Couverture de TT_019

Article de revue

Time matters

Traduction de l'épilogue par Claire Lemercier et Carine Ollivier

Pages 183 à 203

Notes

  • [1]
    Abbott, 2001b, pp. 280-294.
  • [2]
    Terrains & Travaux remercie Andrew Abbott pour avoir donné son accord pour la traduction de ce texte ainsi que pour sa relecture. Nous remercions également Étienne Ollion pour ses remarques sur cette traduction.
  • [3]
    Il présente lui-même les différentes facettes de son travail sur son site web : http://home.uchicago.edu/~aabbott/index.html
  • [4]
    Ces rencontres doivent donner lieu à une publication coordonnée par Didier Demazière et Morgan Jouvenet.
  • [5]
    Sur son incarnation dans différentes sciences sociales, voir aussi Steinmetz 2005 (qui inclut un chapitre par Andrew Abbott).
  • [6]
    L’un des aspects les plus amusants dans le fait de vieillir a été d’entendre la jeune génération de sociologues crier victoire en annonçant qu’ils n’opposaient plus quantitatif et qualitatif, mais qu’ils pouvaient mettre en œuvre les deux méthodes. Moi aussi, mais je n’ai pu le faire qu’en réalisant des contorsions et des gymkhanas. À certains égards, je ne pense pas que mes jeunes collègues aient même commencé à voir où était le problème. Abbott 2001 propose une analyse détaillée de telles déclarations de victoire.
  • [7]
    NDT : Les sciences sociales américaines font une distinction entre la démographie formelle et la démographie sociale. La démographie formelle étudie la composition et la distribution des populations. La démographie sociale, quant à elle, utilise les données et les méthodes de la démographie formelle pour décrire, expliquer et prévoir des phénomènes sociaux plus généraux.
  • [8]
    NDT : La troisième partie de l’épilogue revient sur ces hypothèses.
  • [9]
    NDT : pour une présentation générale de ce programme en français, voir Lazega, 2007 et Mercklé, 2011. Pour la traduction d’une œuvre centrale de White, voir White, 2011.
  • [10]
    NDT : Le méliorisme est une morale de l’action selon laquelle le monde tend à s’améliorer ou peut être amélioré par l’effort de l’homme. Dans la tradition pragmatiste et transactionnelle développée par J. Dewey par exemple, « le méliorisme consiste à croire que les conditions spécifiques qui existent à un moment donné peuvent toujours être améliorées » (Dewey, 2003, p.150) même si ce progrès n’est pas inéluctable et doit être mis en œuvre collectivement par les individus.
  • [11]
    J’ai déjà expliqué (Abbott, 2000) que nous sommes sur le point d’être submergés par des bases de données si grandes et si détaillées qu’un changement de méthode va, bon gré mal gré, devenir obligatoire…
  • [12]
    NDT : A. Abbott fait ici implicitement allusion aux modèles de l’event history analysis (expression diversement traduite en français : modèles « de durée », « de survie », « analyse biographique », etc.), qui représentent une tentative de prendre en compte des phénomènes temporels par un moyen qui ressemble à une régression multivariée. Cette tentative a plusieurs limites, qu’il expose ici. Pour une introduction en français, voir Degenne 2001.
  • [13]
    NDT : L’expression « modèles de classe contrainte » appartient au vocabulaire de la programmation. Pour une discussion de ce modèle on pourra consulter Abbott 1990.
  • [14]
    NDT : A. Abbott fait ici allusion au développement de l’analyse géométrique des données (analyse factorielle, classifications…) dans le marketing, notamment. En France, celle-ci est bien sûr tout aussi présente dans la recherche.
  • [15]
    NDT : Chez Gouldner, la sociologie empirique s’oppose à la sociologie théorique comme celle développée par T. Parsons dans sa « grande théorie ».
  • [16]
    NDT : voir notamment Abbott, 1995 ; Abbot et Tsay, 2000 ; pour des introductions en français à ces méthodes et à leurs développements les plus récents, Lesnard et de Saint-Pol, 2006 ; Robette, 2011.
  • [17]
    NDT : cet article a été publié en français (Abbott, 2003a).
  • [18]
    NDT : voir notamment Coleman 1990.
  • [19]
    NDT : Il s’agit ici des théories du développement popularisées dans les années 1960 par Piaget à propos du développement cognitif chez l’enfant (Piaget et Inhelder, 2004) ou Rostow au sujet de la croissance économique (Rostow ,1962).
  • [20]
    NDT : En probabilités, un processus stochastique représente l’évolution d’une variable aléatoire. De tels processus permettent de modéliser des systèmes dont le comportement n’est que partiellement prévisible. Andrew Abbott évoque ici les chaînes de Markov, dont l’hypothèse centrale est que ce qui se passe au moment t+1 ne dépend que de ce qui s’est produit au moment t (ces modèles sont « sans mémoire » autre que celle du passé immédiat, par différence avec les séquences).
  • [21]
    NDT : Andrew Abbott emploie ici le terme de followability. Il joue, ici et plus bas, sur les différents sens de to follow, qui peut, en anglais, signifier suivre, mais aussi décrire, voire épouser (au sens où l’on épouse une trajectoire).
  • [22]
    NDT : Voir la traduction française de ce chapitre : Abbott, 2009.
  • [23]
    NDT : pour un développement complémentaire de ce programme on peut aussi de référer à l’article de l’auteur « La description face à la temporalité » (2003b).
  • [24]
    NDT : Cette discussion figure dans la septième partie de l’épilogue, que nous n’avons pas traduite. Par « encodage », Andrew Abbott désigne la manière dont des structures s’insèrent dans la reproduction permanente de la vie sociale, ce qui permet leur propre reproduction. C’est l’alignement de plusieurs de ces « encodages » qui permet les bifurcations : de plusieurs processus de reproduction émerge une vulnérabilité des entités, des possibilités de destruction. Les trajectoires correspondent en revanche aux moments de reproduction.
  • [25]
    NDT : Hempel 1942.
  • [26]
    NDT : Le terme existe dans le vocabulaire philosophique français comme anglais. Il renvoie à la réunion de faits ou d’observations en une proposition unique, à leur structuration en une induction complète, à l’action de synthétiser un ensemble de faits séparément observés pour en induire un phénomène non encore mis en évidence.
  • [27]
    NDT : l’épilogue comprend deux autres courtes parties, que nous n’avons pas traduites. La sixième, consacrée au « temps », revient principalement sur le chapitre 7, qui discute des conceptions du temps d’Henri Bergson et de George Herbert Mead. La septième, titrée « problèmes théoriques généraux », résume quelques enseignements généraux du livre, en particulier sur le changement comme état normal du monde, la représentation du monde comme un monde d’événements, et sur l’« encodage » (cf. supra note 16).
English version

Introduction à la traduction

1Andrew Abbott, né en 1948, docteur de l’Université de Chicago et, depuis 1991, revenu y enseigner, est surtout connu en France pour ses travaux en sociologie des professions (Abbott 1988) [3], et, dans une moindre mesure, pour être l’inventeur d’une méthode de traitement statistique séquentielle, les méthodes d’appariement optimal (« optimal matching analysis »). Il est cependant l’auteur d’une œuvre de grande ampleur dont les champs d’investigation couvrent des domaines aussi variés que ceux de la sociologie historique ou des méthodes d’enquête (qualitatives et quantitatives) en sciences sociales. En 2010-2011, un séminaire puis une conférence organisés à l’Université de Versailles-Saint-Quentin autour de lectures de son œuvre ont permis d’en mettre en valeur ces autres pans pour le public francophone : autour notamment de l’histoire de la sociologie et de la dynamique des disciplines scientifiques (Abbott 1999, 2001a, 2006), mais aussi des méthodes des sciences sociales considérées à la fois pour elles-mêmes et comme point d’entrée pour une réflexion plus théorique, voire ontologique (Abbott 2001b, 2004) [4].

