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Article de revue

Salomon Maïmon : amour de la vérité et parole contrainte

Pages 141 à 164

Notes

  • [1]
    H. Arendt, « La tradition cachée », in La Tradition cachée, trad. S. Courtine-Denamy, Bourgois, 1987, p. 181.
  • [2]
    Ibid., p. 220.
  • [3]
    Salomon Maïmon, Histoire de ma vie, ci-après HV, traduit, présenté et annoté par M. R. Hayoun, Berg international, 1984, p. 229.
  • [4]
    Lettre de Maïmon à Kant, 7 avril 1789, in Emmanuel Kant, Correspondance, trad. M. C. Chailliol et alii, Gallimard, 1991, p. 342.
  • [5]
    S. Maïmon, HV, p. 229.
  • [6]
    Ibid., p. 55.
  • [7]
    Cf. Zwi Batscha, « Vorwort », in Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, Francfort sur le Main, 1984, p. 339, sq.
  • [8]
    Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975.
  • [9]
    Ibid., p. 29.
  • [10]
    Cf. Conrad Wiedemann, « Zwei jüdische Autobiographien im Deutschland des 18. Jahrhunderts. Glückel von Hameln und Salomon Maïmon », Juden in der deutschen Literatur, dir. S. Moses, Albrecht Schöne, Suhrkamp, 1986.
  • [11]
    S. Maïmon, HV, p. 226.
  • [12]
    Jean-Jacques Rousseau, « Préambule au manuscrit de Neuchâtel », Œuvres complètes I, Gallimard, Pléiade, 1981, p. 1150.
  • [13]
    Christopher Miething, « Gibt es jüdische Autobiographien ?», à paraître in Zeitgenössische Jüdische Autobiographie, dir. C. Miething, Tübingen, Niemeyer, 2003.
  • [14]
    S. Maïmon, HV, p. 227.
  • [15]
    Ernst Cassirer, Les Systèmes post-kantiens. Le problème de la connaissance dans la philosophie et la science des temps modernes, Presses universitaires de Lille, 1983, p. 68.
  • [16]
    Cf. Conrad Wiedemann, op. cit., pp. 107-109.
  • [17]
    S. Maïmon, Essai sur la philosophie transcendantale, trad. J.-B. Scherrer, Vrin, 1989, p. 39.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Ibid., p. 108.
  • [20]
    Ibid., p. 210.
  • [21]
    S. Maïmon, HV, p. 230.
  • [22]
    Cf. l’analyse de Conrad Wiedemann, op.cit., p. 104.
  • [23]
    talmid haham : nom donné traditionnellement au docteur de la loi, tout à la fois érudit et sage.
  • [24]
    S. Maïmon, HV, p. 161.
  • [25]
    Ibid., p. 222.
  • [26]
    Ibid., p. 55.
  • [27]
    Pour une référence directe au cynisme, cf. p. 132 sq.
  • [28]
    Diogène Laërce, Vies et doctrines des hommes illustres, trad. M. O. Goulet-Cazé, Le Livre de poche, 1999, p. 720.
  • [29]
    S. Maïmon, HV, p. 165.
  • [30]
    Zwi Batscha, op. cit., p. 363.
  • [31]
    S. Maïmon, HV, p. 70.
  • [32]
    Ibid., p. 181.
  • [33]
    Ibid., p. 173.
  • [34]
    Ibid., p. 204.
  • [35]
    E. Cassirer, op. cit., p. 67.
  • [36]
    S. Maïmon, HV, p. 176.
  • [37]
    Ibid., p. 229.
  • [38]
    Sur ce point, cf. Liliane Weissberg, « Erfahrungsseelenkunde als Akkulturation : Philosophie, Wissenschaft und Lebensgeschichte bei Salomon Maïmon », in Der ganze Mensch : Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert, dir. H. J. Schings, Stuttgart, Metzler, 1994, p. 304.
  • [39]
    S. Maïmon, HV, p. 162.
  • [40]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 346.
  • [41]
    S. Maïmon, HV, p. 176.
  • [42]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 346.
  • [43]
    Ibid., p. 347.
  • [44]
    S. Maïmon, HV, p. 192.
  • [45]
    On retrouve ici la proximité Maïmon-Diogène.
  • [46]
    Cf. Z. Batscha, op. cit., p. 347.
  • [47]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 347.
  • [48]
    S. Maïmon, HV, p. 194.
  • [49]
    Ibid., p. 198.
  • [50]
    S. Maïmon, ibid., p. 202.
  • [51]
    Sur cette institution, cf. Z. Batscha, op.cit., p. 371.
  • [52]
    S. Maïmon, HV, p. 209.
  • [53]
    Ibid., p. 230.
  • [54]
    Herzl, cité par H. Arendt, « Réexamen du sionisme », in Auschwitz et Jérusalem, trad. S. Courtine-Denamy, Tierce, 1991, p. 112.
  • [55]
    H. Arendt, « Réexamen du sionisme », op.cit., p. 113.
  • [56]
    S. Maïmon, HV, p. 212.
  • [57]
    Ibid., p. 304.
  • [58]
    K. P. Moritz, « Vorbericht des Herausgegebers », in Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, op. cit., p. 7.
  • [59]
    Mirabeau, Sur Moses Mendelssohn. Sur la Réforme politique des juifs (1787), EDHIS, 1968, p. 28.
  • [60]
    S. Maïmon, HV, p. 127.
  • [61]
    Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, op. cit., p. 225. Cette partie n’est pas traduite dans l’édition de M. R. Hayoun.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Ibid., pp. 226-227.
  • [64]
    Ecrit en caractères hébraïques, comme le yiddish.
  • [65]
    S. Maïmon, HV, p. 222.
  • [66]
    Ibid., p. 223.
  • [67]
    Ibid., p. 283.
  • [68]
    Ibid., p. 68.
  • [69]
    Ibid., pp. 81-82.
  • [70]
    Ibid., p. 217.
  • [71]
    S. Maïmon, Essai sur la philosophie transcendantale, op. cit., p. 38.
  • [72]
    Cf. S. Maïmon, « “Giv’at Ha-Moré” ou le Commentaire hébraïque du “Guide des égarés” de Maïmonide », in Commentaires de Maïmonide, trad. M. R. Hayoun, Cerf, 1999, p. 150.
  • [73]
    S. Maïmon, HV, p. 224.
  • [74]
    Ibid., p. 190.
  • [75]
    Ibid., p. 195.
  • [76]
    Cf. HV, p. 233.
  • [77]
    Moïse Maïmonide, Le Guide des égarés, I, 2, trad. S. Munk, Verdier, 1979, p. 31.
  • [78]
    S. Maïmon, HV, p. 248.
  • [79]
    M. Maïmonide, op. cit., p. 33.
  • [80]
    Ibid., I, 52, p. 116.
  • [81]
    S. Maïmon, HV, p. 256.
  • [82]
    Ibid., p. 289.
  • [83]
    Ibid., p. 294.
  • [84]
    Liliane Weissberg, op. cit., p. 307.
  • [85]
    H. Arendt, « L’“Aufklärung” et la question juive », in La Tradition cachée, op. cit., p. 21.
  • [86]
    C. Wiedemann, op. cit., p. 102.
  • [87]
    H. Arendt, La Tradition cachée, op. cit., p. 190.

