Notes
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[1]
À la suite d’une saisie d’associations professionnelles de l’hôtellerie et du commerce qui conteste notamment les délais estimés trop courts de mise en œuvre (voir Maisetti, Halbert et Guironnet, 2017 : 22-23). Pendant la procédure d’évaluation de l’article, le décret suspendu a été « définitivement enterré » par le Conseil d’État qui a annulé ce texte, dont une nouvelle version pourrait figurer dans l’article 55 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (source : Florent Lacas, « Décret tertiaire enterré : ce que prévoit la loi Élan pour le remplacer », https://www.batiactu.com/edito/ce-que-prevoit-loi-elan-batiments-publics-et-tertiaire-53329.php, consulté le 19/06/2018).
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[2]
Il s’agit alors du Plan Bâtiment Grenelle, renommé Plan Bâtiment durable lors de l’alternance en mai 2012. Pour simplifier, nous retenons la racine de son nom.
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[3]
Placée sous la tutelle conjointe du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) et du ministère du Logement.
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[4]
Il n’existe pas d’informations publiquement disponibles concernant la part de marché des gestionnaires en termes de surfaces d’immobilier non résidentiel. L’ordre de grandeur de 30 % du parc privé circule régulièrement parmi ces derniers (voir Guironnet, 2017 : 60-61), ce qui équivaudrait par extension à moins de 15 % du parc total en France.
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[5]
Nous remercions l’évaluateur anonyme pour sa suggestion concernant les travaux de Henry (2005), dont il relève les similarités avec notre cas, au sens où ceux-ci montrent que l’influence des entreprises sur le régulateur repose notamment sur une capacité à reformuler des problèmes sociaux dans des termes compatibles avec leurs propres intérêts.
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[6]
Il s’agit de la Directive européenne 2010/31/UE du 19 mai 2010 portant sur la performance énergétique des bâtiments. À ce sujet, le président du PB opère d’ailleurs un glissement entre la « sustainability » généralement associée au développement durable (sustainable development) et les critères financiers : « On ne va pas imposer à des gens de faire des choses qui ne sont pas soutenables financièrement ! Alors nous, on appelle ça “retour sur investissement”, mais c’est cette idée-là : “soutenabilité de la dépense” qui est, me semble-t-il, un garde-fou suffisant. » (entretien 13).
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[7]
Voir le courrier adressé à Ph. Pelletier, où le président de la CGPME déplore les difficultés d’intégration dans les groupes de travail (Gauchot, 2011 : Annexe, n.p.).
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[8]
En l’occurrence le Conseil national d’évaluation des normes (CCEN), organisme créé par la loi de finance rectificative no 2007-1824 du 25 décembre 2007 afin d’émettre un avis consultatif sur l’impact financier des réformes s’appliquant aux collectivités territoriales et à leurs établissements (normes à caractère obligatoire, propositions de textes communautaires). Par ailleurs, l’Assemblée des départements de France adresse également une lettre au ministre de l’Écologie, qu’un enquêté résume ainsi : « votre affaire c’est insoutenable financièrement, on n’a pas les moyens du tout de respecter le Grenelle » (entretien 11, anonymisé).
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[9]
Plus de la moitié des premiers signataires sont des gestionnaires d’actifs, proportion qui diminue à un peu moins d’un tiers parmi les 109 signataires recensés au 6 avril 2017 (source : Plan Bâtiment durable, http://www.planbatimentdurable.fr/IMG/pdf/170406_liste_signataires.pdf, consulté le 29/01/2018).
1À partir de la fin des années 1990, une partie du patrimoine immobilier en France est « colonisée » (Chiapello, 2015) par la finance de marché (Malézieux, 1995 ; Nappi-Choulet, 2013 ; Guironnet et Halbert, 2018). D’une part, ce processus de financiarisation se traduit par une augmentation des capitaux des marchés financiers investis dans l’immobilier d’entreprise (Nappi-Choulet, 2013). D’autre part, de nouveaux dispositifs ont été créés par l’État afin d’améliorer la liquidité et la profitabilité, et, partant, l’attractivité du marché aux yeux des investisseurs institutionnels et des ménages, à l’image des sociétés d’investissement en immobilier cotées (SIIC) en 2003 (Boisnier, 2015). Dans le même temps, le passage à des stratégies et pratiques de « gestion active » du patrimoine immobilier s’est traduit par l’apparition de nouveaux métiers (asset management ou gestion d’actifs) qui peuplent désormais les organisations spécialisées dans la détention de portefeuilles immobiliers (Derote, 2009), y compris celles qui participent traditionnellement au financement de l’immobilier d’entreprise depuis les années 1960, comme les assureurs et fonds de « pierre-papier » (par exemple les sociétés civiles de placement immobilier). Ces professionnels mobilisent des théories et des méthodes de calcul provenant de l’économie financière, à l’image de la diversification de portefeuille et de la valeur actuelle nette redéfinissant la valeur du patrimoine en fonction de l’actualisation des revenus futurs et de leur comparaison par rapport à d’autres placements (Santilli, 2015). Ils constituent, à ce titre, les chevilles ouvrières de la financiarisation des marchés immobiliers et, plus particulièrement, de certains secteurs non résidentiels (bureaux, commerces, logistique) dits « de l’immobilier d’entreprise », où ils concentrent les capitaux de leurs clients-investisseurs et actionnaires.
2À l’instar d’autres pays comme les États-Unis (Gotham, 2006), l’État a joué un rôle central dans ces transformations du capitalisme urbain. Des réformes réglementaires et fiscales ont en effet contribué à un tel approfondissement de l’intégration entre marchés immobiliers et financiers. Cependant, il reste à comprendre si et comment ces réformes ont été soutenues, accompagnées ou même initiées par les acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé qui en bénéficient, à commencer par ces entreprises spécialisées dans la gestion d’actifs immobiliers (sociétés de gestion pour compte de tiers, sociétés foncières cotées en bourse, compagnies d’assurance, mutuelles, fonds de pension et fonds souverains), ainsi que les experts immobiliers, juridiques et fiscaux qui équipent et sécurisent leur activité d’accumulation.
3Or, la « colonisation » de nouveaux espaces et situations sociales par la finance de marché est le produit d’un « travail [qui] requiert des efforts et des investissements considérables dans des métriques, des bases de données, l’élaboration de conceptualisations théoriques, l’écriture de nombreux textes programmatiques et juridiques […] » (Chiapello, 2017 : 37, nous soulignons). Ce dernier aspect relève de la mobilisation des entreprises et de leurs organismes représentatifs. Au niveau européen par exemple, les représentants du secteur financier ont œuvré à limiter drastiquement l’ampleur des réformes communautaires visant à réguler leur activité (Vassalos, 2018). Pour ce qui est du cas français, les assureurs et gérants d’actifs ont cherché à profiter des réformes du système des retraites des années 1990-2000 pour étendre leur marché, en conjonction avec la haute administration financière (Ciccotelli, 2014). Certes, le pouvoir des acteurs et groupes d’intérêts financiers connaîtrait des limites, les responsables politiques conservant une certaine autonomie (Grossman, 2003 ; Ciccotelli, 2014 : 153). Ces exemples reflètent toutefois combien la régulation de l’accumulation financiarisée est le résultat d’une « coproduction » (ou joint regulation ; Huault et Richard, 2012).
