telle ou telle action [23]. »
Notes
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[1]
Paul Ricœur est l’un des seuls à avoir tenté d’élucider le sens d’une action humaine sans la rabattre sur le jeu des intentions, en mobilisant le modèle de l’herméneutique des textes, dans Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II (Paris, Seuil, 1986), spécialement la deuxième partie : « De l’herméneutique des textes à l’herméneutique de l’action ». Pour une conception non intentionnaliste de l’action, voir É. Tassin « Proposition pour une philosophie non intentionnaliste de l’action politique », in O. Švec, C. Mihali, Philosophie de l’action, Idea Design & Print, Cluj, 2005, pp. 135-155. Sur cette question, voir également le commentaire critique de Jakub ?apek, Action et situation. Le sens du possible entre phénoménologie et herméneutique, Hildesheim, Zürich, New York, Georg Olms Verlag, 2010, et l’analyse de Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, Paris, L’Harmattan, 2010.
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[2]
Voir, entre autres, Louis Jouvet, Le comédien désincarné (notes 1939-1950), Paris, Flammarion, 1954 (Champs-arts 2009).
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[3]
Voir ici même en particulier les contributions de Rieke Trimçev et de Hanna Klimpe.
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[4]
Voir en particulier « La question de la démocratie », in Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2006.
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[5]
Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme [1795], tr. fr. R. Leroux, Paris, Montaigne, 1943 : 14e lettre, p. 193, 15e lettre, p. 199.
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[6]
Ibid., 15e lettre, p. 199 : « il doit y avoir une union entre l’instinct formel et l’instinct matériel, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un instinct de jeu, car le concept d’humanité ne peut se parfaire que par l’unité de la réalité et de la forme, du hasard et de la nécessité, de la passivité et de la liberté ».
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[7]
Ibid., 15e lettre, p. 205.
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[8]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, op. cit., p. 61.
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[9]
D. Diderot, Le paradoxe sur le comédien, in Œuvres esthétiques, Paris, Classiques Garnier, 1968.
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[10]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, op. cit., p. 71.
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[11]
Diderot a décrit cette « abnégation de soi » requise pour parvenir à une « distraction de soi d’avec soi » (Le paradoxe sur le comédien, op. cit., p. 318) qui permet au comédien de ne pas être fixé à un seule rôle. Car le comédien n’est rien, il joue. « Le grand comédien est tout et n’est rien. Et peut-être est-ce parce qu’il n’est rien qu’il est tout par excellence, sa forme particulière ne contrariant jamais les formes étrangères qu’il doit prendre » (p. 341).
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[12]
L. Jouvet, Le comédien désincarné. Les citations qui suivent sont tirées des pages 145 à 151.
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[13]
Ibid., p. 189. Je souligne. On remarquera que Jouvet reprend l’expression de Diderot, « abnégation de soi ».
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[14]
Le paradoxe sur le comédien, p. 306.
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[15]
Ibid., p. 336.
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[16]
L. Jouvet, Le comédien désincarné, p. 119.
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[17]
Ibid., p. 120. Je souligne.
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[18]
Ibid., p. 119.
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[19]
Machiavel, Le Prince (tr. fr. E. Barincou), in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1952, p. 335 : « … car qui veut faire entièrement profession d’homme de bien, il ne peut éviter sa perte parmi tant d’autres qui ne sont pas bons. Aussi est-il nécessaire au prince qui se veut conserver qu’il apprenne à pouvoir n’être pas bon, et d’en user ou n’user pas selon la nécessité ».
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[20]
L. Jouvet, op. cit., p. 183.
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[21]
M. Weber, « La profession et la vocation de politique » (1919), in Le savant et le politique, tr. C. Colliot-Thélène, Paris, La découverte, 2003, pp. 192 sq.
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[22]
Machiavel, Le Prince, op. cit., chap. XVII, p. 339.
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[23]
Op. cit., p. 188. Je souligne.