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Article de revue

La marchandisation des offices comme appareils d’État au XVIIe siècle

Genèse sociopolitique de la financiarisation des finances de l’État en France

Pages 25 à 45

Notes

  • [1]
    Cet aspect symbolique était associé à un intérêt économique, car les nobles ne payaient pas la taille.
  • [2]
    Nous préférons parler de finances étatiques plutôt que de finances publiques. Avant que la notion de finances publiques ait un sens heuristique, il faut que l’État en tant qu’institution se représente et soit vu comme la chose publique (la res publica), comme la chose universelle. Pour ce faire, tout un travail doit être effectué au sein même de l’État et dans l’ordre politique. Il nous semble que l’on ne peut parler de la chose publique qu’à la suite des modifications majeures au cours du xviie et xviiie siècle.
  • [3]
    Les lettres patentes étaient des textes législatifs qui portaient sur un objet en particulier. Elles se distinguent par exemple des ordonnances qui étaient des documents législatifs portant sur de multiples objets et sur leur fonctionnement en général.
  • [4]
    Les parties casuelles furent créées à travers un édit du 18 mars 1522. Elles étaient une organisation qui devait assurer des revenus supplémentaires à l’État grâce aux enchères des offices. Elles dépendaient du Trésor de l’Épargne qui fut créé la même année et qui lui-même dépendait du Conseil des finances. Ce dernier conseil était une émanation du Conseil du roi dont les prérogatives étaient de gérer et d’organiser les dépenses et les recettes de l’État.
  • [5]
    Tous les offices n’étaient pas vendus par les parties casuelles, seulement les offices casuels, qui représentaient cependant la grande majorité des offices créés. A contrario, les offices domaniaux et les offices héréditaires étaient vendus par le roi. En outre, ils n’étaient que marginaux à la période qui nous intéresse (Descimon, 2006). Les offices casuels se définissaient par le fait qu’ils « p[o]uv[ai]ent vaquer par mort ou par forfaiture, par non-exercice ou par incompatibilité » (Mousnier, 2005 [1974] : 611). Si l’une des précédentes possibilités se réalisait, on disait que la finance de l’office tombait dans les parties casuelles. Il était alors possible d’entamer un nouveau cycle dans le mode d’allocation des offices dans l’optique de trouver un nouvel acquéreur.
  • [6]
    Un jurisconsulte était une personne qui avait affaire à la science du droit et qui donnait des consultations sur des questions de droit.
  • [7]
    Loyseau était un jurisconsulte important de son temps et également contemporain des grandes réformes et innovations qui touchaient les offices. Son ouvrage de 1613 est fondamental pour l’histoire des offices.
  • [8]
    Il était l’un des plus grands jurisconsultes français des xviie et xviiie siècles.
  • [9]
    L’estimation se fondait sur le prix auquel l’office pouvait être vendu.
  • [10]
    Le fait de prélever une taxe lors des transmissions revient à légaliser des pratiques qui n’étaient autrefois qu’acceptées par la royauté.
  • [11]
    L’une des caractéristiques de la modernité, selon Descimon et Guéry (2000), c’est la monétarisation de l’économie et des privilèges.
  • [12]
    Les épices ou taxations correspondent aux revenus versés par les sujets du royaume quand ils faisaient appel au service des officiers. On disait que l’on versait des épices s’il s’agissait d’un office de justice ; tandis que pour les offices de finance, on parlait de taxation.
  • [13]
    La vénalité étatique eut notamment pour effet une appréciation des prix des offices (Loyseau, 1613 ; Descimon, 2006). Or, pendant les guerres de Religion, la noblesse d’épée s’est fortement appauvrie (Mousnier, 2005 [1974]). Elle se retrouvait ainsi exclue des appareils d’État. Cette exclusion des offices s’exprime notamment dans le Cahier de la noblesse des États généraux de 1614-1615 (Pinsard et Tadjeddine, 2017). Une des propositions exprimées par la noblesse était de reconsolider le lien entre l’État et la noblesse qui s’était amoindri, au risque de voir un affaiblissement de l’État.
  • [14]
    Il se pouvait néanmoins que les ordonnances ne soient pas respectées en raison des diverses contestations (Mousnier, 2005 [1974]). Pour autant, elles étaient quand même la manifestation de certaines dynamiques sociales et sont ainsi révélatrices des rapports de force en vigueur.
  • [15]
    Les parlements étaient des offices qui avaient la charge de s’occuper de la justice dans le royaume français. Ces offices étaient détenteurs de plusieurs droits comme celui d’enregistrer les textes de loi et d’en émettre des remontrances s’ils jugeaient que ces textes étaient critiquables. Par ailleurs, ils étaient les garants des lois fondamentales du royaume. Même le roi ne pouvait déroger aux lois fondamentales.
  • [16]
    Les parlements, le Grand Conseil, les chambres des comptes, les cours des aides, la Cour des monnaies et les conseils souverains étaient les différents offices regroupés sous l’appellation de Cours souveraines. Uniquement le roi pouvait casser les textes de loi produits par les cours souveraines (Bluche, 1993).
  • [17]
    Ce sont des offices qui ne s’occupent que de la finance de l’État, par exemple récolter les différents types d’impôt.
  • [18]
    Par la suite, afin de faciliter la lecture, nous ne préciserons plus qu’il s’agit d’offices de justice et des offices de cours souveraines. Le lecteur devra garder en tête que le cadre législatif des offices de finance restera celui des parties casuelles.
  • [19]
    Seulement, l’hérédité des offices ne faisait pas encore système, car ce n’était que grâce à des édits de survivance créés à des dates définies que les offices pouvaient obtenir cette caractéristique. Si les officiers ne payaient pas le tiers-denier aux années correspondantes aux édits de survivance, l’hérédité de leurs offices ne s’appliquait pas. Six édits de survivance se sont succédé entre 1568 et 1586 (Mousnier, 2005 [1974]).
  • [20]
    La procédure d’examen est indiquée dans l’article cviii. Les examens se déroulaient dans les cours souveraines correspondantes à l’office vacant.
  • [21]
    Qui provenaient des trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état comme l’indique l’article cii.
  • [22]
    Les guerres étaient une nécessité fonctionnelle à l’État en vigueur puisqu’elles lui permettaient de légitimer de nouveaux dispositifs fiscaux qui avaient pour effet de le reproduire en tant qu’institution. Pour les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur ce point, nous renvoyons à l’ouvrage de Théret (1992).
  • [23]
    La première émission de rentes royales à travers l’Hôtel de Ville de Paris remonte à 1522 durant le règne de François Ier. On remarquera que le règne de François Ier fut riche en innovation financière, notamment avec l’émission de rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris et la constitution des parties casuelles la même année.
  • [24]
    On remarquera ici la contradiction entre la nécessaire émission de rentes pour subvenir financièrement aux guerres de l’État et la volonté royale de les réduire.
  • [25]
    Le chiffre exact est 27 274 579 livres. Le calcul a été réalisé à partir des données de Guéry (1978). Cependant, il manque des données pour huit années.
  • [26]
    Maximilien de Béthune était son nom de naissance.
  • [27]
    Les donneurs d’avis étaient un groupe social central dans le système financier de l’État français (Béguin, 2012). Leur fonction principale était de proposer au pouvoir royal des nouveaux instruments financiers, afin de procurer davantage de revenus : création de nouveaux impôts, changement de la législation des offices, etc. Leurs propositions étaient souvent accompagnées de proto-théories économiques dont le cœur du propos était l’organisation des finances de l’État. Si la proposition présentée par le donneur d’avis était acceptée, il se voyait rémunérer d’un « droit d’avis » dont le montant était forfaitaire ou proportionnel. Il se pouvait aussi qu’il fût directement en charge de l’application de sa proposition avec les revenus qui en découleraient : l’intéressant de facto à sa bonne réalisation (Dubet, 2000).
  • [28]
    Le caractère féodal aurait eu pour effet de réduire la puissance de l’État dans l’ordre politique (Théret, 1992).
  • [29]
    Ou encore connu sous le nom d’édit de la paulette en référence au nom de l’impôt qui en découlait.
  • [30]
    Sans provoquer des heurts sociaux qui s’exprimeraient à travers des révoltes notamment paysannes (Béguin 2012). Sully souhaitait avant tout pacifier le royaume. Ici réside l’explication de la mise en place de l’édit du droit annuel comme nouveau flux de revenu.
  • [31]
    Même si in fine le projet de réduire la valeur des rentes en circulation fut abandonné.
  • [32]
    Cf. Pinsard et Tadjeddine (2017) pour avoir des données sur l’évolution du budget de l’État avant et après l’application de l’édit du droit annuel.
  • [33]
    L’approche institutionnaliste parle de confiance hiérarchique pour décrire les situations selon lesquelles le pouvoir politique, à travers ses institutions, assure une pérennité temporaire du rapport monétaire.
  • [34]
    On peut saisir les offices comme des marchandises, car ils sont aussi une source de travail dont les gages et épices (ou taxations) sont la rémunération.
  • [35]
    L’Encyclopédie méthodique (Rousselot de Surgy, 1787) indique que c’est à la fin du xvie siècle, par l’entremise de Catherine de Médicis, que les partisans sont apparus en France.
  • [36]
    S’il s’avérait que les offices avaient été achetés dans le cadre d’une société de partisans, la veuve et les héritiers devenaient les propriétaires de la part dudit partisan.
  • [37]
    D’ailleurs, l’État non plus.
  • [38]
    Moyen par lequel de grandes richesses se constituèrent au cours du xviie siècle. L’établissement d’une Chambre de Justice en 1661, après l’arrestation de Fouquet, pour juger les financiers qui s’étaient « abusivement » enrichis en raison de leur position dans le régime fisco-financier de l’État traduit ces enrichissements cumulatifs.
  • [39]
    La valeur d’usage renvoie donc à la fonction sociale de l’office comme élément de la bureaucratie d’État.
  • [40]
    La valeur d’échange renvoie au profit espéré et anticipé de la vente de l’office par son ou ses propriétaires.
  • [41]
    Cette opposition – et contradiction – est le cœur même des luttes entre la bourgeoisie – comme classe sociale prochainement dominante – et la noblesse d’épée sur la définition symbolique des offices et donc sur l’organisation de l’État (Normand, 1976 ; Pinsard et Tadjeddine, 2017). On retrouve notamment cette lutte dans les États généraux de 1614-1615.