4C’est dans cette direction que l’article propose d’approfondir l’analyse de la financiarisation de la production urbaine à travers l’immobilier, et dans le cas français où l’existence d’intérêts organisés est attestée. Dans le secteur du logement, les promoteurs immobiliers privés sont parvenus à peser sur les politiques publiques, qu’ils se mobilisent lors de l’adoption de réformes structurelles concernant son financement (Bourdieu et Christin, 1990), ou que le législateur anticipe leurs attentes (Pollard, 2011). Il s’agit dès lors d’étendre cette perspective à la filière de l’immobilier financiarisé, d’autant plus que les modalités de production des politiques publiques évoluent pour impliquer davantage leurs destinataires. Outre la légitimité qui leur est reconnue dans l’écriture des règles qui s’appliqueront à leur activité, l’implication des destinataires serait aussi gage d’une plus grande efficacité des politiques publiques.
5Dans le cas des politiques environnementales, des travaux ont montré que cette évolution conduisait à instaurer un dialogue entre l’appareil politico-administratif central et des groupes professionnels (Boy, 2010 ; Lascoumes, 2011). Pour l’immobilier non résidentiel, un ensemble de concertations se sont déroulées dans le cadre du Grenelle de l’Environnement depuis juillet 2007. Il s’agit alors de qualifier les acteurs conviés par l’État, leurs rapports de pouvoir, ainsi que leurs effets, en traçant les positions et propositions soutenues par les acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé (gestionnaires d’actifs, mais aussi experts juridiques, fiscaux et immobiliers). Ces derniers sont en effet convoqués, aux côtés d’autres propriétaires occupants (administrations centrales, collectivités territoriales, personnes morales ou individuelles privées), au titre du patrimoine immobilier qu’ils administrent.
6Notre enquête porte sur le processus de concertation dit « Gauchot » (du nom de son rapporteur) visant à formuler des préconisations pour l’écriture d’un décret relatif à la réduction des consommations énergétiques du patrimoine immobilier non résidentiel (Maisetti, Halbert et Guironnet, 2017), dans le contexte d’une recherche sur les enjeux de développement durable au sein de la filière financiarisée (Halbert et al., 2014). Nous avons mené une campagne d’entretiens en 2014 auprès d’une douzaine de participants et organisateurs des sous-groupes thématiques de cette concertation (« investisseurs », « utilisateurs », « collectivités territoriales »). Nous avons également constitué un corpus documentaire à partir de rapports et comptes rendus relatifs à la concertation, des lois et projets de décret, ainsi que de la presse spécialisée. Ces données ont été complétées par des observations ponctuelles lors du Salon de l’immobilier d’entreprise à Paris en décembre 2013, et d’une réunion au sein du Plan Bâtiment en décembre 2014. La récolte de ce matériau a permis de replacer cet épisode au sein d’un ensemble de scènes de concertation ouvertes par le Grenelle de l’Environnement à partir de 2007, et qui le demeurent en raison de la publication du décret concerné seulement dix ans plus tard (en mai 2017), puis de sa suspension par le Conseil d’État deux mois après [1]. Ce protocole de recherche nous a permis d’établir la généalogie des différentes propositions formulées dans le rapport Gauchot, et d’identifier les acteurs qui les ont portées, leurs registres d’argumentation, les données qu’ils mobilisent, ainsi que leurs ressources.
7La première partie de l’article précise cette architecture institutionnelle à travers une présentation du Plan Bâtiment, organisation ad hoc créée par l’État pour coordonner le processus de concertation. Nous montrons ensuite la prépondérance des acteurs de l’immobilier financiarisé et de leurs organismes représentatifs dans les scènes de concertation, qui s’est d’abord exercée à travers leur présence continue (2e partie). Elle s’est traduite par une reformulation de la politique environnementale de réduction des consommations énergétiques dans le but de s’assurer du maintien de leurs pratiques d’accumulation (3e partie), et à travers l’élaboration et la diffusion de données, représentations et techniques de calcul financiarisées (4e partie). Cependant, elle s’est heurtée à la capacité d’autres propriétaires à accéder à l’appareil politico-administratif, et à l’absence de publication du décret qui, loin de bloquer la colonisation des politiques environnementales par les acteurs de l’immobilier financiarisé, a encouragé certains d’entre eux à promouvoir d’autres formes de régulation marchande (5e partie).
L’organisation de la concertation par le Plan Bâtiment
8C’est en janvier 2009 que le gouvernement crée le Plan Bâtiment [2], afin de pérenniser la concertation avec les professionnels du secteur de l’immobilier non résidentiel initiée lors du Grenelle de l’environnement. Selon la lettre de mission du Premier ministre qui l’installe, le Plan Bâtiment vise à faciliter la circulation d’information entre les ministères concernés et des professionnels, à assurer la mobilisation de ces derniers, et à organiser des concertations contribuant à « proposer des arbitrages nécessaires » – visant ici à réguler un marché où interviennent les gestionnaires d’actifs immobiliers. Les groupes de travail du Plan Bâtiment participent ainsi à la rédaction de la loi no 2009-967 du 3 août 2009 (dite « loi Grenelle 1 ») qui dispose des niveaux de normes à atteindre pour la construction d’immobilier non résidentiel, et fixe un objectif de réduction des consommations énergétiques de 38 % à l’horizon 2020 pour les bâtiments existants. Cet objectif est bientôt relié à une obligation de travaux pour l’amélioration de la performance énergétique par la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 (dite « loi Grenelle 2 »), dont la rédaction est également alimentée par les rapports issus de groupes de travail du Plan Bâtiment. L’implication du Plan Bâtiment se poursuit à travers la concertation Gauchot, qui vise à alimenter la traduction réglementaire de cette obligation sous la forme d’un décret d’application.
