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Article de revue

Travailleurs et syndicats dans le processus révolutionnaire égyptien

Pages 265 à 298

Notes

  • [*]
    Cet article, dont la rédaction a été achevée en avril 2012, est la version réduite d’un travail consacré à la question des travailleurs et des syndicats dans l’Egypte post-25 janvier 2011. Je remercie Sonia Dayan-Herzbrun d’en avoir permis la publication.
  • [1]
    Voir Jacques Couland, « Égypte : la révolution du Nil », Économie et Politique, n°678-679, janvier-février 2011 ; Didier Monciaud, « Révolution sur le Nil », Histoire & Liberté, n°45, 2011, pp. 43-50 et « Révolution en Égypte », Contretemps, n°11, 3e trimestre, septembre 2011, pp. 41-54.
  • [2]
    Azza Khalil, « Essor des revendications pour la justice sociale et la démocratie », in État des résistances dans le sud, vol. XIII, 2006/4, pp. 86-87.
  • [3]
    Ahmed Sharaf Eddin, Al-Tariq, n°1, décembre 2004.
  • [4]
    Gamal Abdel Nasser Ibrahim, « Représentation syndicale et transition libérale en Égypte », Égypte/Monde arabe, Première série, n°33, 1998, pp. 192-199.
  • [5]
    Saber Barakat, table ronde, Afaq Ishtirakiyya (Horizons socialistes), n°3, septembre 2004.
  • [6]
    Ahmed Sharaf Eddin, Al-Tariq, n°1, décembre 2004, p. 25.
  • [7]
    Marsha Pripstein Posusney, Labor and the state in Egypt : workers, unions, and economic restructuring, New York, Columbia University Press, 1994, p. 215.
  • [8]
    Voir Omar El Shafei, Workers, trade unions and the State in Egypt 1984-1989, Le Caire, American University in Cairo Press, 1995.
  • [9]
    Rahma Rifaat, « Khatwatani wa-l-thalitha thabita » (Deux pas et le troisième sera le bon), Kalam Sanâiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°4, février 1999.
  • [10]
    Par exemple l’expérience de la revue Sawt al Amil (La voix de l’ouvrier) dans les années 1980.
  • [11]
    Gamal Abdel Nasser Ibrahim, « Représentation syndicale et transition libérale en Égypte », art. cité, p. 199 ; Françoise Clément, « Libération du rapport salarial en Égypte », Monde arabe – Maghreb – Machrek, n°162, octobre-décembre 1998, p. 54.
  • [12]
    Rabab El-Mahdi, Philip Marfleet (éd.), Egypt : the moment of change, Londres, Zed Books, 2009.
  • [13]
    Voir Ah?ad Abd al-H?fiz (éd.), al-Qudah wa-al-is?ah ?al-siyasi (Les juges et la réforme politique), Le Caire, Markaz al-Qahirah li-Dirasat H?quq al-Insan (Centre du Caire pour les études sur les droits de l’homme), 2006.
  • [14]
    Voir Ilhami al-Mirghani, amwal al-ta’minat al-igtima’ia haqaiq wa arqam (Les fonds des assurances sociales : vérités et chiffres), Le Caire, Markaz Hisham Mubarak (Centre Hisham Moubarak), 2006 ; Khaled Ali Omar, Al qadaya al ulla. Qadaya amwal al-ta’minat wa al maachat (Les questions prioritaires, les fonds d’assurances et les salaires), Le Caire, Markaz Hisham Mubarak, 2007.
  • [15]
    Farid Zahran, al-harakât al-igtima’i al guedida (les nouveaux mouvements sociaux), Le Caire, Markaz al Qahirah li-Dirasat Huquq al-Insan (Centre du Caire pour les études sur les droits de l’homme), 2007, pp. 55-58.
  • [16]
    Voir Saif Salah Al Nasrawi, « The Egyptian Movement for Change (Kifaya) : an apolitical struggle for democracy ? », thèse (M. A.), American University in Cairo, 2006 ; Ah?ad Baha al-Din Shaaban, Raffat al-far?shah : Kifayah, al-madi wa-al-mustaqbal, Le Caire, Mat?uaat Kifaya, 2006 (Kifaya, passé et avenir – Les publications de Kifaya) ; Farid Zahran, op. cit., pp. 45-54.
  • [17]
    Voir Habib Ayeb, « Crise alimentaire en Égypte : compétition sur les ressources, souveraineté alimentaire et rôle de l’État », Hérodote, n°131, 2008, pp. 58-72.
  • [18]
    Voir le film d’Ayman al Gazwi et Cristina Boccialini, Revolution Through Arab Eyes – The Factory, TV Al Jazeera English, 2012, http://www.youtube.com/watch?v=uo1Fytmjlmw
  • [19]
    Saif Nasrawi, « A year before the parliamentary elections, signs of labor organization are evident », Al-Masry al-Youm, 4 octobre 2009.
  • [20]
    Voir Joel Beinin, « A Workers’ Social Movement on the Margin of the Global Neoliberal Order, Egypt 2004-2009 », in Joel Beinin et Frédéric Vairel (éd.), Social Movements, Mobilization, and Contestation in the Middle East and North Africa, Stanford, Stanford University Press, 2011.
  • [21]
    Voir Amr Hashim Rabi (éd.), Thawrat 25 Yanayir : qira?ah awwaliyyah wa-ru?yah mustaqbaliyyah (La Révolution du 25 janvier : première lecture et vision future), Le Caire, Markaz al-Dirasat al-Siyasiyyah wa-al-Istiratijiyyah (Centre d’études politiques et stratégiques), 2011 ; Jacques Couland, « Égypte : la révolution du Nil », art. cité ; Didier Monciaud, « Révolution sur le Nil » et « Révolution en Égypte » art. cités ; Voir aussi les riches sites http://www.arabawy.org/ et http://www.jadaliyya.com/
  • [22]
    Nabil Abdel Fattah, « Al intifada al watanya al cha’bya al masrya… » (Le soulèvement national populaire égyptien), Al-Shorouq, 5 février 2011.
  • [23]
    Voir le rapport de la syndicaliste Fatma Ramadan « Vague de grèves dans toute l’Égypte » (11 février 2011) sur le site suisse www.alencontre.com
  • [24]
    « Egyptian workers join the revolution », Ahram Online, 10 février 2011.
  • [25]
    « Na’am min haqq al ummal wa al mawzafin al idrab » (La grève : un droit pour les ouvriers et les fonctionnaires), Sawt al Thawra (La voix de la révolution), mars 2011.
  • [26]
    Pour février 2011, le centre Awlad al-Ard (Les enfants de la terre) recense 489 épisodes d’action collective.
  • [27]
    Al-Ahram, 29 février 2012.
  • [28]
    Hanaa Khachaba, « Les grèves mettent des bâtons dans les roues de l’Égypte ! », Le Progrès Égyptien, 4 octobre 2011.
  • [29]
    Amal Ibrahim Saad, « Al Idrabat fitna min taraz akhar » (Les grèves : une sédition d’un autre genre), Al Ahram, 17 mai 2011.
  • [30]
    Voir la série d’articles de Mustafa Bassiouny, Al-Tahrir, mai 2011.
  • [31]
    Al-Masry al-Youm, 18 février 2011.
  • [32]
    Al-Masry al-Youm, 27 septembre 2011.
  • [33]
    Wael Gamal, « Al idrab moftah al dimoqratya wa al adala al igtima’ia » (La grève est la clef de la démocratie et de la justice sociale), Al Shorouq, 27 mars 2011.
  • [34]
    Par exemple la « coalition des travailleurs de la révolution du 25 janvier » (voir Al-Masry al-Youm du 26 février 2011) ; ou l’Association révolutionnaire des travailleurs du textile.
  • [35]
    Voir l’appel de la ligue des ouvriers révolutionnaires du textile de Kafr al Dawwar, 7 février 2012.
  • [36]
    « The Federation calls for participation in “Revolution First” Friday », 6 août 2011, http://www.tahrirdocuments.org/2011/08/the-federation-calls-for-participation-in-%E2%80%9Crevolution-first%E2%80%9D-friday/.
  • [37]
    Al-Masry al-Youm, 15 mars 2011.
  • [38]
    Amr al Chobaki, « Matta sanara al niqabat al mostaqilla » (À quand les syndicats indépendants ?), Al-Masry al-Youm, 28 juin 2011.
  • [39]
    Sylvie Nony, « Les feux de la lutte (épisode 1) », 13 mars 2012, http://snony.wordpress.com/
  • [40]
  • [41]
    Pour la première décennie du centre, voir Didier Monciaud, « Une ONG égyptienne entre société civile et mouvement social : origines, activités et structures du Centre de prestations syndicales et ouvrières d’Helwan » (2000), www.unesco.org/most/monciaud.doc.
  • [42]
    Voir Nicola Pratt, « Hégémonie et contre-hégémonie en Égypte : les ONG militantes, la société civile et l’État », in Sarah Ben Néfissa et al. (éd.), ONG et gouvernance dans le monde arabe, Paris, Karthala et CEDEJ, 2004, pp. 167-196.
  • [43]
    Kamal Abbas, « amud khayri mahmud (La rubrique khayri mahmoud) », Kalam Sanaiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°8, novembre 1999.
  • [44]
    Confédération internationale des syndicats.
  • [45]
    Al Badil, 7 janvier 2021. Voir Kalam Sanaiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°131, 19 janvier 2012.
  • [46]
    Al Shorouq, 19 mars 2011.
  • [47]
  • [48]
    Wael Gamal, « Al idrab moftah al dimoqratya wa al adala al igtima’ia » (La grève est la clé de la démocratie et de la justice sociale), Al Shorouq, 27 mars 2011.
  • [49]
    Interview de son président, le docteur Mohammed Shafik (novembre 2011), http://www.youtube.com/watch?v=mfCuhdf2Lvg&feature=player embedded
  • [50]
    « Al fellahun yukhroguna ann samatahum » (Les paysans sortent de leur silence), Al Ahram, 6 septembre 2011.
  • [51]
    Voir Nathan Brown, Peasant politics in modern Egypt : the struggle against the state, New Haven, Yale University Press, 1990 ; Sayed Achmawi, Al-Fallhun wa-al-sult?h : ala d?w? al-h?rakat al-fallahiyyah al-Mis?iyyah (Les paysans et le pouvoir à la lumière des mouvements paysans égyptiens), Le Caire, Mirit lil-Nashr wa-al-Ma?lumat, 2001.
  • [52]
    Voir Beshir Sakr et Phanjof Tarcir, « La lutte toujours recommencée des paysans égyptiens », Le Monde Diplomatique, octobre 2007. Voir les rapports des centres Al Ard (www.lchr-eg.org), Awlad al Ard et Al Dirasat al Rifia. En 2006, il y a 92 morts, 257 blessés et 465 arrestations.
  • [53]
    Intervention du comité de solidarité avec les paysans à la conférence « Société civile et révolutions arabes », Beyrouth, 20 mars 2012.
  • [54]
    Amani Hussein, « Taqrir yantaqidu ghiyab dor al niqabat fi difa’a ‘ann ummal al zira’a » (Rapport critique sur l’absence des syndicats dans la défense des ouvriers agricoles), Rose al Youssef, 17 octobre 2010.
  • [55]
    Fahmy Howeidi, « Man yarfi’ sawt al fellah ? », Al-Shorouq (Qui fait entendre la voix du paysan ?), 20 septembre 2010.
  • [56]
    Voir Beshir Sakr et Phanjof Tarcir, « Portrait d’une militante paysanne égyptienne », Le Monde Diplomatique, octobre 2007. Voir aussi le très beau film de Tahani Rached, Quatre femmes d’Égypte.
  • [57]
    Al-Shorouq, 4 janvier 2012.
  • [58]
    Mémorandum au Premier Ministre, Al-Masry al-Youm, 9 mai 2011.
  • [59]
    Al-Masry al-Youm, 9 mai 2011.
  • [60]
    Ahram Online, 25 octobre 2011, Bayan, 23 octobre 2011.
  • [61]
    Voir Sherif Younis, Turuq al thawra (Les voies de la révolution), Le Caire, Dar al Ein, 2012.
  • [62]
    Voir Haitham Mohamedein, « The road to trade union independence », Ahram Online, 20 septembre 2011.
  • [63]
    Joel Beinin, « What have workers gained from Egypt’s revolution ? », Foreign Policy, juillet 2011.
  • [64]
    Ibid.
  • [65]
    Voir la déception d’une chercheuse associée au « dialogue social » lancé par les autorités : Nadine Abdallah, « Al mallaf al igtima’i ba’d al thawra ayna qanun al houreyat al niqabya » (Le dossier social après la révolution : qu’en est-il du droit sur les libertés syndicales ?), Al Shorouq, 21 janvier 2012.
  • [66]
    Lamis al Hadidi, « Al idrab » (La grève), al Badil (L’Alternative), 17 février 2009.
  • [67]
    Voir la riche interview de Fatma Ramadan http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article21930.
  • [68]
    Pierre Cours-Salies, in Pierre Cours-Salies et Michel Vakaloulis (dir.), Mobilisations collectives, une controverse sociologique, PUF, Actuel Marx, Paris, 2003, pp. 70-75.
  • [69]
    Voir Sidney Tarrow, Power in Movement : Collective Action, Social Movements and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, pp. 3-4.
  • [70]
    Interview de Rahma Rifaat, 22 novembre 1999.
  • [71]
    Atelier animé au Palais de la Culture de la ville de Fayoum par le Comité de solidarité avec les paysans de la réforme agraire d’Égypte, 23 mars 2011.
  • [72]
    Intervention du comité de solidarité avec les paysans, op. cit.
  • [73]
    Perry Anderson ne parle que de révolte car les subalternes n’auraient pas joué de rôle important. « On the Concatenation in the Arab World » (Éditorial), New Left Review, n°68, mars-avril 2011.
  • [74]
    Adam Hanieh, « Egypt’s Uprising : Not Just a Question of “Transition” », Socialist Project, n°462, 14 février 2011.
  • [75]
    Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, Paris, Seuil, 1999 (1986), p. 237.