2Dans Time matters, dont nous traduisons ici l’épilogue, il réunit ses principaux articles qui lient ainsi réflexion méthodologique et théorique, autour de deux axes intimement liés : d’une part, la critique du « programme standard » qui domine la sociologie états-uniennes, programme fondé sur la mise en évidence de relations entre variables, à partir de données issues de larges enquêtes par questionnaire et analysées par des variantes de la régression [5] ; d’autre part, la mise en évidence de l’importance des questions de temporalité, négligées par le programme standard. Ces réflexions nous intéressent particulièrement dans ce dossier puisqu’Abbott en vient ainsi à proposer un « programme narratif » qui implique notamment des formes de quantification différentes et une réflexion sur l’importance de la description et du récit. Son objectif n’est ainsi pas de proposer un mélange de méthodes quantitatives et qualitatives (la note 1 est d’ailleurs très ironique à ce propos), même si cela peut être, de fait, une conséquence de ses propositions épistémologiques. Il est donc possible de voir dans ce « programme narratif » des pistes de réflexions pour comprendre ce en quoi pourraient consister les opérations de description et de comptage dans un horizon épistémologique débarrassé du clivage traditionnel entre des quantitativistes défenseurs d’une causalité linéaire réductrice, et des qualitativistes qu’Abbott présente comme réfractaires à l’idée que la quantification puisse permettre de se saisir l’épaisseur historique et signifiante des faits sociaux.

Traduction

3J’essaierai, dans cet épilogue, de rassembler les thèmes de ce livre. Comme souvent dans un tel résumé, le propos sera nécessairement télégraphique. Un raisonnement complet occuperait un livre à lui tout seul. En outre, procéder à un tel résumé présente certaines difficultés. Les chapitres du livre ont été rédigés sur une période de vingt ans, durant laquelle j’ai écrit sur bien d’autres sujets et pendant laquelle mes idées ont considérablement changé. Malgré tout, il y a des idées et des préoccupations sous-jacentes qui forment un ensemble relativement cohérent.

4Je commencerai par replacer ces chapitres dans leur contexte général, en parlant des publics auxquels j’ai pensé et de ce que j’ai tenté de leur montrer. J’ai ainsi résumé la critique de la sociologie statistique standard dans le chapitre 1, critique que j’ai ensuite complexifiée de différentes manières dans le chapitre suivant. Je me suis ensuite intéressé à une alternative narrative à la sociologie standard, alternative que j’ai promue tout au long de ces articles, en abordant les hypothèses qui la fondent et les problèmes qu’elle pose. Cette analyse a débouché sur une réflexion sur les problèmes de l’explication et de la causalité. J’en suis alors arrivé à une discussion théorique générale, en traitant d’abord de la temporalité en elle-même, puis en me tournant vers la question du temps et de la structure sociale.

5Le lecteur qui est arrivé jusqu’ici sera en mesure de voir dans ce schéma d’ensemble une certaine logique. Dans la plupart de ces chapitres, comme ce fut le cas tout au long de ma carrière, il y a une progression de la critique méthodologique vers la théorie. Dans le fond, mes réflexions sur les méthodes standards ont motivé mon travail sur la nature du processus social. La logique d’ensemble a donc un caractère fractal, puisque chaque chapitre reprend à sa manière le mouvement qui caractérise plus généralement l’histoire de ma pensée. Cet épilogue propose donc un résumé, mais il aborde également des points qui n’avaient jusque-là pas été développés, tout en replaçant cette tentative dans un contexte plus général.

I – Les publics

6De manière générale, j’avais deux publics en tête au cours de ce travail. Le premier est composé de mes collègues qui appliquent le modèle standard. Mon dialogue avec eux s’est très vite installé dans un schéma immuable :

7

Abbott : La réalité sociale est plus complexe que ce que vous pensez et vous pourriez vouloir revoir vos choix méthodologiques.
Collègues : Nous connaissons déjà tout ce dont vous nous parlez et qui plus est vous ne nous offrez aucune véritable alternative

8Au fil des ans, j’ai beaucoup appris des différentes versions de ce dialogue de sourds. En plus des méthodes que je tentais d’inventer, ces réflexions m’ont fait comprendre que toute hypothèse faite pour formaliser le monde social est déjà inscrite dans un paradigme.

9C’est toutefois ce premier public qui a permis que ma critique reste honnête. Contrairement à ce que font d’autres sociologues engagés dans des projets similaires, je n’ai pas dit des tenants du courant traditionnel qu’ils avaient tort ou qu’ils étaient butés, et je n’ai pas non plus rejeté leurs méthodes. J’ai plutôt tenté de faire ce qu’on appelle de l’ingénierie inversée. J’ai me suis attaché à la question des méthodes dans plusieurs de ses aspects, en me plaçant parfois au niveau de la programmation même, et je me suis sans cesse demandé ce qui, dans ces méthodes, en était venu à constituer l’élément déterminant de la théorie sociale. Ce faisant, j’ai découvert de nombreuses choses sur cette théorie sociale, choses auxquelles je n’aurais sans doute pas fait attention si j’avais perdu de vue ce public et si je n’avais pas tenté de faire en sorte que ma critique puisse tenir la route face à lui.

10Avec le temps, ce que je pensais leur dire a changé. Mes premiers articles avaient pour objectif d’entrouvrir une voie, de faire de la place. Au contraire, au moment de la rédaction des articles regroupés dans la deuxième partie de ce livre, j’étais occupé à protéger la petite plante méthodologique dans ma serre (l’analyse de séquences utilisant les techniques d’appariement optimal) des courants d’air soufflés par les critiques. Je menais le même débat, mais je l’utilisais dorénavant pour protéger quelque chose. Et puis j’ai commencé à avoir des craintes philosophiques au sujet de mes propres méthodes. À l’époque des articles suivants – les chapitres 2 et 3 et les articles de la troisième partie –, j’avançais donc sur mon programme théorique ; la critique méthodologique était alors devenue moins importante que les nouvelles idées sur la structure sociale.

11Mon second public regroupait mes collègues qualitativistes. Ce fut le groupe le plus difficile. Beaucoup de collègues qualitativistes – ethnographes, adeptes de la sociologie historique, théoriciens et consorts – choisissaient purement et simplement d’ignorer le travail quantitatif, en général sur la base d’objections de principe quelque peu faciles. Mon dialogue avec ce groupe s’est lui aussi installé dans un schéma immuable :

12

Abbott : La réalité sociale est plus complexe que ce que nous pensons et nous pourrions vouloir revoir nos méthodologies quantitatives.
Collègues : Nous savons déjà tout ce dont vous nous parlez et plus encore. Et pourquoi s’embêter à repenser quelque chose qui est en principe inutile ?