1Les poètes, les écrivains et les artistes juifs qui ont, selon Hannah Arendt, expérimenté l’ambiguïté de la liberté de l’émancipation, ont conçu « la figure du paria [1] » en tant que figure du peuple juif. Dans une telle occurrence, « paria » ne désigne pas tant l’objectivité d’une situation sociale ou politique que son élaboration ou sa métaphorisation par la poésie ou la littérature. C’est pourquoi la figure du paria ne se décline qu’au pluriel : d’une génération à l’autre, elle donna lieu, selon Arendt, à différentes « conceptions ». Ainsi Henri Heine inventa le « seigneur du monde des rêves », Charles Chaplin, le « suspect », Franz Kafka, « l’homme de bonne volonté ». Seul Bernard Lazare, utilisant explicitement le terme, fit du paria une catégorie directement politique, le « paria conscient ». L’« homme de bonne volonté » est la dernière de ces figures. Elle fut imaginée par Kafka juste avant le moment où « les fondements politiques du judaïsme européen [furent] foulés aux pieds au point de disparaître », faisant perdre tout sens à l’« échappatoire individuelle [2] » que la posture de paria avait rendue possible. Dans le texte d’Arendt, le premier nom de cette tradition cachée de la modernité n’est pas Heine mais Salomon Maïmon. Arendt ne lui consacre cependant aucune étude et, à ma connaissance, cette occurrence est la seule dans toute son œuvre, alors même qu’à la différence de Heine, Kafka, Lazare et Chaplin, Maïmon est le seul philosophe.

2Il y aurait donc une conception maïmonienne du paria. Pour la dégager, il faut partir de la façon dont Maïmon se présente, de son mode de subjectivation :

« Je ne suis, certes, ni un grand homme, ni un philosophe mondain, ni un plaisantin ; au cours de mon existence, je n’ai pas non plus étouffé une dizaine de souris à l’aide d’une pompe à air, ni torturé une seule grenouille, ni même électrocuté un seul petit bonhomme [...]. J’aime la vérité et lorsqu’il s’agit d’elle, je ne recule pas même devant le diable [3] ».

3La plupart du temps Maïmon précise que ce désir est né chez lui « dans les forêts lithuaniennes [4] », ou encore que c’est pour se consacrer à la recherche de la vérité qu’il a quitté « sa Nation, sa patrie et sa famille [5] ». Sa « patrie » est la Pologne du XVIIIe siècle et sa « Nation » la Nation juive. En Pologne, écrit Maïmon, « le seul nom de Juif constitue une abomination héritée des siècles de la barbarie [6] ». Dans un pays où tout le monde hait tout le monde, c’est contre eux que tous se coalisent. Quant à sa « famille », il s’agit de sa femme, épousée alors qu’il avait onze ans, et de son fils né trois ans plus tard. C’est son histoire comprise comme l’histoire de celui qui, pour rechercher la vérité, affirme ne reculer devant rien, « pas même devant le diable », que Maïmon raconte dans l’Histoire de ma vie, son autobiographie parue à Berlin en langue allemande en 1792. Les autobiographies de philosophes sont suffisamment rares pour qu’on s’attarde sur celle-ci et l’on peut faire l’hypothèse que la nécessité qui poussa Maïmon à écrire le récit de sa vie doit quelque chose à sa condition de paria.

4Philosopher a toujours été ce mouvement vers le vrai demandant que l’on s’arrache à sa culture, à ses préjugés, à ses traditions. La conscience de soi du philosophe est celle d’un être qui n’adhère pas, qui cultive le recul et se complaît dans la distance. Dans cette distance, un Moi purement philosophique se construit, forgé à l’épreuve de la critique rationnelle et radicalement abstrait de tout lien, de tout environnement concret. Aussi bien, les obstacles propres à la situation dont il cherche à s’extraire ne lui apparaissent que d’ores et déjà réduits à des abstractions contre lesquelles il argumentera. C’est ainsi que, d’un côté, Maïmon se voudra lui-même [7]. Cependant, d’un autre côté, nombreuses sont les occurrences où il éprouve le besoin de contextualiser sa quête de la vérité, car il sait que dans son cas, le pur cheminement de l’intériorité n’en rend pas exactement compte. Juif né en 1753 dans un shtetl polonais, l’appel de la vérité n’a pas été pour lui une simple conversion de l’âme, il s’est matérialisé par un départ réel, par un arrachement au lieu, aux langues de son enfance ainsi qu’à son groupe social. Le lieu de la vérité fut la Prusse plutôt que la Pologne, sa langue l’allemand plutôt que l’hébreu ou le judéo-polonais lithuanien. Mais ce n’est pas tout, car les lieux et les groupes vers lesquels il s’est dirigé partagaient aussi un préjugé hostile à l’encontre de l’environnement dont il a voulu s’extraire. Les choses se compliquent encore si l’on pense que le milieu où il a abouti ne fut pas directement celui du groupe majoritaire mais celui que formaient d’autres membres de son propre groupe, détachés eux aussi du monde et de la langue du shtetl et désireux de s’assimiler à la culture dominante au nom de la même recherche d’universalité : le milieu des Juifs éclairés de Berlin, dont la figure de proue était Moses Mendelssohn. Impossibles à intégrer dans un exposé systématique, l’ensemble de ces conditions sociales et politiques dans lesquelles le moi à vocation philosophique s’est forgé lui-même, sa lutte existentielle plus que son dispositif d’argumentation rationnel, reste extérieur au sens philosophique. Elles peuvent, en revanche, trouver à s’énoncer dans le récit autobiographique qui seul permettra d’établir une relation entre la recherche qu’inspire l’amour de la vérité et le récit d’une vie inspirée par un tel amour, nouant ainsi cette recherche avec l’engagement de sincérité du « pacte autobiographique » toujours présupposé, selon Philippe Lejeune, par ce type d’écriture [8]. Du point de vue de Maïmon, l’amour de la vérité ne se divise pas : c’est lui qui motive le travail philosophique, le récit autobiographique et même l’attitude existentielle. Vérité, véracité et franchise ne font qu’un.

5L’engagement de sincérité du pacte autobiographique doit cependant toujours se frayer un chemin tortueux au travers de contraintes diverses qui pèsent sur la parole et la mettent sous tension. C’est pourquoi, si l’attitude de Maïmon, sa franchise, ont pu jouer comme analyseur des groupes qu’il a traversés, la sincérité de son récit tient compte de la spécificité de sa situation : au tout début de l’histoire européenne de l’émancipation des Juifs, à l’interstice du monde juif polonais et du monde juif allemand, au moment où les traditions s’ébranlent sans qu’elles se soient encore effondrées, et où l’aspiration à l’émancipation voisine avec la reformulaton de l’antijudaïsme en antisémitisme moderne. Dans ces conditions, l’autobiographie qui permettait d’articuler ce que le discours philosophique marginalise, reste encore une parole contrainte. Les contraintes qui m’intéresseront ici ne seront pas celles qui s’exercent à l’insu de l’auteur, mais celles dont on peut supposer au contraire qu’elles sont assumées par lui, comme un témoignage non des limites de sa parole mais bien de sa lucidité.