9Le Plan Bâtiment se situe à l’interface entre l’État et les professionnels. D’un côté, l’assignation d’une feuille de route par lettre de mission de l’exécutif, son rattachement interministériel au sein de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN [3]), ainsi que le monopole conservé par les services de cette direction quant à la rédaction du décret enchâssent le Plan Bâtiment dans le processus ordinaire de production des politiques publiques. De l’autre, l’équipe du Plan Bâtiment, constituée de trois à cinq emplois permanents, est chargée d’animer la concertation avec les professionnels à travers des groupes de travail. Elle est présidée par Philippe Pelletier, un avocat spécialiste du droit des baux locatifs bénéficiant d’une légitimité liée à sa multi-positionnalité au sein de l’appareil politico-administratif et de la filière de l’immobilier financiarisé. D’une part, il a présidé l’Agence nationale de l’habitat (Anah) de 1998 à 2008. Cela explique que l’ex-ministre du Logement alors en charge du portefeuille environnemental (J.-L. Borloo) fasse appel à lui lors du Grenelle de l’environnement. D’autre part, Ph. Pelletier est fondateur associé de l’un des principaux cabinets juridiques spécialisés dans l’immobilier d’entreprise, secteur qui représenterait un tiers du total de son chiffre d’affaires annuel (entretien 13, président du PB). Il occupe une position importante dans ce secteur, depuis des interventions régulières dans la presse spécialisée à sa désignation comme président du conseil français de la prestigieuse Royal Institution of Chartered Surveyors. C’est depuis cette situation d’interface qu’il se présente comme un promoteur de l’immobilier – et plus largement du développement – durable, mais aussi de la modernisation de l’action publique, à travers la conception des « normes » qui ont vocation à être « aimables, désirables », et, dans leur forme, préférant le « droit souple » et la « sanction de marché » à celle de la loi édictée par l’État (entretien 13, président du PB ; voir aussi Maisetti et Halbert, 2018).
10La concertation sur l’immobilier non résidentiel au sein du Plan Bâtiment convoque plusieurs types de propriétaires (et d’experts associés) au sein de différents groupes de travail (tableau 1) : gestionnaires d’actifs, État, collectivités et entreprises de taille variable, propriétaires des locaux qu’elles occupent. Cependant, la concertation suit dès le départ un fonctionnement en silo, à l’image des différents propriétaires publics qui disposent chacun de leur propre groupe de travail. La concertation Gauchot de 2011 reconduit ce procédé, alors même que l’obligation de travaux pour la réduction des consommations énergétiques retenue par le législateur s’applique uniformément à « l’immobilier tertiaire », qu’il soit public ou privé, locatif ou en propriété occupante. En conséquence, les échanges au sein du Comité de pilotage chargé de l’organisation se résument à la restitution de positions déjà arrêtées au sein des groupes thématiques, au point que « personne ne se mêlait des affaires des autres » (entretien 7, représentant d’une fédération immobilière).
Les groupes de travail du Plan Bâtiment consacrés à la rénovation énergétique de l’immobilier non résidentiel (réalisation : auteurs à partir des rapports)
Les groupes de travail du Plan Bâtiment consacrés à la rénovation énergétique de l’immobilier non résidentiel (réalisation : auteurs à partir des rapports)
La participation continue des acteurs de l’immobilier financiarisé
11Pour les acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé, la politique environnementale constitue alors potentiellement une remise en cause du fonctionnement de leur marché. La perspective de nouvelles normes concernant la consommation énergétique leur apparaît, certes chemin faisant, comme un risque de dégradation de la valeur de leur patrimoine par effet d’obsolescence réglementaire (Attuyer, Guironnet et Halbert, 2012). Cette incertitude est redoublée par l’éclatement de la bulle immobilière sur le marché états-unien à l’été 2007, et ses répercussions systémiques sur les marchés financiers dès l’année suivante. Dans le même temps, la politique environnementale constitue une opportunité pour répondre aux attentes de leurs locataires dits « grands comptes » poussés au verdissement de leur empreinte immobilière au titre de leur stratégie de responsabilité sociale et environnementale, ainsi qu’aux exigences de leur clientèle d’investisseurs internationaux attachés à acquérir des immeubles affichant des certifications « vertes ». Dans tous les cas, il s’agit de veiller à ce que la politique environnementale n’obère pas leurs pratiques d’accumulation financiarisées.
Une participation continue
12C’est dans cette perspective que les acteurs de l’immobilier financiarisé peuplent les groupes de travail du Plan Bâtiment consacrés à l’immobilier non résidentiel. Des représentants des grandes entreprises de la filière se mobilisent : des gestionnaires d’actifs (HSBC REIM, Allianz, Amundi Immobilier ou Generali), les intermédiaires qui leur fournissent des services juridiques (Baker & McKenzie ou le cabinet de Ph. Pelletier), des conseils immobiliers (DTZ, BNP Paribas Real Estate, CBRE), ainsi que des grandes entreprises occupantes engagées dans la rationalisation financière et managériale de leur parc immobilier (Poste Immo, EDF-GDF, Renault, PSA, Accor). Au-delà de ces initiatives individuelles, les principaux organismes représentatifs des gestionnaires d’actifs (FSIF pour les sociétés et foncières cotées, Aspim pour les sociétés de gestion, FFSA pour les assureurs) et des fonctions immobilières au sein des grandes entreprises (l’Association des directeurs immobiliers) s’impliquent également. Enfin, sauf lorsqu’elles portent sur l’immobilier non résidentiel public, les individus retenus pour animer ces concertations sont systématiquement issus de la filière financiarisée, alors même que le patrimoine qu’ils gèrent ne représente qu’une partie minoritaire de l’immobilier non résidentiel en termes de surface [4] : S. Grzybowski, alors PDG d’Icade, l’une des principales foncières cotées ; M. Brunel, alors Directrice générale d’un fonds de pension canadien ; M. Gauchot enfin, président de la filiale française de CBRE, l’un des principaux cabinets de conseil en immobilier à l’échelle mondiale.
Les ressources de la participation
13La présence continue de ces différents acteurs au sein des scènes de concertation du Plan Bâtiment s’explique par trois principaux facteurs. Premièrement, ils bénéficient d’une pratique de fréquentation routinière de l’appareil politico-administratif. Parce qu’elles ont été, ou sont encore, organiquement liées à l’État (participation au capital, délégation d’une mission de service public), certaines grandes entreprises comme Areva, EDF, ou Poste Immo disposent d’un accès privilégié à celui-ci. De même pour les gestionnaires d’actifs, dont l’activité au croisement des enjeux macroéconomiques d’allocation de l’épargne et d’aménagement du territoire à travers le financement de l’urbanisation dépend de la réglementation édictée par l’État (voir Guironnet, 2017 : Annexe 1 ; Maisetti, Halbert et Guironnet, 2017 : 25). Nos entretiens reflètent cet accès privilégié au législateur, et en particulier aux parlementaires et cabinets ministériels. Outre la création de véhicules plus liquides, car cotés en bourse (Boisnier, 2015 : 55-56), il s’agit d’avantages fiscaux obtenus en 2004 à l’initiative des fédérations de gestionnaires d’actifs (art. 210-E du Code général des impôts), ou de la création d’un indice des loyers visant à limiter les effets de la crise financière de 2008 sur les revenus locatifs des gestionnaires (entretien 7, représentant d’une fédération immobilière). Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, cet accès se traduit par la présence, dès l’été 2007, du délégué de la FSIF, à qui le ministre confie la rédaction du premier rapport sur l’immobilier non résidentiel d’un hochement de tête (ibid.).