1Au sein du capitalisme financiarisé (Chesnais, 2001), la finance joue un rôle central dans l’organisation socioéconomique. Plusieurs courants théoriques et disciplines scientifiques se sont emparés de ce thème pour mettre en lumière ce processus de financiarisation. Il existe une multitude d’analyses qui traitent de l’impact de la financiarisation sur divers objets. Des travaux mettent l’accent sur la transformation des entreprises à travers l’intégration de logiques financières dans les décisions d’investissement (Auvray, Dallery et Rigot, 2016). D’autres auteurs mettent en avant le caractère instable du procès de production en raison de l’importance du capital fictif (Durand, 2014). Lemoine (2016) et Streeck (2014) soulignent quant à eux les transformations des types de financement de l’État avec une hausse de l’endettement public. Ces deux derniers auteurs montrent la manière dont un processus de financiarisation émerge dans nos sociétés contemporaines. Le présent article s’inscrit dans cette démarche tout en ayant une ambition historique plus importante pour analyser la genèse de la financiarisation en France. La thèse de cet article est que l’on assiste à une financiarisation des finances de l’État au xviie siècle en France. L’originalité de ce travail consiste à montrer que la financiarisation émerge à cause de modifications propres à l’État. L’État est donc décisif comme institution créatrice de ce phénomène.

2La structure administrative et bureaucratique de l’État durant l’Ancien Régime reposait essentiellement sur les offices : le prélèvement des impôts, la justice ou, plus généralement, tout ce qui permettait à l’État de se reproduire comme institution. Braudel et Labrousse (1993) parlaient d’« État d’offices » pour décrire la société française au xviie siècle. Les officiers étaient donc les dépositaires du pouvoir étatique et exerçaient leur fonction dans le cadre du royaume. Ils possédaient ainsi un pouvoir politique sur les autres sujets du royaume, mais aussi un pouvoir économique, car ils percevaient des revenus en tant qu’officiers. Être officier procurait aussi des privilèges qui pouvaient aller jusqu’à l’anoblissement [1]. Les offices étaient donc centraux pour le fonctionnement de l’État, mais aussi pour la trajectoire sociale des individus. Une modification des offices ou de leur cadre législatif produisait des effets à la fois sur le rapport entre l’État et les officiers, mais aussi entre les officiers et leurs offices. À ce titre, l’édit du droit annuel de 1604 est crucial. Ainsi, d’une part, nous montrerons dans cet article qu’à la suite de diverses réformes des offices, une marchandisation (ou vénalité) de cet appareil d’État va se réaliser et que ce processus est constitutif de la financiarisation des finances de l’État. D’autre part, la marchandisation des offices est vectrice de comportements typiquement financiers de la part des officiers.

3Afin de mettre en exergue ces phénomènes de marchandisation des offices et de financiarisation des finances étatiques [2], nous mobiliserons une littérature pluridisciplinaire. La Théorie de la régulation sera le courant théorique qui structurera le texte en mettant en relation le « rapport monétaire » avec la « forme État ». La sociologie sera également sollicitée dans l’optique d’expliciter l’institutionnalisation d’un marché des offices. Nous utiliserons des sources historiques de seconde main, mais aussi de première main pour constituer une histoire des offices. Le travail d’archives que nous avons effectué repose essentiellement sur l’analyse de textes législatifs primordiaux du xvie et xviie siècle qui ont été numérisés par la Bibliothèque nationale de France.