Autobiographie, vérité et véracité

6La vérité ou véracité que l’autobiographie cherche à établir n’est cependant pas tout à fait la même que la vérité au sens philosophique du terme. Une autobiographie a toujours un caractère rétrospectif : faisant retour sur son itinéraire, sur sa formation, le sujet est à la recherche de l’unité qui donne sens à sa vie. Mais alors que l’unité de la vérité doit transcender la temporalité et la dispersion, l’unité de la vie de quelqu’un ne se fait entendre qu’à travers elles, elle se déploie nécessairement dans le temps, on ne peut jamais la synthétiser par une vue d’ensemble. Récit d’une vie particulière, l’unité biographique n’est, en outre, jamais un universel. Elle n’en est pas moins concernée, à sa manière, par l’universel. En termes d’exemplarité, d’une part, dans la mesure où elle peut, tout en restant singulière, aider à la constitution d’une figure. Le récit s’adresse à d’autres qui pourront y reconnaître des aspects de leur propre expérience. Une autobiographie est toujours adressée à un « cher lecteur », à la fois toi et n’importe qui, elle suppose donc l’existence d’un public, au sens kantien du terme. En cela elle est un genre moderne, car un tel public ne se constitue pas en Europe avant l’époque des Lumières [9]. C’est ce qui différencie, entre autres, l’Histoire de ma vie de Maïmon des Mémoires de Glückel von Hameln [10], et elle est généralement considérée comme la première autobiographie juive — ou du moins écrite par un Juif — de la modernité. L’autobiographie, d’autre part, a rapport à l’universel en un autre sens. Maimon lui-même la distingue des mémoires qui concernent « les grands hommes […] appelés à rendre compte des affaires d’Etat dans lesquelles ils furent impliqués, des intrigues de cour qu’ils durent déjouer, bref de leurs exploits politiques sur terre et sur mer [11] ». Point d’exploits ici, mais des « incidents apparemment mineurs de l’existence » arrivés à quelqu’un qui n’est, nous l’avons vu, « ni un grand homme, ni un philosophe mondain, ni un plaisantin ». Pour reprendre une expression de Jean-Jacques Rousseau, celui qui raconte est un « homme du peuple [12] ». En même temps, phrase rituelle, il ne s’agit pas seulement de se raconter soi, mais de contribuer à la connaissance de l’humain, selon la formule consacrée et répétée par Maïmon : homo sum, nihil humanum a me alienum puto. Toutes les autobiographies ont plus ou moins le même titre : histoire d’une vie humaine, voici l’histoire d’un homme. Surtout lorsqu’il se désigne comme homme du peuple, l’autobiographe semble dire : « l’homme c’est moi aussi ». L’autobiographie a toujours quelque chose d’incisif ou d’agressif, c’est en cela qu’elle convient au paria. Perspective de l’individu en son parcours singulier, la forme autobiographique vient à point nommé pour celui qui abandonne un monde, ses traditions et ses récits, pour pénétrer dans un monde qui ne l’attend pas et n’a pas encore de récit pouvant encadrer son itinéraire. Le paria ici est celui qui ne peut plus — ou ne veut plus — s’identifier aux rôles que prévoyait pour lui sa société d’origine, et qui ne peut pas — ou ne veut pas — s’identifier à ceux que la société qu’il cherche à rejoindre voudraient lui faire endosser. C’est pourquoi, plus que toute autre, l’autobiographie comme mode de constitution d’une figure de paria, est toujours une autopoiesis[13], une espèce de création de soi, en un temps où s’ébranlent les rôles qui donnaient auparavant un cadre à l’identité personnelle. La figure créée par Maïmon tient dans cette phrase-leitmotiv : je n’ai d’autre désir dans l’existence que la recherche de la vérité. C’est ce but affiché qui est pour lui le critère d’interprétation non seulement des événements de sa vie, mais aussi des attitudes de ceux qu’il a rencontrés, selon qu’ils furent, selon lui, des obstacles ou au contraire des éléments facilitateurs de son projet, et le récit en sera fait au risque de heurter « ma famille, ma Nation, ou toute autre circonstance [14] ».

7Aujourd’hui que s’ébranlent les assises sur lesquelles était fondé le sujet traditionnel qu’est désormais le sujet des Lumières, l’interprète contemporain, averti des débats sur la notion d’autofiction, peut chercher à montrer le caractère fictionnel de la construction de Maïmon, car il est certain que son récit n’est pas toujours aussi sincère qu’il le prétend et qu’il omet des faits un peu trop compromettants pour lui. Mais la singularité de Maïmon tient aussi en ce qu’il est à la recherche d’une homologie entre vérité, au sens philosophique du terme, et véracité au sens autobiographique, ce que nous pouvons tenter d’élucider à l’aide de ses propres textes.

8Tous les interprètes de la pensée de Maïmon se heurtent d’abord à la forme déconcertante de ses écrits qui, selon Ernst Cassirer, déploient « devant le lecteur, en des variations confuses et sous une forme abrupte et aphoristique, une abondance d’idées apparemment hétérogènes [15] ». Interpréter sa pensée implique alors un travail nécessaire de débroussaillage d’un tel maquis pour en extraire la constance et l’unité qui la dominent en réalité. L’Histoire de ma vie laisse une impression semblable. Le fil conducteur est souvent rompu ; entre deux épisodes de sa vie, Maïmon interpose des excursus philosophiques — dont le plus important est un commentaire du Guide des Egarés de Maïmonide — ou des développements sur la religion juive, le hassidisme et la kabbale. Du point de vue littéraire, le récit emprunte des formes aux auteurs les plus divers [16]. Peut-on cependant opposer le fond et la forme comme le fait Ernst Cassirer, et ne faut-il pas au contraire, donner un sens à la forme tumultueuse du travail de Maïmon ? Maïmon a toujours reconnu le caractère atypique de son discours. Autant dans son autobiographie — « Je n’ai certes pas écrit cette Histoire de ma vie en me pliant aux règles élaborées d’une bonne biographie [17] » — que dans l’Essai sur la philosophie transcendantale, par exemple — « en ce qui concerne mon style et mon exposé, j’avoue moi-même qu’ils sont très défectueux (n’étant pas Allemand de naissance ni rompu à la dissertation) ». Pourtant, tout en affirmant au début de ce même ouvrage qu’il n’écrit pas « pour des lecteurs plus attentifs au style qu’à la chose même [18] », Maïmon refuse un peu plus loin de distinguer « vérité dans le discours et vérité dans la pensée ». D’après lui, la pensée ne se laisse pas scinder de son expression : « la vérité, écrit-il, est la relation particulière [du discours] à [la pensée], ou la correspondance d’une expression à une pensée. La fausseté est le contraire, c’est-à-dire le fait qu’à l’expression aucune pensée ne corresponde [19] ». Il faut alors considérer que la littéralité du texte de Maïmon ne pose pas seulement le problème du style au-delà duquel découvrir la pensée elle-même, mais qu’elle renvoie à une articulation très particulière entre la vérité recherchée et la voie empruntée pour y parvenir. En l’occurrence, cette voie n’est pas linéaire : les étapes de l’existence de Maïmon n’ont pas suivi les grades réguliers d’un parcours académique, sa formation est un mélange de schémas traditionnels juifs et de culture profane acquise de façon quasi autodidactique. Une telle non-linéarité peut toutefois être une condition d’accès à la vérité, si celle-ci sait faire accueil au hasard et aux bifurcations imprévues. Le désir de vérité naît d’une déchirure éprouvée entre la limitation du monde sensible — où nous sommes membres de telle communauté ou citoyens de tel pays — et l’illimitation du monde intelligible auquel l’« être pensant » se sent appartenir de façon cosmopolitique. Ce décalage, cet écart, poussent l’être à se mettre en route pour trouver un passage de l’un à l’autre. Peu importe ici l’achèvement, seules comptent les découvertes faites en chemin, autres que ce qui est recherché mais qui ne seraient jamais advenues si l’« être pensant » n’avait pas toujours cherché le passage vers le monde intelligible :

« Et supposé même qu’il ne le trouve jamais, il peut toutefois par sa recherche incessante découvrir d’autres vérités (qui sont peut-être d’une importance moindre mais importantes néanmoins et dignes de recherche) un peu comme l’alchimiste qui cherchait de l’or […] et a trouvé le bleu de Prusse [20] ».

9Tout est donc dans le passage et l’attention à ce qui advient dans le passage, à ces vérités imprévues mais fondamentales.

Les fruits amers de la franchise

10Contrairement à Rahel Varnhagen, la vie de Maïmon n’est pas hantée par une judéité, objet à la fois de honte et de fidélité. Son problème est de vivre une vie conforme à son désir de vérité, et son maître mot sur ce point est la « franchise [21] ». Mais, dans la situation historique où il tenta de réaliser ce désir, la façon dont il s’y est pris a fait de sa vie un incessant déploiement de paradoxes voire d’impasses [22]. Parallèlement à cela, sa vie est exemplaire du passage d’un statut de talmid haham[23] à celui, en gestation, d’intellectuel juif.

11Premier paradoxe de la vie de Maïmon : alors que la recherche de la vérité ne pouvait signifier pour lui que la Prusse et la langue allemande, on s’aperçoit qu’au bout du compte, il n’a circulé que tardivement dans les cercles intellectuels prussiens, l’essentiel de son périple s’étant effectué dans les groupes dominés qu’étaient les groupes juifs, tant en Pologne qu’en Prusse. Il s’y trouva cependant constamment en « porte à faux [24] », mais c’est précisément cette position qui en fit un analyseur de ces groupes, un révélateur des rapports de domination qui les structurent, un sociologue en quelque sorte.