14Deuxièmement, la légitimité qui leur est conférée en tant que destinataires de la règle facilite leur présence continue. Cette dernière tient à l’entrée des politiques environnementales dans une forme de new public management en « régime de croisière » (Maisetti et Halbert, 2018). Le travail de rédaction des règlements par les services ministériels de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et du patrimoine (DHUP) fait en effet l’objet d’injonctions politico-administratives relatives à la « coconstruction avec les acteurs » permettant de se prémunir d’une distance au terrain, au maintien de la « compétitivité », ainsi qu’au « choc de simplification » lancé par l’exécutif en mars 2013 (entretien 12, service technique de la DHUP). À ce titre, les techniciens accordent une priorité importante à « l’optique cost optimal », qu’ils relient non seulement à l’agenda présidentiel, mais aussi aux directives européennes. Dès lors que les professionnels concernés par la réglementation produisent des éléments compatibles avec cette perspective de simplification du droit dans une optique de rentabilité économique, leurs propositions sont considérées comme légitimes.
15Troisièmement, la présence des acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé est renforcée par la position du président du Plan Bâtiment, dont l’activité privée structure un réseau professionnel au sein duquel ils occupent une place de choix. Tout en insistant sur l’ouverture du Plan Bâtiment qui « accueille tous ceux qui ont envie de participer », il reconnaît lui-même qu’il n’a pas la capacité « à aller chercher des gens […] qui passent à travers la grille » de son réseau professionnel, faute de moyens humains (entretien 13, président du PB). Cet effet de composition est redoublé au sein des groupes de travail, dont la direction est confiée, nous l’avons vu, à des cadres de la filière d’investissement. Ainsi, la sélection de M. Gauchot comme pilote de la concertation éponyme, outre des enjeux diplomatiques (choisir « un rassembleur » qui « n’est pas clivant ») et d’insertion dans un réseau rassemblant les différents propriétaires à l’échelle du territoire national (entretien 13, président du PB), témoigne d’un cadrage de la question par l’équipe du Plan Bâtiment. L’un des permanents nous explique qu’il a l’avantage de n’être « ni propriétaire, ni locataire », ce qui revient à réduire l’immobilier non résidentiel à son seul versant locatif, accordant de facto la priorité aux grands bailleurs que sont les gestionnaires d’actifs et à leurs locataires (entretien 4, directrice adjointe du PB).
Le verdissement sous condition de maintien et d’extension des pratiques d’accumulation financiarisées
16Depuis ces positions privilégiées dans l’organisation et la participation à la concertation, les acteurs de l’immobilier financiarisé travaillent à reformuler une politique du verdissement de l’immobilier non résidentiel compatible avec leurs pratiques d’accumulation financiarisées [5]. Pour les gestionnaires d’actifs, celles-ci consistent à capitaliser sur la rente foncière, en combinant un flux récurrent de revenus (loyers) avec une plus-value ponctuelle (profit réalisé à la revente). Cette activité de capitalisation repose sur une « convention financiarisée » (Chiapello, 2015), qui s’appuie sur les théories d’économie financière de diversification du portefeuille incarnée par une métrique de rendement ajusté du risque et de la liquidité, et projetée selon différents scénarios (Theurillat, Corpataux et Crevoisier, 2010). L’adaptation de ces outils à l’immobilier se traduit par la stabilisation d’un ensemble de « standards » d’investissement situés dans le temps et l’espace, et qui se caractérisent par une importante sélectivité socio-spatiale (Guironnet et Halbert, 2018).
Sauvegarder la rentabilité des investissements
17L’analyse des échanges et des rapports atteste d’une tentative des acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé de sauvegarder la rentabilité de leurs investissements et, par extension, la rémunération des intermédiaires qui leur fournissent des services immobiliers et juridiques. Il s’agit d’abord de limiter les coûts engendrés par la politique de réduction des consommations énergétiques, dont les résultats en termes d’économie d’énergie bénéficient en premier lieu aux locataires. Cela se traduit par une proposition d’élargir l’obligation de rénovation au-delà des seuls travaux, dans le but de reporter une partie des coûts sur les usagers locataires et les prestataires des services consommateurs d’énergie (proposition no 1 : Gauchot, 2011). Ensuite, il est recommandé de laisser la liberté d’opérer cette rénovation à l’échelle du portefeuille, et non seulement de l’immeuble (proposition no 14 : Gauchot, 2011). Les gestionnaires d’actifs sont ainsi libres d’optimiser leurs investissements en ciblant les bâtiments présentant le gain énergétique par unité monétaire le plus favorable, voire de les minimiser en cédant les « passoires énergétiques ». Enfin, un ensemble d’aides publiques est réclamé afin d’améliorer la rentabilité de ces investissements (propositions no 21 à 25 : Gauchot, 2011), par exemple à travers l’aménagement des périodes d’amortissement comptable, ou la modulation de la fiscalité locale et du coefficient d’occupation des sols selon la performance énergétique des bâtiments. Outre la défense de la rentabilité, d’autres recommandations issues de la concertation s’apparentent à une tentative de limiter les risques, notamment celui qui est lié à l’interprétation des textes par les services administratifs chargés de veiller à leur exécution. Ainsi, le rapport Gauchot propose des « garde-fous basés sur un retour sur investissement selon la nature des travaux réalisés (petits, moyens ou importants) » (proposition no 20 : Gauchot, 2011).
Étendre le domaine de l’immobilier financiarisé
18Parallèlement à la sauvegarde de la rentabilité des investissements des gestionnaires d’actifs, nous observons la tentative d’extension et de diversification de leur marché. D’une part, c’est le cas de la proposition de « SIIC 3 vert » consistant à réduire de moitié le taux d’imposition sur les plus-values pour les entreprises cédant leur patrimoine immobilier à des véhicules d’investissement faisant appel à l’épargne publique (SCPI, SIIC, OPCI), à condition que ce dernier soit aux normes environnementales, ou en contrepartie de travaux dans ce but. Pour les acteurs de la filière d’investissement, l’enjeu est d’obtenir la reconduction d’une niche fiscale programmée pour disparaître en 2012 (art. 210-E sus-cité). Le Grenelle de l’environnement constitue, de ce point de vue, une fenêtre d’opportunité que les organismes représentatifs du secteur tentent d’exploiter en portant inlassablement cette proposition depuis les premières réunions au titre de la « professionnalisation » de la gestion immobilière. Dès 2007, le représentant de la FSIF estime qu’au regard « de la complexité des enjeux les pistes de proposition […] devraient toutefois renforcer l’incitation aux externalisations et par là même faire progresser la part de la détention des professionnels de la gestion et de l’exploitation des actifs immobiliers » (Kelberg, 2007 : 7). Il défend pour cela une fiscalité réduite. Il est rejoint par le président du Plan Bâtiment, qui, au-delà du soutien à une pareille incitation fiscale visant à « moduler l’imposition des plus-values latentes d’un immeuble cédé ou apporté en fonction de leur performance énergétique » (proposition no 16 ; Pelletier, 2008 : 48), juge « utile de généraliser les pratiques des meilleures sociétés foncières cotées » en matière de communication sur les consommations énergétiques (Pelletier, 2008 : 85). Ces arguments sont repris par les rapports successifs rédigés dans le cadre du Plan Bâtiment (Grzybowski, 2009 : 10, 32 ; Gauchot, 2011 : 9).