1L’Égypte connaît depuis janvier 2011 une vague sans précédent de contestations politiques, sociales et culturelles. Des mobilisations d’ampleur ont conduit au départ du chef de l’État en poste depuis trente ans et ouvert un processus politique et social qui se poursuit à ce jour [1]. Ce phénomène historique, par son importance et son ampleur, a beaucoup surpris observateurs, chercheurs, journalistes aussi bien que militants. Les événements toujours en cours démontrent que la conflictualité sociale reste une réalité dans la société égyptienne, même si sa visibilité n’a pas toujours été montrée ou abordée de façon évidente.

2Notre hypothèse est que l’Égypte post-25 janvier vit une accélération politique et sociale avec l’ouverture d’un processus révolutionnaire. Un nouveau mouvement ouvrier aux racines récentes avec ses structures, ses luttes et ses mythes mobilisateurs tente de s’affirmer sur la scène publique au moment où le pôle laboral (autour du lieu de travail) et le pôle sociétal (les autres actions) déconnectés cherchent à faire jonction dans le cadre d’une période ouverte de rupture politique. Le champ des possibles est ouvert.

3Nous nous intéresserons surtout à la participation des travailleurs au processus révolutionnaire, en rappelant qu’elle s’appuie sur une longue tradition, quoique fortement entravée jusqu’à il y a peu, remontant à la période coloniale. Nous présenterons ensuite le paysage syndical en mutation avec l’essor d’un syndicalisme indépendant. Nous nous intéresserons enfin aux enjeux de la question ouvrière et syndicale dans ce moment historique ouvert.

L’ère néolibérale et la transformation des luttes

4Dans la période qui a précédé l’éclatement des mouvements de 2011, le mouvement ouvrier s’était trouvé confronté à quatre défis majeurs [2] : la tendance marquée des employeurs à pratiquer un capitalisme sauvage au regard des lois et des droits ou même des relations professionnelles ; la promotion par les autorités d’une politique autoritaire destinée à limiter voire empêcher toute expression indépendante ; la mutation du salariat avec l’effondrement de ses bastions traditionnels et l’apparition de nouveaux secteurs ; la progression du secteur informel reposant sur une main-d’œuvre non qualifiée et dépourvue de droits et de protection juridique.

5Le syndicalisme officiel, autour de la Fédération générale des syndicats des travailleurs égyptiens (FGSTE), représente un colosse aux pieds d’argile. Fort de 3,9 millions de membres, il dispose de 1 745 comités syndicaux, de 21 000 élus, de 23 syndicats généraux et de 17 fédérations régionales. De nombreux secteurs sociaux en sont exclus. La marginalisation des femmes dans les structures du syndicalisme officiel est prononcée.

6Sa puissance matérielle, loin d’être négligeable, repose sur plusieurs institutions : une banque, la « fondation culturelle ouvrière » composée de 58 centres, des universités ouvrières et 76 instituts culturels spécialisés, des hôtels, clubs et villages de vacances, un parc immobilier conséquent, sans oublier des théâtres, des bibliothèques ou des restaurants.

7L’adhésion syndicale est souvent motivée par les services auxquels elle donne accès. Certains parlent de véritable « carnet de santé [3] », par exemple dans les transports terrestres ou la construction-Bois. Les cotisations représentent 50 millions de livres annuelles (environ 8 millions d’euros) sans parler des aides de l’État et des financements étrangers. Les avantages matériels liés au statut d’élu (décharge syndicale, cooptation dans les conseils d’administration ou les structures nationales, possibilité de devenir conseiller municipal ou député) expliquent l’âpreté de la concurrence.

8La centralisation est extrême. Depuis 1981, le comité syndical de l’entreprise ne possède plus de personnalité juridique. Il ne peut prendre d’initiatives, négocier ou mener des actions sans l’accord de l’instance supérieure. L’élite syndicale dirigeante qui se caractérise par son conservatisme, son immobilisme et sa soumission au régime [4] apparaît comme une couche privilégiée liée aux investisseurs et hommes d’affaires du secteur privé.

9La symbiose entre la direction syndicale et le pouvoir se manifeste dans la tradition qui consiste souvent à nommer le président sortant de la FGSTE au poste de ministre de la Force du travail. Les dirigeants nationaux sont aussi très souvent simultanément des cadres du PND (Parti national démocratique), le parti au pouvoir. Le syndicalisme officiel assiste au démantèlement de ses bases et accompagne les réformes libérales. Les dirigeants syndicaux servent de « tampons » entre travailleurs et patronat, s’attachant à endiguer ou à canaliser la protestation au nom du réalisme.

10Les nouvelles villes industrielles constituent un véritable désert syndical où existent de « sombres rapports de travail [5] ». Les méthodes employées peuvent y être brutales : signature du contrat s’accompagnant d’une lettre de démission, pressions, recours à la baltagya (hommes de main). L’intervention de patrons, des autorités ou de la police locales permettent d’empêcher la formation de syndicats. L’examen des élections syndicales est instructif. Le contrôle des candidatures est étroit, avec épuration et évictions. Le phénomène de tazkiyya, un unique candidat assuré donc d’être élu, prend de l’ampleur. De nombreux comités syndicaux du secteur public n’auraient aucune réalité effective, « organisations sans pouvoir ni caractère effectif [6] ».

Des mobilisations collectives dans un contexte défavorable

11Des mobilisations existent mais il n’y a pas de résistance au sens global du terme. Pour la période 1967-1994, on assiste à des luttes importantes qui polarisent la situation politique et sociale. Marquées par une logique de « protestation restauratrice [7] », elles visent à rétablir une situation remise en cause dans le cadre du système. Elles s’expriment essentiellement en dehors du syndicalisme verrouillé et intégré au pouvoir [8]. Dans un contexte difficile, les résistances sociales restent marquées « par leur caractère défensif[9] ». Elles restent surtout concentrées dans le secteur industriel, notamment dans les industries soumises à la vague libérale. Ces actions peuvent au mieux obtenir des victoires partielles et provisoires.

12Évoquons quelques exemples : comité de grève créé dans l’entreprise de soierie d’Helwan (1971), rejet du syndicat officiel à la Société du câble de Choubra al-Khyma (1975), à Mahalla al-Kubra (1975), dans les transports publics du Caire (1976). Les conflits peuvent être violemment réprimés (Mahalla 1975, Helwan 1989).

Remontée des luttes dans la décennie 2000

13Les effets du Plan d’ajustement structurel (PAS) favorisent le retour des résistances sociales à partir de 1999. On parle même d’« essor » (su’ud) des conflits qui touchent aussi le secteur privé et le secteur public des affaires. Différents groupes entrent en lutte : infirmières, pilotes d’Egypt Air, aiguilleurs du ciel, salariés de la Banque centrale, employés d’hôtels, d’assurances, d’organismes publics, des impôts, des wagons-lits, etc.

14Souvent, ce sont des réponses à des attaques : privatisation, retard ou non-paiement des salaires et des primes, problème de contrat, conditions de travail, suppression d’emploi, sanctions, mutation, retraite anticipée, transport… La direction de l’entreprise peut être mise en cause, de même que le syndicat officiel. On note un changement dans l’attitude de l’organisation syndicale locale par rapport aux contestations. Celle-ci ne les dénonce plus systématiquement et peut même, dans certains cas, jouer un rôle actif. Le syndicalisme inféodé au pouvoir n’a pour autant pas disparu. Les formes de ces mobilisations sont multiples : grève, protestations, ralentissement des cadences, refus d’encaisser les salaires, manifestation, occupation et même grève de la faim.

Activités des réseaux critiques

15Les réseaux critiques n’ont cessé d’exister [10], même s’ils sont assez faibles. C’est par l’action de solidarité, base de toute action collective, qu’ils essayent de se maintenir. Ils sont souvent animés par des militants, notamment de gauche, et leur audience est réduite au niveau de certaines entreprises. Un regain modeste s’opère à partir de la fin des années 1990 avec la reprise des conflits sociaux.

