Couverture de TUMU_032

Article de revue

L'enjeu d'une anthropologie philosophique

Pages 371 à 387

Notes

  • [1]
    « Comme je l’ai dit, j’apprécie particulièrement les citations quand cela sent le roussi… Peut-être un instinct nous presse-t-il à prendre un joyau dans notre main quand la destruction menace. C’est aussi une obole », E. Jünger, in Sauts de temps.
  • [2]
    J. Patočka, Qu’est-ce que la phénoménologie, Millon, Grenoble, 2002, p. 186.
  • [3]
    J. Patočka, Le monde naturel et le mouvement de l’existence humaine, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1988, p. 44.
  • [4]
    J. Patočka, L’Europe après l’Europe, Verdier, Lagrasse, 2007, p. 151.
  • [5]
    In Correspondance, lettre à Garve du 21 septembre 1798, Paris, Gallimard, 1991, p. 705.

1

« Chacun connaît le sentiment joyeux qui s’empare de nous lorsque nous découvrons un homme. »
Ernst Jünger, Jeux africains

2J's placer mon propos sous l’égide de cette simple phrase de Jünger, avec qui le dialogue de Patočka ira croissant. Peut-être, d’abord, parce que l’engagement du penseur relève pour nous d’une telle « découverte ». Mais plus encore, parce qu’alors que nous découvrons en lui un homme — au-delà des particularités du penseur, du politique etc. —, l’idée même d’une découverte nous rappelle à cette évidence sans cesse déniée : l’homme en tant que tel n’est jamais donné d’avance, mais est et reste un problème. Un problème, cela veut dire qu’au-delà des descriptions toujours plus complexes et signifiantes que les sciences humaines offrent de l’objet qu’est cet étant particulier, l’urgence reste insigne que l’homme se remémore comme digne d’être pensé, d’être radicalement questionné comme « qui », et non seulement tel qu’il est ou semble être en situation. Problématiser à nouveau l’homme, questionner en vue de son « être », de son « essence », au-delà, ou mieux en-deçà de ses structures lisibles concrètes, telle est la tâche d’une anthropologie philosophique, n’allant pas contre, mais cheminant autrement que l’anthropologie empirique, dite scientifique.

3Et si l’on me permet encore le retour à ce si polémique Jünger, je vous invite à garder comme toile de fond sa limpide sentence, me joignant à son goût si particulier pour les citations, qu’il juge au plus haut point utiles là où — selon ses termes — « cela sent le roussi »... Le « roussi » étant bien sûr ici le recours direct à des termes métaphysiques pour beaucoup désuets, si ce n’est insensés. J’espère que cet exergue se révèlera — au bout du chemin — être une obole [1].

De la crise du sens à la relance de l’anthropologie philosophique

4Dire que l’urgence reste insigne, sans doute est-ce encore trop peu dire, car Patočka relance la nécessité d’une anthropologie philosophique en reconnaissant dans la crise de l’humanité européenne de notre temps une crise sans précédent. Disons alors plutôt que l’urgence se révèle avec une force qu’elle n’a jamais eue ; et que le problème n’est pas pure abstraction, comme s’il s’agissait une fois de plus de se quereller en vain à coup de concepts. Le problème est au contraire, pour l’auteur tchèque, des plus concrets, puisqu’il s’agit en questionnant dans le droit fil de Husserl la crise de l’humanité européenne, de comprendre ce qu’il en est de cette humanité divisée, ou plutôt déchirée, entre le monde technico-scientifique de l’ère moderne et le monde naturel dont le sol se perd.

5Or, un tel questionnement n’a pas pour seule visée le projet épistémologique d’une pensée libérée de la domination de la métaphysique propre à la science technicisée. Car ce qui se joue à partir d’une telle réduction du tout de l’étant à l’objectivité, c’est aussi l’essor prodigieux pris par la puissance humaine aux temps modernes. Essor qui, loin de rendre l’homme satisfait, l’a au contraire — et paradoxalement — conduit à des cataclysmes historiques et sociaux inouïs. Comprendre comment l’homme moderne, en s’enchaînant à l’objectivation de lui-même, comme du reste de l’étant, est allé jusqu’à soumettre ses propres relations (sociales, politiques, ou domestiques) aux lois du calcul et au modèle mécanique, jusqu’à créer un système où il devient lui-même superflu en tant qu’homme ; comprendre cela, c’est aussi — et indissociablement — libérer le regard pour des possibilités de pensée et de vie autres, que le projet mécaniste a enfouies sous ses innombrables décombres. C’est ouvrir, au bout du chemin, un sens neuf de la dissidence...

6Une telle ambition, qui est peut-être la communauté la plus profonde du questionnement phénoménologique, son point de départ, doit donc être comprise à la fois comme théorie et comme pratique, voire en-deçà de cette opposition. Même si le sens d’une telle praxis ne devra s’autoriser d’aucune prétention à un renversement factuel de la situation de sur-civilisation qui est la nôtre.