12Comme l’écrit Maïmon, « La Nation juive a toujours été une aristocratie sous l’apparence d’une théocratie [25] », aristocratie non de la naissance ou de la richesse, mais des docteurs de la loi détenant le monopole de l’interprétation des Ecritures. Leur prestige est tel que les gens incultes les hébergent et leur donnent leurs filles pour épouses, lesquelles « subviennent aux besoins de leur époux sacré et des enfants [26] ». Tout destinait Maïmon à être un érudit réputé et respecté, et c’est ce statut qui lui assura sa subsistance, même une fois parti de Lituanie. S’il décrypte toutefois le rapport des érudits aux incultes comme un rapport de pouvoir d’une minorité sur une majorité, c’est qu’il n’est pas dupe des servitudes et des mensonges que cette position implique souvent. Il est conscient de tout cela, mais il sait aussi qu’il dépend de la communauté pour sa subsistance. Et c’est bien cette lucidité qui, poussée à la limite, le mettra dans une situation impossible : impossible de continuer à être un talmid haham sans pouvoir être autre chose. Tout en sachant qu’il dépend des réseaux traditionnels de solidarité pour vivre, il y a toujours un moment où il casse lui-même la manne, dans les occasions où le prestige est fondé sur de la supercherie. Maïmon est une espèce de Diogène juif [27], cherchant à guérir ses contemporains de la superstition par des comportements dévastateurs accompagnés de formules-choc, comme s’il voulait briser le transfert qui s’effectuait sur sa personne. Mais contrairement à Diogène qui était « aimé des Athéniens [28] » dans ses provocations mêmes, les actes de Maïmon finissent toujours par briser le soutien dont il bénéficiait.

13Cette première façon d’être en porte à faux dévoile les rapports de domination des sociétés juives traditionnelles. Mais son aventure va lui faire découvrir un autre type de rapports qui oppose cette fois les Juifs riches et éclairés aux Juifs pauvres et traditionalistes, préfigurant la distinction qui prévaudra après l’émancipation entre parvenus et parias. Lorsqu’il se rend pour la première fois à Berlin, pris dans la foule des indigents venus de Prusse orientale, il espère y être accueilli pour ce qu’il voulait être : un homme éclairé désireux d’apprendre la médecine et auteur d’un commentaire en hébreu du Guide des égarés de Maïmonide. C’est avec franchise qu’il répond aux notables de la communauté, chargés de filtrer les indigents aux portes de Berlin, mais cette franchise, nullement provocatrice à ses propres yeux, se retourne cependant contre lui. Loin d’être accueilli comme il l’imaginait par la ville de la Haskala, un « rabbin polonais […] qui voyait luire la lumière de la raison [29] » suscite au contraire la méfiance. Voilà Maïmon renvoyé à l’état de mendiant. C’est que, pour les Juifs éclairés en voie d’assimilation, peu soucieux de respect rituel pour eux-mêmes, les Juifs polonais représentaient à la fois ce dont ils cherchaient à se distancer et un arrière-plan de tradition et de religiosité qu’ils voulaient maintenir, mais pour les autres. Comme l’écrit Zwi Batscha, un rabbin polonais devait forcément être un « sage plongé uniquement dans l’étude des Ecritures saintes » et « un rabbin qui espérait trouver les Lumières à Berlin » ou « un érudit polonais qui au lieu de montrer sa grande piété, recherchait un savoir profane [30] » étaient nécessairement suspects, d’autant plus que les Juifs de Berlin avaient coutume de s’adresser à des rabbins polonais pour qu’ils soient les précepteurs de leurs fils. Après cette première tentative d’entrée à Berlin, Maïmon n’est pas en porte à faux, il est carrément rejeté.

14On peut se demander cependant — autre paradoxe de la vie de Maïmon — si sa volonté de vérité, sa quête infinie de savoir, sa curiosité, n’ont pas été au fond soutenues par certains éléments de la tradition juive. Du fait, tout d’abord, du système de valeur de la communauté qui ne place pas la richesse mais le savoir en haut de sa hiérarchie. Très significatif à cet égard est le rapport de Maïmon à son père, érudit lui-même et piètre homme d’affaires, qui lui fait lire la Bible à l’âge de six ans, de sorte que Maïmon, enfant prodige, fut rabbin à onze ans. C’est pourtant dans la bibliothèque de son père qu’il trouve les livres officiellement interdits par l’éducation des yeshivot, en particulier un traité d’astronomie qu’il lit en cachette le soir dans son lit. Certes la transgression sera découverte et l’enfant s’attirera les remontrances d’usage, mais secrètement, le père ne peut s’empêcher d’éprouver de la fierté de ce que « son jeune fils était parvenu, sans aide extérieure ni formation préalable à assimiler tout un ouvrage d’astronomie [31] ». On retrouve la même ambiguïté dans l’attitude de Mendelssohn, oscillant entre un mécontentement affiché et un encouragement secret, lorsque beaucoup plus tard, Maïmon, fidèle à son parti pris de franchise, défend publiquement le renégat Spinoza :

« Mendelssohn, écrit Maïmon, qui se contentait de louvoyer et qui ne voulait pas entraver ma passion pour la recherche — dont il se réjouissait au fond de lui-même — me dit un jour que j’étais certes sur la bonne voie et qu’on ne devait pas faire obstacle au cours de ma pensée puisque — comme dit Descartes — le doute se situe au début de l’analyse philosophique sérieuse [32] ».

15Le second soutien de Maïmon n’est autre que Maïmonide. En poussant le rationalisme à sa limite, et en tordant quelque peu les textes, il justifie ses diverses provocations, puis son refus déclaré de se conformer aux rites, comme étant l’application de l’« étude sérieuse du Guide des égarés de Maïmonide (qui l’avait aidé) à bannir toute superstition [33] ». Contrairement à Rahel Varnhagen, la transgression de Maïmon pouvait prendre appui sur certains éléments de la tradition juive elle-même. De sorte que, tout en ayant été tenté par la conversion en un moment de désespoir, Maïmon ne franchit jamais le pas et choisit de rester « un juif endurci [34] », alors que Rahel Levin s’était convertie et était devenue Friedrieke Robert avant même d’épouser August Varnhagen. Certes, peu après son unique tentative manquée de conversion, Shlomo ben Joshua changea de nom lui aussi et devint Salomon Maïmon. Par là, il ne prenait toutefois pas un nom chrétien-prussien, mais il s’affiliait au grand philosophe juif Maïmonide afin de faire son entrée dans la tradition philosophique allemande, où sa philosophie est cependant restée une « manifestation isolée [35] », immédiatement éclipsée par la gloire de Fichte.

16En matière de paradoxes et d’impasses, Maïmon n’était pas au bout de ses peines, lorsqu’il tenta une seconde fois sa chance à Berlin. Grâce à la rencontre de jeunes gens « issus d’une riche famille juive [36] » à qui il peut confier son désir de s’instruire dans les matières profanes, il obtiendra la protection et le soutien matériel de leurs familles. Il se lance dans l’étude de la philosophie de Wolff, des mathématiques, de Spinoza, et finit par rencontrer Mendelssohn qui le prend en amitié. Là commence la seconde partie de sa biographie, l’histoire de sa « renaissance spirituelle [37] », le moment où il espère pouvoir enfin faire correspondre son comportement avec sa pensée. Maïmon va cependant se retrouver en porte à faux d’une tout autre manière. Car le milieu des Juifs éclairés de Berlin n’est pas seulement animé par la recherche de la raison. Certes on s’y passionne pour les discussions intellectuelles, mais c’est aussi un milieu qui se veut raffiné, par la langue et les manières, c’est une bonne société où il faut savoir paraître.