4La première partie de l’article décrira la manière dont l’État monarchique se constitue à travers la dépersonnalisation des relations entre le roi et les officiers, et par là même à travers l’objectivation de ce rapport social au sein des parties casuelles. Une vénalité étatique des offices se mettra progressivement en place entre 1522 et 1604, tout en connaissant des périodes de contestation de ce mode d’allocation des offices. Nous mettrons en perspective les offices avec les finances étatiques pour expliciter les raisons pour lesquelles les offices seront marchandisés. La seconde partie de l’article sera davantage théorique dans le sens où nous développerons les notions de marché et de marchandisation, ainsi que les conditions de leur émergence. Nous analyserons également les « partisans » comme groupe social particulier qui est la quintessence de la centralité des officiers et la transformation des offices comme appareils d’État en marchandises.

Luttes autour des finances étatiques : de la construction de l’État à l’autonomisation des offices

La vénalité étatique et la construction de l’État

5Les États généraux étaient l’expression des représentations et opinions de leur temps. Si l’on s’attarde sur ceux de 1484, l’un des points marquants est l’apparition de la critique de la vénalité des offices. Les racines de cette critique se situent dans les lettres patentes [3] du 21 octobre 1467 de Louis XI (1461-1483). Ce texte de loi constitue un moment fondateur dans l’histoire de la vénalité des offices, car il instaure une propriété viagère des offices. Avant 1467, les officiers, d’une part, pouvaient être destitués de leurs offices par la seule volonté du roi et, d’autre part, le roi pouvait désigner qui remplacerait l’officier déchu. Un comportement arbitraire du roi sur les officiers découlait de cette relation. Les lettres patentes de 1467 changèrent cette relation pour assurer aux officiers une plus grande pérennité de leurs offices. De cette manière, les officiers en devenaient pleinement les propriétaires. L’un des effets de la mise en place de la propriété viagère des offices est la capacité de les transmettre. Deux formes de transmission émanaient de cette possibilité. La première consistait à transmettre l’office à un tiers, il s’agissait généralement des héritiers ou d’un des membres de la famille de l’officier. La seconde renvoyait à la possibilité pour l’officier de vendre son office dans le cadre d’un échange.

6La vente d’offices s’effectuait régulièrement par le truchement de grands officiers royaux ou favoris de la Couronne (Descimon, 2006). Ils jouaient, dès lors, le rôle d’intermédiaire dans les échanges, percevant des commissions. C’est la raison pour laquelle François Ier (1515-1547) modifia la manière dont les offices étaient attribués en imposant la présence de l’État. Initialement, le roi était celui qui dictait les créations d’offices. Pratiquement chaque création faisait l’objet d’un don de la part du roi. De cette manière, il récompensait ses fidèles et nouait ou renforçait des alliances. Mais à partir de 1522, date à laquelle les parties casuelles [4] furent créées, un autre mode d’allocation des offices fut institué. En effet, à partir de cette date, la vente des offices par les parties casuelles [5] fut créée et systématisée. Le jurisconsulte [6] Charles Loyseau [7] (1613 : 291) disait des parties casuelles qu’elles servaient « de boutique à cette nouvelle marchandise ». En effet, cette boutique avait pour tâche de vendre par adjudication de nouveaux offices ou bien ceux qui étaient devenus vacants. Les potentiels acquéreurs de l’office inscrivaient dans le registre dédié à l’adjudication la somme qu’ils étaient prêts à débourser pour en devenir les propriétaires. Celui qui avait indiqué le montant le plus élevé remportait l’adjudication. La somme ainsi déterminée par l’adjudication était payée par l’officier au profit de l’État. En échange de cette somme versée, l’officier recevait, d’une part, des gages de la part de l’État et, d’autre part, de l’argent des sujets du royaume pour le rémunérer lorsqu’ils le sollicitaient pour qu’il remplisse ses fonctions.

7Par le fait d’avoir introduit les parties casuelles dans le procès d’attribution des offices, François Ier changea la nature de la vénalité. Selon Descimon (2006), il y aurait deux types de vénalité qu’il ne faudrait pas confondre. L’une se nommerait « vénalité coutumière », l’autre « vénalité légale ». Pour appuyer son propos, l’auteur mobilise notamment le jurisconsulte Claude-Joseph de Ferrière [8] qui définit les offices légaux comme les offices qui ont été achetés auprès des parties casuelles. En d’autres termes, la vénalité légale est orchestrée par l’État, tandis que la vénalité coutumière est organisée sans l’aide de l’État. Pour le dire autrement, les parties casuelles inscrivent la vénalité des offices dans la sphère de l’État. Par ce phénomène d’étatisation de la vénalité, il y a un processus de dépersonnalisation dans l’allocation des offices, puisque ce n’est plus le roi qui donne l’office, mais les parties casuelles qui allouent les offices. En outre, s’il s’agissait d’une transmission, l’État imposa qu’on lui versât une taxe de résignation équivalente à un quart de la valeur estimée de l’office [9]. Autrement dit, l’État s’insère dans les deux niveaux du mode d’allocation des offices : lors de l’adjudication et de la transmission [10].

8Alors que la vénalité coutumière tire ses racines du monde médiéval, la vénalité légale exprime une importance croissante de la place de l’État dans plusieurs domaines, énonciatrice de sa modernité [11]. Or, les offices sont à l’intersection de plusieurs domaines. En effet, ils possèdent un aspect symbolique (les privilèges liés à l’office), juridique (capacité d’exercer la fonction qui est rattachée à l’office par le fait que l’officier est vu comme le dépositaire du pouvoir étatique) et financier (tous les revenus provenant de la propriété de l’office tels que les gages, les épices ou les taxations [12]). Avec l’avènement des parties casuelles, il y a une mise en cohérence de ces trois aspects, puisque c’est désormais l’État qui les organise. La vénalité étatique est notamment ce qui caractérise la France au regard de ses voisins européens (Swart, 1949).

Instabilité du cadre législatif des offices : luttes pour le contrôle d’un appareil d’État

9La promulgation de la vénalité étatique n’est pas un phénomène qui fut pleinement et immédiatement accepté par l’ensemble de la société. Contrairement à la bourgeoisie, la noblesse d’épée [13] critiqua ce nouveau mode d’allocation des offices. Dans différentes ordonnances post-1522, on retrouve des traces de ces critiques et des luttes qui se sont jouées. Les ordonnances sont des textes de loi qui résultent de la relative attention portée par la royauté à des prises de position des trois ordres lors des États généraux. Leur étude donne à voir les rapports de force à l’œuvre à cette période. Nous faisons ainsi nôtre la démarche selon laquelle la production de textes législatifs dénote des compromis institutionnalisés (Delorme et André, 1983) et est une forme sociale (Gayon, 2016) qui est le produit et l’un des producteurs du monde social. Ces textes traduisent à ce titre la forme de l’État à un moment historiquement situé [14].