13Mes relations avec ce public étaient bizarres. Ce sont eux qui m’ont fourni des endroits pour publier mon travail et qui l’ont cité. Mais pour eux, ce travail est devenu un précieux élément de propagande plutôt qu’un sujet de préoccupation intellectuelle. Dans ces premiers articles, j’avais l’impression d’être à la tête d’une offensive, parachuté derrière les lignes ennemies pour faire sauter les voies ferrées. Et tandis que les années 1990 passaient, la sociologie qualitative a tout simplement proclamé sa victoire et a changé de combat. J’ai donc commencé à me sentir comme ces soldats japonais qui apparaissaient de temps en temps aux Philippines, poursuivant une guerre que tout le monde pensait terminée. J’ai alors fait part de mon exaspération dans quelques-uns de mes articles ultérieurs réunis dans ce livre, en particulier dans le chapitre 2. Ce dernier commence par la critique habituelle du positivisme, mais se termine en insistant sur le fait qu’étudier correctement la vaste production du positivisme permettrait de mener une enquête quantitative approfondie sur la culture et la multiplicité des significations. Silence assourdissant. Dans l’ensemble, mon public qualitativiste ne m’a que peu stimulé intellectuellement, puisque ses membres n’étaient que quelques-uns à croire qu’ils pourraient apprendre quelque chose des vicissitudes de la science sociale quantitative, et qu’ils étaient encore moins nombreux à s’intéresser à sa réforme.

14Une des choses que j’ai apprises de mes publics, c’est qu’il y avait des questions qu’aucun des camps ne voulait analyser avec attention. Aucun des deux camps n’aimait en particulier ma position selon laquelle nous devrions démêler certaines dichotomies – récit versus analyse, interprétation versus positivisme, constructionnisme versus réalisme, connaissances situées versus connaissances transcendantes. Cette rigueur analytique est apparue dans ce livre à plusieurs reprises. Elle a cependant agacé mes deux principaux publics. Chaque camp souhaitait que ces dichotomies fonctionnent ensemble dans une espèce de bouillie ; bouillie qui facilitait leurs polémiques réciproques. Ces polémiques servaient en général de chant de marche aux deux camps, sans pour autant être au principe d’une compétition intellectuelle constructive. Mon intérêt pour ce problème d’amalgame a finalement rejoint d’autres idées et a contribué à produire le livre Chaos of disciplines[6].

II – Les programmes des sciences sociales

15L’un des thèmes fondamentaux de ces articles est qu’il existe plusieurs manières de faire des sciences sociales quantitatives, ou formelles ou généralisantes ou explicatives. (Le problème du choix du terme adéquat fera l’objet d’une discussion ultérieure.) Un même problème peut avoir plusieurs solutions. Aussi ces articles donnent-ils plusieurs versions des alternatives à la méthode standard.

16Une alternative évidente serait une science sociale qui problématise les entités sociales, en desserrant l’hypothèse standard selon laquelle le monde social serait fait d’entités fixes avec des caractéristiques variables. Aujourd’hui, la démographie formelle [7] donne un exemple de cette alternative, puisqu’elle se concentre sur la naissance, la mort et la migration des individus. Mais je ne pensais pas seulement à la démographie des populations. Plusieurs de ces articles insistent sur le fait que la démographie devrait être généralisée : il faudrait étudier la naissance, la mort, le mélange et la répartition des organisations et d’autres entités sociales. Cette généralisation fournirait plus de mécanismes élémentaires sur lesquels réfléchir, plus d’objets d’études complexes, et un champ d’analyse à plusieurs niveaux. (Le chapitre 9 fait un pas dans cette direction.) Je n’ai pas du tout exploré les possibilités d’une bonne démographie de la société, pas plus d’ailleurs que ne l’ont fait les démographes, puisque, tout en s’abritant sous la bannière d’une « démographie sociale », la plupart d’entre eux ont succombé aux sirènes de la régression, jusqu’à en oublier leur patrimoine intellectuel.

17La deuxième alternative à la méthode standard est la méthode structurale, qui assouplit la cinquième hypothèse évoquée au chapitre 1 [8] en mettant l’accent sur la détermination réciproque et l’interdépendance entre cas. L’analyse de réseaux et les travaux qui lui sont associés en ont fait leur programme. Plusieurs de mes articles le mentionnent brièvement, mais, dans la mesure où il a été considérablement développé au cours des deux dernières décennies sous l’autorité d’Harrison White [9], il n’est pas nécessaire de l’évoquer plus longuement ici.

18La troisième alternative générale assouplit les hypothèses sur les effets de séquence et l’horizon temporel définies au chapitre 1. Ce sont les hypothèses selon lesquelles l’ordre n’a que peu d’impact sur les dynamiques sociales ; les événements sont continus et de taille uniforme. L’alternative est le programme narratif qui m’intéresse dans ce livre, et sur lequel je reviendrai plus tard. Enfin, il y a un programme multivoque implicite dans le chapitre 2, dont l’intention est de modérer l’hypothèse d’univocité des méthodes standards en acceptant le fait qu’une même variable peut avoir des significations différentes. Il y a eu peu de développements sur ce point depuis, en dehors de quelques travaux mettant en œuvre des analyses multidimensionnelles des systèmes culturels. (Il n’y a pas grand chose sur ce point en sociologie : il existe des études quantitatives de la culture – l’évolution culturelle peut être incluse sous ce label –, mais il s’agit moins ici de réellement formaliser les conceptions de l’ambiguïté que de traiter comme des objets, de manière univoque, les questions culturelles).

19Comme je l’ai suggéré, la mise en œuvre de ces différents programmes serait en elle-même une chose intéressante. Il y a aussi, cependant, des raisons plus pragmatiques pour s’y lancer. Ces raisons ont à voir avec la nature des données. L’une des mes critiques récurrentes à l’égard de l’approche standard est qu’elle a tendance à supposer que l’univers des possibles et la réalité sont quasiment confondus c’est-à-dire que la plupart des choses qui sont susceptibles d’arriver arrivent. Elle fait en outre l’hypothèse que les formes qu’on peut observer dans cet univers sont globales, qu’elles sont les mêmes en tout point de l’espace. Vus sous cet angle, les effets des interactions ne peuvent au mieux que modifier légèrement la régularité sous-jacente. Si ces affirmations sont souvent vraies pour nos données, il est probable qu’elles ne le sont pas la plupart du temps. Lorsque la tendance est locale, les méthodes qui cherchent à mettre en évidence une régularité globale ne peuvent pas la trouver. Quand tous les possibles n’adviennent pas, nous avons besoin de méthodes qui ignorent les absences et se concentrent sur les présences. Tout au long de ce travail, mon propos a été de dire que les programmes structural et narratif – dont l’objet est d’identifier directement des régularités et des tendances, plutôt que d’en présumer la forme à l’avance – sont probablement mieux adaptés aux bases de données qui contiennent de nombreux ordres locaux et de grands espaces vides. Comme l’avait déjà remarqué Dan Smith (Smith, 1984) il y a plusieurs années, il est frappant de constater que les méthodes standard ont tendance à être appliquées à des espaces de données qui contiennent beaucoup de bruit. Pour rationaliser ce choix, nous nous disons habituellement que les schémas « trop faciles » ne sont pas intéressants. Mais en réalité, comme le montre le chapitre 5, la plupart de nos données sont probablement plus ordonnées localement que ce que nous pensons.