17Si, dès la Lituanie, Maïmon avait inventé une méthode de déchiffrement analogique pour apprendre tout seul l’allemand [38], lorsqu’il arrive en terre germanique, il ne comprend rien à l’allemand parlé, il s’exprime « dans un mélange d’hébreu, de judéo allemand, de polonais et de russe (sans omettre les incorrections grammaticales de toutes ces langues réunies) [39] » et il prête à rire dès qu’il ouvre la bouche. Maïmon finit pourtant toujours par séduire ses interlocuteurs dès qu’il parvient à leur montrer son érudition hébraïque ou à les prendre au jeu de son argumentation. On se plait donc en sa compagnie, le plaisir étant redoublé, selon Lazarus Bendavid, par l’impression de « découvrir une pierre précieuse sous des dehors rugueux [40] », c’est-à-dire son « étrange dialecte, (sa) naïveté et (sa) franchise [41] ». Maïmon ne connaît pas les codes, l’expression de ses sentiments ne trouve pas les médiations nécessaires. Il passe, selon Bendavid, d’une « confiance excessive à une méfiance excessive [42] ». De plus, il porte encore la barbe et son accoutrement est toujours celui d’un Juif polonais. Comment pourrait-il faire bonne figure dans les salons ? Ses amis entreprennent alors de le dégrossir, afin que la « pierre précieuse » puisse paraître extérieurement, que l’intérieur et l’extérieur correspondent. Cela passe d’abord par l’éducation du goût, il faut qu’il apprenne les beaux-arts, l’antiquité classique, le français ou l’art de la galanterie. Mais cela passe surtout par une transformation physique : on le persuade de raser sa barbe et de s’habiller « en allemand ». Bendavid décrit le caractère déplorable du résultat : loin que l’intérieur trouve enfin la forme propre à sa manifestation, il n’en résulte qu’un mélange indescriptible rendant la socialité encore plus difficile :

« même son extérieur avait ainsi beaucoup perdu et son apparence spirituelle était devenue tellement caricaturale et effrayante, que la première fois que je l’ai vu dans ses habits allemands, je n’ai pu me retenir de demander : que leur avez-vous laissé faire de vous ! […] Alors que je lui montrais ensuite l’étendue de sa perte, comment, maintenant qu’il était habillé en allemand, il allait être jugé en allemand, et comment on allait avoir des exigences à son égard qu’il ne pourrait pas satisfaire […], il se rendit compte qu’il avait agi de façon trop précipitée, se plaignit de ses amis qui lui avaient fait franchir ce pas, et assura enfin qu’il voulait se consacrer à cultiver son goût pour ne pas faire du tort à ses nombreux compatriotes [43] ».

18Sur l’instance des Juifs eux-mêmes soucieux d’assimilation, une nouvelle distinction entre l’extérieur et l’intérieur est en train de mettre en place. Il s’agit désormais de rester juif sans en avoir l’apparence. La nouvelle socialité, le nouveau milieu, rassemble éventuellement des Juifs, mais on sera entre soi sans en avoir l’air : en perruques poudrées et habits de soie.

19Le relâchement des contraintes rituelles, la transformation vestimentaire, libèrent aussi chez Maïmon, « l’instinct du plaisir des sens […] jusqu’ici refoulé [44] ». Il découvre les tavernes, les maisons de rendez-vous, il est surtout réputé pour son goût immodéré de la boisson. Enfermé des jours entiers à lire et à écrire, toujours suivi de son chien Belline qui dort dans son lit [45], Maïmon semble ne sortir de sa chambre — dont Sabbatia Wolff nous apprend qu’elle était toujours dans un désordre et une saleté indescriptibles [46] — que pour se rendre à la taverne. C’est aussi pour se justifier de tout cela que Maïmon écrit son autobiographie, pour rectifier certaines « méprises » qui ont circulé sur son compte, attribuant, avec une dose certaine de mauvaise foi, cet aspect de son personnage à de mauvaises influences, voire à un traquenard dans lequel il serait naïvement tombé. C’est que Maïmon a dépendu toute sa vie de la générosité de bienfaiteurs. De son point de vue cela était dans la continuité de son statut d’érudit traditionnel, mais un tel rapport suppose aussi une réciprocité. A Berlin, il ne s’agit pas tant d’éviter les comportements rituellement provocateurs que de se tenir bien. Une telle contrainte est d’autant plus forte qu’elle émane d’une communauté paria : le Juif doit se montrer vertueux, bien élevé, plus encore que tout autre. Rien de pire à l’époque qu’un Juif libertin. Le rapport bienfaiteur-assisté, parvenu-schnorrer, est un rapport piégé. Le résultat c’est que, selon le témoignage de Bendavid, Maïmon se met tout le monde à dos :

« L’orthodoxe lui en voulut d’avoir coupé sa barbe ; l’homme éclairé de ce qu’il était sur une mauvaise voie ; l’homme du monde que le Maïmon extérieurement allemand était beaucoup trop différent du Maïmon polonais [47] ».

20Alerté par les rumeurs, Mendelssohn finit par convoquer Maïmon pour le persuader de quitter Berlin, muni toutefois de lettres de recommandation pour Hambourg. Son profil se dessine alors : « je cherchais à propager des opinions et systèmes dangereux, et pour finir on disait que je menais une vie trop libre et que je m’adonnais beaucoup trop aux plaisirs des sens [48] ».

21C’est à partir de ce moment que les anciens repères de vie de Maïmon se détraquent définitivement. C’est la dernière fois qu’à Hambourg et La Haye, il est reçu comme un érudit traditionnel mais désormais il ne peut plus jouer le jeu. A La Haye, avant son troisième séjour à Berlin, il ose refuser publiquement de réciter la bénédiction de fin du repas à la table d’un de ses nombreux bienfaiteurs. Traité d’ « hérétique damné [49] », il se retrouve dans un entre-deux absolu : « trop éclairé » pour retourner en Pologne, « rester en Allemagne, écrit-il, me semblait tout aussi aléatoire en raison de mon ignorance de la langue, des mœurs et du mode de vie des gens auquel je ne m’étais pas encore habitué [50] ». C’est finalement l’apprentissage des langues au collège d’Altona [51], encore une fois grâce aux subsides d’un généreux bienfaiteur, qui déterminera son ultime transformation. Lorsqu’il revient à Berlin pour la troisième fois, et qu’il se présente à nouveau devant les Maskilim, c’est dans une tout autre attitude. Il veut être employé en rapport avec ses nouvelles compétences linguistiques : il pourrait traduire en hébreu des ouvrages en allemand « à l’intention de ses compatriotes polonais qui vivaient encore dans l’obscurantisme [52] ». Après avoir écrit son premier ouvrage sur la philosophie de Kant, L’Essai sur la philosophie transcendantale, Maïmon accède à un nouveau statut, celui de l’écrivain qui vit de ses publications, ce qui suppose l’existence de revues et de comités de lecture qui vont accepter ou non les articles, tout comme la vente des livres suppose les compte rendus par d’autres dans ces mêmes revues. Maïmon écrit son autobiographie au moment précis de ce tournant, alors qu’il constate qu’il est devenu « écrivain (et qu’il a) fait connaître (ses) idées à (sa) façon [53] ». Comme l’a montré Liliane Weissberg, on peut dire que c’est en écrivant l’histoire de sa vie que Maïmon devient définitivement auteur. Aussi y a-t-il une insigne différence entre les Fragmente aus Ben Joshua’s Lebensgeschichte parus dans le Magazin zur Erfahrungsseelenkunde et la Lebensgeschichte de Salomon Maïmon. Dans les Fragmente, qui s’inscrivent dans le cadre de la psychologie de l’expérience fondée par K. P. Moritz, Ben Joshua est un cas d’observation écrit à la troisième personne, censé approfondir la connaissance objective de l’homme. Maïmon est le témoin de son propre moi. Tandis que la Lebensgeschichte, qui se donne aussi pour but d’être un document sur l’homme, est écrite à la première personne et représente alors l’acte d’auto-engendrement de l’auteur, scellant définitivement son changement de nom.