10L’ordonnance de 1561 (France et Charles IX, 1561) fait écho aux États généraux d’Orléans de la même année. Elle est divisée en six chapitres, dont celui sur la justice dans lequel 74 articles sont développés. Plusieurs de ces articles marquent une véritable césure de la vénalité étatique. En effet, l’article xxx exprime clairement cette ambition en précisant qu’il fallait revenir au nombre d’offices de l’époque de Louis XII (1498-1515), soit avant l’ère de François Ier et par conséquent avant les parties casuelles. Pour ce faire, il fallait supprimer les offices qui devenaient vacants. L’article l s’inscrit aussi partiellement dans cette voie. L’article xxxi suit le même mouvement en interdisant la possession de plus d’un office. Une fois que le nombre d’offices serait revenu à un niveau égal à celui de la période de Louis XII, il ne serait plus nécessaire de supprimer des offices. Par contre, le mode d’allocation des offices devait être modifié. En effet, l’article xxxix indique que si les offices des Parlements [15] et des Cours souveraines [16] venaient à être vacants, ils ne tomberaient plus dans les parties casuelles. Les offices vacants devaient trouver preneurs non pas par la vente, mais par un système d’élection qui devait évaluer la compétence et la qualité des candidats. Ériger la qualité et la compétence comme critères d’accession aux offices favorisait la noblesse d’épée. En effet, la qualité d’une personne revenait à vérifier sa lignée familiale et plus généralement sa position sociale. Les offices affectés par l’ordonnance de 1561 sont des offices de justice et ceux des Cours souveraines. A contrario, les offices de finance [17] ne sont pas réformés et restent régis par le cadre des parties casuelles (Descimon, 2006). À l’image de Normand (1976 [1908]), on pourrait ainsi voir dans ces ordonnances la suppression de facto des parties casuelles en ce qui concerne les offices de justice et des Cours souveraines [18].

11L’ordonnance de Moulins de 1566 (Isambert, Decrusy et Taillandier, 1829) prolonge et affirme la politique anti-vénalité des offices. Les articles ix, x et xi sont ceux qui postulent les élections comme mode d’allocation des offices. Cependant, un interstice s’ouvre avec l’article xii dans lequel des éléments de la vénalité étatique vont se ré-engouffrer. Grâce à cet article, la résignation envers une tierce personne est de nouveau légale. Néanmoins, il y est stipulé que les procureurs auront un mois pour « enquerir de la capacité & preud’hommie des pourueus ». L’article xii constitue donc un compromis selon lequel des principes liés à la vénalité (la résignation) et des principes liés à l’élection (vérification de la qualité du futur officier) coexistent. On ne laissera cependant pas à l’ordonnance de Moulins le temps de s’appliquer. Le 12 novembre 1567, Charles IX (1560-1574) détricota en partie l’ordonnance qu’il avait lui-même établie une année plus tôt. Par un édit, la vénalité étatique des offices fut de nouveau autorisée, à travers la réhabilitation de facto des parties casuelles, ainsi que la faculté de résigner les offices à la condition de payer un droit de mutation (Merlin, 1827). De la sorte, en supprimant l’élection et en légalisant de nouveau la vénalité des offices, l’État se dotait de revenus supplémentaires. Mais en plus de revenir à cet ancien mode d’allocation des offices, des « édits de survivance » sont mis en place l’année suivante. Ces derniers représentaient une réelle innovation financière, puisque les offices devenaient héréditaires si les officiers payaient le « tiers-denier », soit une somme équivalente à un tiers de la valeur estimée de l’office. En payant le tiers-denier, les officiers n’avaient plus l’obligation de payer le droit de mutation et assuraient automatiquement la propriété de l’office à leurs héritiers s’ils venaient à mourir [19]. Ainsi, les offices ne pouvaient plus tomber dans les parties casuelles. C’était la première fois que les offices étaient susceptibles de devenir à la fois vénaux et héréditaires.

12Le successeur de Charles IX, Henri III (1574-1589), ne s’inscrit pas dans les principes de son prédécesseur à propos de la vénalité et l’hérédité. En effet, l’ordonnance de Blois de 1579 (France, 1789), qui s’inspire des doléances des États généraux de Blois de 1576-1577, interdit encore une fois la vénalité. Une énième oscillation de balancier s’opère donc à propos de la législation sur la vénalité étatique. Le rapport de force au cours de ce règne est en faveur de l’élection des officiers. Plusieurs articles de l’ordonnance de 1579 sont déterminants dans ce basculement législatif. Sûrement, le plus important est l’article c. Il donne clairement à voir la position anti-vénalité de l’État à cette période. En effet, il stipule le caractère illégal de la vénalité. Ceux qui s’aventureraient à ne pas respecter cet article seraient condamnés et auraient l’interdiction de posséder des offices royaux. Aucun office ne pouvait donc ni être échangé de manière bilatérale entre un officier et un candidat à l’office ni être vendu par les parties casuelles. L’article cii réaffirme l’élection comme mode d’allocation des offices avec un examen de la qualité des élus en ce qui concerne les offices de cours souveraines. Avec ce dernier article, l’ordonnance de 1579 se confond ainsi avec celle de 1561 (France et Charles IX, 1561) [20]. S’il s’agissait d’offices de provinces, les principaux officiers et les notables [21] de la province en question devaient envoyer une liste dans laquelle seraient indiquées les personnes qu’ils auraient jugées les plus aptes à détenir l’office vacant.

13On ne pourrait pas saisir la complexité de l’histoire de la vénalité étatique des offices, si l’on ne la mettait pas en perspective avec les finances de l’État et plus particulièrement les rentes. En effet, ce sont les rentes comme modalités de financement qui vont grandement déterminer et participer à cristalliser le mode d’allocation des offices sous Henri IV (1589-1610).

Les rentes et l’édit du droit annuel : vers la centralité des officiers dans l’État

14La guerre et son financement étaient les raisons pour lesquelles de nouvelles rentes étaient émises [22]. À cette époque, l’État s’endettait par le truchement de l’Hôtel de Ville de Paris [23]. Cette institution avait un caractère double en raison de ses fonctions et de son ancrage territorial. En effet, d’une part, il devait émettre des rentes pour financer l’État et, d’autre part, sa gestion était assurée par le pouvoir municipal de la ville de Paris. Autrement dit, il jouait en quelque sorte le rôle d’agence dont le but était de réduire le coût de l’endettement pour l’État. Les créanciers considéraient que le paiement des arrérages des rentes contractées était plus sûr si leur émission se réalisait à travers l’Hôtel. Le taux d’intérêt des rentes était ainsi moins élevé.