16Leurs actions sont variées : défense des droits, solidarité avec les acteurs de la protestation, tentatives de créer des réseaux, aide juridique, formation syndicale. Des campagnes, par exemple pour la défense du secteur public ou les élections syndicales, permettent de faire entendre leur modestes voix. Citons al-lajna al-qawmiyya lil-difaa ann huquq al-ummal (Comité de défense des droits des ouvriers) ou al-lajna al-tahdiriyya (Comité préparatoire pour un congrès des ouvriers d’Égypte). La société civile offre un espace d’expression : la création de centres syndicaux et d’ONG prend de l’ampleur — citons le CTUWS (Centre de services syndicaux et ouvriers) (Dar al-khadamat al-niqabiyya), les centres al-Fajr de Mahalla, al-Ard, Awlad Al Ard ou encore le centre égyptien pour les droits économiques et sociaux. Cet espace d’intervention connaît une série de problèmes comme le financement (avec le risque d’adaptation aux demandes des donateurs), les dangers d’une professionnalisation ou l’évolution vers la prestation de services. Certains analystes considéraient même, avec une extrême sévérité, que ces centres représentaient des espaces de cogestion tolérés par l’État [11].

17Le vent de l’altermondialisation souffle à partir de la fin des années 1990 et favorise les liens et les échanges, même si les interactions avec les ONG du Nord ne sont pas simples (financement, adaptation, représentativité, formes de paternalisme, etc.). Un débat traverse cette mouvance : que faire face à l’emprise du syndicalisme officiel ? Lutter de l’intérieur pour promouvoir l’expérience des « conseils de délégués » comme dans les années quarante ou aller vers une alternative syndicale ?

18Al-lajna al-tansiqiyya lil-huquq wa-l-hurriya al-niqabiyya (Comité de coordination pour les droits et les libertés syndicales) représente l’une des expériences les plus riches et dynamiques. Ce petit réseau actif avec des relais en province associe des figures historiques (Taha Saad Uthman, Atteya al Serafi, hérauts de la sensibilité « indépendantiste »), des avocats (Ahmed Charaf, Khaled Ali…) et des syndicalistes (Saber Barakat, Mohammed Abdel Salam, Fatma Ramadan…) de générations et de sensibilités différentes. Fondé en 2001, il défend un syndicalisme combatif, cherchant à associer, à échanger et à fournir des aides aux syndicalistes. Dès le 1er mai 2003, il appelle à un rassemblement sur la place Tahrir où la police intervient sans ménagement.

Reprise des luttes politiques et changement de période

19La décennie 2000 voit s’ouvrir un nouveau cycle de luttes politiques [12]. Certains analystes parlent même de nouveaux mouvements sociaux en Égypte. Cela débute en 2000 avec un immense mouvement de solidarité avec la Palestine à l’occasion de la seconde Intifada dite d’Al-Aqsa. La guerre de l’administration Bush contre l’Irak poursuit ce mouvement. La question interne va ensuite faire l’objet d’une série de mobilisations contestataires : la révolte des juges [13], le Comité national de défense des fonds des assurances sociales [14], le mouvement Chayfinku (Nous vous regardons). Le mouvement Kifaya prend la suite de la Campagne populaire pour le changement [15] et incarne cette nouvelle vague avec la dénonciation du sommet de l’État et du projet de succession du président Moubarak par son fils Gamal [16]. L’impact de ces protestations est important, au-delà de leur ampleur effective.

20En 2008, la flambée des prix alimentaires entraîne de nombreuses protestations. De sévères affrontements ont lieu devant des boulangeries [17]. L’armée intervient avec ses stocks de farine et ses boulangeries. Le gouvernement octroie aux fonctionnaires des hausses de salaire. Dans des quartiers informels, des manifestations éclatent contre l’absence de services publics, contre la destruction ou l’expropriation de logements. Dans les zones rurales, les griefs sont multiples : problème d’eau potable et d’irrigation, expropriations, augmentation des loyers de la terre…

L’accentuation des luttes ouvrières et l’épisode décisif de Mahalla al-Kobra

21Fin 2006, un conflit social dans la ville de Mahalla al-Kobra centrée sur l’industrie textile [18] allume l’étincelle et entraîne un tournant majeur. Les femmes en sont à l’origine. Un problème salarial se transforme en conflit global, une confrontation s’engage avec le comité syndical officiel, hostile, posant la question de sa dissolution et de son remplacement par un syndicat indépendant. Des promesses n’ayant pas été tenues, un préavis de grève est déposé pour le 6 avril 2008. La colère enfle qui concerne le salaire minimum, le droit de créer un syndicat, et qu’attisent la rareté du pain subventionné et la hausse du prix des denrées alimentaires. La protestation devient opposition : le portrait d’Hosni Moubarak est déchiré. La répression s’abat sur la ville. De jeunes contestataires cairotes lancent, via les réseaux sociaux, un appel à une grève générale de solidarité. Malgré son échec, c’est l’acte de naissance du « mouvement du 6 avril » qui appellera à la manifestation le 25 janvier 2011.

Affirmation de voix autonomes et luttes sociales en hausse

22Les protestations sociales s’accentuent avec en parallèle l’affirmation d’un syndicalisme indépendant qui prend de l’ampleur, sans devenir massive. Des secteurs en lutte s’émancipent avec la fondation de syndicats autonomes. L’épisode le plus décisif est la naissance de l’Union générale indépendante des travailleurs de l’autorité de la taxe foncière fondée en 2008 à la suite de la grève de décembre 2007 pour l’égalité des salaires avec l’agence des impôts. Le comité supérieur qui dirige le mouvement s’oppose aux autorités, au syndicat officiel et à la FGSTE. Une augmentation de salaire de 32% est obtenue. Les structures de la grève poursuivent leur action en faveur d’un syndicat autonome. Une nouvelle bataille débute pour obtenir la reconnaissance légale.

23De nouveaux secteurs s’engagent dans cette brèche. Des syndicats autonomes de retraités (2008), d’enseignants (2008) et de techniciens de la santé (décembre 2010) apparaissent. La structuration progresse [19]. D’autres initiatives et expériences s’affirment tel le comité préparatoire pour le congrès des ouvriers d’Égypte. La mouvance autonome élabore un projet de loi syndicale. La question des libertés syndicales est mise en avant avec une large campagne. Les conflits sociaux prennent de l’ampleur. Face à cette intense agitation sociale, le gouvernement a lâché du lest, ainsi en triplant en novembre 2010 le salaire minimum mensuel, majoré à 400 livres égyptiennes par mois. Joel Beinin indique que deux millions d’ouvriers ont mené plus de 3 500 actions collectives au cours des années 1998-2010 [20].

Interventions des ouvriers et révolution

Une protestation démocratique, moteur d’une contestation d’ampleur [21]

24La manifestation du 25 janvier 2011 inaugure un processus historique tant par l’ampleur des mobilisations que par ses conséquences. Véritable « soulèvement patriote et populaire » selon Nabil Abdel Fattah [22], les principaux griefs concernent les libertés et la dureté de la vie quotidienne. Dans la capitale, la place Tahrir (Libération) devient le lieu-symbole où s’exprime l’immense rejet du régime. La province — en particulier Alexandrie ou Suez — connaît aussi de fortes mobilisations.

25Au bout de dix-huit jours, la tête du régime est mise à l’écart. Le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) est désormais en charge des affaires. Un comité pour la réforme de la constitution élabore des propositions limitées. On réclame l’abrogation de l’état d’urgence et de la justice d’exception, la libération des prisonniers politiques, la dissolution des chambres, la liberté de la presse et les libertés syndicales. La transition qui débute pose une série de questions politiques (constitution, élections…) et sociales. La demande de jugement des responsables des violences comme des détournements de biens publics reste forte.

26Un tsunami ébranle la scène politique. Les partis traditionnels très divisés cherchent à survivre. Le PND est dissous le 16 avril 2011. De nombreux partis émergent : libéraux, nationalistes, de gauche et islamistes. Les Frères musulmans lancent le Parti de la liberté et de la justice, une partie de la mouvance salafiste le parti al-Nour (La Lumière), très influent sur Alexandrie. À gauche apparaissent l’Alliance populaire socialiste, le Parti socialiste égyptien et le Parti ouvrier démocratique.

27La lenteur des changements effectifs entraîne la poursuite des manifestations. Les lenteurs en matière de jugement, l’absence de réforme sociale et la répression des mouvements sociaux sont dénoncées. La question sociale resurgit avec la revendication d’un salaire minimum, d’un statut pour les travailleurs, de droits en matière de santé ou d’une meilleure redistribution des revenus.

28Le raidissement des autorités, inégal selon les moments et les enjeux, s’exprime par les violences et la répression lors des rassemblements. La transition se poursuit donc avec son lot de tensions, de polémiques et d’incertitudes. Les élections parlementaires organisées à partir de fin novembre voient la large victoire des courants islamistes (Frères musulmans et salafistes). Les défis les plus importants ont trait à la rupture avec l’ancienne équipe au pouvoir, les questions qui se posent sont : quel type de gouvernement ? Quelle constitution ? Quelles législations ? Tout est en chantier avec des débats, des tensions, des évolutions.

Le rôle des ouvriers dans la chute du président Moubarak

29À partir du 25 janvier 2011, les manifestations se développent sur l’ensemble du territoire égyptien même si la place Tahrir incarne le mouvement, symboliquement et politiquement. D’importants conflits sociaux éclatent à partir du 7 février [23]. Cela touche un large éventail de secteurs (textile, pétrole, pharmacie, transports, services généraux, télécommunications, postes, commerce, santé, fonctionnaires, arsenaux…) et de localités (Le Caire, Alexandrie, Mansoura, Mahalla, Beni Soueif, la zone du canal où circule environ 10% du commerce international). Les griefs sont économiques et parfois syndicaux. Plus rarement, les travailleurs avancent des revendications politiques [24]. L’agitation touche aussi les campagnes avec des manifestations paysannes ou des affrontements dans les oasis de la nouvelle vallée.

30Le 30 janvier 2011, les syndicats indépendants lancent au cours d’une conférence de presse qui se tient sur la place Tahrir une fédération indépendante appelant les travailleurs à former des comités de défense dans les entreprises et lançant un mot d’ordre de grève générale pour le lundi 31 janvier. Elle demande aussi la chute du président et la levée de l’état d’urgence. Ces protestations sociales s’avèrent importantes voire décisives. Le pays est sous tension, notamment les 8, 9 et 10 février. Le vendredi 11 février 2011, le président Moubarak est « sacrifié [25] » et renonce au pouvoir.

Conséquence du soulèvement : la poursuite des conflits sociaux

31La chute d’Hosni Moubarak a d’importantes et multiples répercussions sur le plan social. Conscients que la brèche est ouverte, les travailleurs égyptiens s’y engouffrent pour affirmer leurs revendications [26]. Une vague énorme de luttes sociales se propage sur l’ensemble du territoire sous la forme de grèves, manifestations ou sit-in d’ouvriers, d’employés, de paysans. Outre les motifs économiques classiques, s’expriment aussi des demandes de renvoi de responsables d’usine, des dénonciations pour mauvaise gestion ou corruption. Leur rythme connaît une pointe en mars-avril, notamment dans le textile, les transports ou la zone du canal sans pour autant que cesse le trafic maritime.