22Maïmon est un des premiers intellectuels juifs germanophones, « qui n’appartenant plus au ghetto, s’étaient déshabitués du petit trafic », selon la formule de Herzl, et pour qui il n’y avait pas de place dans « la maison de leurs pères [54] ». Mais contrairement aux intellectuels du siècle suivant, issus généralement de familles juives aisées, « trop pauvres pour être philanthropes et trop riches pour devenir des schnorrers[55] », l’existence de Maïmon sera marquée d’un bout à l’autre par la précarité et la recherche de protecteurs. Dès son troisième séjour à Berlin, et après la mort de Mendelssohn, certains tentent de ruiner sa réputation auprès de protecteurs éventuels, leur faisant parvenir des lettres les mettant en garde contre « Salomon Maïmon [qui] cherche à propager des systèmes [philosophiques] dangereux [56] ». C’est finalement un mécène admiratif, le comte Adolf von Kalckreuth, qui l’hébergera à Siegersdorf près de Glogau (Silésie), les deux dernières années de sa vie.

La parole contrainte

23Cependant l’écrivain qu’est devenu Maïmon et qui s’adresse à un lecteur quelconque, sait aussi de quelles catégories de lecteurs son public est constitué. Il en connaît les préjugés et il a déjà fait l’expérience de l’accueil réservé à sa franchise, aussi bien en matière de rite qu’en matière de doctrine. Si la vérité n’est pas indépendante de sa communication, elle dépend aussi de sa réception. Un tel souci pèse sur la parole de Maïmon, de sorte qu’au bout du compte on ne peut pas savoir exactement qui il est véritablement. L’autobiographie se termine par l’allégorie d’un bal masqué donné en l’honneur d’une dame célèbre, Mme M… (la métaphysique), d’une extraordinaire beauté mais que personne n’a jamais vue et dont on ne parle que par ouï-dire. On reconnait ici l’idée kantienne de la métaphysique comme champ de batailles entre parties en conflit, sans possibilité d’accord. Les derniers cavaliers se partagent entre ceux qui affirmaient « avec opiniâtreté l’existence de la dame » et ceux qui « désespérèrent d’une telle entreprise ». Mais un ami de l’auteur prend part au débat et, se situant dans le camp de ceux qui pensent que la dame n’existe pas, inscrit ses arguments sur un billet. Survient à la fin un « homme masqué », partisan lui aussi de ce camp des « lâches » mais il déclare que l’« écriture (du billet) est illisible [57] ». Qui est Maïmon ? L’ami ? L’homme masqué ? Est-il jamais tout à fait possible de dire directement ce qu’on pense être le vrai ? Dans la situation de paria, critique de sa propre communauté et conscient de la fragilité sociale de celle-ci, de l’hostilité qui la menace, comment ne pas tenir compte toujours et par avance de l’interprétation malveillante toujours susceptible d’être donnée de ses propres propos critiques et qui fait toujours courir le risque que les antisémites avoués ou pas s’autorisent de ces propos pour alimenter la haine contre les Juifs ? De même, pour ne pas être définitivement rejeté des siens, ne faut-il pas faire usage d’une écriture cryptée ? Y aurait-il donc un art d’écrire chez Maïmon ?

24Selon les catégories de public susceptibles de lire ses livres, on peut repérer trois types de contraintes pesant sur son écriture.

25Les premières sont liées au public éclairé non-juif. La réception immédiate de l’Histoire de ma vie fait apparaître un schéma appelé à une riche postérité : la valorisation du Juif d’exception sur fond de dénigrement du peuple et de ses traditions. On le trouve dès la préface à la première édition par Karl Philipp Moritz, qui présente l’itinéraire de Maïmon comme illustrant la manière dont « la capacité de penser peut se développer dans un esprit humain, jusque dans les circonstances les plus accablantes et comment le véritable désir de connaître ne se laisse pas intimider par des obstacles qui paraissent infranchissables [58] ». De la même manière Mirabeau parle de Mendelssohn comme d’un « homme jeté par la nature au sein d’une horde avilie », dont l’esprit s’est développé malgré le « bourbier » qu’est à ses yeux le Talmud [59]. Certes les descriptions données par Maïmon des yeshivot de sa Pologne natale ne sont pas, loin s’en faut, des hagiographies. D’où les introductions souvent précautionneuses des éditeurs juifs du livre, craignant que de telles descriptions n’alimentent l’antijudaïsme, ce qui fut effectivement le cas. Pour parer aux attaques, on essayera de savoir si ce qui est écrit est conforme ou non à la réalité. Maïmon est pourtant conscient de l’ignorance et des préjugés de ses lecteurs. Il connaît les accusations de Johann Andréas Einsenmenger. C’est pourquoi, pour être fidèle à la vérité, il ne peut admettre qu’il s’est mis à « détester les rabbins [60] » qu’après s’être efforcé d’exposer « sans parti pris » [61] dans un long excursus ce qu’est la religion juive depuis les origines, il ne peut critiquer les « méfaits des rabbins concernant la religion » qu’à la condition d’exposer aussi « ce qu’ils ont de bon [62] ». Mieux, il se fixe une tâche qu’il ne mènera cependant pas à bien :

« Je devrais écrire un livre où j’exposerais toutes les accusations et les moqueries contre les Talmudistes, qui émanent autant des auteurs chrétiens que des Juifs qui veulent être éclairés[63] ».

26On note que les accusations et les moqueries proviennent autant des auteurs chrétiens que des Juifs éclairés, qui sont la deuxième catégorie de lecteurs. Maïmon a pu aussi se rendre compte de leurs préjugés à l’égard des Juifs polonais. A partir de là on peut comprendre les réticences que lui inspire le projet de la Haskala. Lors de son troisième séjour à Berlin, il participe à la revue Ha-me’assef (le collectionneur), éditée par la Société des chercheurs de la langue hébraïque. Cette société se donnait pour tâche de former le goût des Juifs en leur permettant d’avoir accès aux œuvres de la tradition occidentale, elle avait aussi pour but de soustraire l’hébreu à la sacralité, de le perfectionner afin que cette langue soit susceptible de produire une littérature et une philosophie. Insistant sur la Bible au détriment du Talmud, on voulait aussi rationaliser les contenus religieux en les soustrayant à l’influence rabbinique. La traduction était au cœur d’une telle entreprise : traduction de la Bible en allemand par Mendelssohn [64], mais aussi traductions de textes allemands en hébreu dont les Méditations matinales de Mendelssohn par Maïmon lui-même. Tout en reconnaissant le bien-fondé de l’intention, Maïmon reste cependant plus que réservé sur les chances de succès d’une telle entreprise. « Je connaissais trop bien, écrit-il, le mode de pensée des rabbins pour croire que de tels moyens pourraient y changer quelque chose [65] ». Maïmon voyait mal comment les Maskilim allaient pouvoir concurrencer l’immense prestige de la noblesse de la Nation, d’autant plus qu’ils n’imaginaient pas à qui ils avaient vraiment affaire. Certes, aux yeux des talmudistes, « tous ceux qui n’ont pas étudié le Talmud sont des idiots », ce qui, dans un sens, montre leur fermeture d’esprit, mais le propos est énoncé dans un contexte d’où l’on retiendra aussi leur « très grande virtuosité [66] », Maïmon écrivant ailleurs que « les talmudistes ne sont pas aussi bêtes qu’on le croit [67] ». Il déplore beaucoup plus l’état lamentable de l’enseignement des yeshivot de son époque ou la perte de temps sur des sujets aussi importants que la question de savoir si l’on a « le droit de tuer un pou ou une puce le jour du chabbat[68] », que les caractéristiques de la méthode talmudique à proprement parler. Le réexamen constant de la même question sous différents angles mais en fonction d’un même principe fondamental développe une forme d’esprit systématique et raisonnée. La pratique de la disputation — chacun tirant d’un même texte des aspects contradictoires, tout développement tenant compte d’un aspect et de l’autre malgré leur caractère contradictoire — favorise ce que Maïmon nomme un « scepticisme talmudique ». Les qualités requises par le Talmud sont « l’acuité intellectuelle, l’éloquence mais aussi l’impertinence [69] ». Autodidacte en philosophie, il faudrait se demander dans quelle mesure Maïmon ne transfère pas cette formation à son approche même de la philosophie. Ce qu’il appelle « le système de coalition » repose sur une méthode de déchiffrement des systèmes philosophiques qui consiste d’abord en une exposition des idées d’un autre par une quasi-paraphrase, en se « mettant à [sa] place [70] ». « Marcher sur les pas [71] » d’un autre ne veut cependant pas dire le copier. Suivre les voies empruntées par ceux qui ont découvert telle ou telle vérité en revient d’abord à faire soi-même partie des « découvreurs [72] », mais la méthode de Maïmon veut qu’on ne les suive que jusqu’au moment où l’on s’en éloigne. L’élucidation de la pensée d’un autre est en même temps un penser par soi-même. Ensuite, comme dans une discussion talmudique, les systèmes philosophiques sont mis en situation de dispute les uns avec les autres, sans souci évolutionniste d’histoire de la philosophie, puisque Maïmon fait jouer à l’égard de Kant des objections qu’il formule en termes humiens ou leibniziens. Et voilà qu’au bout du compte la position philosophique de Maïmon recouvre le meilleur de ce qu’il retient des talmudistes :