15Le règne de Henri III est notamment marqué par l’utilisation de cet instrument financier. Les guerres de Religion qui se déroulaient lors de son règne drainaient les finances de l’État. Il fallait donc davantage de revenus. C’est ce qui poussa à la création de nombreuses rentes perpétuelles à cette époque. Néanmoins, Henri III s’inquiétait de la hausse des rentes en circulation [24]. Il demanda dès lors qu’il y ait une enquête statistique pour en connaître notamment la valeur. Le résultat de l’enquête était que si toutes les rentes étaient rachetées, l’État devait débourser l’équivalent de 62,8 millions de livres (Béguin, 2012). À titre de comparaison, la moyenne des revenus annuels pendant le règne de Henri III s’élevait à environ 27 millions de livres [25] ; il aurait donc fallu plus de deux fois le budget annuel de l’État. Ainsi, ce projet resta plus ou moins lettre morte. C’est à ce type de situation financière que Henri IV fit face lorsqu’il arriva sur le trône de France. Son règne est marqué par la présence d’un autre personnage décisif : Sully [26]. C’est en 1598 que ce dernier obtient le titre de surintendant des finances. En 1599, Sully demanda à ce que l’on vérifiât l’exactitude et la licéité des rentes constituées sur l’Hôtel de Ville de Paris et celles qui avaient été émises dans les provinces du royaume. Ainsi, une première commission, dont la tâche était de répertorier les arrérages non réclamés des rentes, fut établie en 1594. Une seconde commission, complémentaire à la première, fut par la suite mise en place en 1604, dont le but était d’examiner les propositions des donneurs d’avis [27]. L’établissement de la commission de 1604 démontre l’attention particulière que Sully accordait aux donneurs d’avis et leur place importante dans le système politico-financier de l’époque. Cependant, le surintendant des finances leur prêtait une oreille attentionnée avant 1604 dans l’optique de réduire la valeur monétaire des rentes en circulation soit en payant les arrérages en retard, soit en les rachetant. En effet, dès 1597, un donneur d’avis du nom de Jacques Molinier proposa la mise en fief des offices qui anoblissaient et de transformer en censive les offices restants (Béguin, 2012). Ce système aurait procuré à l’État plus de revenus, puisqu’il aurait touché un droit de mutation à chaque fois qu’un office aurait été échangé. Sully s’inspira de cette proposition de réforme financière, mais en lui enlevant son caractère féodal [28]. Dès 1602, il milita pour la mise en place d’une réforme de la législation des offices dont la réussite se concrétisa en 1604 après deux années de lutte au sein de l’État (Mousnier, 1941 ; Pinsard et Tadjeddine, 2017).

16L’année 1604 est une année charnière dans la législation des offices, car elle met un terme à l’alternance du mode d’allocation des offices. En effet, c’est à travers l’édit du droit annuel [29] que le système des offices du xviie siècle va se stabiliser, se structurer et apporter des modifications majeures dans et par l’État. À partir de 1604, le mode d’allocation des offices s’effectue de nouveau à travers les parties casuelles lors de l’adjudication. En d’autres termes, cet édit symbolise le retour de la vénalité étatique.

17Avant l’édit de 1604, les officiers devaient survivre 40 jours après que la taxe de résignation fut encaissée par le Conseil des finances pour que l’échange soit officialisé. Si l’officier ne respectait pas la clause des 40 jours, l’office retombait dans les parties casuelles et le roi en redevenait le propriétaire. Tandis qu’à partir de 1604, la clause de 40 jours ne s’appliquait plus et si l’officier mourait, sa veuve et ses héritiers devenaient automatiquement les propriétaires de l’office. Par ailleurs, la vénalité était facilitée puisque la taxe de résignation était diminuée de 1/4 à 1/8e de la valeur de l’office. En outre, les officiers percevaient des revenus à la fois de la part de l’État (les gages) et des sujets du royaume pour les rémunérer d’avoir exercé leur fonction d’officier. La figure 1 illustre le cadre de l’édit du droit annuel.

18Autrement dit, un compromis institutionnalisé s’établit au début du xviie siècle entre les officiers et l’État. À la fois cela apportait des revenus supplémentaires à l’État [30] pour payer les arrérages des rentes ou rembourser ces dernières [31], et donnait une place de plus en plus centrale aux officiers dans le système politico-financier de l’époque [32].

Figure 1

Le circuit d’allocation des offices prenant la forme d’une vénalité étatique avec les différents revenus qui en découlent à partir de 1604

Figure 1

Le circuit d’allocation des offices prenant la forme d’une vénalité étatique avec les différents revenus qui en découlent à partir de 1604

(Source : auteur)

De la centralité des officiers à la financiarisation des finances étatiques

Marchandisation des offices et émergence de comportements financiers

19Avec le paiement de la paulette, c’est-à-dire à travers le paiement d’un impôt annuel, un droit de propriété et de transmission inaliénable était accordé aux officiers. Le paiement monétaire était ce qui permettait ainsi l’acquisition d’une propriété pleine de l’office. Cette manière d’acquérir un office se retrouvait également lors de l’adjudication de l’office. La vénalité étatique promouvait par conséquent la monnaie comme moyen d’accession à la propriété privée de l’office. Ce système était d’une tout autre nature que celui qui opérait à la suite des ordonnances de 1561, 1566 et 1579, selon lequel la qualité et la capacité des officiers leur permettaient de devenir propriétaires d’un office. À partir de 1604, ce qui était valorisé n’était plus les caractéristiques personnelles, mais la possession de la liquidité. Pour ainsi dire, au début du xviie siècle, l’État français renverse la hiérarchie des valeurs en son sein, passant de la dignité et l’honneur (Mousnier, 1969) à une logique monétaire ou à une logique d’intérêt (Hirschman, 1997).

20Dans une perspective institutionnaliste (Aglietta, Ould-Ahmed et Ponsot, 2016), la monnaie se définit comme l’institution qui rend manifeste la valeur des marchandises. Selon cette approche, ce qui caractérise la monnaie, c’est à la fois qu’elle instaure notamment un système de compte et un système de monnayage. Le système de compte est la capacité de la monnaie à quantifier des rapports sociaux et de rendre possible une objectivation de la valeur des marchandises. Sans un système de compte, il est impossible d’établir un prix pour les marchandises. Le système de monnayage recouvre les différents moyens de paiement. Par conséquent, le rapport monétaire – et donc la vénalité étatique comme mode d’allocation des offices – instaure un système de prix des offices dont l’État est l’institution qui garantit son fonctionnement [33]. Les offices se voient ainsi dotés d’un prix continu et d’une relative liquidité. Or, d’après Le Capital de Marx (2014 [1867]), les marchandises se définissent précisément par leur prix et leur liquidité relative. Au regard de la définition donnée par cet auteur, les offices peuvent dès lors être théoriquement appréhendés comme des marchandises [34].

21D’un point de vue plus concret, certaines modalités amènent les offices à se voir doter d’un prix en outre de la nécessaire, mais non suffisante existence d’un système de compte. Ces modalités se situent dans le champ de l’État et celui des marchandises. D’une part, les institutions qui font partie intégrante de l’État participent à l’élaboration d’un prix continu de l’office pour calculer la valeur nominale de la paulette ; d’autre part, les comportements décentralisés et marchands des acheteurs et vendeurs d’offices jouent également un rôle primordial dans la formation de ce prix. Cependant, ces deux déterminations n’ont pas identiquement la même importance. La détermination du rapport marchand sur le prix continu est plus cruciale que celle de l’État, puisque le calcul de la paulette repose sur une estimation de la valeur marchande de l’office. La détermination marchande est donc première dans la formation d’un prix de l’office, dont la dynamique sera haussière à partir de l’institutionnalisation de ce rapport marchand (Loyseau, 1613 ; Descimon, 2006).