20J’ai traité un autre problème important dans ce livre : celui de savoir pourquoi il serait nécessaire de choisir une variable particulière (dans une étude donnée) comme « variable expliquée ». Si notre objectif est de comprendre la dynamique sociale, nous n’avons pas besoin de considérer qu’une variable est plus importante qu’une autre, et, comme le montre le chapitre 2, il n’y a certainement aucune raison de penser qu’un indicateur donné a un quelconque statut particulier, expliqué ou explicatif. En fait, c’est le méliorisme [10] qui pousse massivement à considérer que certaines variables sociales sont plus importantes que d’autres ; c’est au nom de ce méliorisme que les variables expliquées les plus courantes en sociologie sont celles qui ont trait aux inégalités. Si nous prenons nos distance avec ce projet en nous demandant simplement « comment devrions-nous comprendre le système social ? », nous n’avons pas de véritable façon, ni même en fait de véritable raison, de penser en termes de dépendance et d’indépendance, dans la mesure où nous devons partir de l’idée selon laquelle la vie sociale est une immense toile dans laquelle tout se tient. Dès lors, notre problème devient un problème de réduction des données. Et pour ce faire, l’approche standard est inutile ; comme je l’ai dit à plusieurs reprises, elle se résume à une telle réduction du nombre de dimensions de l’espace social qu’on n’est plus sûr qu’il en reste même une seule. Du point de vue de qui recherche des formes, des motifs à une échelle locale, cette approche n’est rien d’autre qu’une perte de temps. Pour résumer, la nature de nos données et nos projets jouent un rôle important dans la détermination d’un programme méthodologique général [11].

21Je n’ai donc eu de cesse d’affirmer qu’il existe plusieurs programmes généraux pour penser les régularités dans la vie sociale. Ils ont chacun leurs forces et leurs faiblesses. Ils ont pour point commun d’assouplir certaines des hypothèses philosophiques fondamentales de la sociologie statistique standard. Nous devons donc considérer les méthodes standard dans ce contexte plus large.

III – Le modèle standard et ses hypothèses

22L’une des préoccupations essentielles de ce livre, présente dans la quasi-totalité des chapitres, concerne les fondements philosophiques des méthodes sociologiques standard. Compte tenu de la manière dont ces méthodes sont habituellement mises en œuvre, ces fondements philosophiques se présentent sous la forme de croyances implicites, et parfois explicites, sur l’ontologie sociale. Ils ne sont pas réductibles aux hypothèses connues de la modélisation standard, même si, dans bien des cas, ils sont induits par ces hypothèses lorsqu’elles sont appliquées à des données sociales. Il s’agit plutôt d’hypothèses philosophiques qui, si nous pensons vraiment que les méthodes standard nous donnent des informations valables sur les processus sociaux, doivent être des vérités. (Tout au long du livre, j’ai mentionné ces hypothèses dans des ordres variés. Dans cet épilogue, je parlerai d’abord des hypothèses sur les entités étudiées, puis j’aborderai les différentes hypothèses temporelles et causales, pour finir avec les hypothèses sur les contextes et les significations).

23La première de ces hypothèses pose que le monde social est composé d’entités fixes, mais qui ont des propriétés variables. On présuppose alors qu’une partie de ces propriétés variables en détermine une autre, particulière, qui est appelée la variable expliquée. Ainsi, plutôt que de chercher à simplifier des entités qui, dans un premier temps, sont saisies dans toute leur complexité, le système standard construit des entités à partir de caractéristiques minimales, en prenant en compte seulement les caractéristiques nécessaires pour expliquer ce qui est posé comme étant le problème à résoudre. Dans certains cas extrêmes, la caractéristique à expliquer est l’existence, et les méthodes standard imaginent des entités qui ont des propriétés substantives mais qui ne font pas référence au prédicat d’existence. Dans certains cas, ces méthodes avancent qu’un même cas, observé à différents moments, constituent des entités indépendantes.

24Le deuxième ensemble d’hypothèses concerne la causalité. Il pose qu’il y a des liens de causalité « fixes » entres les propriétés variables des entités fixes. Ces liens sont supposés être uniformes, dans la mesure où ils sont censés toujours agir de la même manière. En outre, les causes sont toujours pertinentes ; si le modèle perdure dans le temps, c’est que les forces sous-jacentes ne varient pas. On peut éventuellement se passer de ce dernier corollaire en ajoutant des paramètres au modèle, mais cela le rend très difficile à estimer, et cela impose des restrictions supplémentaires en termes de fonctions mathématiques utilisables [12]. D’une manière générale, les hypothèses sur les liens de causalité présupposent une certaine forme d’agencement temporel des variables, dans la mesure où des variables qui sont « petites » en termes temporels ne peuvent pas être la cause de celles qui sont plus « grandes » : des événements de courte durée ne peuvent pas en déterminer de plus longs. De plus, les variables doivent dans tous les cas agir à la même vitesse, quel que soit le moment.

25Ces hypothèses causales sont élargies par le troisième ensemble d’hypothèses, qui concernent ce que j’ai appelé l’horizon temporel. L’horizon temporel d’une variable ou d’un phénomène est la période de temps qui s’écoule avant qu’il soit possible de mesurer un changement significatif (un changement qui ne soit pas un simple bruit). Les horizons temporels des variables ont un certain nombre de propriétés importantes : l’une des plus importantes est que les horizons temporels des agrégats sont normalement plus longs que ceux des éléments qui les composent. Les méthodes standard doivent également partir du principe qu’il n’y a pas d’événements, au sens d’un lien entre les valeurs d’une variable qui dépasserait un cadre temporel donné ; elles sont particulièrement inaptes à prendre en compte de tels liens lorsqu’ils varient d’un cas à l’autre, d’une variable à l’autre, d’un moment à l’autre. Ce postulat ne fait alors qu’accroître les problèmes causés par les variations des horizons temporels entre les variables. En résumé, la méthode standard ne fonctionne bien que lorsque les variables sont instantanées et indépendantes du passé.

26La quatrième hypothèse pose que les effets de séquence n’existent pas. Les méthodes standard reposent en effet sur le présupposé que l’ordre dans lequel des événements s’enchaînent ne façonne pas la manière dont ils vont advenir. Pour le dire de façon plus générale, il n’y aurait pas de trajectoires temporelles bien identifiables dans l’univers des possibles. En outre, la trajectoire causale (au sens de la détermination entre les variables) serait toujours la même. Des pseudo-récits, concernant en général des acteurs idéalisés d’une manière ou d’une autre, viennent alors justifier cette trajectoire causale.