7Pour en saisir les contours, et déceler l’originalité propre du chemin phénoménologique de Patočka — seul capable à mon sens de déployer une véritable philosophie politique, comme une pensée neuve de la dissidence —, il faut en revenir au sens même de l’idée de phénoménologie, qui naît avec cette crise.

8Nous savons que l’initiateur de la phénoménologie, Edmund Husserl, ramènera le « traitement » de la crise européenne à l’idée d’une reconquête du monde naturel, du « monde de la vie » (Lebenswelt). C’est par là que passe le fil ténu du « retour aux choses mêmes », dont le but est de dévoiler, de déconstruire les strates de significations qui se déploient dans notre rapport au monde, et vont justement jusqu’à rendre possible la volonté d’une maîtrise et d’une re-production de celui-ci — volonté qui est aujourd’hui notre lot.

9Pour tenter de le dire simplement, ce à quoi il faut remonter à travers la description des vécus de conscience, n’est autre que le sens dont nous investissons pré-théoriquement les objets, les choses, et les autres, par rapport à notre vie. Mais ce sens ne saurait être lu à partir des diverses choses qui nous apparaissent, ou mieux des divers étants que nous chargeons justement toujours déjà d’un sens sans lequel ils ne sauraient tout bonnement nous apparaître. Sur la nature de tous ces étants, sur ce que sont les choses elles-mêmes, il s’agit d’opérer une radicale suspension de toute thèse : une épochè. Suspension nécessaire afin que devienne lisible le plan phénoménal, celui de notre approche, des perspectives nous orientant vers ces choses qui elles n’en ont pas. Accéder, donc, au monde non plus tel qu’il est censé être, présent là-devant, ou tel que nous le construisons par la science, mais bien tel qu’il nous apparaît — dans la légalité de son apparaître —, à nous qui y sommes toujours déjà ancrés, situés.

10La naturalité du monde naturel ne signifie, en somme, pas autre chose. Et son analyse doit nous mener jusqu’à cette « part sauvage » de nous-mêmes dont parlait Merleau-Ponty. Cela, en étant la saisie de ce qui en l’homme est indépendant des contingences historiques de son évolution, de ce qui peut être sélectionné variativement en retenant ce qu’il y a de commun dans toutes les modalités de la vie humaine.

11Ces définitions minimales nous montrent déjà peut-être le lien, mais aussi la différence, entre la perspective phénoménologique et celle des sciences humaines. Je tente, là encore, de résumer la chose au plus près, en ne retenant que deux points :

121. L’on a coutume de rapprocher de plus en plus la phénoménologie de la sociologie, et c’est sans doute un tel rapprochement qui nous réunit aujourd’hui. Ainsi, l’expression même de « sociologie phénoménologique » est devenue courante, comme celle d’« anthropologie phénoménologique »... Or, que tentons-nous généralement de circonscrire par de telles expressions ? Le fait qu’une troisième voie pourrait bien s’ouvrir aux sciences sociales sur le sol d’un dialogue avec la phénoménologie, et l’emprunt de sa méthode. Troisième voie qui ne les condamnerait plus à hypostasier le social comme réalité transcendante et hors-sujet, sans pour autant en faire une sociologie sans société. Une voie ne biffant pas la société comprise structuralement, mais la ramenant à l’expérience sociale qui la sous-tend, à une lecture de ses significations dans le concret du vécu et de nos formes de vie. Intégrant ainsi, enfin, le point de vue de l’agent, non comme démiurge unique de la réalité sociale, mais comme lieu où se lit le sens de cette immersion circulaire de l’objectif dans le subjectif qui caractérise le social.

13Et si la lecture des significations à même le vécu nous permet cette entente neuve d’un sujet social qui n’est pas voué à devenir un quelconque supersujet, peut-être nous permet-elle encore de dévoiler un fonds commun de possibilités pour l’homme des hautes cultures et des civilisations rudimentaires. Car tel est bien l’objet du monde naturel. Or, l’on sait à quel point cet axe est devenu essentiel à toute pensée sociale, et Patočka ira lui aussi jusqu’à reconnaître dans la pensée de Lévi-Strauss la plus grande expérience que l’homme ait faite de lui-même. C’est à cette expérience de nous en l’autre et de l’autre en nous, par le seul véhicule du sens, que nous invite la phénoménologie.

142. Cependant, et j’en viens à mon second point qui devrait révéler la démarche phénoménologique propre à Patočka, cette alliance entre la phénoménologie et les sciences humaines cache une différence plus abyssale, qui concerne le terme même de l’entreprise. Le terme, c’est-à-dire ce qu’en définitive elle tente de dévoiler.

15Je définissais précédemment le monde naturel comme le sol en quelque sorte anhistorique où toutes les histoires facticielles, celles des différentes cultures, trouvaient la source commune de leurs possibilités, aussi diverses soient-elles. Mais cela laissait encore dans l’ombre ce qui pour Patočka va vite devenir l’essentiel : le problème de l’histoire. Parler en effet d’un monde naturel, où l’homme parfois nommé « préhistorique » — celui des sociétés « primitives » —, et l’homme historique, civilisé, trouveraient leur jointure, parler d’un tel monde laisse en suspens deux questions décisives :

16– quel est le (ou les) sens de l’histoire ?