32Malgré les mises en garde de l’armée, les grèves et les protestations se poursuivent. Pour endiguer le mouvement, le CSFA élabore le décret n°34, le 23 mars 2011, qui interdit les grèves, les manifestations, les sit-in et les rassemblements et prévoit des peines allant jusqu’à un an de prison et une amende d’au moins 100 000 livres (12 500 euros). La police militaire intervient aussi dans les conflits.

33Mais cela n’y change absolument rien. Les conflits se poursuivent. Ils ne se limitent plus à l’exigence de démocratie, les revendications portent sur des réformes et des décisions en faveur des travailleurs et de leurs droits syndicaux. Les ouvriers de l’Autorité du canal de Suez débutent un long conflit avec grève, rassemblements, manifestations, sit-in, blocages de routes dans les villes de Port Said, Suez et Ismaïlia. Les travailleurs réclament l’intégration de 40% des primes dans le salaire de base, une augmentation de 7% des salaires et une hausse de la prime de repas. La démission du président de l’Autorité du canal de Suez est en jeu.

34Les secteurs et les localités touchés sont si nombreux qu’il reste difficile d’en dresser la liste exhaustive. Les autorités veulent poursuivre les grévistes et les faire juger par des tribunaux militaires qui poursuivent déjà des manifestants. Le 29 juin 2011, le tribunal militaire de Madinet Nasr (Le Caire) condamne à un an de prison avec sursis cinq ouvriers de la compagnie pétrolière Petrojet, pour avoir participé devant le ministère du Pétrole à un sit-in contre des licenciements. Le 3 juillet, cinq travailleurs de l’Autorité du canal en grève sont interrogés par le procureur militaire.

35Les autorités font aussi des concessions par secteur, par exemple dans le cas emblématique de Mahalla, la santé ou la poste. Ces actions, largement spontanées et indépendantes des groupes militants, obtiennent une série de victoires sur leurs revendications ou dans leur rejet des anciennes directions syndicales. Des syndicats indépendants se forment. Dans de nombreux endroits les syndicats officiels sont dénoncés et leur dissolution exigée.

36Le premier mai, les syndicats indépendants manifestent place Tahrir alors que la FGSTE rend hommage aux martyrs de la révolution lors d’une cérémonie organisée sous le patronage du maréchal Hussein Tantawy, chef du CSFA. Une manifestation devant le siège de la FGSTE regroupe quelques milliers de personnes. Des manifestants tentent de pénétrer dans les locaux et exigent que la fédération soit dissoute et son président chassé. Les principales revendications concernent l’adoption d’une nouvelle loi du travail légalisant la formation de syndicats indépendants et établissant un salaire minimum et un salaire maximum.

37L’armée tente en vain d’arrêter la grève des travailleurs du canal. Elle intervient, tirant à balle réelle et en l’air le 19 juin à Suez. La veille à Ismaïlia, un officier a fait de même pour empêcher les grévistes d’envahir le bâtiment de l’administration de l’Autorité du canal de Suez. Les travailleurs de l’Autorité du canal de Suez sont 8 600 et appartiennent à sept entreprises du secteur public. Signé le 19 avril 2011, un accord qui prévoyait l’intégration de 40% des primes dans le salaire et 7% de hausse des salaires n’est pas encore appliqué au premier juin comme il était prévu. Seule, une augmentation de l’indemnité de repas de 2 livres (0,25 euros) au lieu de 4 est obtenue. La grève se poursuit.

38Ces grèves représentent une véritable rupture. Leur caractère massif en atteste. Les autorités tergiversent sur les principales questions (législations sociales, FGSTE…). Le patronat résiste, arguant de difficultés de trésorerie, notamment pour le salaire minimum. Face à la monté des protestations et leur impact en parallèle des manifestations politiques, les autorités cherchent à obtenir une stabilisation et sont de plus en plus autoritaires face aux mobilisations. Le ton des manifestations change. Les travailleurs demandent la fin de la nomination de militaires à la tête des départements de ministères, l’arrêt des jugements de civils par des tribunaux militaires, l’abrogation du décret antigrève, la dissolution de la FGSTE, un salaire minimum de 1 200 livres (140 euros) et un salaire maximum ne dépassant pas quinze fois le salaire minimum, l’indexation des salaires sur les prix.

39La vague de grèves de septembre implique particulièrement les secteurs de l’enseignement, les transports publics, la poste, les raffineries de sucre, les médecins. De nombreuses grèves spontanées éclatent. Les résistances se poursuivent, même si elles sont moindres pendant la période des élections législatives qui s’étalent de novembre à début janvier. Les perspectives budgétaires s’avèrent défavorables aux travailleurs. Le 4 janvier, un décret réduit les dépenses de l’État de 14,3 milliards de livres (1,8 milliard d’euros). Les salaires des agents du secteur public sont affectés avec une réduction de 4 milliards de livres (500 millions d’euros). Trois milliards de livres supplémentaires (375 millions d’euros) sont prélevés sur les réserves salariales. Les autorités envisagent de réduire de 10% les primes du public, ce qui signifie une réduction de quelque 8% des salaires : les primes et les indemnités constituent en effet environ 80% d’un revenu du secteur public. L’augmentation de 10% des retraites des fonctionnaires prévue pour le 1er janvier 2012 est reportée. Une réduction des subventions et une augmentation des taxes sont décidées [27].

Repères sur un an de mouvement social

40Depuis le 25 janvier 2011, l’Égypte vit une période d’intensification des conflits sociaux par rapport à 2007-2008, voire à ceux qu’elle a connus en 1919 ou 1946 sous mandat britannique — tant par l’ampleur des secteurs concernés que par la durée des mobilisations. Les luttes dépassent les secteurs classiques pour s’étendre au privé et même au secteur informel, sans oublier les campagnes. Les plus importantes ont été celles des employés de l’autorité des transports en février et en septembre-octobre, la grève du textile de Mahalla en février, la grève générale des médecins en mai et celle des enseignants en septembre.

41Tout cela se déroule dans un pays où les grèves ont été interdites et où les médias, notamment les télés et les journaux officiels, entretiennent une vive hostilité envers les conflits sociaux, s’exprimant selon des registres allant du très violent au plus subtil. Jano Charbel souligne l’apparition d’un nouveau vocabulaire comme le terme « corporariste ». Les conflits sociaux représenteraient une menace [28] pour l’économie du pays, la stabilité politique et/ou un danger pour la révolution. On les compare à une « fitna [29] » (sédition). L’argument du coût économique est souvent utilisé [30]. Les conflits ralentiraient le rythme de la production et feraient fuir les touristes. Certains appellent à l’arrêt pour un an [31] des conflits corporatistes (« ihtigagat fi’awya ») ou demandent une pause (hodna [32]). Des voix minoritaires expriment un avis différent : ainsi, Wael Gamal rejette l’accusation de corporatisme et souligne le rôle des grèves dans la révolution et sur le chemin de la démocratie [33].

42L’année 2011 est cependant marquée par une série d’avancées, notamment la reconnaissance publique du pluralisme syndical. Les milieux syndicaux autonomes sont associés au « dialogue social » initié par les autorités pour le changement de la loi syndicale 35 de 1976.

43Cinq entreprises privatisées ces dernières années voient leur vente suspendue et devraient revenir au secteur public. Les ventes sont jugées illégales, s’étant faites à un coût inférieur à la véritable valeur. Plusieurs autres cas doivent être examinés par la justice. Une des principales revendications des travailleurs concerne un salaire minimum fixé à 1 200 livres (139 euros) puis à 1 500 livres. Au mois de juin, le gouvernement accepte le montant de 700 livres (81 euros) pour juillet. Le salaire minimum ne concerne que les travailleurs, rares dans le secteur privé ou le secteur informel, disposant de CDI.

Une jonction complexe avec le mouvement démocratique

44Le mouvement syndical en plein essor s’inscrit dans l’ensemble des mobilisations. La naissance de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (FESI) sur la place Tahrir est plus que symbolique. La participation aux manifestations se fait d’abord et surtout sur une base individuelle. Les syndicats, les unions, les regroupements ouvriers [34] s’y joignent sans peser de manière significative. Ils appellent aux grèves et aux manifestations [35]. Toutefois, aucune grève n’exige que les militaires quittent le pouvoir.

45Les syndicats prennent position sur les questions générales mais surtout sur les dimensions sociales et économiques de la question démocratique, singulièrement, les libertés syndicales et le futur cadre légal. Ainsi, la FESI critique le gouvernement pour sa politique d’austérité [36]. Les revendications du mouvement social ont trait à des motifs économiques (salaire minimum, échelle des salaires, assurances chômage, CDI, contrôle des prix, retour des entreprises privatisées à l’État…) et aux libertés syndicales (droit de grève et de manifester, dissolution et confiscation des biens de la FGSTE, « un des plus grands symboles de la corruption de l’ancien régime »).

46Pour le 11 février, plus de 200 syndicats représentant 2 millions appellent à la grève générale lancée par les jeunes révolutionnaires. Sur le terrain, la mobilisation est inégale, certaines fédérations se montrant réticentes à l’égard de cette initiative. Son échec patent témoigne tant de la fragilité du mouvement en cours de construction que de la difficulté pour des réseaux syndicaux à intervenir sur un terrain directement politique.

Un paysage syndical en pleine (re)construction

47La période inaugurée par le 25 janvier a provoqué un séisme politique et social. Une « nouvelle ère [37] » s’ouvre avec la reconnaissance publique et l’affirmation d’un « nouveau » mouvement syndical. Le chercheur engagé Amr al-Chobaki considère ainsi qu’« il y a en Égypte un problème qui se nomme la fédération générale des syndicats ouvriers d’Égypte et une solution dont le nom est les syndicats indépendants [38] ».

48Le phénomène est impressionnant au vu de la démultiplication des initiatives et des expériences. On peut parler d’explosion dans les initiatives tant au niveau géographique que professionnel. Une observatrice indique que les syndicats poussent « comme des champignons [39] ». De nouvelles structures émergent à partir de luttes anciennes comme chez les postiers [40] mais aussi dans des secteurs « vierges ». Le bouillonnement social et politique s’exprime un peu partout, dans une grande variété d’entreprises.

49La nouvelle confédération lancée en pleine phase de manifestations par les syndicats indépendants existants (collecteurs des impôts fonciers, techniciens de la santé, enseignants et retraités) a pour principales revendications le droit au travail, un salaire minimum d’au moins 1 200 livres égyptiennes indexé sur l’inflation, la défense des primes et indemnités, un salaire maximum, le droit à une sécurité sociale, à un logement, à l’éducation, à une retraite corrects, le droit de s’organiser et la libération des personnes emprisonnées depuis le 25 janvier. Ses principes sont l’indépendance envers le gouvernement, les patrons et les partis politiques, et ses objectifs, l’édification de syndicats actifs et représentatifs au fonctionnement démocratique interne, et l’amélioration de la situation des salariés. La conférence de fondation se tient au début de mars 2011 en présence de plusieurs centaines de syndicalistes provenant de villes et de secteurs professionnels variés (impôts, enseignement, textile, sidérurgie…).