19D’autre part, la concertation fournit l’occasion aux gestionnaires d’actifs d’étendre leur marché à travers une diversification sectorielle. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la proposition de rétablissement de l’éligibilité des personnes morales aux certificats d’économie d’énergie et d’y assortir un crédit d’impôt (proposition no 21 : Gauchot, 2011). La vente de certificats d’économie d’énergie offrirait aux gestionnaires d’actifs une nouvelle source d’accumulation, d’autant que le crédit d’impôt pourrait être reversé sous forme de dividendes aux actionnaires. Cela revient à relier l’un des outils des politiques de réduction de la consommation énergétique à la « valeur actionnariale » qui guide l’activité de capitalisation des gestionnaires d’actifs.
Données, représentations et techniques financiarisées du verdissement
20La financiarisation ne se joue pas seulement dans des pratiques d’accumulation. La capitalisation qui les sous-tend impose selon T. Mitchell de « construire des structures durables d’accumulation où un certain montant des revenus qui peuvent être attendus dans le futur sont vendus aux investisseurs dans le présent » (Abourahme et Jabary-Salamanca, 2016 : 740, notre traduction). De telles structures reposent sur la mobilisation d’un ensemble de données, représentations, et de techniques calculatoires porteuses d’un « regard d’investisseur » sur le monde social (Chiapello, 2017 ; Adisson, 2018). Au fil des concertations, les acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé ont travaillé à leur élaboration et à leur diffusion.
Position d’expertise et production des données
21Dans un contexte où, à de rares exceptions près comme quelques études de l’Ademe ou de services techniques de l’État, il existe très peu de données d’origine publique, l’analyse des sources mobilisées dans la concertation, ainsi que de leurs réemplois révèle la prépondérance de ces acteurs dans la qualification du problème public des consommations énergétiques des bâtiments non résidentiels. Les données des rapports successifs de 2009 à 2011 qualifient d’abord la taille du parc immobilier, distinguée selon les types de biens (bureaux, commerces, entrepôts, bâtiments de santé, hôtellerie), ainsi que ses consommations énergétiques. Outre une étude annuelle réalisée par un bureau d’étude (le CEREN) à partir d’une enquête par correspondance auprès des entreprises propriétaires, l’essentiel des informations provient de grands propriétaires (principaux gestionnaires d’actifs et entreprises occupantes) et de leurs associations professionnelles (par exemple le Conseil national des centres commerciaux ou, pour la logistique, l’Afilog) qui proposent une remontée d’expériences reposant sur des études circonstanciées ou à travers leurs dires d’experts. Les données sur les consommations énergétiques des patrimoines proviennent toutefois principalement d’organisations spécialisées recensant le patrimoine des gestionnaires d’actifs, à l’image de la Green Rating alliance (Bureau Veritas) et des indicateurs annuels proposés par IPD France sur les bureaux « verts ».
22D’autres données économiques relatives au verdissement de l’immobilier non résidentiel visent à qualifier les coûts et les bénéfices, par exemple en termes d’impact sur le rendement global des investissements, ainsi que sur ses composantes (surprime et liquidité à la location et à la revente). Ces estimations sont rares, et s’appuient encore plus significativement sur des dires d’experts de l’immobilier financiarisé ainsi que sur des données élaborées à partir des patrimoines d’organisations relevant de ce secteur. C’est par exemple le cas de l’étude réalisée par le CSTB à partir des immeubles de la foncière Icade ou des informations financières fournies par IPD France dont l’activité consiste à proposer aux gestionnaires d’actifs un benchmark de leurs investissements. De même pour le bureau d’études Sintéo, qui travaille essentiellement pour le compte de gestionnaires d’actifs et de grandes entreprises privées (Salon de l’immobilier d’entreprise, Paris, décembre 2013 ; entretien 2, consultant en immobilier durable)
23Ces données renseignent les différents participants au sein de la concertation, mais aussi le service rédacteur du projet de décret (entretien 12, service technique de la DHUP). Elles sont mobilisées au sein des rapports afin de dramatiser la nécessité d’une réduction des consommations énergétiques, et pour souligner l’ampleur de la facture et donc le nécessaire soutien des pouvoirs publics en raison de la rentabilité économique très faible des investissements nécessaires. Plus généralement, leur production et leur diffusion permet aux représentants du secteur de l’immobilier financiarisé de construire une légitimité d’expert, face à l’administration publique dont les connaissances sur le sujet s’avèrent limitées, à la différence du logement (entretien 14, directrice adjointe du PB).
La réduction des consommations énergétiques à la valorisation financière
24Les représentations propagées à l’occasion des échanges entre participants lors des concertations reflètent une problématisation financiarisée de la politique environnementale. Le groupe portant sur la « valeur verte » a ainsi rassemblé une cinquantaine de gestionnaires d’actifs et d’experts, à une période où le secteur de l’immobilier financiarisé s’efforçait d’attribuer une valeur au verdissement (Halbert et al., 2014). Le rapport qui en résulte opère à ce titre une hiérarchisation des valeurs et des priorités assignées à la poursuite d’objectifs environnementaux, qu’ils matérialisent par la pyramide de Maslow. Ainsi, la politique environnementale est assujettie à la réalisation préalable de la « valeur la plus nécessaire, soit la valorisation financière » (voir fig. 1).