27Les dernières hypothèses concernent le contexte et le sens. La cinquième hypothèse pose que ce qui arrive dans un cas n’a pas d’effets sur ce qui arrive dans d’autres. L’assouplissement de cette hypothèse a été expérimenté en utilisant des modèles variés – des modèles de classe contrainte relativement simples [13] jusqu’à des modèles de chaîne de vacance individualisés –, mais elle reste très largement partagée dans les travaux quantitatifs, d’autant que leurs cadres d’analyse ont été conçus pour garantir la fiabilité de cette hypothèse. Cependant, elle crée des problèmes importants dans les cas de petits échantillons, pour lesquels la régression a souvent été mise en œuvre. Et elle peut même perturber de grandes enquêtes par questionnaires.

28La sixième hypothèse des méthodes standard est qu’en général le sens (causal) d’une variable ne dépend pas de celui d’une autre variable. On formule généralement cette hypothèse en disant que les méthodes standard s’attachent d’abord à analyser les effets principaux et, en cas de besoin, ajoutent des interactions, comme un mal nécessaire. C’est là le revers d’une stratégie de recherche qui cherche à simplifier l’univers des possibles en se concentrant sur des corrélations très particulières entre des modalités des variables.

29Enfin, l’approche standard pose qu’une variable donnée ne peut signifier qu’une seule chose, du moins dans le cadre d’une même étude. Il s’agit là d’une hypothèse fondamentale, qui a fait émerger le phénomène des « littératures » : ce ne sont finalement que des suites de travaux dans lesquels il y a consensus sur les significations acceptables de certaines variables. Évidemment, comme je l’ai montré en détail dans le chapitre 2, la signification causale des variables change très fortement d’une littérature à l’autre, voire d’une étude à l’autre. La relation même entre variables et entités – la nature des entités dont une variable donnée peut être une caractéristique – peut également changer d’une étude à l’autre. J’ai étudié les implications d’une telle inattention aux multiples sens des variables : c’est la raison pour laquelle j’ai développé, dans le chapitre 2, l’idée d’une critique quantitative sérieuse du problème de la culture (entendue comme le problème des significations multiples), qui mettrait en œuvre une méta-analyse des usages multiples des variables dans l’ensemble des sciences sociales. Les publications de sciences sociales constituent ainsi une vaste galaxie, à l’intérieur de laquelle chaque littérature tourne autour de variables particulières.

30Ces hypothèses et les critiques qui les accompagnent forment l’armature de ce livre. D’une manière ou d’une autre – et avec plus ou moins de succès –, tous les chapitres de ce livre abordent ces hypothèses. Au cours des années durant lesquelles j’ai aiguisé ma critique du programme empirique de la sociologie standard, certaines de ces hypothèses ont été marginalement modérées par d’autres. Les statisticiens ont, a minima, pris leurs distances avec l’interprétation causale de la régression et de ses dérivés. Cette dernière est alors devenue soit une méthode purement descriptive (ce en quoi elle est inefficace), soit, plus classiquement, une méthode d’analyse de l’effet des manipulations dans des contextes plus ou moins expérimentaux : une tâche pour laquelle son efficacité reste inégalée. En sociologie, les tentatives incessantes pour rafistoler et étendre l’ensemble des modèles standards – dans le but de leur faire faire des choses pour lesquelles ils ne sont pas conçus – a eu, selon moi, l’effet de d’annihiler tout réel progrès méthodologique. Des méthodes de grande qualité qui permettent la mise en évidence de régularités ont connu un essor important au cours des deux dernières décennies. Elles ont principalement été développées dans le secteur privé, et sont quasi absentes en sociologie [14].

31La critique fondamentale que j’adresse aux méthodes standard (à savoir le fait qu’elles ne sont applicables qu’à un nombre relativement restreint d’ontologies sociales) est aujourd’hui aussi forte que lorsque j’ai commencé à la formuler. Le fait que ces méthodes aient survécu avec autant que vigueur montre qu’Alvin Gouldner (1970) avait raison quand il affirmait, il y a trente ans, que la sociologie empirique [15] était en train de devenir une simple technique d’évaluation de l’État-providence. Le format standard est en effet plutôt efficace en tant que programme d’évaluation mis en œuvre pour tester l’effet de telle ou telle intervention sur une variable d’un intérêt politique immédiat. Il est en revanche très faible en tant que programme permettant de comprendre les processus sociaux.

IV – Une théorie de l’analyse narrative

32Mes propres travaux sur les alternatives aux méthodes standard ont principalement porté sur un programme d’explication fondé sur la narration, qui se centrerait sur les régularités des trajectoires dans le temps. D’un point de vue méthodologique au sens strict, cela m’a amené à me concentrer sur les méthodes d’appariement optimal, que j’ai discutées à la fin du chapitre 6, ainsi que dans de nombreux autres articles [16]. Mais mon ambition était, plus largement, de réfléchir à une autre ontologie, un autre cadre pour envisager le monde social. Mes collègues plus portés sur le qualitatif ne comprenaient pas le caractère finalement limité de mon projet : eux voulaient en finir une bonne fois pour toutes avec tous les présupposés des méthodes standard. De mon côté, je voulais seulement remanier ses hypothèses en matière temporelle (les hypothèses deux à quatre ci-dessus), en conservant les autres plus ou moins telles quelles. Cela dit, d’autres pans de mon travail (en particulier mes recherches sur les professions et l’article sur les écologies liées qui en est issu [17]) s’attaquaient, de fait, à ces autres hypothèses. Et, malgré mes réticences, le programme d’explication narrative que j’imaginais pouvait en théorie impliquer d’assouplir presque toutes les hypothèses standard. Ce n’est qu’en en venant à la pratique, en essayant de développer de véritables méthodologies narratives, que je me suis concentré sur l’assouplissement des hypothèses sur le temps, parce que c’était la seule possibilité praticable. Par conséquent, les articles réunis dans ce livre révèlent une tension entre, d’une part, la volonté de mettre au jour tous les présupposés cruciaux des méthodes standard et, d’autre part, mes efforts plus pratiques pour remanier seulement une partie d’entre eux.

33Malgré cela, on peut retrouver à travers les articles regroupés ici ce qu’on pourrait appeler un programme de recherche narrative. À un niveau très général, il est né de mon idée que la dynamique sociale elle-même est organisée de manière narrative. J’insistais sur le fait que cette organisation narrative était réelle, inhérente aux processus sociaux eux-mêmes, et non pas seulement liée à notre manière d’en parler. Dès le départ, je me suis donc concentré sur les motifs que dessinent les successions d’événements (ce que j’aurais dû appeler « trajectoires » dès le début) : leur présence dans les processus sociaux eux-mêmes était évidente. Mes premières analyses ébauchaient l’idée d’enchaînement (les processus qui font avancer une histoire, d’une étape à l’autre), d’ordre (l’idée que l’ordre des événements n’est pas le même selon les cas et que cela importe pour le résultat final) et de « convergence ». Ce dernier terme renvoie au fait que certaines histoires peuvent « converger » vers un résultat, tandis que d’autres divergent.