17– quel est le sens d’un être à même d’avoir une histoire ?

18Disons-le tout de go, ces deux questions n’en font en fait qu’une, et leur persistance fait cette fois éclater la différence qui est le propre de la philosophie, à la nécessité de laquelle nous reconduit Patočka. Si la phénoménologie rencontre bel et bien les sciences humaines, c’est depuis cet horizon autre que la science n’a pas — et ne peut pas — prendre en charge, aussi loin qu’elle pousse le questionnement sur elle-même. Cet horizon, n’ayons pas peur des mots, même s’ils sentent le « roussi », est celui que nous avons longtemps appelé d’un nom devenu obscène : l’horizon de la métaphysique.

19C’est ce questionnement que Patočka ose à nouveau affronter à bras-le-corps, non par traditionalisme, mais bien parce qu’aucune science ne saurait répondre, ni même poser la question qui pourtant donnerait seule enfin un éclairage décisif à toutes les réponses qu’elle nous apporte, à toutes les manières dont elle nous reconduit à notre histoire : la question du fondement ontologique de la vie humaine, que nous nommions pour commencer question de son « essence ». Ici s’assume comme pleine de sens, malgré l’effroi de ces mots si anciens, la possibilité de dépasser la saisie des expériences que nous faisons, et que nous comprenons toujours au fil de lois, même si ces lois concernent un étant aux privilèges multiples. De les dépasser vers quoi, ces expériences faites ? Vers l’expérience que nous sommes, et qui implique justement que toutes ces questions pour nous se posent. Dire que nous sommes une expérience, c’est dire que nous ne sommes pas un étant qui n’est que donné, simple présent à décrire, mais un étant qui a à être, pour qui il y va de son être, et donc de l’être de l’étant.

De l’histoire à la phénoménologie asubjective

20Maintenant que les « grands mots » sont lâchés, le plus dur reste à faire, car il faut comprendre en quoi cette ambition d’une anthropologie philosophique n’est pas la simple et vaine répétition d’une métaphysique à laquelle nous pensions avoir depuis longtemps tourné le dos. Elle ne le sera pas à condition de rester fidèle à la méthode qu’est la phénoménologie. Mais comment est-ce possible puisque l’idée même de monde naturel, qui est son objet, ne semblait pas impliquer l’histoire ? Il l’implique, en fait, mais d’une manière ambiguë que les efforts de Husserl ne parviendront pas à clarifier, et que Patočka considère comme la tâche propre de sa pensée.

21L’histoire qui est ici en jeu n’est pas d’abord l’histoire que l’on raconte, c’est-à-dire la continuité des faits que nous décelons ou projetons, au sein d’une culture, ou entre les cultures. Elle n’est pas non plus cette histoire systématisée dont la philosophie a fait son apanage, ne se contentant pas des schémas de l’histoire, mais voulant bel et bien en déceler les raisons, les moteurs derniers. Elle n’est ni l’une ni l’autre, car entre cette Histoire, même avec une majuscule, et la conception statique de l’homme qui obéirait à des lois tout aussi immuables que celles de la nature, il n’y a au fond qu’un pas. Si la Modernité est comme le disait Nietzsche la découverte du sens historique, elle n’en reste pas moins très proche d’une Antiquité qui l’aurait ignoré. Car si la nature ou la raison remplacent bien le kosmos, et si l’histoire devient comme telle un objet de pensée privilégié, il n’en reste pas moins que le même impensé sommeille, jusqu’en la dialectique... Cet impensé, auquel nous reconduit la thématisation du monde naturel, c’est l’historicité de l’homme, que les pentes empiristes comme idéalistes de la philosophie de l’histoire ignorent communément et paradoxalement, faisant de notre histoire le calque — avoué ou non — d’un processus naturel. Et ce, parce que l’homme comme tel y est pensé, ou mieux s’y pense selon le modèle de l’étant naturel qui lui fait face, qui est donné, là-devant, ob-jet dont des lois, aussi complexes soient-elles, devraient venir à bout.

22L’historicité n’est pas l’histoire, et pour cela même est ce fonds commun depuis lequel se détachent des peuples existant de manière historique — se rapportant à leur passé par la conservation ou la négation — et non-historique — ne niant pas le passé mais s’identifiant avec lui. L’historicité commune qui rendra possible ces deux choix, dont la différence restera à saisir, signifie simplement que l’homme ne végète pas au rythme de la nature, mais est temporel, doit toujours se rapporter à son être, même si c’est pour décider de laisser reposer cette liberté originaire.