La pyramide de la « valeur verte »
La pyramide de la « valeur verte »
25Le rapport s’efforce, en outre, d’enrôler l’État dans cette perspective, en avançant qu’il existe une valeur verte pour ce dernier en raison d’effets multiplicateurs prêtés à l’économie de l’immobilier (création d’emplois liés à la rénovation énergétique, augmentation des recettes fiscales dans le secteur du bâtiment et de l’investissement, accroissement du bien-être au travail). Ces retombées – fondées sur des chiffres dont les sources demeurent inconnues et l’issue hypothétique – sont mobilisées pour justifier un accompagnement comptable et fiscal de l’État, tout en admettant que le contexte des finances publiques s’y prête mal. Cet argumentaire reflète une conception paradoxale de la politique environnementale reposant sur une division du travail en fonction de l’horizon d’investissement : d’un côté, les gestionnaires d’actifs ne seraient pas en mesure de se projeter à long terme, car « tous les investisseurs ont d’abord des comptes à rendre aux actionnaires privés et/ou publics » (Brunel, 2010 : 10) ; de l’autre, l’État et les collectivités sont encouragés à endosser un rôle d’investisseur de très long terme en consentant à des contreparties financières immédiates au titre de futurs effets multiplicateurs sur l’emploi et les finances publiques.
Techniques de calcul et « garde-fous » financiers
26Enfin, les techniques de calcul retenues pour la mise en œuvre de la réduction des consommations énergétiques témoignent elles aussi d’une problématisation financiarisée. En proposant d’instaurer des « garde-fous financiers » (proposition no 20), le rapport Gauchot (2011) reconduit une idée élaborée lors du groupe de travail Brunel : la valorisation des actifs comme juge de paix des investissements acceptables. L’emploi de « garde-fous basés sur le retour sur investissement » traduit la mobilisation de l’appareillage calculatoire en usage chez les gestionnaires d’actifs et leurs experts afin de borner les actions que pourrait retenir le législateur. Ce qui sera discuté n’est donc pas tant le principe du retour sur investissement, désormais tenu pour acquis, que les valeurs à retenir. Le rapport final retient cette méthode de calcul tout en élargissant la gamme d’horizons de retour sur investissement (5 ans, 10 ans et 20 ans selon l’ampleur des travaux), et convoque pour le justifier la notion de « soutenabilité des dépenses » [6]. Cette proposition installe donc les outils de la « gestion active » au sein de la politique environnementale : outre le retour sur investissement qui constitue le quotidien des gestionnaires d’actifs, l’approche par nature de travaux reproduit l’exercice d’allocation des capitaux qui repose sur la modélisation de scenarii correspondant à différentes hypothèses de dépenses d’investissement dits « capex verts » (voir Attuyer, Guironnet et Halbert, 2012). Le décret publié au Journal officiel le 9 mai 2017 adopte toutefois une position plus protectrice pour les propriétaires en limitant l’ensemble des interventions obligatoires à un retour sur investissement de 5 ans au plus ou à un montant maximum de 200 € HT/m2 de surface utile – à l’exception notable des collectivités et de l’État, sommés de s’engager à plus long terme en réalisant les interventions dont le retour sur investissement s’étend jusqu’à 10 ans.
La financiarisation à l’épreuve de la fabrique des règles en contexte d’austérité
27L’implication continue des acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé leur a permis de porter des positions destinées à rendre la politique environnementale compatible avec leurs pratiques d’accumulation, non seulement à travers des propositions visant à sauvegarder la rentabilité de leurs investissements, mais aussi à reformuler les problèmes, et donc leurs solutions. Cependant, certaines de ces propositions sont restées lettre morte. C’est le cas du « SIIC 3 vert », évoqué dès les premiers échanges lors de l’été 2007, afin de reconduire une niche fiscale favorable au développement du marché des gestionnaires d’actifs. Cette proposition rencontre les réticences du ministère des Finances, dont la Direction de la législation fiscale émet dès 2008 un « avis réservé » (Pelletier, 2008 : 48), dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques. Malgré cette réticence, les groupes de travail successifs réitèrent la proposition, jusqu’à la faire figurer dans le rapport Gauchot (2011). Elle ne sera cependant pas retenue dans la version finale du décret. Deux autres éléments limitent en outre la prépondérance des acteurs de l’immobilier financiarisé.
La fronde des autres propriétaires privés et publics
28D’autres propriétaires impliqués dans la concertation se sont mobilisés pour défendre leurs propres intérêts. L’objet retenu par le législateur dans la loi « Grenelle 2 », l’immobilier « tertiaire », présente une importante hétérogénéité qui déborde les objets sur lesquels les gestionnaires d’actifs immobiliers concentrent leurs investissements : ateliers, usines, boutiques, garages automobiles, entrepôts frigorifiques, écoles, gymnases, hôpitaux, etc. – autant de bâtiments détenus par des propriétaires dont les intérêts, les ressources et les modèles économiques diffèrent. Certains propriétaires occupent leurs locaux, tandis que tous les bailleurs ne partagent pas le même « regard d’investisseur » des gestionnaires d’actifs immobiliers, ni les mêmes ressources humaines, cognitives et financières pour modéliser les gains espérés d’une hypothétique « valeur verte ». Au cours de la concertation, et sans qu’ils ne s’opposent directement aux propositions portées par la filière de l’immobilier financiarisé, deux principaux types d’acteurs ont ainsi porté des positions dissonantes par rapport à cette dernière.
29D’une part, il s’agit de représentants des PME qui qualifient l’immobilier avant tout comme un « outil de travail », et non « un investissement » dans une perspective de placement financier (entretien 9, représentant d’une fédération patronale). Or, ces représentants peinent dans un premier temps à faire entendre leur voix au sein de la concertation organisée par M. Gauchot, pour qui « ce n’ était pas un sujet TPE-PME, c’ était plus un sujet pour les grands groupes » (ibid.). Grâce à leur mobilisation [7], les représentants des PME parviennent à participer aux échanges, où ils militent en faveur d’un seuil de mise en œuvre du décret restrictif afin d’épargner l’obligation de rénovation à de nombreuses entreprises occupant une surface inférieure à 2 000 m2.
30D’autre part, les pouvoirs publics ont également cherché à défendre leurs intérêts dans un contexte marqué par l’objectif de limitation des dépenses publiques. C’est d’abord le cas des collectivités territoriales, dont les représentants des associations d’élus partagent un sentiment de marginalisation similaire, lié aux spécificités prêtées aux bâtiments publics concernés par la loi, mais aussi au caractère jugé « trop technique » des échanges entre « sachants » de l’immobilier financiarisé (entretien 6, représentant d’association nationale de collectivités territoriales). Ils insistent sur l’incapacité des collectivités à supporter le coût d’une telle politique environnementale, chiffré à cinquante milliards d’euros sur douze ans (ibid.). Cette position les conduit à refuser sine die les propositions d’accompagnement impliquant un effort financier de leur part (par exemple, modulation de la fiscalité foncière). Par ailleurs, les associations d’élus locaux se mobilisent pour désamorcer toute obligation de travaux leur incombant, ce qui traduit une défiance à l’égard, non pas des acteurs de la filière financiarisée, mais du pouvoir central. Les collectivités mettent en avant le « coût [de la rénovation] et, dans ce coût, le fait qu’il n’y ait aucune facilité ni financement dédiés » de la part de l’État (entretien 6, représentant d’association nationale de collectivités territoriales). Cette critique tranche avec le ton et les propositions élaborées en 2010 au sein du Plan Bâtiment par un groupe de travail dédié au patrimoine des collectivités territoriales (Jarlier, 2010), dont les nombreuses mesures sur l’inventaire du patrimoine des collectivités, l’adaptation des outils juridiques et financiers, ou l’affirmation d’une gouvernance multiniveaux de la réduction des consommations énergétiques ne figurent pas dans les préconisations retenues par le rapport Gauchot.