34Pour moi, il devint alors évident que les processus sociaux se différenciaient en fonction du degré d’indépendance des trajectoires dont ils étaient constitués. De ce fait, un problème crucial dans mes articles sur la temporalité concerne ce degré d’interdépendence, qui est aussi le degré de transgression, dans le temps, de la cinquième hypothèse du système standard. J’ai utilisé différents termes pour évoquer cette question, avant de m’arrêter sur trois expressions. J’appelle « histoires naturelles » des processus qui ont une cohérence interne comme séquences ordonnées d’événements, et qui sont pour l’essentiel indépendants d’autres cas. Les « carrières » sont des processus qui ont une certaine cohérence, tout en étant dans une certaine mesure déterminés par d’autres cas. Enfin, j’appelle « interactions » (et parfois « champs d’interaction ») des situations (comme celles présentées dans mon analyse des professions) où les cas sont tellement interdépendants que penser leurs histoires de façon indépendante n’a pas de sens. Dans un chapitre non repris ici, j’ai appliqué le même type de distinctions aux dépendances synchroniques entre cas, en envisageant trois niveaux de détermination spatiale ou structurale : les catégories possibles d’un programme structuraliste, comme celles ci-dessus sont les catégories d’un programme narratif (Abbott 1999, chapitre 7). Là aussi, les champs d’interaction représentaient la catégorie la plus complexe, liée à ses contextes à la fois dans l’espace et dans le temps.

35Plusieurs de ces articles montrent que les méthodes standard ne sont appropriées que lorsque le contexte pèse peu, à la fois dans le temps et dans l’espace (social). L’analyse de grands échantillons aléatoires, pour laquelle ces méthodes se sont d’abord développées, permet jusqu’à un certain point d’obtenir une telle indépendance. Jim Coleman disait que, dans les sociétés modernes, les individus étaient de fait plus indépendants les uns des autres : nous avons, selon lui, la science sociale qui correspond à une telle société [18]. J’avais l’habitude de lui répondre que la causalité jouait dans l’autre sens : les sciences sociales font maintenant partie de la machinerie qui impose cette indépendance.

36Les méthodes narratives sont particulièrement utiles quand c’est le contexte temporel, seul, qui pèse fortement, c’est-à-dire dans les situations où l’ordre, l’existence de séquences, bref, le passé et l’histoire font la différence. C’est pourquoi plusieurs de mes articles discutent de théories fondées sur des stades successifs [19], ou encore d’histoires naturelles ou de formes narratives convergentes. J’ai essayé, sans tout à fait y arriver, de préciser les détails de cette conceptualisation dans le chapitre 3. Mon travail méthodologique s’est en tout cas concentré sur cette question de l’identification d’histoires naturelles. Le point central était de savoir si on concevait une trajectoire particulière (j’ai malheureusement appelé ces trajectoires « carrières » dans le chapitre 5, avant d’avoir mis au point mes catégories relatives aux degrés de dépendance au contexte) comme un tout, ou bien comme un processus stochastique engendré unité de temps après unité de temps [20]. La seconde solution ne peut avoir un sens que si on s’intéresse de manière privilégiée à un résultat particulier et à un moment particulier (si on privilégie une seule variable à expliquer).

37D’une certaine façon, je m’étais concentré sur un problème méthodologique assez limité, par nécessité. Mais en mettant en avant un point de vue narratif plus général, je rejetais aussi, au moins tacitement, la plupart des postulats du modèle standard. Cela a commencé par une remise en cause de la notion même d’entité. Plusieurs de mes articles soulignent que la notion même de « sujet central », d’entité digne d’intérêt, est en général considérée comme problématique dans l’écriture historique. De plus, le sujet central y est généralement quelque chose d’à la fois particulier et complexe, qu’on doit parfois simplifier pour pouvoir généraliser le propos. Je me suis aussi rendu compte que l’écriture historique utilisait souvent des idées de transformation proches de celles de la démographie – même si je n’ai pas, pour l’instant, vraiment produit de synthèse entre mes questionnements d’ordre démographique et d’ordre narratif. En tout cas, en théorie au moins, mes textes s’éloignent nettement du point de vue standard sur la nature des entités pertinentes, que je l’aborde directement, comme dans le chapitre 9, ou à travers la question du rapport au contexte.

38La théorie narrative propose aussi une vision différente de la causalité. Dans ce cadre, étudier une succession d’étapes n’implique pas de poser des questions de causalité, mais plutôt de descriptibilité [21] – une thématique très large, sur laquelle je reviendrai ci-dessous. Le point de vue narratif, tel que je l’ai développé ici, inverse également les autres hypothèses sur le temps du modèle standard. Dans le cadre d’un programme narratif d’explication, il est en effet nécessaire de reconnaître que l’horizon temporel et la taille des événements sont hétérogènes. Définir et comprendre ces événements devient en fait la tâche principale de la conceptualisation, de la même façon que, dans le programme standard, le principal est de définir les variables. J’ai certes proposé, dans le chapitre 5 en particulier, une traduction de mon concept d’événement dans le langage du programme standard : un événement est alors une position particulière dans un espace d’états. Mais en réalité, ma conception de l’événement était déjà beaucoup plus complexe. Les événements ont une durée ; ils peuvent dépasser les cadres d’observation. Ils sont définis par un agencement interne d’« occurrences ». C’est dans d’autres articles que j’ai développé cette conception (Abbott 1984, 1991), mais elle est sous-jacente ici.

39De la même façon, un point de vue subtil sur les intrigues est présent de façon implicite. En développant de nouvelles méthodologies, je devais en rester à un niveau assez simple : « une chose après l’autre », c’était tout ce que je pouvais me permettre. Par « intrigue », je désignais une simple succession d’événements. Mais, dans un programme plus général d’explication narrative, l’intrigue doit jouer un rôle central. C’est pourquoi plusieurs des chapitres font référence à une théorie structurale de la littérature qui s’appuie sur un nombre limité d’intrigues. Dans un programme portant sur les intrigues, le problème de la périodisation doit être pris au sérieux. Une question particulière liée à celle des intrigues est le problème de la périodisation. Les intrigues ont leurs débuts, leurs milieux et leurs fins qu’on peut définir arbitrairement, comme, dans le programme standard, les variables à expliquer peuvent être choisies de manière arbitraire. Un programme narratif sérieux doit donc se poser cette question de la périodisation : il faut décider si le début d’une séquence sociale est une propriété inhérente du processus social lui-même, ou bien simplement un aspect arbitraire de notre manière d’en parler. J’ai discuté cette question en lien avec celle de la compréhension de différents discours historiques formalisés : les généalogies ascendantes, où l’on recherche tous les ancêtres de la chose qu’on étudie, les généalogies descendantes, où l’on se focalise sur toutes ses conséquences, etc. Tous ces choix impliquent de poser des limites au caractère réticulaire de la dynamique sociale.