50Le premier mai est un moment politique et symbolique important car c’est la première fête des travailleurs de la nouvelle période. À cette date, une trentaine de syndicats ont rejoint la FESI. Avec l’implication des travailleurs dans la révolution, la constitution de structures autonomes se multiplient. La nouvelle fédération regroupe plus de cent trente syndicats indépendants et revendique plus d’un million six cent mille adhérents. De nombreux secteurs qui n’ont pas ou peu de tradition syndicale se développent. Des équipes issues de la FGSTE la rejoignent, notamment les conducteurs d’autobus publics, les contrôleurs, les ingénieurs et les employés qui fondent en mars 2011 la très active Fédération indépendante des travailleurs de l’autorité des transports publics.

51Lors de la vague de grève de septembre, La FESI salue les travailleurs « défiant toutes les tentatives de les intimider et de les empêcher d’exercer ce droit », dénonce la criminalisation des grèves et des manifestations, le refus d’un « gouvernement prétendument révolutionnaire » de satisfaire les revendications. Ses demandes sont réaffirmées.

52Si la FESI et les syndicats indépendants jouent un rôle important dans les protestations qui se multiplient dans le pays, ils sont loin de diriger la vague dans toute son ampleur. Des secteurs sans expérience voient la naissance d’une vie syndicale. L’éventail est assez divers : santé, agriculture, électricité, impôts fonciers, tribunaux, eaux et tout à l’égout, télécommunications, administration locale, gaz, transport terrestre, centres d’information pour le développement local. La direction qui émerge traduit la réalité du mouvement naissant que renforcent les syndicats autonomes les plus anciens, notamment des impôts fonciers. La figure centrale en est Kamal Abu Eita, par ailleurs élu député de Guiza sur la liste « Alliance démocratique » animée par les Frères musulmans, et devenu membre de la Commission pour les affaires ouvrières de l’assemblée du peuple. Elle reste encore fragile dans le secteur industriel.

Le Congrès ouvrier démocratique égyptien (CODE)

53Ce regroupement annoncé à l’automne 2011 s’est fait sur la base d’une division au sein de la mouvance syndicale autonomiste, résultant de divergences de perspectives, d’approches, de leadership et de personnes. Sa principale force est le CTUWS, ONG syndicale [41] née en 1990 à Helwan, qui s’inscrit dans le paysage de la société civile critique [42] et que coordonne Kamal Abbas, ancien ouvrier qui a joué un rôle important dans la grève des aciéries de 1989. Chassé, il participe avec des militants ouvriers de gauche au lancement de cette structure qui vise à aider les syndicalistes et les luttes ouvrières. Le centre est très actif en matière de formation, d’aide juridique et d’information. Il s’est investi dans le suivi des élections syndicales et les questions ouvrières. Il publie des brochures, de livres et un « périodique irrégulier », Kalam Sanaiy’iya (paroles de travailleurs industriels).

54Ses rapports tendus avec les autorités se traduisent par de vives polémiques publiques, des arrestations et la fermeture du Centre en avril 2007 « pour motifs de sécurité ». Actif et prudent, le CTWUS s’inscrit dans la mouvance de l’autonomie (istiqlaliyya) syndicale qui prône la perspective de syndicats alternatifs : « Nous devons en finir avec la situation de schizophrénie dans laquelle nous vivons avec l’organisation syndicale officielle. Nous devons annoncer notre rupture avec elle et notre séparation avec ses modalités, ses idées et sa structure bureaucratique. Nous devons […] nous engager dans la construction d’une organisation syndicale démocratique capable d’aborder les nouveautés [43] ».

55Après le 25 janvier, le CTWUS participe au lancement de la nouvelle confédération et réclame la dissolution du syndicalisme officiel et la mise sous séquestre de ses biens. En juin 2011, Kamal Abbas intervient contre le dirigeant de la FGSTE lors de la réunion du Bureau international du travail à Genève. Le 29 février 2012, il est condamné à six mois de prison pour « insulte à un représentant public » et fait appel.

56Les divergences avec le noyau central de la FESI se cristallisent, outre les enjeux de personnes, autour d’une appréciation différente de la période, des réalités et du fonctionnement. La rupture se formalise pendant l’été. Le CTUWS et ses réseaux se préparent à la mise en place d’une autre structure. Mais rien n’est réglé tant qu’il n’y a pas de dissolution effective. Il s’agit de construire le mouvement syndical pour aller vers un véritable mouvement indépendant et démocratique.

57Début janvier 2012, à sa seconde conférence, sont présents 206 unions, des dirigeants syndicaux, des représentants internationaux (CIS [44], OIT, Centre américain Solidarity), des ONG (Al Mar’a al Guédida, Nouvelle Femme), l’association égyptienne pour la participation sociétale de même que des « personnalités publiques ». Ses travaux concernent le fonctionnement, la formation de branches régionales et de secteurs [45]. Lors d’une conférence de presse qui se tient le 6 janvier, sont annoncées la perspective d’aller vers la formation d’une Fédération démocratique des ouvriers d’Égypte ainsi qu’une campagne en faveur de la promulgation d’une loi sur les libertés syndicales. Le Congrès réclame que le projet de loi syndicale soit inscrit à l’agenda parlementaire. La criminalisation des grèves par les autorités militaires est dénoncée, ainsi que les obstacles à l’exercice de l’action syndicale, l’obstination des milieux d’affaires et de nombreuses structures administratives et les mesures arbitraires prises contre les militants. Le Congrès s’affirme comme une force du paysage syndical autonome avec ses réseaux dans l’industrie, les villes nouvelles du 6 octobre ou Sadate, et en province, par exemple, avec l’Union régionale indépendante des syndicats du sud de la Haute-Égypte.

La FGSTE et son devenir incertain

58La FGSTE, confédération officielle et pilier du régime, a été percutée de plein fouet par la contestation, la chute du président Moubarak et la période nouvelle. La vive contestation sociale, la poussée démocratique et l’avancée vers un pluralisme syndical représentent autant de dangers pour son existence. Elle s’est trouvée marginalisé et contestée.

59Son avenir divise. Certains sont partisans de sa dissolution car elle représente un espace d’action pour les « restes » du régime Moubarak. Cherchant à survivre, elle s’efforce de rester un interlocuteur sur la scène sociale et politique. Hostile aux grèves, elle mêle sa voix à ceux qui dénoncent les résistances sociales comme des actions corporatistes. La FGSTE propose ainsi la formation d’un comité rassemblant des représentants du parlement, du ministère de la Force de travail, de la FGSTE et des journalistes pour négocier « afin de parvenir à des solutions justes ». Appelant au « dialogue sociétal », elle intervient dans le débat sur les lois syndicales et demande au président du parlement l’examen d’un projet. Elle veut rester un acteur des négociations et intervient auprès des différentes autorités. Elle célèbre même l’anniversaire de la révolution et commémore le premier mai ses martyrs de la révolution ! Après une première phase où s’exprime une critique du pouvoir en raison du danger que représentent les libertés syndicales [46], la FGSTE change de discours. Son dirigeant Ismael Fahmy se réclame du pluralisme syndical pour mieux insister sur le principe de « l’unité syndicale au sein de l’entreprise [47] » au nom de la stabilité du travail, de l’augmentation de la production et de l’unification des rangs des travailleurs…

Une expérience singulière, le syndicat de l’hôpital de Manshiyet Al-Bakri

60Au nord du Caire, apparaît une expérience originale et rare de syndicat indépendant. Fondé le 24 mars 2011 lors d’une réunion au siège du syndicat des journalistes, ce syndicat regroupe l’ensemble des travailleurs : infirmiers, aides-soignants, médecins, techniciens de santé, travailleurs en CDI et précaires. 732 des 841 salariés y adhérent. Une de ses premières revendications est de demander le renvoi du directeur de l’hôpital et l’élection de son remplaçant. Un scrutin sera organisé avec quatre candidats ! Selon Wael Gamal, journaliste militant [48] qui met en avant cet exemple, il illustre « une nouvelle unité nationale » réalisée au-delà des différences d’emploi. Il s’agit bien d’une « apparition totalement sans précédent [49] ».

61Sous l’appellation de « syndicats professionnels », ces syndicats-ordre concernent une série de métiers où les questions de statuts sont déterminantes comme c’est le cas pour les avocats, les ingénieurs, les médecins, les pharmaciens voire d’autres catégories comme les commerciaux, les métiers artistiques… À partir des années quarante ils ont connu un essor, occupant une place importante dans la vie du pays. Ils connaissent la tutelle de l’État depuis l’ère nassérienne. À partir des années quatre-vingts, ils entretiennent avec le pouvoir des relations difficiles et deviennent le théâtre d’intenses batailles entre l’opposition islamiste, le pouvoir et d’autres courants politiques. Les Frères musulmans s’imposent comme le courant le plus influent, notamment chez les médecins, les pharmaciens et les ingénieurs. Ils bénéficient d’un crédit important et de capacités mobilisatrices, dirigeant les syndicats en laissant le poste de président à un proche du régime. Ils sont très actifs dans l’amélioration de la situation matérielle et professionnelle des adhérents.

62Les élections professionnelles organisées durant cette période représentent un enjeu pour les différentes sensibilités, tant ces syndicats représentent un véritable « gâteau ». Les Frères obtiennent un certain nombre de succès. Pour autant, il faut noter la réussite relativement nouvelle des alliances entre les libéraux et la gauche qui réalisent des avancées au point que l’on pourrait parler d’une stagnation de l’influence des Frères.

63Les médecins conduisent une spectaculaire lutte en mai 2011 avec des journées de grève très suivies. Ils réclament une hausse de 15% du budget de la santé, des hausses de salaire pour l’ensemble des salariés du secteur, la défense des praticiens, le soutien à la formation supérieure de santé et le départ du ministre. En septembre, leur réseau « Médecins sans droits » appelle à la grève pour la réévaluation de leur grille de salaires, la sécurisation des hôpitaux et le renvoi des hauts fonctionnaires corrompus.

64Au niveau du Syndicat, les Frères musulmans, principale force, font face à une liste indépendante, coalition de réseaux impliqués dans les récentes mobilisations, notamment Médecins sans droits, Médecins de la Place Tahrir ainsi que des indépendants. « Médecins sans droits » élabore un programme insistant sur la défense des intérêts matériels, scientifiques et sociaux et la protection juridique des médecins. Les Frères musulmans obtiennent 18 des 24 sièges de la direction nationale et le poste de président. La liste rivale obtient la majorité dans 13 des 27 gouvernorats, notamment 14 des 16 sièges sur Le Caire et 10 des 12 sièges sur Alexandrie. Les islamistes ne gagnent aucun siège à Suez et perdent la majorité à Ismaïlia.