31À cette opposition s’ajouterait celle de l’administration centrale, par la voix de l’agence France Domaine, dont deux représentants siègent au Comité de pilotage de la concertation Gauchot. Les participants à ces échanges soulignent que ces représentants de l’État propriétaire avaient d’autres priorités, à commencer par la recension de leur patrimoine (entretiens 6 et 13, représentant d’association nationale de collectivités territoriales et président du PB ; Gauchot, 2011 : 79). Ces représentants reprennent ainsi les conclusions d’un autre groupe de travail du Plan Bâtiment consacré au sujet en 2010, où le secrétaire général du Conseil immobilier de l’État soulignait qu’« aucune connaissance globale de cette situation ne permet aujourd’hui à l’État de disposer d’une vision stratégique lui permettant de prendre les décisions d’investissement nécessaires » (Lourdin, 2010 : 16).
32Ces différents représentants soutiennent des positions dissonantes par rapport à celles de la filière de l’immobilier financiarisé. Certes, ils partagent l’attention que celle-ci porte aux paramètres financiers : tant dans le cas des collectivités territoriales qui s’approprient la notion de « soutenabilité des investissements » (Gauchot, 2011 : Annexe, n.p.) que des PME dont les représentants acquiescent aux conclusions du rapport Gauchot parce qu’il garantirait la mise en place des « garde-fous » (entretien 13, président du PB). Cependant, alors que les représentants de la filière de l’immobilier financiarisé cherchent à partager les coûts en enrôlant prestataires techniques et locataires, ceux des PME et de la puissance publique cherchent au contraire à en limiter la portée, par exemple en ménageant un seuil d’application qui exclut les plus petites surfaces. Ils ne se contentent pas pour cela de se frayer une place dans les groupes du Plan Bâtiment, mais mobilisent en outre d’autres ressources pour peser sur la rédaction du décret. C’est le cas des représentants de PME qui font état de contacts réguliers avec l’administration ou les cabinets ministériels. De même pour les collectivités qui bénéficient d’autres instances d’échanges avec les services rédacteurs [8], au sein desquelles les élus pointent le coût du verdissement du parc immobilier des collectivités, estimé à plus de 30 milliards d’euros pour la période 2009-2020 (CCEN, 2012 : 59). Sans pouvoir établir un lien de cause à effet entre ces ressources et les arbitrages administratifs et politiques, la version finale du décret leur est favorable sur ce point, puisqu’elle retient un seuil d’application de 2 000 m², soit le double de celui qui est préconisé dans le rapport Gauchot.
De la régulation par les règlements à l’autorégulation marchande
33Cette mobilisation contribue à retarder la publication du décret, redoublant les vicissitudes liées à la campagne présidentielle et à l’alternance de 2012, puis aux remaniements ministériels successifs. Face à l’absence de débouché réglementaire de la concertation Gauchot dans l’immédiat, une partie des acteurs de la filière cherche à dépasser ce qu’ils perçoivent comme une impasse, pour y substituer une autorégulation marchande. Le Plan Bâtiment s’engage ainsi, à travers la figure de son président, dans la création et la promotion d’une Charte d’engagement volontaire pour l’efficacité énergétique des bâtiments tertiaires et publics en octobre 2013, signée par plusieurs grandes entreprises et gestionnaires d’actifs en présence des ministres du Logement et de l’Écologie. Or, cette charte, qui participe de la démarche individuelle de Ph. Pelletier pour promouvoir la « sanction de marché » qu’il s’agit d’amorcer grâce aux signatures des premiers volontaires, repose sur le soutien d’une partie influente de la filière de l’immobilier financiarisé [9] dont il est familier (entretien 3, société de conseil en développement durable). Dans un contexte de stabilisation de la « valeur verte », cette démarche correspond à une tentative de reprendre la main sur le processus de régulation, non plus seulement pour y peser, mais pour en promouvoir d’autres formes, ici à travers la sanction des prix du marché. Ainsi, les dirigeants du Plan Bâtiment défendent publiquement la Charte comme un « moyen de relancer une dynamique et de se mobiliser collectivement à côté de ce rapport Gauchot et de ses conclusions », et une « autre manière d’accompagner les pouvoirs publics pour pouvoir stimuler, relancer, et remettre à l’écriture le décret qui tarde à venir » (Salon de l’immobilier d’entreprise, Paris, décembre 2013). De même dans des réunions rassemblant ses premiers signataires, où ils rapportent leurs échanges avec le gouvernement, lui rappelant « qu’il est nécessaire que ce décret intervienne » et qu’« il faut que ce décret soit aimable et fréquentable […] qu’il reste dans le sentier de ce que vous faites » (Comité de pilotage de la Charte, juin 2014). Cet épisode est cependant suivi de tensions entre les différents acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé, qui culminent dans la passe d’arme publique entre M. Gauchot et Ph. Pelletier au sein de la presse professionnelle : le premier y affirme que « l’industrie immobilière a formellement besoin d’un décret » (businessimmo.com, 27 mars 2014) et que la Charte, facultative et non contraignante, ne saurait remplacer ; le second, en revanche, y oppose « un besoin de voir clair », déclarant « on peut vivre sans décret » (businessimmo.com, 28 mars 2014). Ces deux conceptions de la régulation se rejoignent cependant en ce qu’elles visent à ménager les intérêts des destinataires de la règle, qui nécessiteraient « un texte souple qui ait comme critère le principe de soutenabilité de la dépense » (ibid.). Dans tous les cas, les acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé contribuent à organiser les échanges et s’y impliquent pour reformuler le contenu d’une politique environnementale compatible avec leurs pratiques d’accumulation.
Conclusion
34Dans cet article, nous avons analysé le « travail » de financiarisation (Chiapello, 2017) portant sur les régulations de l’accumulation foncière par des acteurs mobilisant des capitaux, représentations et techniques de la finance de marché. Les objectifs gouvernementaux de réduction des consommations énergétiques pour l’immobilier non résidentiel constituent un terrain d’observation afin de comprendre comment cette régulation est coproduite par l’appareil politico-administratif et des acteurs de la filière de l’immobilier financiarisé. Notre enquête auprès du Plan Bâtiment retrace leur implication continue en tant que pilotes et participants des groupes de travail, et montre comment et pourquoi ils ont pesé sur la reformulation du contenu des règles, afin de les rendre compatibles avec leurs pratiques d’accumulation financiarisées. Cette participation est facilitée par un cadre de réformes du new public management visant à encourager l’expression des destinataires des règles, qui concernent ici les propriétaires d’immobilier non résidentiel.