22Plusieurs processus se jouent au moment de l’instauration de l’édit du droit annuel, dont la constitution d’un marché des offices est la résultante de la combinaison. Premièrement, les offices accèdent au monde des marchandises en obtenant un prix et une liquidité relative. Ils sont ainsi sujets à être échangés à travers un rapport monétaire (système de compte et système de monnayage) dans le mode d’allocation des offices. Deuxièmement, ces échanges se manifestent par des actions décentralisées (lors des ventes d’offices). Enfin, par la nature marchande de ces opérations, il y a une opposition d’intérêts entre les acheteurs et les vendeurs d’offices. Selon Guesnerie (1996), l’existence simultanée de ces trois facteurs correspond aux éléments constitutifs d’un marché. Autrement dit, l’édit du droit annuel met en place des dispositifs de marché (Callon et Muniesa, 2003) pour calculer les valeurs des offices.

23Par l’instauration de ces dispositifs, une modification du rapport même des officiers avec leurs offices se produit. Compte tenu du fait que les offices se situent sur le même plan que les autres marchandises, une comparaison entre les différentes activités économiques voit le jour. De nouvelles pratiques émergent, laissant entrevoir l’apparition de comportements et de raisonnements financiers. Descimon (2011) décrit la manière dont l’office de la Chambre des comptes de Paris était perçu : de nombreux marchands délaissaient leurs activités roturières pour devenir les propriétaires d’un office. Jacques Scoppart respectait cette trajectoire sociale. Il venait d’une famille marchande et décida de substituer un office au commerce, car ce dernier représentait un risque trop important au regard de sa capacité incertaine d’engendrer des revenus sûrs et stables. À l’inverse, les activités d’officier étaient vues comme plus sûres et moins risquées. Ainsi, un raisonnement typiquement financier s’exerçait lorsque des individus tels que Scoppart arbitraient entre deux activités en fonction des risques de perte et de gain. S. Durand (2011) trouva également des comportements similaires pour la Chambre des comptes de Montpellier.

24Finalement, l’édit du droit annuel affecte directement le rapport entre l’État et les officiers en introduisant un rapport monétaire, dont les effets se situent sur deux plans interdépendants : celui de la valeur et celui des pratiques financières.

Valeur d’usage et valeur d’échange : les partisans

25Les « partisans » sont des officiers dont la singularité était leur capacité à acheter des offices en grande quantité [35]. Le statut de partisan n’était pas stricto sensu un statut légal dans la société en vigueur, mais ils se distinguaient par leurs pratiques vis-à-vis des offices et du type de contrat auquel ils souscrivaient. Lors des adjudications d’offices, il se pouvait que les offices ne fussent pas mis en enchère un à un, mais vendus en gros. Les adjudications pouvaient alors dépasser plusieurs centaines d’offices vendus simultanément. On parlait alors d’offices qui étaient mis en partis – d’où le nom de partisans.

26Ce type de pratique fut accentué à partir de l’adoption de l’édit du droit annuel (Descimon, 1991). Un système à grande échelle autour des partisans se mit en place et de multiples comportements spéculatifs s’ensuivirent. En effet, les offices mis en partis n’étaient pas voués à être conservés dans le long terme par les partisans. Une fois que l’achat de ces offices était effectué, les partisans recherchaient à les revendre au détail à diverses personnes ou corps. Ils étaient par conséquent de véritables intermédiaires financiers, dont la spécialité était l’achat et la revente d’offices. En outre, en raison de la somme importante à débourser pour acheter les offices mis en partis, certains partisans se réunissaient pour former des sociétés de partisans. L’intérêt de constituer des sociétés de partisans résidait dans la capacité à acheter davantage d’offices par un effet de levier, et in fine à espérer réaliser plus de profit. Les bénéfices qui provenaient de la position d’intermédiaire financier étaient par la suite distribués en fonction de la part versée au sein de la société (Mousnier, 2005 [1974]).

27Une certaine forme d’alliance d’intérêts se mit ainsi en place entre l’État et les partisans. En effet, la vente en gros d’offices était un moyen par lequel l’État tirait à la fois des revenus plus importants et plus stables. Quant aux partisans, outre leurs activités d’intermédiaires financiers, ils percevaient des avantages fiscaux et financiers accordés par l’État. Pagès (1938) mit en lumière ces différents avantages, dont celui de toujours empocher des gages alors qu’ils n’effectuaient pas la fonction sociale première de l’office : celle d’effectuer la charge de l’office. Un autre des avantages accordés aux partisans était la possibilité de ne pas payer la paulette pendant deux ans, une fois que les offices mis en partis étaient achetés, tout en restant dans le cadre législatif de l’édit du droit annuel.

28Ils jouissaient par conséquent du caractère patrimonial et vénal des offices, sans qu’ils aient à payer l’impôt qui était supposément la condition nécessaire pour bénéficier des avantages de l’édit de 1604. Ainsi, la clause des 40 jours ne s’appliquait pas, et si un partisan venait à décéder, sa veuve et ses héritiers devenaient automatiquement les propriétaires des offices [36]. En outre, si les partisans devenaient les acquéreurs d’offices de cours souveraines, ils se voyaient exempter du paiement de la taille, principal impôt direct sous la monarchie française : cet avantage n’était donc pas négligeable.

29Du fait du type d’activité au sein des finances étatiques, une division sociale du travail procède au sein même des offices. Un autre groupe social va se former concomitamment à la constitution des partisans : les commis. Alors que les partisans étaient propriétaires des offices, les commis ne détenaient aucun droit de possession sur ceux-ci. C’étaient les partisans qui choisissaient leurs commis. Leur tâche sociale consistait à effectuer la fonction qui était rattachée à l’office. Les commis n’avaient au demeurant pratiquement aucun droit de regard sur l’organisation des offices [37]. Ils « ne pouvaient avoir aucune voix délibérative dans les assemblées de la société, ni demander aucun compte […] autre qu’à celui qui les avait associés » (Mousnier, 2005 [1974] : 645). L’organisation des offices était laissée à la discrétion des partisans. Une véritable propriété privée s’était mise en place avec les partisans comme propriétaires. L’État rémunérait donc la propriété de l’office, étant donné que c’étaient les partisans qui percevaient toujours les gages. Autrement dit, par le seul fait de posséder un appareil d’État, l’État versait des revenus monétaires. Le rapport monétaire permettait donc à la fois l’acquisition d’offices et la rémunération de cette appropriation. Dans le cadre des offices et de leur marchandisation, les moyens de paiement sont les créateurs d’autres moyens de paiement [38]. Ce type de fonctionnement de la forme de l’État met en lumière ce que valorisait l’État, à savoir la position d’intermédiaire financier des partisans, et plus généralement la marchandisation de ses propres finances.