23Dire que l’homme est historique en ce sens, ce n’est pas outrepasser les limites de la phénoménologie comme méthode, car ici ne se cache aucune thèse sur l’étant ni sur nous-mêmes, mais se révèle le seul véritable donné au-delà duquel nous ne pouvons remonter : nous sommes à nous-mêmes une question — explicite ou non. En ce sens, nous sommes une expérience, dont on ne saurait déjà préjuger qui tire les fils. Mais peut-être peu importe pour l’instant que cette liberté nous soit commandée depuis un quelconque ailleurs, car elle signifie toujours que contrairement à la table, la pierre, l’animal, ou même les anges, nous ne recevons pas notre être comme quelque chose de déjà achevé, passivement. Si quelque chose nous est donné, ce n’est pas non plus le monde compris comme l’ensemble des choses, car ces choses, nous devons au contraire sans cesse nous orienter vers elles, tenter de les saisir, pour nous rejoindre nous-mêmes, et façonner un monde où notre vie devient possible. En ce sens, l’homme existe : il est toujours déjà en-dehors de lui-même, voué au monde. Au monde non comme ensemble des étants, mais comme totalité pure et simple, sans limites, qui est aussi totalité des possibilités indéfinies qui s’offrent à nous, en laquelle il nous échoie de tracer les lignes d’horizon d’un monde naturel.

24Or cette remontée jusqu’à notre historicité foncière, que Patočka réalise dans un dialogue instant avec les philosophies de l’histoire et les sciences humaines, permet de dégager le fait que l’être de l’homme ne se résoudra jamais dans une quelconque essence, à proprement parler, une nature donnée une fois pour toutes. L’anthropologie philosophique à laquelle il nous convie sera en ce sens négative. Elle ne saurait aboutir à une quelconque détermination concrète de l’homme, nous disant enfin en quoi il consiste, puisque justement il ne subsiste pas, mais existe. Ce faisant, il mène une phénoménologie à rebours de l’idéalisme transcendantal de Husserl, qui avait fini par faire de la subjectivité le mot de la fin, dans une infidélité à l’épochè qui était pourtant son mot d’ordre. Infidélité qui permettait certes à la ratio d’assurer son avenir, et à l’Europe de se rappeler à son infini destin, mais au prix d’une pensée finissant par réduire le monde dont elle partait à cette conscience à laquelle il apparaît. De ce qu’il faut bien appeler un anthropocentrisme, pente que rejoint toujours l’humanisme, Patočka se garde bien, dès lors qu’il se refuse à faire du vécu la source de toute apodicticité. C’est bien toujours pour nous qu’il y a des phénomènes, parce que nous sommes le lieu de leur apparition, mais considérer ce qui ressort du vécu, et prendre la réflexion de la conscience sur elle-même comme étalon de toute connaissance, c’est réitérer le cogito faisant de nous le seul pôle de la réalité. L’autre pôle, le pôle objectif devenant dès lors le résultat de nos intentions, de nos appréhensions, de notre constitution.

25À une telle réduction, Patočka oppose ce qu’il nomme une phénoménologie asubjective, où la subjectivité signifie simplement le lieu de la rencontre avec l’étant, dont la sphère phénoménale est le projet. Ce sujet que nous sommes, lieu de rencontre, n’a en soi aucune propriété constatable, et l’on chercherait en vain, à moins d’accepter les nouveaux mythes, à puiser dans l’ego la certitude de ce qu’il est, ad finitum. Est-ce à dire que nous ne sommes rien ? Non, bien sûr. Mais c’est dire que l’accès à nous-mêmes n’est pas la voie royale de l’introspection, pas plus que nous ne constituons les choses qui nous entourent en combinant nos vécus, car notre conscience n’est pas solipsiste. Elle est celle d’un être-au-monde, qui vit certes dans des possibilités, c’est-à-dire activement, mais dont les possibilités ne peuvent tomber du ciel — si l’on me passe l’expression... —, pas plus qu’elles ne jaillissent des jets arbitraires de notre pensée. La déterminité de l’homme réside dans sa situation et dans l’action qu’il exerce. Être-du-monde, être fini, et non sujet infini, l’homme doit s’identifier avec certaines des possibilités que lui offre le monde, et projeter le schème, la figure, de tout étant possible, cela d’abord afin de vivre. Non comme le ferait un intuitus originiarius créateur, mais comme le fait le peintre projetant un tableau, nous dit Patočka, avec la même objectivité.

Le mouvement de l’existence humaine

26Ici, l’auteur tchèque opère à mon sens un double tour de force :

271. Il libère la pensée, tout d’abord, du subjectivisme auquel la phénoménologie de Husserl avait fait retour, menant une anthropologie qui en avait fini avec son objet avant même d’avoir commencé, puisqu’il était déjà décidé que l’homme est une res cogitans — certes dans une version modernisée...