« J’ai adhéré à tous les systèmes philosophiques les uns à la suite des autres, j’ai été péripatéticien, spinoziste, leibnizien, kantien et pour finir sceptique [73] ».

27La mise au jour d’un troisième type de contrainte pesant sur la parole de Maïmon peut être indiquée à partir de son rapport à Maïmonide. Au centre de l’Histoire de ma vie, c’est-à-dire au début de la deuxième partie, Maïmon insère un exposé des idées du Guide des égarés, intitulé L’interprétation du Guide des égarés de Moïse Maïmonide. Un tel excursus fait ici partie d’une volonté d’autojustification, motif explicite de la publication de l’autobiographie qui s’adresse autant à des lecteurs allemands qu’à des lecteurs juifs. Parmi les Juifs, Maïmon a la réputation d’être un dangereux hérétique, un spinoziste et un épicurien. Et s’il revendique d’affronter la réputation de spinoziste en assumant, malgré Mendelssohn, que « si le spinozisme est vrai, il en demeurera ainsi avec ou sans [son] consentement [74] », s’il tient tête à ce même Mendelssohn en prétendant que nous sommes « tous des épicuriens », les moralistes ne pouvant nous prescrire que les façons de parvenir à telle ou telle fin, sans pouvoir nous expliquer ces fins elles-mêmes [75], le recours au Guide des égarés répond à l’accusation d’hérésie et vient dire : le célèbre Maïmonide est mon maître ; sur le plan personnel, c’est lui qui m’a empêché de me laisser aller à des conduites condamnables [76], sur le plan philosophique, me contrer implique de le contrer aussi. En exposant Maïmonide, Maïmon met en œuvre sa méthode qui suppose d’abord une quasi paraphrase. A certains endroits, la paraphrase se fait aussi retranscription en langage kantien. Et si parfois des restrictions ou des objections explicites sont énoncées, on pourrait montrer que dans le travail de paraphrase et de retranscription, Maïmon omet aussi de recopier certaines choses, en ajoute d’autres, ou remplace un mot par un autre. Je n’en prendrai ici que quelques exemples.

28Dans Le Guide des égarés, Maïmonide répond à l’« objection remarquable » d’« un homme de science » qui s’étonne que dans le récit de la création la punition dont Dieu affligea l’homme « pour sa désobéissance ait été de lui donner une perfection qu’il n’avait pas eue, à savoir, l’intelligence [77] ». Retranscrivant ce passage en langage kantien, Maïmon montre que la raison a toujours été la destination de l’homme, sauf qu’elle était utilisée « de façon parfaite avant son crime [78] ». La retranscription kantienne utilise l’opposition neutre de la forme rationnelle — « la loi suprême de la morale et de la logique » — et de la matière, prescrivant les motivations des actions et par là la distinction du bien et du mal. Elle fait alors disparaître la spécification du crime d’Adam par Maïmonide : « désobéissant, il pencha vers ses désirs venant de l’imaginative et vers les plaisirs corporels de ses sens [79] », passant ainsi sous silence son orientation anti-épicurienne. Ou encore, autre exemple, après avoir énuméré les cinq classes d’attributs affirmatifs qui concernent Dieu, Maïmonide énonce en langage aristotélicien : « Dieu n’a pas de causes antérieures qui aient causé son existence, de manière qu’elles puissent servir à le définir [80] ». En langage kantien, cela donne : « Dieu qui est l’être possible par excellence et dont dépendent tous les autres ne peut être défini [81] ». Certes la notion de possibilité absolue signifie l’existence nécessaire, mais utilisée pour parler de Dieu, elle instille une dose de suspens, étrangère à la pensée de Maïmonide. Un très grand nombre de déplacements textuels portent sur l’idée de Dieu, comme si Maïmon cherchait à faire endosser à Maïmonide sa propre position agnostique, encore inavouable telle quelle. Enfin, dernier exemple, Maïmon recopie très soigneusement plusieurs chapitres du Guide, mais en les regroupant dans un titre à lui, il y ajoute des éléments qu’on ne trouve pas du tout dans le texte de Maïmonide. Ainsi le chapitre 9 de L’Interprétation du Guide des égarés de Moïse Maïmonide regroupe les chapitres 25 à 49 de la troisième partie du Guide que Maïmon restitue sans aucun commentaire et s’intitule : « Chap. 9 : Législation mosaïque, paganisme insipide des sabiens qui est à l’origine de bien des lois inexplicables, dont toutefois le port de la barbe nous est resté [82] ». De même, le chapitre 10 regroupe les derniers chapitres du Guide sous le titre : « Conclusion du Moré Newokhim. Détermination du vrai service divin qui rend les prêtres superflus [83] ». Or ni la question du port de la barbe, ni l’idée de superfluité des prêtres ne sont dans le Guide des égarés. L’idée que Maïmon veut faire passer est donc la suivante : le port de la barbe n’est pas une mitsva mais relève de lois inexplicables dont l’origine est païenne, le vrai service divin, la religion purement rationnelle, rend les prêtres superflus.

29Salomon s’avance donc sous le masque de Maïmonide qui est son laissez-passer à la fois dans le monde juif, où il est une référence vénérée, et dans le monde non-juif où Maïmon veut le faire reconnaître dans le panthéon des philosophes. Du point de vue de la philosophie occidentale, le nom Salomon Maïmon, qui transforme Shlomo ben Yehoshua en auteur, est en lui-même, selon L. Weissberg, « le signe d’un projet qui voudrait faire tenir ensemble une forme juive et une forme chrétienne-germanique, une tradition philosophique et une tradition religieuse [84] ». Mais Maïmonide n’est-il pas aussi un masque, l’un des masques que prend Salomon pour entrer dans la danse ?

Conclusion

30Relevant le caractère anhistorique et a-politique de la philosophie de Maïmon, C. Wiedemann éclaire le destin de Maïmon grâce à la thèse d’Arendt selon laquelle la réception de l’Aufklärung par les Juifs de la fin du XVIIIe siècle était encore tributaire de l’acosmisme typique des peuples parias, dans la mesure où, écrit-elle, « le Juif cultivé comme le Juif opprimé cantonné dans son ghetto témoignent d’une égale indifférence à l’égard du monde plongé dans l’histoire [85] ». En lisant l’Histoire de ma vie, on peut même dire que le regard de Maïmon est beaucoup plus soucieux d’analyse socio-historique lorsqu’il raconte sa vie en Pologne que lorsqu’il est question de la Prusse, où rien n’est mentionné de sa réalité sociale ou politique. « Plus Maïmon avance dans ses considérations philosophiques rationalistes, écrit C. Wiedemann, plus il se trouve sans lieu (ortlos) d’un point de vue social [86] ». Nul doute que son parti pris de franchise provocatrice à la Diogène ne l’ait conduit à se couper de tous les milieux juifs de son temps, alors même qu’en refusant la conversion, il se refusait aussi le seul « billet d’entrée dans la société européenne », selon le mot de Heine, disponible à l’époque pour les Juifs d’Allemagne. Il n’était cependant pas tout à fait dupe des positions cocasses auquel peut mener un rationalisme par trop intransigeant. Mais, n’étant pas, comme Bernard Lazare, entré activement sur la scène politique, la figure de paria qu’il nous lègue n’est pas celle du paria rebelle ; de même, à la différence de Heine, il n’a pas été « l’un des observateurs les plus pénétrants des événements politiques de son époque [87] ». Ce sont alors les limites que l’amant de la vérité a accepté de faire peser sur sa parole qui témoignent et du lien qu’il a malgré tout maintenu avec son peuple et de sa conscience du statut de ce peuple comme peuple paria.