30Cette division sociale du travail se traduit par une séparation entre la valeur d’usage et la valeur d’échange de l’office. D’une part, la valeur d’usage est assurée par le travail des commis dans la réalisation de la fonction sociale première de l’office [39] ; d’autre part, la valeur d’échange est accaparée par les partisans [40]. Ainsi, les offices sont travaillés par des forces contraires et internes qui débouchent sur une fracture de la nature de l’office. L’apparition de la valeur d’échange marque le caractère désormais marchand des offices. Cependant, la valeur d’usage de l’office ne disparaît pas, elle continue d’exister, mais elle est reléguée à une position hiérarchiquement inférieure à la valeur d’échange [41]. La matérialisation de la valeur d’échange s’exprime par des montages financiers dans le dessein de l’accroître. Que ce soit la possibilité d’être les copropriétaires d’un même office, ou l’éventualité d’être le propriétaire de plusieurs offices dont les fonctions sont foncièrement éloignées, cela participe à un même mouvement : celui de faire entrer les finances étatiques dans une logique financière. Dans la même optique, les partisans avaient aussi la possibilité de fusionner deux ou plusieurs offices sans que leurs fonctions soient cohérentes les unes avec les autres. À notre sens, ce dernier exemple de montage financier exprime précisément l’hégémonie de la valeur d’échange au sein des offices et la financiarisation des finances de l’État. Par surcroît, l’alliance d’intérêt entre les partisans et l’État est de nouveau actualisée et renforcée, puisque si la valeur d’échange des offices s’apprécie, alors la valeur nominale de la paulette suit la même trajectoire. En raison de la financiarisation des offices, une alliance d’intérêts entre l’État et les officiers se solidifie sur plusieurs niveaux, à savoir au moment de la mise en partis des offices et lors de l’appréciation de leur valeur d’échange. Pour ainsi dire, l’État promeut les officiers, mais par ce même mouvement se met en position de dépendance financière à leur égard. C’est l’une des raisons pour lesquelles le cadre législatif des offices ne sera pas modifié avant 1665, décennie durant laquelle Colbert arrivera au pouvoir en tant que contrôleur général des finances.

Conclusion

31Les offices étaient un moyen d’accroître les revenus de l’État. Au cours du xviie siècle, le poids des offices comme moyen de financement va augmenter au sein des finances étatiques. Une financiarisation des finances de l’État était ainsi à l’œuvre à cette période. Plusieurs éléments sont nécessaires à l’apparition de ce phénomène. Tout d’abord, il a fallu que la vénalité des offices soit organisée par l’État. Cette vénalité étatique se caractérise par l’insertion du rapport monétaire dans le mode d’allocation des offices. La relation entre l’État et les officiers s’en voit dès lors affectée, et l’un de ses traits saillants en est la marchandisation des offices. Ces appareils d’État se sont vus échangés par la suite sur un marché des offices. Dès lors, des comportements financiers ont vu le jour. Les différents agents réalisaient des calculs de risque entre différentes activités économiques. Un groupe social se constitua même comme intermédiaire financier, dont le but était d’acheter en grande quantité des offices pour les revendre ultérieurement à court terme. Les partisans avaient tendance à se regrouper dans des sociétés de partisans, afin d’être en mesure d’acheter davantage d’offices. Ce type d’organisation n’avait pour but que d’élever la probabilité de réaliser une plus-value future. Par conséquent, la fonction première des offices était détournée en une fonction financière, dont l’expression est la séparation de la valeur d’échange avec la valeur d’usage des offices.

32Cet article a montré comment un processus de financiarisation se constitue en raison de modifications internes à l’État. La financiarisation est ainsi une émanation de l’ordre politique qui sera par la suite affecté par sa propre création. Dans une recherche de production et de reproduction de sa puissance, l’État engendre une financiarisation de ses finances. En effet, les guerres, qui sont une conséquence de ce désir de puissance, participent à l’émergence de cette financiarisation. Mais, outre ce phénomène, on pourrait s’intéresser à l’apparition d’autres pratiques de nature capitaliste au sein de l’État. En effet, avec les partisans, il semble y avoir dans leurs usages des caractéristiques propres au capitalisme. Dès lors, l’État serait une institution médiatrice entre une financiarisation et des pratiques capitalistes. Autrement dit, cela reviendrait à s’interroger sur le rôle de l’État dans l’apparition de ces dynamiques sociales à cette période historique.

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Mots-clés éditeurs : État, Ancien Régime, financiarisation, rapport monétaire, offices