35Or, du fait de leur « colonisation » (Chiapello, 2017) de certains marchés (bureaux, commerces, logistique) depuis la fin des années 1990, les gestionnaires d’actifs et les experts qui les accompagnent ont assemblé des ressources cognitives, techniques, et sociales qui leur permettent de s’imposer dans le processus de participation en tant que « professionnels » de l’immobilier dont la légitimité est reconnue par l’appareil politico-administratif. Mais leur prédominance n’est pas absolue. D’une part, certaines de leurs initiatives favorables à l’extension de leur marché sont restées sans lendemain. D’autre part, l’hétérogénéité de l’immobilier non résidentiel se traduit par la présence d’autres propriétaires participant à la concertation, et qui se sont montrés capables de faire valoir leurs intérêts durant la phase de rédaction des règles. Par la voix de leurs représentants, certains ont cherché à limiter le coût du verdissement de leur parc immobilier en fixant un seuil minimal, finalement retenu par le décret publié en mai 2017.
36Néanmoins, les arguments mobilisés par les autres propriétaires publics et privés, ainsi que les critères retenus par les services rédacteurs du décret témoignent de la diffusion de l’appareil calculatoire de la filière de l’immobilier financiarisé. C’est ce que reflète le concept de « garde-fou financier » et la métrique de temps de retour sur investissement qui figure dans le décret, à la suite du rapport Gauchot (2011). En dépit de positions dissonantes par rapport à leurs propositions, les acteurs de la filière ont réussi à conformer la régulation concernant le parc immobilier non résidentiel à leurs représentations et techniques de calcul financiarisées. Et ce alors même que leur activité se concentre sur une partie limitée de ce parc, à la fois sur le plan spatial (quelques quartiers, au sein des métropoles) et matériel (grandes surfaces, grandes entreprises locataires). Ces résultats empiriques invitent à reconsidérer certaines catégories proposées par les sciences sociales s’intéressant à la financiarisation de l’action publique. Plutôt que de distinguer les approches « internalistes » centrées sur les carrières et les instruments des acteurs de la finance de marché de celles qui sont dites « externalistes » et qui portent sur le pouvoir qu’elles ont sur d’autres acteurs du monde social (ménages, entreprises, l’appareil politico-administratif, etc. ; Chiapello, 2017), notre analyse illustre au contraire la porosité entre ces catégories et leur nécessaire articulation dans l’analyse de la financiarisation du capitalisme contemporain. Dans le cas des politiques environnementales qui concernent l’immobilier, la reproduction des pratiques d’accumulation financiarisées en vigueur est le produit d’un rapport de pouvoir, dont l’issue résulte d’une position prépondérante des acteurs de la filière financiarisée au sein des scènes de concertation.
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Mots-clés éditeurs : financiarisation, immobilier, France, politiques environnementales, action publique
Date de mise en ligne : 12/12/2018
https://doi.org/10.3917/tt.033.0075Notes
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[1]
À la suite d’une saisie d’associations professionnelles de l’hôtellerie et du commerce qui conteste notamment les délais estimés trop courts de mise en œuvre (voir Maisetti, Halbert et Guironnet, 2017 : 22-23). Pendant la procédure d’évaluation de l’article, le décret suspendu a été « définitivement enterré » par le Conseil d’État qui a annulé ce texte, dont une nouvelle version pourrait figurer dans l’article 55 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (source : Florent Lacas, « Décret tertiaire enterré : ce que prévoit la loi Élan pour le remplacer », https://www.batiactu.com/edito/ce-que-prevoit-loi-elan-batiments-publics-et-tertiaire-53329.php, consulté le 19/06/2018).
-
[2]
Il s’agit alors du Plan Bâtiment Grenelle, renommé Plan Bâtiment durable lors de l’alternance en mai 2012. Pour simplifier, nous retenons la racine de son nom.
-
[3]
Placée sous la tutelle conjointe du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) et du ministère du Logement.
-
[4]
Il n’existe pas d’informations publiquement disponibles concernant la part de marché des gestionnaires en termes de surfaces d’immobilier non résidentiel. L’ordre de grandeur de 30 % du parc privé circule régulièrement parmi ces derniers (voir Guironnet, 2017 : 60-61), ce qui équivaudrait par extension à moins de 15 % du parc total en France.
-
[5]
Nous remercions l’évaluateur anonyme pour sa suggestion concernant les travaux de Henry (2005), dont il relève les similarités avec notre cas, au sens où ceux-ci montrent que l’influence des entreprises sur le régulateur repose notamment sur une capacité à reformuler des problèmes sociaux dans des termes compatibles avec leurs propres intérêts.
-
[6]
Il s’agit de la Directive européenne 2010/31/UE du 19 mai 2010 portant sur la performance énergétique des bâtiments. À ce sujet, le président du PB opère d’ailleurs un glissement entre la « sustainability » généralement associée au développement durable (sustainable development) et les critères financiers : « On ne va pas imposer à des gens de faire des choses qui ne sont pas soutenables financièrement ! Alors nous, on appelle ça “retour sur investissement”, mais c’est cette idée-là : “soutenabilité de la dépense” qui est, me semble-t-il, un garde-fou suffisant. » (entretien 13).
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[7]
Voir le courrier adressé à Ph. Pelletier, où le président de la CGPME déplore les difficultés d’intégration dans les groupes de travail (Gauchot, 2011 : Annexe, n.p.).
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[8]
En l’occurrence le Conseil national d’évaluation des normes (CCEN), organisme créé par la loi de finance rectificative no 2007-1824 du 25 décembre 2007 afin d’émettre un avis consultatif sur l’impact financier des réformes s’appliquant aux collectivités territoriales et à leurs établissements (normes à caractère obligatoire, propositions de textes communautaires). Par ailleurs, l’Assemblée des départements de France adresse également une lettre au ministre de l’Écologie, qu’un enquêté résume ainsi : « votre affaire c’est insoutenable financièrement, on n’a pas les moyens du tout de respecter le Grenelle » (entretien 11, anonymisé).
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[9]
Plus de la moitié des premiers signataires sont des gestionnaires d’actifs, proportion qui diminue à un peu moins d’un tiers parmi les 109 signataires recensés au 6 avril 2017 (source : Plan Bâtiment durable, http://www.planbatimentdurable.fr/IMG/pdf/170406_liste_signataires.pdf, consulté le 29/01/2018).