282. Ce faisant, il nous ouvre à une entente enfin historique, c’est-à-dire problématique de l’homme, dont l’historicité consiste — rappelons-le — dans ce devoir-se-rapporter-à-soi qui négativement nous caractérise, mais est notre originaire liberté. Une liberté finie, dépendante, vouée au monde comme à l’espace de son mouvement, de sa réalisation, et qui pour cela même se révèle d’abord comme liberté active, pratique. Je ne vois pas le monde dans l’abstraction d’une égoïté sûre d’elle-même, mais bien d’abord comme le lieu où ma vie doit devenir possible. Ce qui veut dire que c’est avant tout de manière pratique et vitale que je m’y rapporte, et non avec l’indifférence d’une conscience solipsiste et étrangère. C’est dans ce rapport même, rapport au plus haut point intéressé donc, que je rencontre les autres et les étants qui ne sont pas des « autres », afin de me rapporter à moi-même à travers eux.

29Il ne suffit donc pas de s’absorber dans la sphère des vécus, celle de l’ego, pour comprendre quelque chose à cet être que nous sommes et à ses possibilités, « car il n’y a “dans” l’ego comme tel rien à voir. On ne voit l’ego, on ne peut rendre l’ego visible, nous dit Patočka, qu’à travers ce dont il se préoccupe, à travers ses projets et son action dans la sphère phénoménale ». En bref, ajoute-t-il dans une phrase qui à elle seule pourrait résumer le sens d’une phénoménologie asubjective : « ce n’est pas l’observation du subjectif qui donne à connaître la manière dont l’objet se constitue. Au contraire, c’est en observant l’objectivement phénoménal qu’on apprend, comme dans une image inversée, à connaître le sujet [2] ». Si vous n’étiez pas convaincu, sans doute faudrait-il prendre le temps de vous demander si une fois seulement votre vécu s’est révélé transparent à vous-mêmes...

30Ce qui se gagne par ces coups de force, c’est une entente radicalement neuve du mouvement de l’existence humaine. Celle-ci est mouvement au sens premier d’une expérience, c’est-à-dire d’une vie non-donnée, mais à réaliser. Vie d’un être qui doit choisir — d’un choix pré-théorique, parmi les possibilités en lesquelles le monde lui offre l’insertion en son sein. Ces possibilités ne sont pas closes, rien ne nous permet de les considérer comme telles, si nous prenons justement au sérieux la notion d’expérience. Mais s’identifier avec une possibilité, c’est toujours en laisser échapper d’autres. L’ensemble de ces possibilités que nous avons en un sens « choisies », tel est notre monde naturel, celui qui se retrouve au fil d’une anthropologie philosophique mise en branle. Mais parler de possibilités, ne l’oublions jamais, implique qu’il y a d’autres possibles, même si la seule pensée ne saurait les projeter...

31Mais la vie est encore mouvement, en un sens plus strict, quoiqu’indissociable du premier, en tant qu’elle se déploie d’abord comme existence corporelle. Si je suis en effet au-monde, c’est-à-dire fini, et ai à prendre en charge cette vie qui m’est donnée avec son terme, c’est avant tout par l’action que je m’individue. Or l’agir, la sphère praxique, repose sur ce premier « je peux » qu’est mon corps. La corporéité, et le point est essentiel, retrouve ici la place insigne que le subjectivisme — dans toutes ses variantes — n’a cessé de lui dénier. Il n’y pas d’action sans corps, pas plus qu’il n’y a de pensée sans corps pour Patočka, car se dessaisir du corps subjectif est encore une manière de s’y rapporter. C’est par lui que je m’enracine dans le monde, y modèle cette place à chaque fois mienne et toujours à reconquérir, là même où je voudrais l’oublier. Il est ce lieu où le soin me revient de la vie qui m’est donnée en partage, il est le lieu où cette vie m’est présente. Lieu qui s’individue lui-même, se gagne comme corps subjectif dans le premier mouvement de l’existence qui est l’acceptation dans une communauté d’hommes nécessaire à cet « animal malade » que je suis, animal fragile parce que pesant toujours déjà de sa propre charge, en regard d’une totalité dont la prescience a toujours quelque chose d’effrayant. Ce mouvement de l’enracinement, qui nous permet enfin de comprendre la communauté de la constitution je-tu-ça, et de déplacer le problème de l’intersubjectivité, est pour Patočka le premier mouvement de l’existence. Ce mouvement qui tisse l’ensemble de notre vie, et dont nous retrouvons parfois le premier éclat, l’infinie chaleur, dans la sexualité, ne disparaît pas avec les autres mouvements. Parler de réalisation, dans un sens non strictement téléologique — puisque la seule liberté de la charge est native — revient en effet à comprendre le mouvement de l’existence comme unitaire : les mouvements ne se succèdent pas mais s’interpénètrent, comme des possibles qui ne sauraient exister sans leurs précédents, bien qu’en un sens ils les dépassent. La vie humaine, qui est d’emblée existence, ne se déroule pas, mais s’accomplit.