40C’est en réfléchissant aux bifurcations dans les processus sociaux que j’ai discuté de ces questions. Dans ce cas, l’idée d’un programme explicatif narratif est particulièrement claire, parce que l’idée même de bifurcation, d’un point de vue logique et formel, est nécessairement une idée narrative. Le chapitre 8 détaille les conséquences en termes de logique et de mode d’explication de cette idée de bifurcation [22]. Elle implique en particulier que la dynamique sociale peut être analysée en termes de trajectoires et de bifurcations. Ici, j’appelle « trajectoires » non pas une forme routinière, comme ci-dessus, mais plutôt un ensemble de règles assez stables qui produisent des résultats : une sorte de « modèle » causal stable permettant d’expliquer de petites variations. Entre les trajectoires de ce type, ces périodes pendant lesquelles il y a un modèle stable, on trouve des bifurcations, les points où les cas passent d’une trajectoire à une autre, donc entrent dans un nouveau régime de causalité. La nature de cette transition doit alors être déterminée. Si on adopte cette conceptualisation, les méthodes standard et narrative peuvent se répartir le monde, la première traitant des trajectoires, la seconde des bifurcations. Cette idée m’a amené à réfléchir aux conditions dans lesquelles un système social susceptible d’être analysé ainsi, en termes de trajectoires et de bifurcations, peut émerger. Un autre intérêt de cette approche était qu’elle permettait de distinguer les parties structurales et non structurales des déterminismes sociaux : les bifurcations permettaient à la structure de jouer un rôle. De ce point de vue, le modèle bifurcations-trajectoires s’insérait dans mes idées plus générales sur la manière de penser la contextualité et l’indétermination dans les systèmes sociaux. Ce n’était qu’une autre manière de réfléchir aux histoires naturelles (les trajectoires), aux carrières et aux champs d’interaction.

41Je voudrais enfin mentionner deux autres aspects du programme narratif [23]. Tout d’abord, l’idée que la signification des causalités dépend du contexte. C’est-à-dire, dans le vocabulaire du modèle standard, que telle ou telle modalité d’une variable peut avoir ou non une importance narrative, en fonction de l’environnement que constituent d’autres modalités d’autres variables au même moment. D’une certaine façon, cette idée découle naturellement (même si on reste dans le cadre du modèle standard) du fait d’envisager les intrigues comme des séquences d’événements, conçus comme des détails complexes. Même si on définit simplement les événements comme des successions de points situés dans un espace d’états, rien n’oblige à considérer que ces successions sont avant tout déterminées par des valeurs mesurées sur une dimension particulière, que l’on considère comme un effet principal. C’est la succession des points, envisagés dans toutes les dimensions à la fois, qui importe – même si on pourrait, en principe, réduire le nombre de dimensions jusqu’à repérer un ensemble cohérent de chemins dans ce nouvel espace aux dimensions réduites. Encore une fois, en proposant une théorie générale du programme narratif, j’assouplissais de façon implicite une des hypothèses du modèle standard : celle qui concerne la signification univoque des variables.

42Enfin, une question centrale – et difficile – pour le programme narratif est tout simplement celle de l’existence du passé. Dans les chapitres 5 et 7, je présente ce problème : comment imaginer les influences causales ou les déterminations d’un passé qui a, de fait, disparu ? À première vue, faire une hypothèse sur ce point s’impose à tout programme narratif d’explication – et ce n’est pas simple. J’y reviendrai ci-dessous, en discutant de l’« encodage » [24]. Je voudrais seulement souligner que le chapitre 7, en particulier, envisage aussi le problème inverse : la non-plasticité du passé, la résistance qu’il oppose aux réinterprétations arbitraires.

43La plupart des thèmes de mon programme narratif de compréhension de la dynamique sociale impliquent donc de renverser les hypothèses du programme standard. Mais mon projet ne s’arrêtait pas là.

V – Explication et causalité

44Les thèmes de l’explication et de la causalité sont apparus à plusieurs reprises dans ce livre. Dans plusieurs chapitres, j’évoque l’éternel débat sur la nature de l’explication, et la question de savoir si elle doit nécessairement être « causale ». Deux alternatives à l’explication causale ont été proposées : l’explication historique, plus souvent discutée, et la description, qui n’est pourtant pas moins importante.

45Je l’ai moi-même assez peu évoquée. Le problème de base qui se pose à tout praticien des sciences sociales empiriques est pourtant celui de la description, de la capacité à suivre, à épouser la trajectoire des entités décrites. Envisageons un espace de données à n dimensions, n étant le nombre de variables que nous pouvons mesurer : les cas se déplacent dans cet espace, sur des trajectoires qui représentent leur évolution dans le temps (on pourrait aussi envisager le temps comme une dimension supplémentaire de cet espace). Un praticien des sciences sociales voudrait pouvoir dire quelque chose qui soit la fois compréhensible et parcimonieux sur le comportement des cas dans cet espace de données. Une des manières de le faire est de simplifier drastiquement cet espace, en utilisant une des méthodes possibles pour réduire le nombre de ses dimensions. Dans le vocabulaire standard, c’est un travail de description. Je n’entrerai pas ici dans le débat sur le caractère explicatif ou non de la description, mais il est certain qu’elle représente une manière de dire des choses à la fois compréhensibles et parcimonieuses. L’autre manière de parler d’un tel espace de données est de privilégier une seule de ses dimensions, que l’on appelle variable à expliquer, et de voir si une combinaison plus ou moins linéaire d’informations sur les autres dimensions peut reproduire l’information sur celle-ci. C’est ce que le vocabulaire standard appelle une analyse causale.

46Le programme narratif, tel que je l’ai défini, est explicitement descriptif. L’idée est de déceler des catégories et des formes dans des processus sociaux, de façon, pour commencer, à connaître les régularités que l’on essaie d’expliquer. Cela nécessite d’utiliser toute une batterie de méthodes qui permettent de déceler de telles formes dans les données : elles représentent une alternative par rapport à l’approche standard.

47Mais, à un niveau plus théorique, j’ai aussi défendu dans ce livre un objectif plus ambitieux pour le programme narratif : j’y vois en effet une forme d’explication. Pour l’affirmer, je suis reparti des travaux classiques de Hempel sur l’explication [25] et j’ai examiné, dans le chapitre 3, leurs rapports avec les méthodes standard. Dans les chapitres 3 et 4, j’ai aussi présenté assez longuement la réponse des philosophies de l’histoire aux travaux de Hempel et leur conception des narrations comme explications. Quand j’ai présenté de telles idées à mes collègues qui pratiquent la méthode standard, je n’ai la plupart du temps rencontré que de l’incompréhension. Manifestement, beaucoup d’entre nous ne sont pas prêts à envisager un autre sens du mot « explication » que celui, très étroit, que lui assigne le programme standard. Pourtant, pour les philosophes, l’explication narrative est un concept tout à fait sérieux, dont j’ai présenté ici quelques variantes. C’est aussi de la lecture de ces textes que me sont en grande partie venues mes idées sur les thèmes de la « colligation » [26] et des « sujets centraux » : ils y représentent les équivalents historiques de la conceptualisation (incluant la classification et la mesure) et des unités d’analyse.

48Je n’ai en revanche que très brièvement mentionné deux éléments que j’ai tiré de ces lectures. Le premier concerne le problème, central pour les philosophes, de l’explication des choses qui ne sont pas arrivées, ou qui n’arrivent pas. Peter Abell l’a discuté dans The Syntax of Social Life (Abell 1987) et je m’en suis emparé, d’un point de vue méthodologique, pour envisager les espaces de données vides. Mais je ne me suis pas réellement penché sur ce qu’implique le fait de réfléchir au monde social en se concentrant plutôt sur les choses qui arrivent – ou, comme le disent Hart et Honoré (1985), sur les choses qui arrivent et qui sortent de l’ordinaire. Le second élément est la présence possible de « chaînons narratifs » dans l’explication. J’indique dans le chapitre 4 qu’il serait important de développer des modèles conceptuels des étapes des narrations, mais je n’ai pas vraiment suivi cette suggestion dans ce livre [27].