65Les syndicats professionnels, dans leur ensemble, jouent un rôle actif dans la révolution, participant à un mouvement qui dépasse toutes les structures existantes. Un regroupement est tenté par la formation de l’Union des syndicats professionnels qui fédère 13 unions (avocats, médecins, ingénieurs, professions sociales, arts appliqués, guides touristiques, métiers artistiques, métiers du cinéma…). L’ancien chef du syndicat des avocats et militant nassérien Sameh Achour est élu président.

L’épineuse question du syndicalisme paysan

66L’univers paysan reste sinon méconnu du moins peu visible [50]. Et pourtant, il possède une longue histoire [51]. Près de la moitié de la population égyptienne est encore rurale. Les politiques néolibérales, initiées depuis la loi de 1992 appliquée en 1997, reposent sur la remise en cause des politiques nassériennes et le choix de la culture d’exportation au détriment de l’agriculture de subsistance. Les rapports sociaux sont âpres et les conflits récurrents et assez souvent violents [52]. Sarando, village prêt de Damanhour où Nefissa El-Marakbi meurt sous la torture policière en 2005, incarne cette dimension.

67Le Comité de solidarité avec les paysans, petit réseau actif anciennement dénommé Comité de solidarité avec les paysans de la réforme agraire en Égypte, considère que le soulèvement a été essentiellement urbain et que « les zones rurales sont restées en position d’observateur [53] ». Et pourtant, le monde paysan connaît de nombreux conflits depuis le 25 janvier. Le plus emblématique est celui des paysans des terres Wakf (biens de mainmorte) contre les expulsions. Il y a des manifestations, des sit-in, des rassemblements dans la capitale et dans les provinces. On réclame l’accès à la terre, l’annulation des dettes accumulées en raison de l’augmentation des loyers et l’abrogation des condamnations. À Naga’ Hammadi, en Haute-Égypte, on exige la suspension des élections dans les sociétés coopératives agricoles et l’annulation de la nomination d’un ancien membre du PND. En Haute-Égypte, la hausse du prix de la bonbonne de gaz passée de 10 livres (1,25 euros) à 50 livres (6 euros) entraîne de vives protestations.

68Pour la première fois depuis des décennies, le monde paysan voit se multiplier le nombre des unions paysannes. Jusque-là, la représentation syndicale était très faible [54]. Avant le 25 janvier, Fahmy Howeidi considérait même que « les paysans ne disposent pas d’entité (kiyan) propre qui les représente et défende leurs droits [55] ».

69Lors de la fête du paysan, des réseaux anciens fondent une union indépendante des paysans. Sa personnalité la plus connue est Shahinda Maqlad [56], militante paysanne et de gauche très respectée en Égypte. La « mère des paysans [57] » est la veuve de Salah Hussein, assassiné en avril 1966 dans le village de Kamchich, à Monoufeya au nord du Caire, par une famille de grands propriétaires fonciers qui s’opposent à la réforme agraire. La nouvelle fédération y établit son siège temporaire. Elle défend le coopératisme, l’indépendance, l’autosuffisance alimentaire, la protection des terres agricoles, la lutte contre la pauvreté et l’augmentation du niveau de vie. Des débats existent sur un éventuel seuil pour l’adhésion, certains proposant 10 feddans. L’Union rejoint la FESI. Elle est dans le collimateur des médias officiels et des structures du régime comme l’Union centrale coopérative agricole. Elle est active et s’adresse aux autorités pour s’affirmer [58]. L’union paysanne indépendante s’est investie dans les mobilisations de la révolution du vendredi.

70La vieille fédération officielle n’a pas disparu et tente de continuer. L’été 2011, son chef dénonce même Hosni Moubarak. Elle est discréditée par ses liens avec le régime. Le ministère de l’Agriculture a donc suscité « l’association des paysans », dirigée par des poids lourds du secteur agricole, et qui a notamment organisé le 9 septembre une commémoration imposante de la journée du paysan au stade du Caire.

71D’autres initiatives sont prises. En mai 2011, une union comprenant 16 branches locales est lancée [59] sous la direction d’Abdel Rahman Choukri, dans la mouvance des Frères musulmans. Les paysans wafdistes se réunissent en un syndicat dont le président est un diplômé qui a bénéficié de terres accordées par l’État à Noubareya. Une union de petits paysans, proche du centre Al Ard, est fondée le 28 février 2011. Présente dans l’ouest du Delta et ouverte aux agriculteurs possédant moins de cinq feddans de terres anciennes ou dix des terres revendiquées, elle réclame que les engrais soient confiés au syndicat et une redistribution des terres aux petits paysans. Le centre Awlad al Ard favorise quant à lui la création d’une autre union, présentée comme la première. Une union des paysannes est créée [60] dans le village de Werdan, près d’Embaba à Guizah. Environ 4 millions de femmes travaillent dans l’agriculture. Le Comité de défense paysan, anciennement Comité de solidarité avec les paysans de la réforme agraire, actif réseau indépendant, est présent dans 35 villages de 7 provinces. Le pays en compte des milliers.

Enjeux et défis pour le mouvement syndical et ouvrier

72Avec l’ouverture du processus révolutionnaire, le niveau de conflictualité sociale atteint un niveau rarement vu depuis des décennies. Il s’agit d’une véritable déflagration. Pour comparer, il faut remonter à des moments historiques comme 1946 ou 1919 pendant la période de la domination britannique. Un mouvement syndical autonome émerge et tente de s’imposer. Examinons les enjeux et difficultés de cette expérience et son devenir au regard de la question sociale.

Évolutions d’une période politique

73Le processus transitoire [61] est fait de fluctuations, avancées, reculs et tournants. Il n’y a pas encore de stabilisation. La trajectoire de la période ouverte par le 25 janvier reste le paramètre décisif pour l’évolution du champ social. Quel sera son contenu : ouverture démocratique ? Fermeture ? Plusieurs expériences viennent à l’esprit : une réelle transition démocratique comme en Indonésie après 1998, la Turquie du début des années 1980 où l’armée restait très influente dans un cadre démocratique réel mais limité, un scénario pakistanais… Tout dépendra des interventions, politiques et sociales.

74Le dynamisme des travailleurs se manifeste depuis plus d’un an maintenant. Une série d’acquis existe : la reconnaissance publique du pluralisme syndical, l’apparition et la structuration de nouveaux syndicats autonomes, la forte combativité sociale… L’enjeu des libertés publiques est essentiel. Le syndicalisme semble se retrouver coincé entre les Frères musulmans et l’armée. La répression, les pressions, les jugements par des tribunaux militaires peuvent inquiéter. La convergence — certains parlent d’alliance — entre le CSFA, les « restes » de l’ancienne équipe, le patronat et les Frères musulmans, apparaît fort peu favorable aux travailleurs [62].

75Va-t-on vers un réel pluralisme syndical ? Sa reconnaissance publique est un véritable « gain [63] » mais les adeptes d’un syndicalisme unique sont loin d’avoir disparus. Plusieurs sensibilités restent hostiles ou méfiantes envers cette perspective et peuvent défendre des options pleines d’ambiguïté au nom de l’unité, de la force et de l’efficacité. Le processus révolutionnaire a fait voler en éclat les lignes. Après l’échec des expériences critiques au sein des syndicats officiels, la perspective favorable à l’autonomie qui prône la création de syndicats alternatifs a aujourd’hui gagné. Mais qu’en sera-t-il dans les faits à l’avenir ? Si l’hostilité envers l’ancienne fédération officielle est répandue, cette dernière dispose encore de relais et d’influence sans parler de ses réseaux et de ses liens. La mouvance autonome est favorable à sa dissolution, mais les autorités ne semblent pas aller dans ce sens. La FGSTE peut rester un élément du paysage du fait de ses réseaux et de ses liens avec l’administration, les élites économiques et les responsables politiques. La question des retraites et des assurances sociales qui passent par le syndicat officiel s’avère décisive.

76La future loi sur les libertés syndicales reste une inconnue à ce jour. Les espoirs initiaux d’instauration d’un cadre pluraliste semblent être retombés. Les informations disponibles indiquent que l’on se dirige vers une fermeture avec une volonté de mettre un terme aux expériences en cours avec le rapprochement entre la FGSTE et les députés des Frères musulmans.

77Un cadre démocratique reconnu par des textes législatifs doit exister sur le terrain. Les obstacles, anciens et enracinés, n’ont pas disparu [64]. L’exercice des droits syndicaux dans les entreprises n’est pas gagné. Le rôle des services de sécurité, du ministère du Travail, des administrations, l’attitude du patronat, notamment en province, dans les petites villes, dans les entreprises de taille modeste, sont autant d’enjeux… L’instauration d’un véritable dialogue social est un défi [65]. Avec un « mauvais héritage [66] » , ce « rêve lointain » dépend d’un rapport de force et de l’enracinement des pratiques démocratiques.

78Les élections syndicales représenteront un test pour l’évolution du climat social. Contre l’avis des oppositions syndicales, elles sont retardées par un processus politique, notamment des élections. Le rapprochement entre la FGSTE et les Frères musulmans, le raidissement des autorités dans les conflits sociaux depuis l’été 2011, sont des signes inquiétants.

Enjeux pour le mouvement ouvrier [67]

79Le mouvement ouvrier est en plein essor, en pleine recomposition. Les actions se produisent d’une manière largement spontanée. Le syndicalisme autonome connaît de grandes avancées avec des victoires pour ses revendications ou le rejet des anciennes directions.

80Il ne s’agit cependant pas d’exagérer les potentialités. Tout reste précaire et incertain. La situation reste complexe en raison de l’imbrication des revendications économiques et des aspirations démocratiques. Articuler les deux est loin d’être aisé. Le danger existe de voir le mouvement catégoriel s’isoler de la protestation politique. Le risque de cantonner le mouvement social au seul terrain économique est réel même si les aspirations à la démocratie et à la justice sociale sont désormais étroitement liées.

81L’actuel paysage syndical se caractérise par des disparités importantes. Certains syndicats indépendants ont eu une base et une réalité significative dans leur secteur : par exemple, dans les impôts fonciers ou l’autorité des transports. Ils possèdent de nombreux membres et des équipes d’animation dynamiques et expérimentées. Ailleurs, les syndicats indépendants sont juste des équipes réduites voire des poignées de salariés actifs. Le niveau de structuration reste faible même s’il progresse dans certains secteurs. L’enracinement est très inégal dans un contexte social difficile et face à une administration habile à multiplier les obstacles bureaucratiques. Dans les campagnes, les blocages sont très forts pour empêcher la formation de syndicats. D’une manière générale, les expériences restent souvent très récentes. Dans le bouillonnement et l’énorme enthousiasme qui existent, l’inexpérience et l’ignorance en matière d’action syndicale et de fonctionnement démocratique d’une structure syndicale ont leur importance. Par ailleurs, des formes de méfiance perdurent parmi les salariés. Les mécompréhensions existent aussi sur le rôle et l’utilité de la structure syndicale. Avec une « conflictualité sociale [68] » riche et dynamique, plusieurs dimensions seront à étudier avec attention : le caractère collectif du mouvement contestataire, le partage d’options communes, l’émergence de la solidarité d’un groupe mobilisé et la confrontation avec le pouvoir [69]. Les résistances sociales peuvent modifier le rapport de force.