32Ainsi, le second mouvement de l’existence qu’est le dessaisissement de soi dans le travail n’est possible qu’à partir de ce cercle primordial qu’est le rapport à d’autres humains en lesquels je m’enracine au sens propre. Dans le travail, qui est l’extension nécessaire à la sphère du besoin que couvrait le premier mouvement, ce rapport aux autres prend cependant encore une nouvelle dimension : celle d’un rapport de forces, inhérent au caractère de dehors qu’a la sphère non-domestique du travail. Dans ce mouvement, mon existence fait cette fois face à ce que la chaleur écartait dans le foyer de l’acceptation nous menant à nous-mêmes comme individu, par cette longue gestation, maturation de soi, que ne connaît aucun animal. À quoi fait-elle face dans ce second mouvement ? À ce pour quoi lutte il y a, et qui nécessitait déjà la communauté première : à la mort contre laquelle on lutte, mais qui ici ne connaît plus de chez-soi où se taire. C’est ce rapport à soi et aux autres comme forces finies, né du rapport à soi comme à un être en état de nécessité que le chez-soi ne peut jamais abolir, qui nous ramène au caractère chosique de la vie. C’est aussi lui qui rendra possible l’extension de ce rapport des hommes à un dehors : le pouvoir, l’organisation sociale, la propriété, etc. ; et là se dévoile une tension ultime de la vie qui finit par lutter contre elle-même, paradoxalement au moment où nous l’oublions en luttant contre la mort. Alors apparaît le danger de la mortification, d’une mort qui s’est emparée de la vie derrière notre dos, allant jusqu’à la vider de son sens sous prétexte de la prolonger, d’assurer la répétition de l’identique, qui est la face visible de notre tendance à l’esquive.

33Mais justement, ce second mouvement qui nous écarte de nous-mêmes est la source depuis laquelle nous objectivons aussi le monde et tentons de le soumettre mécaniquement à nos forces. Si ce mouvement donc, est bien pour Patočka la pierre de touche de cette sur-civilisation reconnue comme crise au début de notre propos, on ne saurait en conclure la vanité, ou pire la négativité. Il n’y a ici rien à juger, puisque ce mouvement en soi est la possibilité qui s’est offerte à nous de combattre cet état de nécessité, que le mythe de Prométhée avait tôt reconnu. Ce qu’il faudrait saisir, a contrario, sont peut-être les faces de Janus de ce mouvement, qui peut être la réponse adéquate à l’appel de la vie, mais peut aussi devenir la destruction de la vie, alors même qu’il veut au plus haut point la conserver. Dans le rapport chosique et objectif, ou du moins si ce rapport devient le tout de notre activité, ce qui est peut-être devenu le cas à l’ère technique, ce n’est pas la vie comme telle qui se perd, mais c’est le rapport vivant à nous-mêmes. C’est l’expérience que nous sommes qui ainsi se voile..., en ne se jouant plus qu’au présent qui est la temporalité propre à ce mouvement. Présent de l’étant là-devant, qui dénie le passé d’un chez-soi, et clôt l’avenir d’un ailleurs.

34Mais ici même où l’on reconnaît aisément une pensée d’obédience heideggérienne, Patočka prend aussi ses distances, en reconnaissant — je simplifie à outrance — qu’une troisième possibilité s’est ouverte, et reste ouverte, en tant qu’elle relève du seul donné à la racine de notre vie. Ce possible qui est le possible de tous les autres, c’est le rapport à la totalité qui nous est co-originaire, le rapport à l’apparaître. Reste à savoir si ce rapport au tout de l’être se fait troisième mouvement de l’existence, en devenant rapport explicite et vertigineux à la totalité, assomption dont la philosophie et la politique ont montré le caractère réal, ou bien si notre vie continue de se jouer contre elle-même, c’est-à-dire dans la lutte contre la finitude qui en porte le sens. Car notre finitude est certes ce qui donne sens et motive déjà les deux premiers mouvements de l’existence, mais de telle sorte qu’elle se tait dans la paix offerte par l’enracinement, et se voit refusée dans le prolongement de soi par le travail.