Références

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Date de mise en ligne : 06/02/2012

https://doi.org/10.3917/tt.019.0183

Notes

  • [1]
    Abbott, 2001b, pp. 280-294.
  • [2]
    Terrains & Travaux remercie Andrew Abbott pour avoir donné son accord pour la traduction de ce texte ainsi que pour sa relecture. Nous remercions également Étienne Ollion pour ses remarques sur cette traduction.
  • [3]
    Il présente lui-même les différentes facettes de son travail sur son site web : http://home.uchicago.edu/~aabbott/index.html
  • [4]
    Ces rencontres doivent donner lieu à une publication coordonnée par Didier Demazière et Morgan Jouvenet.
  • [5]
    Sur son incarnation dans différentes sciences sociales, voir aussi Steinmetz 2005 (qui inclut un chapitre par Andrew Abbott).
  • [6]
    L’un des aspects les plus amusants dans le fait de vieillir a été d’entendre la jeune génération de sociologues crier victoire en annonçant qu’ils n’opposaient plus quantitatif et qualitatif, mais qu’ils pouvaient mettre en œuvre les deux méthodes. Moi aussi, mais je n’ai pu le faire qu’en réalisant des contorsions et des gymkhanas. À certains égards, je ne pense pas que mes jeunes collègues aient même commencé à voir où était le problème. Abbott 2001 propose une analyse détaillée de telles déclarations de victoire.
  • [7]
    NDT : Les sciences sociales américaines font une distinction entre la démographie formelle et la démographie sociale. La démographie formelle étudie la composition et la distribution des populations. La démographie sociale, quant à elle, utilise les données et les méthodes de la démographie formelle pour décrire, expliquer et prévoir des phénomènes sociaux plus généraux.
  • [8]
    NDT : La troisième partie de l’épilogue revient sur ces hypothèses.
  • [9]
    NDT : pour une présentation générale de ce programme en français, voir Lazega, 2007 et Mercklé, 2011. Pour la traduction d’une œuvre centrale de White, voir White, 2011.
  • [10]
    NDT : Le méliorisme est une morale de l’action selon laquelle le monde tend à s’améliorer ou peut être amélioré par l’effort de l’homme. Dans la tradition pragmatiste et transactionnelle développée par J. Dewey par exemple, « le méliorisme consiste à croire que les conditions spécifiques qui existent à un moment donné peuvent toujours être améliorées » (Dewey, 2003, p.150) même si ce progrès n’est pas inéluctable et doit être mis en œuvre collectivement par les individus.
  • [11]
    J’ai déjà expliqué (Abbott, 2000) que nous sommes sur le point d’être submergés par des bases de données si grandes et si détaillées qu’un changement de méthode va, bon gré mal gré, devenir obligatoire…
  • [12]
    NDT : A. Abbott fait ici implicitement allusion aux modèles de l’event history analysis (expression diversement traduite en français : modèles « de durée », « de survie », « analyse biographique », etc.), qui représentent une tentative de prendre en compte des phénomènes temporels par un moyen qui ressemble à une régression multivariée. Cette tentative a plusieurs limites, qu’il expose ici. Pour une introduction en français, voir Degenne 2001.
  • [13]
    NDT : L’expression « modèles de classe contrainte » appartient au vocabulaire de la programmation. Pour une discussion de ce modèle on pourra consulter Abbott 1990.
  • [14]
    NDT : A. Abbott fait ici allusion au développement de l’analyse géométrique des données (analyse factorielle, classifications…) dans le marketing, notamment. En France, celle-ci est bien sûr tout aussi présente dans la recherche.
  • [15]
    NDT : Chez Gouldner, la sociologie empirique s’oppose à la sociologie théorique comme celle développée par T. Parsons dans sa « grande théorie ».
  • [16]
    NDT : voir notamment Abbott, 1995 ; Abbot et Tsay, 2000 ; pour des introductions en français à ces méthodes et à leurs développements les plus récents, Lesnard et de Saint-Pol, 2006 ; Robette, 2011.
  • [17]
    NDT : cet article a été publié en français (Abbott, 2003a).
  • [18]
    NDT : voir notamment Coleman 1990.
  • [19]
    NDT : Il s’agit ici des théories du développement popularisées dans les années 1960 par Piaget à propos du développement cognitif chez l’enfant (Piaget et Inhelder, 2004) ou Rostow au sujet de la croissance économique (Rostow ,1962).
  • [20]
    NDT : En probabilités, un processus stochastique représente l’évolution d’une variable aléatoire. De tels processus permettent de modéliser des systèmes dont le comportement n’est que partiellement prévisible. Andrew Abbott évoque ici les chaînes de Markov, dont l’hypothèse centrale est que ce qui se passe au moment t+1 ne dépend que de ce qui s’est produit au moment t (ces modèles sont « sans mémoire » autre que celle du passé immédiat, par différence avec les séquences).
  • [21]
    NDT : Andrew Abbott emploie ici le terme de followability. Il joue, ici et plus bas, sur les différents sens de to follow, qui peut, en anglais, signifier suivre, mais aussi décrire, voire épouser (au sens où l’on épouse une trajectoire).
  • [22]
    NDT : Voir la traduction française de ce chapitre : Abbott, 2009.
  • [23]
    NDT : pour un développement complémentaire de ce programme on peut aussi de référer à l’article de l’auteur « La description face à la temporalité » (2003b).
  • [24]
    NDT : Cette discussion figure dans la septième partie de l’épilogue, que nous n’avons pas traduite. Par « encodage », Andrew Abbott désigne la manière dont des structures s’insèrent dans la reproduction permanente de la vie sociale, ce qui permet leur propre reproduction. C’est l’alignement de plusieurs de ces « encodages » qui permet les bifurcations : de plusieurs processus de reproduction émerge une vulnérabilité des entités, des possibilités de destruction. Les trajectoires correspondent en revanche aux moments de reproduction.
  • [25]
    NDT : Hempel 1942.
  • [26]
    NDT : Le terme existe dans le vocabulaire philosophique français comme anglais. Il renvoie à la réunion de faits ou d’observations en une proposition unique, à leur structuration en une induction complète, à l’action de synthétiser un ensemble de faits séparément observés pour en induire un phénomène non encore mis en évidence.
  • [27]
    NDT : l’épilogue comprend deux autres courtes parties, que nous n’avons pas traduites. La sixième, consacrée au « temps », revient principalement sur le chapitre 7, qui discute des conceptions du temps d’Henri Bergson et de George Herbert Mead. La septième, titrée « problèmes théoriques généraux », résume quelques enseignements généraux du livre, en particulier sur le changement comme état normal du monde, la représentation du monde comme un monde d’événements, et sur l’« encodage » (cf. supra note 16).

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