82La période est marquée par une rupture de génération. Un héritage de luttes et d’expériences est en train de disparaître, par exemple les diverses expériences de délégués d’atelier en Égypte. Quelles formes et structures ces actions revêteron-t-elles ? Comment passer de mouvements spontanés, réactifs et temporaires à des cadres plus stables et plus permanents ? Le renouveau passe par une pratique en rupture avec celles des syndicats traditionnels : participation active, fonctionnement ouvert et démocratique, accès à l’information, discussions, prise de décision, rotation des postes, etc. Ces éléments représentent un test crucial.

83La jonction avec les groupes non liés à la production (chômeurs, femmes, groupes professionnels) et avec les actions sectorielles (luttes locales, questions spécifiques, etc.), est décisive pour le renouveau. Les signes d’avancée existent. Toutefois, si beaucoup a déjà été réalisé, c’est aussi peu au regard des enjeux du moment. Les événements décisifs qui se déroulent contribuent à constituer des réseaux d’action influents. Ils favorisent l’affirmation de « générations militantes ».

84L’enjeu majeur reste l’implantation dans le secteur privé qui dispose de peu de structures, d’expériences ou de réseaux militants. Le mouvement ouvrier y est à l’état de prémices. Les luttes sont aujourd’hui nombreuses, notamment dans les nouvelles villes industrielles, longtemps considérées comme un « continent inconnu [70] ». C’est donc, pour les acteurs du mouvement syndical, un formidable défi que de s’adresser à ce nouveau secteur et de favoriser l’enracinement de réseaux syndicaux. Que dire du secteur informel ?

85La question des femmes travailleuses et de leurs droits est un autre enjeu. L’héritage du syndicalisme officiel est en la matière désastreux. Pourtant, le nouveau syndicalisme ne semble pas accorder une place importante à ce sujet. Par exemple, le syndicat des impôts fonciers, pilier de l’autonomie, ne compte que deux femmes sur dix-huit à sa direction. La FESI a rejeté la proposition de Fatma Ramadan de réserver un tiers des responsabilités aux femmes. Son comité exécutif comprend deux femmes sur vingt et un membres. Cette situation s’explique par les caractéristiques du syndicalisme indépendant : sa jeunesse, son inexpérience, son manque de moyens, la faiblesse des équipes militantes, les difficultés rencontrées avec les autorités, les administrations et les employeurs…

86Les femmes ont joué un rôle important dans la protestation démocratique et les luttes sociales, rôle qui ne se traduit pas encore dans la représentation syndicale. Le puissant conservatisme social représente un frein important. Toutefois, les mobilisations et la politisation en cours peuvent entraîner des changements effectifs. Le syndicat des paysannes, l’élection d’une femme copte à la direction nationale du syndicat des médecins ou d’une femme à la tête du syndicat des médecins d’Alexandrie sont de petits signes du changement qui s’amorce. De nombreuses femmes, notamment jeunes, participent aux mobilisations, adhèrent aux syndicats et s’investissent.

87La question rurale reste vive et complexe avec pour principaux enjeux l’accès aux terres, l’eau et l’irrigation, les engrais ou la démultiplication des services responsables. Qui syndicaliser ? Les petits propriétaires, les « petits paysans », les travailleurs agricoles au nombre de six millions ? Quelle est la viabilité des structures récemment lancées ? L’actif Comité de solidarité avec les paysans de la réforme agraire d’Égypte [71] les considère avec sévérité du fait de problèmes d’enracinement et de fonctionnement. Ces initiatives syndicales proviennent « d’en haut » et sont très centralisées [72]. Le Comité met en avant l’expérience de structures de bases actives dans la région de Minieh qui n’ont pas encore franchi le pas pour constituer une structure syndicale.

88La société civile, espace d’expression autonome, n’est pas sans complexité. Les ONG intervenant dans le domaine syndical ont une tendance à la professionnalisation. Cela représente un atout en terme d’efficacité mais aussi une contrainte et peut empêcher l’émergence de pôles de résistance. Les rapports entre ouvriers et éléments « extérieurs » (avocats, spécialistes, etc.) demeurent une épineuse et ancienne question. Un véritable passif préexiste en raison du rôle prédominant de dirigeants qui ne sont pas eux-mêmes des travailleurs.

89Le mouvement ouvrier traditionnel est confronté à la transformation du rapport social. Le pôle « laboral » qui s’inscrit dans le sillage des luttes ouvrières classiques et le pôle « sociétal » qui concerne les terrains occupés par ce que l’on appelle les mouvements sociaux s’articulent désormais sans pour autant fusionner. La mouvance syndicale autonome doit se faire reconnaître comme un acteur porteur d’une voix alternative d’ensemble avec un programme économique et social auquel des secteurs significatifs puissent s’identifier. La crainte du fait que prôner un syndicalisme combatif et démocratique risque d’apparaître comme incantatoire a disparu. La jonction avec la protestation démocratique existe même si elle est fragile. Enfin, la division de la mouvance indépendantiste peut représenter un réel problème.

90La manifestation du 25 janvier 2011 a inauguré ce que l’on peut qualifier de processus révolutionnaire [73] avec une crise du sommet, incapable de maintenir sa domination, l’aggravation des conditions d’existence des milieux populaires et une augmentation de l’activité des masses. Une crise révolutionnaire ne se produit-elle pas quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant et que ceux d’en bas ne veulent plus continuer à vivre de la même manière ?

91Bien sûr, rien n’est réglé. Mais le départ du chef du régime, les arrestations des principales figures de son entourage et les procès ne sont pas de simples anecdotes. Les risques et les tensions existent. La situation reste ouverte avec des phases, des tensions, des avancées et des reculs dans une période aux enjeux multiples (politiques, sociaux, internationaux…). Car le processus, loin d’être un phénomène monolithique, reste un moment de crise, une transition marquée par de rapides et profondes recompositions politiques et sociales.

92Le processus est à la fois démocratique et social car la contestation populaire a dans une plus grande mesure pour enjeu les libertés que la justice et l’égalité sociale. Une étroite imbrication des dimensions démocratique et sociale existe [74].

93La société égyptienne connaît une formidable ébullition politique, sociale et culturelle. La détermination de larges franges de la population reste forte dans le refus de l’ordre établi, la volonté d’un changement et la demande de justice sociale. La chute du président Moubarak ne signifie pas la fin du régime autoritaire qui cherche à se maintenir dans un cadre renouvelé.

94Les mobilisations politiques et la vague sociale ont contraint l’armée à abandonner Hosni Moubarak. Souvent, les récits ne tiennent compte que des puissantes manifestations, notamment à Tahrir, et négligent la déflagration sociale qui joue un rôle décisif dans l’événement du 11 février 2011.

95Les protestations des travailleurs ne se sont nullement interrompues au cours de la dernière année. Elles possèdent des formes multiples, des rythmes inégaux, des ampleurs et des niveaux de structuration différents. Ces mobilisations collectives favorisent l’affirmation d’un mouvement syndical dynamique dans l’ensemble du territoire et des secteurs de l’économie qui, en 2011, a connu une rupture qualitative. Face à cette intense agitation sociale, les autorités ont mené une politique double : lâchant du lest sur une série de questions à certains moments et avançant une ligne musclée avec la répression des grèves. La politisation et la contestation d’ampleur favorise l’engagement de nombreuses catégories auparavant peu affectées par les luttes sociales. Les zones rurales voient réémerger des expériences de syndicalisme.

96Les difficultés et les périls sont nombreux. Le contenu politique de la transition sera décisif. L’enracinement effectif de la démocratie dans le champ social est un processus en cours, profond et complexe. Avec une « classe ouvrière en éclats [75] », le mouvement ouvrier égyptien est confronté à la fois à un changement historique de structure et à l’ouverture d’une période de mutations politiques d’ampleur dont nul ne connaît la durée. L’avenir du mouvement syndical indépendant dépendra aussi de ses capacités à s’enraciner et à remplir son rôle de véritable instrument de défense des intérêts économiques et sociaux des salariés : la réinvention de l’action collective en Égypte s’effectue en ce moment !