35Le troisième mouvement de l’existence consiste justement, et au contraire, à se réclamer de la finitude, non dans la proclamation d’un quelconque nihilisme, mais dans l’assomption du sort fini qui nous échoie. Ici seulement, par cette adhésion à notre mortalité, devient possible l’éveil au caractère authentique de la vie, et partant son renouveau, c’est-à-dire le dépassement de la mortification. Non dans la visée d’un faux infini donc, mais bien au contraire dans la reconnaissance de l’appel que la vie dépendante qui est nôtre nous adresse depuis toujours. « Appel qui, dira Patočka, nous somme d’assumer, en y adhérant, ce à quoi, en tant que sort fini, nous ne pouvons échapper, ce qui nécessairement advient, mais qui pour cette raison même nous donne la possibilité de ne pas nous gaspiller, de ne pas nous fragmenter dans tout ce qui tend toujours à détourner notre regard de ce que nous sommes [3] ». Mais parce que l’éveil est éveil à la finitude, il ne peut lui-même qu’être et rester lutte. La liberté qui s’y joue ne saurait donc avoir le visage lumineux et idéal qu’offrait le rationalisme progressiste des Lumières. Son visage, s’il fallait le dessiner, se composerait plutôt des traits d’un Socrate et de ceux d’un Jünger... Étrange parenté sans doute, mais qui me semble dévoiler la double polarité du troisième mouvement de l’existence, et la double dissidence pato?kienne. Conjointement philosophique et politique, comme la reprise de l’appel légué par la commune naissance dont Socrate fut le contemporain et le porteur, la possibilité du troisième mouvement se déploie tout autant dans l’expérience du front que dans celle de la pensée. Et si la figure dérangeante de l’auteur du Travailleur a ici toute sa place, c’est parce que le rôle du combattant, qui est la pointe extrême de toute lutte extrinsèque, nous offre l’occasion de saisir ce qu’est la lutte au sens le plus profond. Elle est l’exposition à un péril absolu, où tout est menacé, et est rendu à sa problématicité originaire. Alors que dans la lutte le sol se dérobe à proprement parler sous nos pieds, et que l’abîme croît, le tout de l’étant devenant une question, toujours suspendue et toujours à reprendre, le penseur et l’acteur se rejoignent dans un sacrifice de soi qui n’attend rien en retour, si ce n’est la possible ouverture à un « plus-haut ». Disons que la pensée et l’action de Patočka qui nous occupent aujourd’hui prennent tous deux leur sens plein à la lecture de ce troisième mouvement : elles en sont déjà des réalisations. Et, faut-il le rappeler, bien avant la Charte 77, l’enseignement même du penseur, dans le jeu de la clandestinité, relevait de cette fondamentale dissidence, où toute norme se fait question.

36Par cette trop rapide et schématique lecture du mouvement de l’existence humaine, qui rassemble les premiers jalons de l’anthropologie philosophique menée par Patočka, nous retrouvons le premier problème qui fut le nôtre : celui de l’histoire. Car ici même, l’auteur des Essais hérétiques permet de repenser avec force un sens de l’histoire qui se dégage depuis la dé-couverte de l’historicité. Tous les peuples, tous les hommes sont historiques au sens de l’historicité, puisqu’en tant que finis, nous sommes essentiellement temporels, mais tous n’ont pas une histoire. L’histoire en ce second sens n’est pas encore, et ne sera jamais celle de la tradition des systèmes historiques. Elle dit, plus modestement et plus radicalement, conviant ainsi l’anthropologie philosophique à sa dernière tâche, que l’histoire est l’explicitation de notre rapport problématique à la totalité, advenant comme troisième mouvement de l’existence. Elle est la mise à nu de la problématicité qui sommeille en nous, et dans le monde en tant que monde.

37Et cette problématicité qui est comme au sommet de nos possibles, mais en est aussi à la racine parce que nous sommes un être vivant dans des possibilités, nous semble être la répétition — en-deçà de tout subjectivisme — du sens kantien de la philosophie. Et autant le dire tout de suite, ici se situe l’enjeu propre de l’anthropologie philosophique, qui est, en deux mots : la possibilité d’une nouvelle philosophie pratique.

La répétition kantienne de l’anthropologie

38Pour le comprendre, il faut enfin revenir au fait même que Kant est le premier penseur à saisir et à appeler de ses vœux une anthropologie philosophique. Plus que l’appeler, il en dévoile le site dans son cours sur la Logique. La chose y est dite clairement, même si elle n’est pas simple : les trois questions de la métaphysique spéciale (que puis-je savoir ?, que dois-je faire ?, que m’est-il permis d’espérer ?) se rapportent à une quatrième question : qu’est-ce que l’homme ? Et Kant va encore plus loin, puisqu’il ajoute que l’ensemble de la métaphysique peut être mis « au compte de l’anthropologie ». Qu’est-ce à dire ? Non seulement que la cosmologie, la psychologie, et la théologie rationnelles, mais aussi déjà l’ontologie, se rejoignent et se rassemblent dans la question de l’être de l’homme. Ce qui ne signifie pas bien sûr que la question de l’être, voire celle de Dieu en personne, soient toujours et encore des questions se limitant à ce que nous savons de nous-mêmes. Tout au contraire, Kant dévoile ainsi que la métaphysique se rapporte au questionnement d’un étant qui au fond ne se sait pas lui-même, n’est pas en possession de soi, mais a à être, et pour cela s’accable de questions, est — quoi qu’il en ait — ouvert à l’être de l’étant.

39L’homme est un problème, voilà ce à quoi Kant nous rappelle enfin, à rebours de toute la scolastique. Et être à soi-même un problème, cela ne fait qu’un, est inséparable, du fait que pour cet étant que nous sommes l’être devienne question. La convergence de la métaphysique spéciale dans la question de l’être de l’homme fait donc signe vers une anthropologie philosophique trouvant son sens dans la métaphysique générale, c’est-à-dire dans l’ontologie. Or, ceci révèle le lien primordial que nous devons à Kant d’avoir découvert mais non « résolu » ou plutôt traité : le lien entre l’objet de la métaphysique — l’être, et l’être même de l’homme. Comme le dira Heidegger, le questionnement du « fondement » de la métaphysique par Kant ne dit pas autre chose que ceci : la métaphysique elle-même, c’est-à-dire la pensée de la transcendance, est le vivre authentique de l’homme. Et Patočka, lui non plus, ne dit pas autre chose, lorsque, parvenant à une entente de l’histoire comme assomption de la problématicité, il nous renvoie à la naissance commune de la philosophie et de la polis. « Philosopher, nous dit-il, c’est une possibilité donnée avec l’homme, avec l’acte de la liberté humaine [4]. » Le philosopher est cette liberté en acte.