Mise en ligne 12/12/2018

https://doi.org/10.3917/tt.033.0025

Notes

  • [1]
    Cet aspect symbolique était associé à un intérêt économique, car les nobles ne payaient pas la taille.
  • [2]
    Nous préférons parler de finances étatiques plutôt que de finances publiques. Avant que la notion de finances publiques ait un sens heuristique, il faut que l’État en tant qu’institution se représente et soit vu comme la chose publique (la res publica), comme la chose universelle. Pour ce faire, tout un travail doit être effectué au sein même de l’État et dans l’ordre politique. Il nous semble que l’on ne peut parler de la chose publique qu’à la suite des modifications majeures au cours du xviie et xviiie siècle.
  • [3]
    Les lettres patentes étaient des textes législatifs qui portaient sur un objet en particulier. Elles se distinguent par exemple des ordonnances qui étaient des documents législatifs portant sur de multiples objets et sur leur fonctionnement en général.
  • [4]
    Les parties casuelles furent créées à travers un édit du 18 mars 1522. Elles étaient une organisation qui devait assurer des revenus supplémentaires à l’État grâce aux enchères des offices. Elles dépendaient du Trésor de l’Épargne qui fut créé la même année et qui lui-même dépendait du Conseil des finances. Ce dernier conseil était une émanation du Conseil du roi dont les prérogatives étaient de gérer et d’organiser les dépenses et les recettes de l’État.
  • [5]
    Tous les offices n’étaient pas vendus par les parties casuelles, seulement les offices casuels, qui représentaient cependant la grande majorité des offices créés. A contrario, les offices domaniaux et les offices héréditaires étaient vendus par le roi. En outre, ils n’étaient que marginaux à la période qui nous intéresse (Descimon, 2006). Les offices casuels se définissaient par le fait qu’ils « p[o]uv[ai]ent vaquer par mort ou par forfaiture, par non-exercice ou par incompatibilité » (Mousnier, 2005 [1974] : 611). Si l’une des précédentes possibilités se réalisait, on disait que la finance de l’office tombait dans les parties casuelles. Il était alors possible d’entamer un nouveau cycle dans le mode d’allocation des offices dans l’optique de trouver un nouvel acquéreur.
  • [6]
    Un jurisconsulte était une personne qui avait affaire à la science du droit et qui donnait des consultations sur des questions de droit.
  • [7]
    Loyseau était un jurisconsulte important de son temps et également contemporain des grandes réformes et innovations qui touchaient les offices. Son ouvrage de 1613 est fondamental pour l’histoire des offices.
  • [8]
    Il était l’un des plus grands jurisconsultes français des xviie et xviiie siècles.
  • [9]
    L’estimation se fondait sur le prix auquel l’office pouvait être vendu.
  • [10]
    Le fait de prélever une taxe lors des transmissions revient à légaliser des pratiques qui n’étaient autrefois qu’acceptées par la royauté.
  • [11]
    L’une des caractéristiques de la modernité, selon Descimon et Guéry (2000), c’est la monétarisation de l’économie et des privilèges.
  • [12]
    Les épices ou taxations correspondent aux revenus versés par les sujets du royaume quand ils faisaient appel au service des officiers. On disait que l’on versait des épices s’il s’agissait d’un office de justice ; tandis que pour les offices de finance, on parlait de taxation.
  • [13]
    La vénalité étatique eut notamment pour effet une appréciation des prix des offices (Loyseau, 1613 ; Descimon, 2006). Or, pendant les guerres de Religion, la noblesse d’épée s’est fortement appauvrie (Mousnier, 2005 [1974]). Elle se retrouvait ainsi exclue des appareils d’État. Cette exclusion des offices s’exprime notamment dans le Cahier de la noblesse des États généraux de 1614-1615 (Pinsard et Tadjeddine, 2017). Une des propositions exprimées par la noblesse était de reconsolider le lien entre l’État et la noblesse qui s’était amoindri, au risque de voir un affaiblissement de l’État.
  • [14]
    Il se pouvait néanmoins que les ordonnances ne soient pas respectées en raison des diverses contestations (Mousnier, 2005 [1974]). Pour autant, elles étaient quand même la manifestation de certaines dynamiques sociales et sont ainsi révélatrices des rapports de force en vigueur.
  • [15]
    Les parlements étaient des offices qui avaient la charge de s’occuper de la justice dans le royaume français. Ces offices étaient détenteurs de plusieurs droits comme celui d’enregistrer les textes de loi et d’en émettre des remontrances s’ils jugeaient que ces textes étaient critiquables. Par ailleurs, ils étaient les garants des lois fondamentales du royaume. Même le roi ne pouvait déroger aux lois fondamentales.
  • [16]
    Les parlements, le Grand Conseil, les chambres des comptes, les cours des aides, la Cour des monnaies et les conseils souverains étaient les différents offices regroupés sous l’appellation de Cours souveraines. Uniquement le roi pouvait casser les textes de loi produits par les cours souveraines (Bluche, 1993).
  • [17]
    Ce sont des offices qui ne s’occupent que de la finance de l’État, par exemple récolter les différents types d’impôt.
  • [18]
    Par la suite, afin de faciliter la lecture, nous ne préciserons plus qu’il s’agit d’offices de justice et des offices de cours souveraines. Le lecteur devra garder en tête que le cadre législatif des offices de finance restera celui des parties casuelles.
  • [19]
    Seulement, l’hérédité des offices ne faisait pas encore système, car ce n’était que grâce à des édits de survivance créés à des dates définies que les offices pouvaient obtenir cette caractéristique. Si les officiers ne payaient pas le tiers-denier aux années correspondantes aux édits de survivance, l’hérédité de leurs offices ne s’appliquait pas. Six édits de survivance se sont succédé entre 1568 et 1586 (Mousnier, 2005 [1974]).
  • [20]
    La procédure d’examen est indiquée dans l’article cviii. Les examens se déroulaient dans les cours souveraines correspondantes à l’office vacant.
  • [21]
    Qui provenaient des trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état comme l’indique l’article cii.
  • [22]
    Les guerres étaient une nécessité fonctionnelle à l’État en vigueur puisqu’elles lui permettaient de légitimer de nouveaux dispositifs fiscaux qui avaient pour effet de le reproduire en tant qu’institution. Pour les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur ce point, nous renvoyons à l’ouvrage de Théret (1992).
  • [23]
    La première émission de rentes royales à travers l’Hôtel de Ville de Paris remonte à 1522 durant le règne de François Ier. On remarquera que le règne de François Ier fut riche en innovation financière, notamment avec l’émission de rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris et la constitution des parties casuelles la même année.
  • [24]
    On remarquera ici la contradiction entre la nécessaire émission de rentes pour subvenir financièrement aux guerres de l’État et la volonté royale de les réduire.
  • [25]
    Le chiffre exact est 27 274 579 livres. Le calcul a été réalisé à partir des données de Guéry (1978). Cependant, il manque des données pour huit années.
  • [26]
    Maximilien de Béthune était son nom de naissance.
  • [27]
    Les donneurs d’avis étaient un groupe social central dans le système financier de l’État français (Béguin, 2012). Leur fonction principale était de proposer au pouvoir royal des nouveaux instruments financiers, afin de procurer davantage de revenus : création de nouveaux impôts, changement de la législation des offices, etc. Leurs propositions étaient souvent accompagnées de proto-théories économiques dont le cœur du propos était l’organisation des finances de l’État. Si la proposition présentée par le donneur d’avis était acceptée, il se voyait rémunérer d’un « droit d’avis » dont le montant était forfaitaire ou proportionnel. Il se pouvait aussi qu’il fût directement en charge de l’application de sa proposition avec les revenus qui en découleraient : l’intéressant de facto à sa bonne réalisation (Dubet, 2000).
  • [28]
    Le caractère féodal aurait eu pour effet de réduire la puissance de l’État dans l’ordre politique (Théret, 1992).
  • [29]
    Ou encore connu sous le nom d’édit de la paulette en référence au nom de l’impôt qui en découlait.
  • [30]
    Sans provoquer des heurts sociaux qui s’exprimeraient à travers des révoltes notamment paysannes (Béguin 2012). Sully souhaitait avant tout pacifier le royaume. Ici réside l’explication de la mise en place de l’édit du droit annuel comme nouveau flux de revenu.
  • [31]
    Même si in fine le projet de réduire la valeur des rentes en circulation fut abandonné.
  • [32]
    Cf. Pinsard et Tadjeddine (2017) pour avoir des données sur l’évolution du budget de l’État avant et après l’application de l’édit du droit annuel.
  • [33]
    L’approche institutionnaliste parle de confiance hiérarchique pour décrire les situations selon lesquelles le pouvoir politique, à travers ses institutions, assure une pérennité temporaire du rapport monétaire.
  • [34]
    On peut saisir les offices comme des marchandises, car ils sont aussi une source de travail dont les gages et épices (ou taxations) sont la rémunération.
  • [35]
    L’Encyclopédie méthodique (Rousselot de Surgy, 1787) indique que c’est à la fin du xvie siècle, par l’entremise de Catherine de Médicis, que les partisans sont apparus en France.
  • [36]
    S’il s’avérait que les offices avaient été achetés dans le cadre d’une société de partisans, la veuve et les héritiers devenaient les propriétaires de la part dudit partisan.
  • [37]
    D’ailleurs, l’État non plus.
  • [38]
    Moyen par lequel de grandes richesses se constituèrent au cours du xviie siècle. L’établissement d’une Chambre de Justice en 1661, après l’arrestation de Fouquet, pour juger les financiers qui s’étaient « abusivement » enrichis en raison de leur position dans le régime fisco-financier de l’État traduit ces enrichissements cumulatifs.
  • [39]
    La valeur d’usage renvoie donc à la fonction sociale de l’office comme élément de la bureaucratie d’État.
  • [40]
    La valeur d’échange renvoie au profit espéré et anticipé de la vente de l’office par son ou ses propriétaires.
  • [41]
    Cette opposition – et contradiction – est le cœur même des luttes entre la bourgeoisie – comme classe sociale prochainement dominante – et la noblesse d’épée sur la définition symbolique des offices et donc sur l’organisation de l’État (Normand, 1976 ; Pinsard et Tadjeddine, 2017). On retrouve notamment cette lutte dans les États généraux de 1614-1615.
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