Date de mise en ligne : 01/01/2011

https://doi.org/10.3917/tumu.021.0141

Notes

  • [1]
    H. Arendt, « La tradition cachée », in La Tradition cachée, trad. S. Courtine-Denamy, Bourgois, 1987, p. 181.
  • [2]
    Ibid., p. 220.
  • [3]
    Salomon Maïmon, Histoire de ma vie, ci-après HV, traduit, présenté et annoté par M. R. Hayoun, Berg international, 1984, p. 229.
  • [4]
    Lettre de Maïmon à Kant, 7 avril 1789, in Emmanuel Kant, Correspondance, trad. M. C. Chailliol et alii, Gallimard, 1991, p. 342.
  • [5]
    S. Maïmon, HV, p. 229.
  • [6]
    Ibid., p. 55.
  • [7]
    Cf. Zwi Batscha, « Vorwort », in Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, Francfort sur le Main, 1984, p. 339, sq.
  • [8]
    Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975.
  • [9]
    Ibid., p. 29.
  • [10]
    Cf. Conrad Wiedemann, « Zwei jüdische Autobiographien im Deutschland des 18. Jahrhunderts. Glückel von Hameln und Salomon Maïmon », Juden in der deutschen Literatur, dir. S. Moses, Albrecht Schöne, Suhrkamp, 1986.
  • [11]
    S. Maïmon, HV, p. 226.
  • [12]
    Jean-Jacques Rousseau, « Préambule au manuscrit de Neuchâtel », Œuvres complètes I, Gallimard, Pléiade, 1981, p. 1150.
  • [13]
    Christopher Miething, « Gibt es jüdische Autobiographien ?», à paraître in Zeitgenössische Jüdische Autobiographie, dir. C. Miething, Tübingen, Niemeyer, 2003.
  • [14]
    S. Maïmon, HV, p. 227.
  • [15]
    Ernst Cassirer, Les Systèmes post-kantiens. Le problème de la connaissance dans la philosophie et la science des temps modernes, Presses universitaires de Lille, 1983, p. 68.
  • [16]
    Cf. Conrad Wiedemann, op. cit., pp. 107-109.
  • [17]
    S. Maïmon, Essai sur la philosophie transcendantale, trad. J.-B. Scherrer, Vrin, 1989, p. 39.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Ibid., p. 108.
  • [20]
    Ibid., p. 210.
  • [21]
    S. Maïmon, HV, p. 230.
  • [22]
    Cf. l’analyse de Conrad Wiedemann, op.cit., p. 104.
  • [23]
    talmid haham : nom donné traditionnellement au docteur de la loi, tout à la fois érudit et sage.
  • [24]
    S. Maïmon, HV, p. 161.
  • [25]
    Ibid., p. 222.
  • [26]
    Ibid., p. 55.
  • [27]
    Pour une référence directe au cynisme, cf. p. 132 sq.
  • [28]
    Diogène Laërce, Vies et doctrines des hommes illustres, trad. M. O. Goulet-Cazé, Le Livre de poche, 1999, p. 720.
  • [29]
    S. Maïmon, HV, p. 165.
  • [30]
    Zwi Batscha, op. cit., p. 363.
  • [31]
    S. Maïmon, HV, p. 70.
  • [32]
    Ibid., p. 181.
  • [33]
    Ibid., p. 173.
  • [34]
    Ibid., p. 204.
  • [35]
    E. Cassirer, op. cit., p. 67.
  • [36]
    S. Maïmon, HV, p. 176.
  • [37]
    Ibid., p. 229.
  • [38]
    Sur ce point, cf. Liliane Weissberg, « Erfahrungsseelenkunde als Akkulturation : Philosophie, Wissenschaft und Lebensgeschichte bei Salomon Maïmon », in Der ganze Mensch : Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert, dir. H. J. Schings, Stuttgart, Metzler, 1994, p. 304.
  • [39]
    S. Maïmon, HV, p. 162.
  • [40]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 346.
  • [41]
    S. Maïmon, HV, p. 176.
  • [42]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 346.
  • [43]
    Ibid., p. 347.
  • [44]
    S. Maïmon, HV, p. 192.
  • [45]
    On retrouve ici la proximité Maïmon-Diogène.
  • [46]
    Cf. Z. Batscha, op. cit., p. 347.
  • [47]
    L. Bendavid, cité par Z. Batscha, op. cit., p. 347.
  • [48]
    S. Maïmon, HV, p. 194.
  • [49]
    Ibid., p. 198.
  • [50]
    S. Maïmon, ibid., p. 202.
  • [51]
    Sur cette institution, cf. Z. Batscha, op.cit., p. 371.
  • [52]
    S. Maïmon, HV, p. 209.
  • [53]
    Ibid., p. 230.
  • [54]
    Herzl, cité par H. Arendt, « Réexamen du sionisme », in Auschwitz et Jérusalem, trad. S. Courtine-Denamy, Tierce, 1991, p. 112.
  • [55]
    H. Arendt, « Réexamen du sionisme », op.cit., p. 113.
  • [56]
    S. Maïmon, HV, p. 212.
  • [57]
    Ibid., p. 304.
  • [58]
    K. P. Moritz, « Vorbericht des Herausgegebers », in Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, op. cit., p. 7.
  • [59]
    Mirabeau, Sur Moses Mendelssohn. Sur la Réforme politique des juifs (1787), EDHIS, 1968, p. 28.
  • [60]
    S. Maïmon, HV, p. 127.
  • [61]
    Salomon Maïmons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, op. cit., p. 225. Cette partie n’est pas traduite dans l’édition de M. R. Hayoun.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Ibid., pp. 226-227.
  • [64]
    Ecrit en caractères hébraïques, comme le yiddish.
  • [65]
    S. Maïmon, HV, p. 222.
  • [66]
    Ibid., p. 223.
  • [67]
    Ibid., p. 283.
  • [68]
    Ibid., p. 68.
  • [69]
    Ibid., pp. 81-82.
  • [70]
    Ibid., p. 217.
  • [71]
    S. Maïmon, Essai sur la philosophie transcendantale, op. cit., p. 38.
  • [72]
    Cf. S. Maïmon, « “Giv’at Ha-Moré” ou le Commentaire hébraïque du “Guide des égarés” de Maïmonide », in Commentaires de Maïmonide, trad. M. R. Hayoun, Cerf, 1999, p. 150.
  • [73]
    S. Maïmon, HV, p. 224.
  • [74]
    Ibid., p. 190.
  • [75]
    Ibid., p. 195.
  • [76]
    Cf. HV, p. 233.
  • [77]
    Moïse Maïmonide, Le Guide des égarés, I, 2, trad. S. Munk, Verdier, 1979, p. 31.
  • [78]
    S. Maïmon, HV, p. 248.
  • [79]
    M. Maïmonide, op. cit., p. 33.
  • [80]
    Ibid., I, 52, p. 116.
  • [81]
    S. Maïmon, HV, p. 256.
  • [82]
    Ibid., p. 289.
  • [83]
    Ibid., p. 294.
  • [84]
    Liliane Weissberg, op. cit., p. 307.
  • [85]
    H. Arendt, « L’“Aufklärung” et la question juive », in La Tradition cachée, op. cit., p. 21.
  • [86]
    C. Wiedemann, op. cit., p. 102.
  • [87]
    H. Arendt, La Tradition cachée, op. cit., p. 190.

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