40Questionner le fondement de la métaphysique, c’est-à-dire rentrer dans un rapport critique avec le non-étant, avec la transcendance, c’est donc questionner l’être de l’homme. C’est même, faut-il ajouter, quand le risque est pris de questionner ce fondement, que l’être de l’homme redevient un problème. Métaphysique et anthropologie, c’est finalement tout un, puisque seul un être fini, mondain — dont la sensibilité a donc un sens ontologique — a besoin d’ontologie. A besoin de questionner l’être, et ainsi son pouvoir, son devoir, et son espoir. Demander comment la métaphysique est possible, c’est-à-dire la mener comme questionnement transcendantal, c’est donc demander et commencer par là à répondre à et de l’être de l’homme !

41C’est cette nécessité, ce chemin transcendantal que Patočka répète, allant jusqu’à déceler et mener à bien ce qui chez Kant est finalement resté lettre morte. Puisque, nous le savons, l’auteur de la Critique, malgré cette découverte immense, n’aura professé et écrit qu’une anthropologie empirique, intitulée Anthropologie du point de vue pragmatique. Patočka relève le défi laissé par Kant, en unissant à nouveau ontologie et anthropologie, puisqu’il assigne, comme double questionnement à l’anthropologie philosophique, la question de l’essence de l’être à même d’avoir une histoire, et celle de l’histoire du monde. L’ontologie qu’il mène n’est plus fondamentale, puisqu’ici la question de l’apparaître, de l’être, ne fait plus qu’un avec celle du mouvement de l’existence, lui-même pris en vue en sa totalité, depuis son ancrage vital et pratique. J’ai tenté d’esquisser rapidement la manière dont l’auteur tchèque déploie ce questionnement à double entrée.

42Et j’aimerais conclure en montrant que cette double entrée est solidaire, comme chez Kant, d’une double vue, ou peut-être d’un troisième œil, d’abord jeté sur la crise qui nous concerne. Après Kant, en effet, Patočka re-lit dans les Essais hérétiques la communauté du projet mathématique de la nature et du renouveau de la preuve ontologique, celle-là même que le sujet husserlien va contre toute attente mener à sa perfection... Et ce qui lui permet, à mon sens, de dévoiler et d’éviter l’écueil qui paralysera Husserl, c’est l’unité, au cœur de sa pensée, du questionnement ontologique et pratique. Si Patočka radicalise donc Kant, c’est pour avoir été fidèle au sens que ce dernier donna à la métaphysique. Une métaphysique de la vie, à la fois morale et téléologique, laissant derrière elle le sens scolastique de la philosophie (la science pour elle-même), au profit de sa notion cosmique (Weltbegriff) : la science eu égard aux fins de la raison humaine. Le sens cosmologique de la pensée kantienne me semble ici dans une affinité essentielle avec ce que l’on a coutume d’appeler la « cosmologie pato?kienne ».

43Et une phrase de Kant, écrite alors même qu’il termine son Anthropologie, aurait presque pu naître sous la plume de Patočka. Kant y résume son trajet : « Ce n’est pas l’examen de la nature de Dieu, de l’immortalité, etc., qui a été mon point de départ, mais l’antinomie de la raison pure : « Le monde a un commencement — Il n’a pas de commencement, etc., jusqu’à la quatrième : Il y a une liberté en l’homme — contre : Il n’y a pas de liberté, tout est, au contraire, en lui nécessité naturelle » ; c’est cette antinomie qui m’a d’abord réveillé de mon sommeil dogmatique et m’a conduit à la Critique de la raison pure afin de supprimer le scandale de la contradiction apparente de la raison avec elle-même » [5]. J’ajouterai seulement que — contrairement à Kant —, Patočka tente bien plus de relever le scandale, comme on relève un défi, que de le réduire. La pensée, elle aussi, reste essentiellement lutte...

Notes

  • [1]
    « Comme je l’ai dit, j’apprécie particulièrement les citations quand cela sent le roussi… Peut-être un instinct nous presse-t-il à prendre un joyau dans notre main quand la destruction menace. C’est aussi une obole », E. Jünger, in Sauts de temps.
  • [2]
    J. Patočka, Qu’est-ce que la phénoménologie, Millon, Grenoble, 2002, p. 186.
  • [3]
    J. Patočka, Le monde naturel et le mouvement de l’existence humaine, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1988, p. 44.
  • [4]
    J. Patočka, L’Europe après l’Europe, Verdier, Lagrasse, 2007, p. 151.
  • [5]
    In Correspondance, lettre à Garve du 21 septembre 1798, Paris, Gallimard, 1991, p. 705.
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