Notes

  • [*]
    Cet article, dont la rédaction a été achevée en avril 2012, est la version réduite d’un travail consacré à la question des travailleurs et des syndicats dans l’Egypte post-25 janvier 2011. Je remercie Sonia Dayan-Herzbrun d’en avoir permis la publication.
  • [1]
    Voir Jacques Couland, « Égypte : la révolution du Nil », Économie et Politique, n°678-679, janvier-février 2011 ; Didier Monciaud, « Révolution sur le Nil », Histoire & Liberté, n°45, 2011, pp. 43-50 et « Révolution en Égypte », Contretemps, n°11, 3e trimestre, septembre 2011, pp. 41-54.
  • [2]
    Azza Khalil, « Essor des revendications pour la justice sociale et la démocratie », in État des résistances dans le sud, vol. XIII, 2006/4, pp. 86-87.
  • [3]
    Ahmed Sharaf Eddin, Al-Tariq, n°1, décembre 2004.
  • [4]
    Gamal Abdel Nasser Ibrahim, « Représentation syndicale et transition libérale en Égypte », Égypte/Monde arabe, Première série, n°33, 1998, pp. 192-199.
  • [5]
    Saber Barakat, table ronde, Afaq Ishtirakiyya (Horizons socialistes), n°3, septembre 2004.
  • [6]
    Ahmed Sharaf Eddin, Al-Tariq, n°1, décembre 2004, p. 25.
  • [7]
    Marsha Pripstein Posusney, Labor and the state in Egypt : workers, unions, and economic restructuring, New York, Columbia University Press, 1994, p. 215.
  • [8]
    Voir Omar El Shafei, Workers, trade unions and the State in Egypt 1984-1989, Le Caire, American University in Cairo Press, 1995.
  • [9]
    Rahma Rifaat, « Khatwatani wa-l-thalitha thabita » (Deux pas et le troisième sera le bon), Kalam Sanâiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°4, février 1999.
  • [10]
    Par exemple l’expérience de la revue Sawt al Amil (La voix de l’ouvrier) dans les années 1980.
  • [11]
    Gamal Abdel Nasser Ibrahim, « Représentation syndicale et transition libérale en Égypte », art. cité, p. 199 ; Françoise Clément, « Libération du rapport salarial en Égypte », Monde arabe – Maghreb – Machrek, n°162, octobre-décembre 1998, p. 54.
  • [12]
    Rabab El-Mahdi, Philip Marfleet (éd.), Egypt : the moment of change, Londres, Zed Books, 2009.
  • [13]
    Voir Ah?ad Abd al-H?fiz (éd.), al-Qudah wa-al-is?ah ?al-siyasi (Les juges et la réforme politique), Le Caire, Markaz al-Qahirah li-Dirasat H?quq al-Insan (Centre du Caire pour les études sur les droits de l’homme), 2006.
  • [14]
    Voir Ilhami al-Mirghani, amwal al-ta’minat al-igtima’ia haqaiq wa arqam (Les fonds des assurances sociales : vérités et chiffres), Le Caire, Markaz Hisham Mubarak (Centre Hisham Moubarak), 2006 ; Khaled Ali Omar, Al qadaya al ulla. Qadaya amwal al-ta’minat wa al maachat (Les questions prioritaires, les fonds d’assurances et les salaires), Le Caire, Markaz Hisham Mubarak, 2007.
  • [15]
    Farid Zahran, al-harakât al-igtima’i al guedida (les nouveaux mouvements sociaux), Le Caire, Markaz al Qahirah li-Dirasat Huquq al-Insan (Centre du Caire pour les études sur les droits de l’homme), 2007, pp. 55-58.
  • [16]
    Voir Saif Salah Al Nasrawi, « The Egyptian Movement for Change (Kifaya) : an apolitical struggle for democracy ? », thèse (M. A.), American University in Cairo, 2006 ; Ah?ad Baha al-Din Shaaban, Raffat al-far?shah : Kifayah, al-madi wa-al-mustaqbal, Le Caire, Mat?uaat Kifaya, 2006 (Kifaya, passé et avenir – Les publications de Kifaya) ; Farid Zahran, op. cit., pp. 45-54.
  • [17]
    Voir Habib Ayeb, « Crise alimentaire en Égypte : compétition sur les ressources, souveraineté alimentaire et rôle de l’État », Hérodote, n°131, 2008, pp. 58-72.
  • [18]
    Voir le film d’Ayman al Gazwi et Cristina Boccialini, Revolution Through Arab Eyes – The Factory, TV Al Jazeera English, 2012, http://www.youtube.com/watch?v=uo1Fytmjlmw
  • [19]
    Saif Nasrawi, « A year before the parliamentary elections, signs of labor organization are evident », Al-Masry al-Youm, 4 octobre 2009.
  • [20]
    Voir Joel Beinin, « A Workers’ Social Movement on the Margin of the Global Neoliberal Order, Egypt 2004-2009 », in Joel Beinin et Frédéric Vairel (éd.), Social Movements, Mobilization, and Contestation in the Middle East and North Africa, Stanford, Stanford University Press, 2011.
  • [21]
    Voir Amr Hashim Rabi (éd.), Thawrat 25 Yanayir : qira?ah awwaliyyah wa-ru?yah mustaqbaliyyah (La Révolution du 25 janvier : première lecture et vision future), Le Caire, Markaz al-Dirasat al-Siyasiyyah wa-al-Istiratijiyyah (Centre d’études politiques et stratégiques), 2011 ; Jacques Couland, « Égypte : la révolution du Nil », art. cité ; Didier Monciaud, « Révolution sur le Nil » et « Révolution en Égypte » art. cités ; Voir aussi les riches sites http://www.arabawy.org/ et http://www.jadaliyya.com/
  • [22]
    Nabil Abdel Fattah, « Al intifada al watanya al cha’bya al masrya… » (Le soulèvement national populaire égyptien), Al-Shorouq, 5 février 2011.
  • [23]
    Voir le rapport de la syndicaliste Fatma Ramadan « Vague de grèves dans toute l’Égypte » (11 février 2011) sur le site suisse www.alencontre.com
  • [24]
    « Egyptian workers join the revolution », Ahram Online, 10 février 2011.
  • [25]
    « Na’am min haqq al ummal wa al mawzafin al idrab » (La grève : un droit pour les ouvriers et les fonctionnaires), Sawt al Thawra (La voix de la révolution), mars 2011.
  • [26]
    Pour février 2011, le centre Awlad al-Ard (Les enfants de la terre) recense 489 épisodes d’action collective.
  • [27]
    Al-Ahram, 29 février 2012.
  • [28]
    Hanaa Khachaba, « Les grèves mettent des bâtons dans les roues de l’Égypte ! », Le Progrès Égyptien, 4 octobre 2011.
  • [29]
    Amal Ibrahim Saad, « Al Idrabat fitna min taraz akhar » (Les grèves : une sédition d’un autre genre), Al Ahram, 17 mai 2011.
  • [30]
    Voir la série d’articles de Mustafa Bassiouny, Al-Tahrir, mai 2011.
  • [31]
    Al-Masry al-Youm, 18 février 2011.
  • [32]
    Al-Masry al-Youm, 27 septembre 2011.
  • [33]
    Wael Gamal, « Al idrab moftah al dimoqratya wa al adala al igtima’ia » (La grève est la clef de la démocratie et de la justice sociale), Al Shorouq, 27 mars 2011.
  • [34]
    Par exemple la « coalition des travailleurs de la révolution du 25 janvier » (voir Al-Masry al-Youm du 26 février 2011) ; ou l’Association révolutionnaire des travailleurs du textile.
  • [35]
    Voir l’appel de la ligue des ouvriers révolutionnaires du textile de Kafr al Dawwar, 7 février 2012.
  • [36]
    « The Federation calls for participation in “Revolution First” Friday », 6 août 2011, http://www.tahrirdocuments.org/2011/08/the-federation-calls-for-participation-in-%E2%80%9Crevolution-first%E2%80%9D-friday/.
  • [37]
    Al-Masry al-Youm, 15 mars 2011.
  • [38]
    Amr al Chobaki, « Matta sanara al niqabat al mostaqilla » (À quand les syndicats indépendants ?), Al-Masry al-Youm, 28 juin 2011.
  • [39]
    Sylvie Nony, « Les feux de la lutte (épisode 1) », 13 mars 2012, http://snony.wordpress.com/
  • [40]
  • [41]
    Pour la première décennie du centre, voir Didier Monciaud, « Une ONG égyptienne entre société civile et mouvement social : origines, activités et structures du Centre de prestations syndicales et ouvrières d’Helwan » (2000), www.unesco.org/most/monciaud.doc.
  • [42]
    Voir Nicola Pratt, « Hégémonie et contre-hégémonie en Égypte : les ONG militantes, la société civile et l’État », in Sarah Ben Néfissa et al. (éd.), ONG et gouvernance dans le monde arabe, Paris, Karthala et CEDEJ, 2004, pp. 167-196.
  • [43]
    Kamal Abbas, « amud khayri mahmud (La rubrique khayri mahmoud) », Kalam Sanaiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°8, novembre 1999.
  • [44]
    Confédération internationale des syndicats.
  • [45]
    Al Badil, 7 janvier 2021. Voir Kalam Sanaiy’iya (Paroles de travailleurs industriels), n°131, 19 janvier 2012.
  • [46]
    Al Shorouq, 19 mars 2011.
  • [47]
  • [48]
    Wael Gamal, « Al idrab moftah al dimoqratya wa al adala al igtima’ia » (La grève est la clé de la démocratie et de la justice sociale), Al Shorouq, 27 mars 2011.
  • [49]
    Interview de son président, le docteur Mohammed Shafik (novembre 2011), http://www.youtube.com/watch?v=mfCuhdf2Lvg&feature=player embedded
  • [50]
    « Al fellahun yukhroguna ann samatahum » (Les paysans sortent de leur silence), Al Ahram, 6 septembre 2011.
  • [51]
    Voir Nathan Brown, Peasant politics in modern Egypt : the struggle against the state, New Haven, Yale University Press, 1990 ; Sayed Achmawi, Al-Fallhun wa-al-sult?h : ala d?w? al-h?rakat al-fallahiyyah al-Mis?iyyah (Les paysans et le pouvoir à la lumière des mouvements paysans égyptiens), Le Caire, Mirit lil-Nashr wa-al-Ma?lumat, 2001.
  • [52]
    Voir Beshir Sakr et Phanjof Tarcir, « La lutte toujours recommencée des paysans égyptiens », Le Monde Diplomatique, octobre 2007. Voir les rapports des centres Al Ard (www.lchr-eg.org), Awlad al Ard et Al Dirasat al Rifia. En 2006, il y a 92 morts, 257 blessés et 465 arrestations.
  • [53]
    Intervention du comité de solidarité avec les paysans à la conférence « Société civile et révolutions arabes », Beyrouth, 20 mars 2012.
  • [54]
    Amani Hussein, « Taqrir yantaqidu ghiyab dor al niqabat fi difa’a ‘ann ummal al zira’a » (Rapport critique sur l’absence des syndicats dans la défense des ouvriers agricoles), Rose al Youssef, 17 octobre 2010.
  • [55]
    Fahmy Howeidi, « Man yarfi’ sawt al fellah ? », Al-Shorouq (Qui fait entendre la voix du paysan ?), 20 septembre 2010.
  • [56]
    Voir Beshir Sakr et Phanjof Tarcir, « Portrait d’une militante paysanne égyptienne », Le Monde Diplomatique, octobre 2007. Voir aussi le très beau film de Tahani Rached, Quatre femmes d’Égypte.
  • [57]
    Al-Shorouq, 4 janvier 2012.
  • [58]
    Mémorandum au Premier Ministre, Al-Masry al-Youm, 9 mai 2011.
  • [59]
    Al-Masry al-Youm, 9 mai 2011.
  • [60]
    Ahram Online, 25 octobre 2011, Bayan, 23 octobre 2011.
  • [61]
    Voir Sherif Younis, Turuq al thawra (Les voies de la révolution), Le Caire, Dar al Ein, 2012.
  • [62]
    Voir Haitham Mohamedein, « The road to trade union independence », Ahram Online, 20 septembre 2011.
  • [63]
    Joel Beinin, « What have workers gained from Egypt’s revolution ? », Foreign Policy, juillet 2011.
  • [64]
    Ibid.
  • [65]
    Voir la déception d’une chercheuse associée au « dialogue social » lancé par les autorités : Nadine Abdallah, « Al mallaf al igtima’i ba’d al thawra ayna qanun al houreyat al niqabya » (Le dossier social après la révolution : qu’en est-il du droit sur les libertés syndicales ?), Al Shorouq, 21 janvier 2012.
  • [66]
    Lamis al Hadidi, « Al idrab » (La grève), al Badil (L’Alternative), 17 février 2009.
  • [67]
    Voir la riche interview de Fatma Ramadan http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article21930.
  • [68]
    Pierre Cours-Salies, in Pierre Cours-Salies et Michel Vakaloulis (dir.), Mobilisations collectives, une controverse sociologique, PUF, Actuel Marx, Paris, 2003, pp. 70-75.
  • [69]
    Voir Sidney Tarrow, Power in Movement : Collective Action, Social Movements and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, pp. 3-4.
  • [70]
    Interview de Rahma Rifaat, 22 novembre 1999.
  • [71]
    Atelier animé au Palais de la Culture de la ville de Fayoum par le Comité de solidarité avec les paysans de la réforme agraire d’Égypte, 23 mars 2011.
  • [72]
    Intervention du comité de solidarité avec les paysans, op. cit.
  • [73]
    Perry Anderson ne parle que de révolte car les subalternes n’auraient pas joué de rôle important. « On the Concatenation in the Arab World » (Éditorial), New Left Review, n°68, mars-avril 2011.
  • [74]
    Adam Hanieh, « Egypt’s Uprising : Not Just a Question of “Transition” », Socialist Project, n°462, 14 février 2011.
  • [75]
    Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, Paris, Seuil, 1999 (1986), p. 237.
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